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D'autres films de début 2024

  • Bien : Los Delincuentes (Rodrigo Moreno), Averroès et Rosa Parks (Nicolas Philibert), Les Carnets de Siegfried (Terence Davies), Une famille (Christine Angot), La Mère de tous les mensonges (Asmae El Moudir), Daaaaaali ! (Quentin Dupieux), Bye Bye Tibériade (Lina Soualem), Blue Giant (Yuzuru Tachikawa), La Nouvelle femme (Léa Todorov)
  • Pas mal : L'Empire (Bruno Dumont), Walk up (Hong Sang-soo), La Salle des profs (Ilker Catak), Sans jamais nous connaître (Andrew Haigh), Eureka (Lisandro Alonso)
  • Bof : La Jeune fille et les paysans (DK et Hugh Welchman)


LOS DELINCUENTES (Rodrigo Moreno, 27 mar) LLL
Moran, le trésorier d'une banque de Buenos Aires, s'arrange pour voler 650000 dollars à son travail. Il confie l'argent à un collègue, Roman. Le plan est le suivant : Moran se rend quelques jours plus tard, purge sa peine, et à la sortie de prison, les deux comparses récupèrent le magot, et n'auraient plus besoin de travailler. Le but du casse ne serait donc pas de faire fortune, mais de gagner du temps libre. Mais tout n'est pas si simple... Il ne faut pas avoir peur de la durée du film (environ 3h), scindé en deux parties, et qui mêle plusieurs genres. On se plonge avec délice dans le romanesque des situations et les caractères haut en couleur de tous les personnages. La plupart des interprètes sont inconnus chez nous, à part Laura Paredes qui joue la cadre des assurances qui conduit l'enquête interne à la banque, et qui était déjà au coeur des remarquables La Flor et Trenque Lauquen, du collectif El Pampero Cine (dont Rodrigo Moreno ne fait pas partie). Au fil de tous les développements, on découvre un film d'inspiration plutôt libertaire (mais au sens antilibéral du terme).

AVERROES ET ROSA PARKS (Nicolas Philibert, 20 mar) LLL
Avec ce film, Nicolas Philibert prolonge le travail entrepris avec Sur l'Adamant. Les lieux sont plus austères, mais le documentaire est surtout composé de séances d'entretien entre soigneurs et soignés. Même si la question est un peu abordée lors d'une réunion, le cinéaste ne tranche pas le débat sur l'utilité des institutions psychiatriques et de leurs formes. En revanche, il continue à réintégrer dans une pleine humanité les patients (dont quelques figures déjà croisées sur l'Adamant) qui constituent l'âme du film. Et par suite on peut s'interroger, dans le prolongement des réflexions des militants et militantes intersectionnelles actuelles, sur le caractère "validiste" de nos sociétés contemporaines, en voyant ces êtres si humains mais qui ne pourraient pas satisfaire les exigences capitalistes et s'insérer dans une compétition économique toujours plus rapide et intense (au grand dam des rapports sociaux et des milieux naturels).

LES CARNETS DE SIEGFRIED (Terence Davies, 6 mar) LLL
Le style de Terence Davies, éloigné de toute emphase, pourra être jugé froid par certains néophytes, il n'en reste pas moins que le film est émouvant, à sa façon. Inutile d'être un spécialiste de Siegfried Sassoon pour apprécier ce film. Il s'agit de l'histoire de ce poète qui a traversé le XXè siècle. Son expérience de la Première guerre mondiale le rend résolument pacifiste, alors qu'il s'exprime déjà d'une position minoritaire du fait de son identité sexuelle (homosexuelle). On peut aussi le voir comme une autobiographie déguisée du cinéaste lui-même qui s'autorise, avec son grand âge, des effets détonants comme le morphing, avec un résultat pour une fois convaincant. Un privilège de l'âge qu'on a déjà remarqué chez Oliveira ou Erice. Le film dépasse cependant son sujet, en tirant le portrait complexe d'un artiste doué, mais jaloux du (et hanté par le) talent d'un autre poète, fauché prématurément.

UNE FAMILLE (Christine Angot, 20 mar) LLL
Je n'ai jamais été un grand admirateur du personnage public, mais en revanche l'histoire personnelle de Christine Angot m'a toujours touchée, particulièrement depuis Un amour impossible, l'adaptation du roman éponyme d'Angot par Catherine Corsini. Désormais, l'écrivaine a décidé que les mots écrits ne suffisaient plus. Avec la complicité de la chef opératrice Caroline Champetier, elle a décidé de se confronter à divers membres de sa famille, afin de faire voler les non-dits. Elle commence par imposer à la veuve de son père incestueux (qui n'est pas sa mère biologique) une discussion à bâtons rompus. Si l'expression orale constitue une thérapie pour Christine Angot, sa démarche cinématographique se veut utile pour elle-même mais aussi pour tous et toutes les autres, à l'instar des ondes de choc provoquées par les livres de Camille Kouchner ou Vanessa Springora, et montre également les conséquences des crimes de son père sur les autres membres de la famille.

LA MERE DE TOUS LES MENSONGES (Asmae El Moudir, 28 fév) LLL
La jeune réalisatrice Asmae El Moudir, constatant l'absence de photos de famille, et se cognant au mutisme de sa grand-mère, imagine un dispositif pour délier les langues : réaliser, avec la complicité de son père, des maquettes de son ancien quartier, et de l'immeuble dans lequel elle a grandi. La démarche semble s'inscrire dans le sillage de L'Image manquante, le bien nommé documentaire de Rithy Panh (sur une toute autre tragédie). Ici, les tabous plus ou moins levés de la mémoire familiale permettent de jeter une lumière sur un épisode oublié de l'histoire du pays, la dure répression des "émeutes du pain", en 1981, par les autorités de l'époque.

DAAAAAALI ! (Quentin Dupieux, 7 fév) LLL
Il ne s'agit pas d'un biopic sur le célèbre artiste, plutôt réduit ici au personnage public un peu mégalomaniaque qu'il était devenu vers la fin de sa vie. De mon point de vue, il ne s'agit pas non plus d'un film surréaliste, au sens plein du terme. Non, ici on est plutôt dans le registre de l'absurde. Ce qui est certes déjà le cas d'un certain nombre de films de Dupieux, mais néanmoins il ne se répète pas. Plus que la multiplicité aléatoire des interprètes de Dali (qui justifient le titre), les réjouissances peuvent provenir de n'importe quelle caractéristique, d'une traversée de couloir d'hôtel qui n'en finit pas à certains récits gigognes (que je vous laisse découvrir).

BYE BYE TIBERIADE (Lina Soualem, 21 fév) LLL
Décidément, les documentaires familiaux sont peut-être les moins nombrilistes qui soient. Comme Mariana Otero (Histoire d'un secret) ou Eric Caravaca (Carré 35), Lina Soualem, qui est la première femme de sa famille à être née hors de Palestine, cherche auprès des générations précédentes, et en particulier de sa mère l'actrice Hiam Abbass, à interroger la transmission comme les histoires plus ou moins tues. Un moyen aussi d'évoquer pudiquement, avec des moyens très simples, la grande Histoire (et, involontairement, ses tragiques prolongements au présent).

BLUE GIANT (Yuzuru Tachikawa, 6 mar) LLL
Il ne faut certes pas forcément aller voir ce film pour le scénario ou le style graphique des personnages et des décors, qui ne sont pas d'une folle originalité (et transposés d'une série de mangas). Mais les sessions musicales emportent tout, tant le dessin met en relief la virtuosité de chaque instrument(iste). Il est plaisant que cette virtuosité ne s'accompagne pas de l'humiliation ou l'écrasement de concurrents (ça nous change d'autres films). En tout cas, si on y est sensible, on ressort en apesanteur, sans trop se rappeler si on sort d'une salle de cinéma ou d'un concert... De ce point de vue, la pianiste et compositrice Hiromi Uheara peut être considérée comme la coautrice du film, au même titre que le réalisateur Yuzuru Tachikawa.

LA NOUVELLE FEMME (Léa Todorov, 13 mar) LLL
Au début du XXè siècle, Maria Montessori rencontre une femme française qui veut lui confier l'éducation de son enfant, qui a un handicap mental, et qu'elle n'arrive pas vraiment à aimer. Si le film remonte aux origines des préoccupations pédagogiques de Maria Montessori, il ne dit rien de son approche : on "apprend" que pour faire progresser un enfant, il faut l'aimer (ce qui n'est pas très spécifique). La seule incartade au moule éducatif unique est le bilinguisme de la pédagogue, qui respecte la langue natale de chaque enfant. En revanche, le film passionne beaucoup plus par le fil féministe qu'il parvient à tisser. Sans jamais tomber dans la performance, Jasmine Trinca et Leïla Bekhti, toujours justes, apportent de la profondeur ou de l'inattendu à chaque inflexion de leur jeu.

L'EMPIRE (Bruno Dumont, 21 fév) LL
De prime abord, à l'instar de la bande annonce du film, Bruno Dumont livre une transposition pastiche d'un space opera façon Star Wars dans l'univers des classes populaires du Pas-de-Calais. On retrouve également le duo de gendarmes ahuris qui égayait la série P'tit Quinquin et sa suite. Les dialogues qui dissertent sur les qualités et défauts de l'espèce humaine créent un décalage au départ drôlatique, tout comme le soin apporté aux effets spéciaux et aux décors. Mais au service de quoi sont mobilisées ces audaces formelles ? C'est là que le film peut décevoir, tant Bruno Dumont semble mobiliser un imaginaire binaire (explicitement les forces du "1" et celles du "0"), plus manichéen que son modèle.

WALK UP (Hong Sang-soo, 21 fév) LL
A première vue, on peut s'interroger sur l'utilité de ce nouveau film de Hong Sang-soo, qui met en scène un énième personnage de cinéaste indépendant en proie au doute, soucieux de transmettre, et enclin à chercher une vérité (ou quoi que ce soit d'autre) dans l'alcool. L'étonnement vient d'ellipses qui s'invitent sans crier gare à la fin d'un plan, sans qu'on s'en aperçoive d'emblée. L'évolution de l'immeuble dans lequel s'est installé le personnage principal (interprété par le fidèle Kwon Hae-hyo) devient une métaphore de l'évolution de ce personnage et du temps qui passe. Tout en creusant toujours un peu le même sillon, et d'une manière extrêmement minimaliste, Hong Sang-soo continue de surprendre (un peu).

LA SALLE DES PROFS (Ilker Catak, 6 mar) LL
Des vols sont commis dans un collège. Pour ne pas laisser accuser à tort des élèves, une professeure laisse sa webcam allumée, et s'aperçoit qu'une personne qui a le même chemisier que la secrétaire a fouillé dans son portefeuille. A partir de là, la situation dégénère. Si, à froid, le film peut s'interpréter comme une allégorie de la dangerosité des idéologies sécuritaires dites de "tolérance zéro", le film fonctionne à chaud plutôt comme un piège pour l'héroïne, bien que paradoxalement la moins disposée à tomber dans ces travers. Les contradictions du personnage, c'est très bien. L'ambiguïté de la mise en scène, en revanche, ça l'est beaucoup moins.

SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE (Andrew Haigh, 14 fév) LL
Adam, un scénariste, vit seul à Londres dans un immeuble en partie vide. Un soir il rencontre un de ses rares voisins. En revenant en balade vers la maison de son enfance, il voit qu'elle est occupée... par ses parents, morts accidentellement des années auparavant, lorsqu'il était adolescent. Cette prémisse pourrait laisser penser à celle d'un film de genre. Il s'agit plutôt d'un mélodrame psychologique adapté d'un roman japonais (Présences d'un été). Adam est interprété par Andrew Scott, qui apporte beaucoup de nuances à un film parfois un peu trop répétitif, et où les dialogues sont un peu trop basiques.

EUREKA (Lisandro Alonso, 28 fév) LL
Dans le segment central du film, on suit Alaina, une policière amérindienne officiant dans une réserve du Dakota du Sud, marquée par l'isolement, la pauvreté et même de rudes conditions météorologiques, ainsi que Sadie, sa jeune nièce, qui entraîne l'équipe de basket-ball du lycée et rend visite à son frère emprisonné. Dans le segment précédent, on avait vu le western en noir et blanc qu'elles regardaient à la télé sans se sentir représentées. Le dernier mouvement du film nous transporte (on vous laisse découvrir comment) dans une forêt amazonienne brésilienne dans les années 1970. Le film est limpide, sa réception dépend donc de comment on le ressent. Si l'audace de certains éléments peut séduire, il faut reconnaître que le résultat est poseur, voire très lent (même si un personnage affirme que le temps est une fiction créée par les hommes).

LA JEUNE FILLE ET LES PAYSANS (DK et Hugh Welchman, 20 mar) L
Le film combine deux techniques d'animation : la rotoscopie (comme dans Aloïs Nebel), images décalquées de prises de vue avec des interprètes réels, et la peinture animée, comme dans les courts et longs métrages de Florence Miailhe (La Traversée). Le résultat se voudrait esthétique, il est plutôt esthétisant, avec des images parfois trop proches du trompe-l'oeil pour convaincre. L'histoire de cette jeune fille dans la Pologne du XIXè siècle est édifiante, quoique convenue, mais le fond comme la forme auraient eu besoin de davantage de subtilité.
Version imprimable | Films de 2024 | Le Mardi 02/04/2024 | 0 commentaires
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Des films pour commencer 2024

  • Bien : La Grâce (Ilya Povolotsky), They shot the piano player (Fernando Trueba, Javier Mariscal), L'Homme d'argile (Anaïs Tellenne), A man (Kei Ishikawa), La Ferme des Bertrand (Gilles Perret), Pauvres créatures (Yorgos Lanthimos)
  • Pas mal : La Tête froide (Stéphane Marchetti), Priscilla (Sofia Coppola), May December (Todd Haynes), 20000 espèces d'abeilles (Estibaliz Urresola Solaguren), L'Etoile filante (Dominique Abel, Fiona Gordon), Un silence (Joachim Lafosse)
  • Bof : La Bête (Bertrand Bonello)
  • Hélas : La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer)

LA GRÂCE (Ilya Povolotsky, 24 jan) LLL
Au moyen d'un van aménagé, un père et sa fille de quinze ans sillonnent la Russie occidentale, du sud au nord. Pourquoi ? On n'éventera pas les secrets ici, le récit étant plus ou moins bâti sur la rétention d'informations, distillant les éléments au compte-gouttes. On découvrira ainsi comment ils gagnent leur vie, ou quel est l'objet de leur périple. Mais la grande force du film, c'est sa mise en scène. Elle est à la fois naturaliste, concrète, mais aussi teintée de mélancolie ou même de métaphysique. A plusieurs reprises, des panoramiques abandonnent les personnages, avant que ceux-ci ne réapparaissent dans le champ, à la fin du mouvement d'appareil. C'est emblématique du grand sens de l'espace et du cadre avec lequel le cinéaste laisse surgir les coins reculés traversés, tout en s'intéressant à la vérité intérieure de nos deux itinérants.

THEY SHOT THE PIANO PLAYER (Fernando Trueba, Javier Mariscal, 31 jan) LLL
Il s'agit d'un documentaire animé, hybridation de genre dont Valse avec Bachir (Ari Folman) a été un précurseur. Il fait revivre les années 1960, lorsque la bossa nova naissante faisait la noce avec le jazz. C'est aussi une enquête contemporaine du journaliste américain Jeff Harris autour de la disparition de Tenorio Junior, un pianiste brésilien, instrumentiste et compositeur surdoué, à Buenos Aires en 1976. Il rencontre du beau monde (Gilberto Gil, Caetano Veloso et autres orfèvres), ainsi que des proches ou des membres de la famille du disparu. La petite histoire, qui rejoint la grande (celle, tragique, de l'Amérique latine), émeut, bien servie il est vrai par le style très roman graphique des dessins, particulièrement bien adapté, tandis que les sessions musicales, un régal pour les oreilles, enthousiasment.

L'HOMME D'ARGILE
(Anaïs Tellenne, 24 jan) LLL
Raphaël (Raphaël Thiéry), la cinquantaine bien tassée, vit avec sa mère dans un petit pavillon à l'entrée d'un domaine dont il est le gardien. Il est aussi l'ami de la factrice du coin (Marie-Christine Orry, formidable second rôle). La vie de ce colosse rustique, qui a perdu l'usage d'un oeil, va changer lorsque Garance (Emmanuelle Devos), l'héritière du château et artiste contemporaine reconnue, débarque lors d'une nuit d'orage... On est frappé par la singularité de ce conte, paradoxalement lyrique et sobre à la fois. Il échange sans ostentation les rôles genrés d'artiste et de muse. L'étrangeté discrète de ce premier long métrage, maîtrisé au niveau de l'image comme du son, et qui avance sans enfiler les points de passage obligés, rend d'autant plus fascinantes les paroxystiques vingt dernières minutes.

A MAN (Kei Ishikawa, 31 jan) LLL
Rie, mère célibataire d'un petit garçon, est propriétaire d'une petite papeterie. Elle y recontre Daisuke, un client venu lui acheter de quoi dessiner. Ils nouent une relation. Ellipse. On les retrouve mariés quelques années plus tard. Daisuke est bûcheron, et trouve la mort dans l'exercice de ses fonctions. Plus tard, Rie s'aperçoit qu'il n'était pas celui qu'il prétendait être, et engage un ami avocat, Kido, pour en savoir plus. Il s'agit d'un drame profond et trouble autour de la notion d'identité et de quête de soi, au sein d'une société pas forcément très ouverte. Les interprètes (dont Sakura Andô, déjà appréciée dans L'Innocence de Kore-Eda) sont dirigés avec finesse à l'intérieur d'une mise en scène posée, dont le regard évolue au fil de mini-coups de théâtre (la toute fin étant davantage un clin d'oeil psychologique qu'un twist de dernière minute).

LA FERME DES BERTRAND (Gilles Perret, 31 jan) LLL
Récemment, les documentaires sur l'agriculture ont essayé de donner une vue d'ensemble d'exploitations de diverses tailles (Il a plu sur le grand paysage de Jean-Jacques Andrien) ou de proposer une lecture très analytique voire systémique (Le Temps des grâces de Dominique Marchais). Le film de Gilles Perret a pour particularité de s'intéresser à une seule ferme et d'inclure en son sein d'autres images qu'il avait tournées 25 ans plus tôt au même endroit [bizarrement la texture des images est restée la même], et quelques fragments d'un documentaire tourné en 1971 par Marcel Trillat. Ce regard sur le temps long (et sur la transmission, les conditions de travail etc) n'est pas pour rien dans l'émotion suscitée. Et, en filigrane, on voit que ces producteurs laitiers ont résisté à la course à l'agrandissement, grâce à un prix plus avantageux lié au label AOP du reblochon. Comme quoi les normes de qualité ne sont pas forcément les ennemies des agriculteurs.

PAUVRES CREATURES (Yorgos Lanthimos, 17 jan) LLL
Bella est une jeune femme qui a le cerveau d'un nourrisson (on apprendra assez vite pourquoi). Le film nous propose de suivre son parcours et son évolution... Le nouveau long métrage de Yorgos Lanthimos est peut-être celui où sa provocation paraît la moins gratuite. Certains y ont vu un film féministe. Dans la mesure où l'expérience sociale de Bella n'est pas ordinaire, c'est vite dit. En revanche le sujet peut évoquer La Fiancée de Frankenstein, grand classique du début du parlant signé James Whale. Les décors et l'aspect visuel rétrofuturiste ou steampunk sont très inspirés (même s'ils ne font pas dans la demi-mesure), et Emma Stone se risque à des zones de jeu inhabituelles pour une star hollywoodienne de son acabit.

LA TÊTE FROIDE (Stéphane Marchetti, 17 jan) LL
Marie vit seule dans un mobil-home, a du mal à joindre les deux bouts, et fait de la contrebande de cigarettes pour boucler ses fins de mois. Son amant, policier, l'aide à éviter les contrôles à la douane franco-italienne. Un jour, elle rencontre Souleymane qui la supplie de le prendre en stop et lui faire passer la frontière. Et si aider les gens pouvait lui apporter un bénéfice ? Premier long métrage de fiction de Stéphane Marchetti, venu du documentaire. La réalisation est parfois hésitante, mais le film bénéficie d'un sérieux atout : Florence Loret-Caille, qui apporte de l'humanité et des nuances à un rôle abordé de façon plus complexe qu'il n'y paraît.

PRISCILLA (Sofia Coppola, 3 jan) LL
Un biopic sur la relation qui a uni Priscilla, de ses 14 ans à ses 28 ans, à Elvis Presley. Une histoire d'emprise qui fait contrepoint au récent film de Baz Luhrman (Elvis), qui montrait la rock star elle-même sous influence de son producteur. Pour le rôle titre, Cailee Spaeny a reçu le prix d'interprétation à Venise. La mise en scène de Sofia Coppola ne surprendra personne, elle est élégante, et on y trouve des échos de ses premiers films. On peut néanmoins s'interroger si cela fait sens de filmer tous ses films de la même façon, et de préférer un effet de signature plutôt qu'une adéquation à la singularité du sujet.

MAY DECEMBER (Todd Haynes, 24 jan) LL
Le titre est une métaphore de la différence d'âge qui sépare Gracie et Joe, qui avait seulement 13 ans quand il noua une relation avec la première, plus de vingt ans son aînée. Plusieurs décennies plus tard, le couple a perduré, a eu des enfants, et Elizabeth, une jeune actrice célèbre, vient à leur rencontre pendant plusieurs jours, afin de se préparer à jouer Gracie, au début de son histoire... Sur le papier, le nouveau film de Todd Haynes semblait prometteur. Si les deux actrices principales suivent des partitions très complexes, le résultat est un petit peu plus mitigé. Il s'agit d'un cinéma de recherche qui ne trouve pas toujours, à l'instar de la réutilisation, pas toujours convaincante, de la musique que Michel Legrand avait composée pour Le Messager (un tout autre univers).

20000 ESPECES D'ABEILLES (Estibaliz Urresola Solaguren, 14 fév) LL
Ane, mère de famille en plein doute conjugal et professionnel, profite des vacances pour quitter Bayonne et se rendre avec ses trois enfants au Pays basque espagnol où elle retrouve sa mère et sa tante, apicultrice. L'enfant le plus jeune, Coco, huit ans, s'interroge également sur son identité, rejetant son assignation à être un garçon. S'il comporte quelques métaphores un peu trop ostensibles, le premier long métrage de la réalisatrice Estibaliz Urresola Solaguren évoque la transidentité enfantine avec le sens de la nuance et de l'écoute. Dommage qu'il s'éparpille un peu : il a en effet l'inconvénient de passer après le très ramassé et très réussi Tomboy de Céline Sciamma.

L'ETOILE FILANTE (Dominique Abel, Fiona Gordon, 31 jan) LL
Cinquième long métrange du réjouissant duo Abel & Gordon (L'Iceberg, Rumba), héritiers belges très atypiques de Chaplin, Keaton, Etaix ou Kaurismaki. Certes on retrouve ici avec plaisir leur sens du burlesque. Mais le tortueux et ambitieux scénario, qui convoque une histoire de sosie, et qui pousse le bouchon politique plus loin qu'à l'accoutumée, ne fonctionne cette fois-ci pas très bien avec leur style, qui nécessite davantage de simplicité, puisqu'ils ont l'habitude de pousser une action jusqu'à son terme dans le même plan. Le résultat est en-deça des réussites passées, même si on y trouve encore quelques réjouissances.

UN SILENCE (Joachim Lafosse, 10 jan) LL
Inspiré par un fait divers, le film évoque l'histoire d'un avocat qui défend des victimes d'actes pédophiles, mais qui visionne lui-même sur son ordinateur des vidéos pédopornographiques. Le silence est celui de son épouse, le véritable personnage principal du film (Emmanuelle Devos livre une composition concrète mais aussi ambigüe voire insondable), mais la jeune génération ne l'entend pas de cette oreille. Dommage que Joachim Lafosse n'ait pas su transcender ces ingrédients et nous laisse une mise en scène sans grand relief, loin de ses réussites passées (A perdre la raison, Les Intranquilles).

LA BÊTE (Bertrand Bonello, 7 fév) L
Le récit est diffracté en trois époques, le début du XXè siècle à Paris, 2014 à Los Angeles, 2044 à nouveau à Paris. Au centre, le même personnage, Gabrielle (Léa Seydoux), et un curieux ami, Louis. A chaque fois apparaît à Gabrielle le pressentiment d'une catastrophe imminente. Le film est lointainement inspiré d'une nouvelle d'Henry James, publiée en 1903, La Bête dans la jungle. Au niveau formel il est très lynchéen, et on ne peut dénier les talents employés par le film, mais à quel service est dévolue cette sophistication froide ? L'absence totale d'affects semble contaminer la caméra, ce qui alourdit l'ensemble, difficile à digérer...

LA ZONE D'INTERET (Jonathan Glazer, 31 jan) 0
Auschwitz comme si vous n'y étiez pas. L'horreur absolue réduite à un bruit de fond, et à quelques éléments épars ostensiblement  montrés. A peine moins pire dans la maladresse que l'option inverse de la reconstitution calamiteuse des camps dans le biopic d'Olivier Dahan sur Simone Veil. Comme si la banalité du Mal désignait d'abord le micro-climat de la vie de famille d'un tortionnaire nazi, plutôt que le fait que beaucoup de personnes ont participé à engendrer ce Mal, même à un petit niveau (ce que montrait davantage La Passagère d'Andrzej Munk et Witold Lesiewicz, restauré l'an dernier et qui vient d'être disponible en DVD). La musique vocale concrète qui accompagne le générique final résume l'abjection du film : s'arroger le droit de faire un art prétendument conceptuel avec une telle réalité.
Version imprimable | Films de 2024 | Le Samedi 17/02/2024 | 0 commentaires
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