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Mon Top 15 de 2016

1. Carol (Todd Haynes, Etats-Unis)
2. Peur de rien (Danielle Arbid, France)
3. Moi, Daniel Blake (Ken Loach, Grande-Bretagne)
4. Aquarius (Kleber Mendonça Filho, Brésil)
5. Frantz (François Ozon, France/Allemagne)
6. Ce sentiment de l'été (Mikhaël Hers, France)
7. Dernières nouvelles du cosmos (Julie Bertuccelli, France)
8. La Loi de la jungle (Antonin Peretjatko, France)
9. Café society (Woody Allen, Etats-Unis)
10. Julieta (Pedro Almodovar, Espagne)
11. Merci patron ! (François Ruffin, France)
12. La Sociologue et l'ourson (Etienne Chaillou, Mathias Théry, France)
13. Planétarium (Rébecca Zlotowski, France)
14. Premier contact (Denis Villeneuve, Etats-Unis)
15. Dernier train pour Busan (Sang-ho Yeon, Corée du Sud)

Viennent ensuite (top 15 alternatif) : La Fille inconnue (Jean-Pierre et Luc Dardenne, Belgique), Quand on a 17 ans (André Téchiné, France), The Assassin (Hou Hsiao-hsien, Chine/Taïwan), J'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd (Laetitia Carton, France), Suite armoricaine (Pascale Breton, France), Théo et Hugo dans le même bateau (Olivier Ducastel, Jacques Martineau, France), Les Ogres (Léa Fehner, France), Ma vie de Courgette (Claude Barras, France), Un jour avec, un jour sans (Hong Sang-soo, Corée du Sud), No land's song (Ayat Najafi, France/Iran), La Sociale (Gilles Perret, France), La Tortue rouge (Michaël Dudok de Wit, France/Belgique), Baccalauréat (Cristian Mungiu, Roumanie), Fais de beaux rêves (Marco Bellocchio, Italie), Les Délices de Tokyo (Naomi Kawase, Japon) etc...
Version imprimable | Films de 2016 | Le Mercredi 04/01/2017 | 0 commentaires
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Bilan de l'année ciné 2016

L'année ciné US :
Il est de bon ton d'affirmer que le cinéma US actuel serait essentiellement une industrie fabriquant des produits pour adolescents, inspirés des comic books et des jeux vidéos, tandis que les scénaristes plus "adultes" auraient migré vers les séries télévisées qui offriraient plus de liberté. Certes il y a du vrai, commercialement parlant, mais le cinéma US n'est en rien monolithique.

Plusieurs films ont, c'est vrai, évoqué l'âge d'or révolu du cinéma hollywoodien, que ce soit la comédie mineure des frères Coen (Ave César !), le biopic sur un célèbre scénariste blacklisté par le maccarthysme (Dalton Trumbo de Jay Roach) ou bien le dernier opus, une nouvelle fois très élégant, de Woody Allen dont une partie de l'intrigue se situe dans le Hollywood des années 30 (Café Society). Last but not the least, Carol, de Todd Haynes, superbe histoire d'amour interdite située dans les années 50, ressuscite le brio et la minutie des plus grands stylistes de l'époque (Sirk, Minnelli).

Mais le renouveau est venu également de deux films SF : Premier contact de Denis Villeneuve, qui revivifie le film de rencontre avec des extra-terrestres par une belle réflexion sur le langage, un soupçon de géopolitique et un travail visuel tout à fait original (ce qui est assez rare), et en plus ceux qui auront l'occasion de le voir deux fois auront une expérience tout à fait différente à la seconde vision qu'à la première. Auparavant, en début d'année, est sorti Midnight special, film sur un père qui veut sauver de diverses convoitises son fils qui a des dons extraordinaires venus d'on ne sait où. Il ne faut pas voir ce film comme un blockbuster mais comme un film d'auteur, où malgré les morceaux de bravoure (une poursuite nocturne tous phares éteints, un final merveilleux) et des étrangetés hétérogènes (l'absence uchronique de téléphones portables, la douceur d'un scientifique oeuvrant pour la sécurité de l'Etat), Jeff Nichols creuse son sillon et raconte comme dans son plus beau film Take shelter l'histoire d'un père qui doit apprendre à ne pas surprotéger et à laisser vivre sa progéniture... 

Enfin, l'année 2016, marquée par la défaite d'Hilary Clinton, a aussi vu deux films évoquer la gentrification des grandes villes américaines, qui brise entre autres l'amitié de deux adolescents (la fiction d'Ira Sachs Brooklyn village) et menace le cosmopolitisme d'un quartier populaire, remplacé par la monoculture du fric et des multinationales (le documentaire de Frederick Wiseman In Jackson Heights).

Top 10 films US 2016 :
Carol (Todd Haynes)
Café society (Woody Allen)
Premier contact (Denis Villeneuve)
Midnight special (Jeff Nichols)
Dalton Trumbo (Jay Roach)
In Jackson Heights (Frederick Wiseman)
Brooklyn village (Ira Sachs)
Manchester by the Sea (Kenneth Lonergan)
Janis (Amy Berg)
Spotlight (Tom McCarthy)

L'année ciné française :
Il n'y a pas vraiment, cette année, de film qui mette vraiment tout le monde d'accord, mais plusieurs tendances à l'oeuvre : des deuxièmes long-métrages qui dépassent les premiers films de leurs auteurs (plutôt bon signe pour l'avenir), la grande diversité et qualité des films réalisés par des cinéastes femmes, la vitalité du secteur documentaire (comme du cinéma d'animation).

Certains jeunes cinéastes n'ont pas tout dit dans leur premier long-métrage et ont livré en 2016 un deuxième film plus réussi. Certains ont changé d'univers : Olivier Babinet, co-réalisateur d'une fiction décalée un peu vaine (Robert Mitchum est mort), est allé se ressourcer en tournant en banlieue un documentaire avec des ados épatants (Swagger), tandis que Laetita Carton, après le portrait d'un dessinateur (Edmond, un portrait de Baudoin), a réalisé un beau documentaire sur la langue des signes et sa culture (J'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd) et que Léa Fehner, après avoir évoqué la prison dans son premier film (Qu'un seul tienne et les autres suivront), dévore l'espace et les kilomètres dans sa fiction autour d'une troupe de théâtre itinérant (Les Ogres). D'autres ont au contraire approfondi leur premier sillon : après La Bataille de Solferino, Justine Triet garde un peu le même type d'héroïne, dans une réjouissante comédie sur une quadra un peu dépassée et au bord de la déprime (Victoria, avec une Virginie Efira au registre étendu, épatante), tandis que Antonin Peretjatko poursuit sa veine hilarante et gaucho-libertaire dans La Loi de la jungle (avec Vimala Pons et Vincent Macaigne, déjà à l'affiche de La Fille du 14 Juillet). Et, surtout, Mikhaël Hers, après le beau Memory lane, approfondit une tendance pop et mélancolique d'un tact infini en racontant dans Ce sentiment de l'été le travail de deuil, autour d'une jeune fille décédée prématurément, entrepris par son petit ami et sa soeur (Anders Danielsen Lie, Judith Chemla, lumineux).

Si, en dehors de certaines recettes industrielles, le cinéma français est aussi divers, il le doit aussi à de nombreuses réalisatrices qui ont fortement marqué leur coup cette année. Certains ont plus aimé que moi l'énergie de Divines de Houda Benyamina, récipiendaire survoltée de la caméra d'or (premier film) à Cannes, ou bien le joli film d'adieu de la regrettée Solveig Anspach (L'Effet aquatique). Pour ma part, outre les films déjà évoqués de Laetitia Carton, Léa Fehner et Justine Triet, je voudrais retenir de cette année une adaptation finalement réussie de best-seller (Réparer les vivants de Katell Quillévéré), un film-dossier à la Soderbergh (La Fille de Brest, l'un des plus solides films d'Emmanuelle Bercot), le romanesque discret et plus profond qu'il n'y paraît de Nicole Garcia (Mal de pierres, à l'opposé d'un cinéma qui soulignerait tout), le fantastique inquiétant de Lucile Hadzihalilovic (Evolution), la labyrinthique mais fluide Suite armoricaine de Pascale Breton, l'appétit de cinéma de Rebecca Zlotowski (le prolifique et curieusement mal aimé Planétarium). Les deux morceaux les plus réjouissants étant la rencontre avec Babouillec, poétesse autiste (Dernières nouvelles du cosmos de Julie Bertuccelli) et le récit plus ou moins autobiographique par la cinéaste Danielle Arbid de la découverte par une jeune étudiante libanaise de la France des années 1990, moins travaillée par la xénophobie qu'aujourd'hui (Peur de rien, avec de jeunes interprètes épatants et une Dominique Blanc réjouissante). Il faudrait aussi ajouter l'apport scénaristique des cinéastes Pascale Ferran et Céline Sciamma à deux films d'animation épatants, respectivement La Tortue rouge (Michaël Dudok de Wit) et Ma vie de Courgette (Claude Barras). A noter que Céline Sciamma a également co-scénarisé Quand on a 17 ans (le meilleur film d'André Téchiné depuis au moins une dizaine d'années).

Enfin, l'année a été assez prolifique en documentaires. Outre les films précédemment cités de Julie Bertuccelli, Laetitia Carton et Olivier Babinet, il faut évoquer le carton rentre-dedans de François Ruffin (Merci patron !), le non moins réjouissant, sur la forme et sur le fond, prototype d'Etienne Chaillou et Mathias Théry (La Sociologue et l'ourson, avec des animations très pédago), l'évocation de la création de la Sécu par Gilles Perret (La Sociale, dans la lignée des Jours heureux, et d'une actualité brûlante face au dangereux programme présidentiel de François Fillon), un concert franco-iranien hautement symbolique (No land's song d'Ayat Najafi). Et pour les passionés de cinéma la mémoire (sélective) de Bertrand Tavernier (Voyage à travers le cinéma français).

Top 10 films français 2016 :
Peur de rien (Danielle Arbid)
Ce sentiment de l'été (Mikhaël Hers)
Dernières nouvelles du cosmos (Julie Bertuccelli)
La Loi de la jungle (Antonin Peretjatko)
Merci patron ! (François Ruffin)
La Sociologue et l'ourson (Etienne Chaillou, Mathias Théry)
Planetarium (Rebecca Zlotowski)
Quand on a 17 ans (André Téchiné)
J'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd (Laetitia Carton)
Suite armoricaine (Pascale Breton)

L'année ciné européenne :

Même en dehors des films français, le cinéma européen s'est bien porté cette année. On note par un exemple un retour en forme du cinéma roumain. C'est peut-être un hasard du calendrier, mais on a vu cette année la nouvelle comédie de Corneliu Porumboiu, plus pince-sans-rire que jamais (Le Trésor), ainsi que la dernière brillante copie de Cristian Mungiu (Baccalauréat, une mention à Cannes pour la mise en scène). Mais à côté de ces deux valeurs sûres on a pu découvrir le talent de Adrian Sitaru (Illégitime). Mungiu et Sitaru partageaient en outre le même interprète principal (Adrian Titieni, formidable dans les deux cas, à chaque fois dans le rôle d'un médecin, mais les points communs s'arrêtent là). On peut ajouter que le film européen le plus commenté de l'année (Toni Erdmann, de Maren Ade, qui ne m'a pas emballé) se passe également pour l'essentiel en Roumanie, à Bucarest, terrain de jeu pour cadres sup sans scrupules du capitalisme mondialisé.

Dans le reste du cinéma européen, Pedro Almodovar nous a gratifié d'un film à nouveau digne de son talent (Julieta), moins exubérant qu'auparavant mais mature et maîtrisé, bien que n'ayant pas retenu les faveurs du jury cannois. Egalement repartis bredouilles, les frères Dardenne ont fait appel, pour la troisième fois consécutive à une vedette francophone (Adèle Haenel, après Cécile de France et Marion Cotillard) pour venir jouer dans leur univers, mais dans un emploi différent de d'habitude. La Fille inconnue ne reproduit pas à l'identique le schéma des précédents Dardenne, ce qui a pu décontenancer certains de leurs supporters, mais le film est une tentative très intéressante de renouvellement, même si c'est un nouveau suspense moral. Toujours chez nos voisins belges, Joachim Lafosse a sorti deux films cette année, dont L'Economie du couple, chorégraphie autour d'un couple disloqué mais contraint de continuer à cohabiter sous le même toit pour des raisons financières. Bérénice Béjo, l'une des protagonistes, est aussi à l'affiche de Fais de beaux rêves, le dernier beau film de Marco Bellocchio, drame psychologique adapté d'un roman autobiographique (écrit par un journaliste qui a perdu sa mère à l'âge de 9 ans), mais sans perdre de vue ses thèmes de prédilection (famille, religion, deuil, psyché humaine).

Impossible d'évoquer l'année européenne sans citer deux films importants. Tout d'abord, malgré les contorsions rhétoriques de quelques plumes branchées, le dernier Ken Loach est une franche réussite, un drame de l'ultralibéralisme avec des pointes d'humour acide. Moi, Daniel Blake (excellent titre) est une histoire de dignité pour les personnages et de colère pour le réalisateur. Une Palme d'or méritante. Ken Loach avait pris parti contre le Brexit, jugeant que les gouvernements nationaux britanniques étaient encore plus brutaux que les institutions européennes (les premiers ayant en partie façonné cette construction libérale de l'Europe). Mais la politique de Wolfgang Schaüble, le ministre allemand de l'économie, risque de faire monter dans toute l'Europe les sentiments nationalistes et la germanophobie. C'est peut-être pour cela que François Ozon a réalisé Frantz, formidable drame sur une difficile amitié franco-allemande dans les années 1920, après l'absurdité de la Première guerre mondiale et le douloureux traité de Versailles. Il ne le fait pas à la manière d'une leçon d'histoire mais grâce à une intrigue puissamment romanesque. L'un des sommets de sa filmographie.
 
Top 10 films européens (non français) 2016 :
Moi, Daniel Blake (Ken Loach)
Frantz (François Ozon)
Julieta (Pedro Almodovar)
La Fille inconnue (Jean-Pierre et Luc Dardenne)
Baccalauréat (Cristian Mungiu)
Fais de beaux rêves (Marco Bellocchio)
Illégitime (Adrian Sitaru)
Le Trésor (Corneliu Porumboiu)
Soleil de plomb (Dalibor Matanic)
L'Economie du couple (Joachim Lafosse)

L'année ciné du reste du monde :
Numériquement parlant, le reste du monde auquel on a eu accès en France a été largement polarisé par l'Asie (dans sa diversité). Le cinéma sud-coréen a une nouvelle fois marqué les esprits. Si The Strangers de Na Hong-Jin et Mademoiselle de Park Chan-Wook ont séduit davantage que moi les amateurs de scénario baroque ou à tiroirs, Dernier train pour Busan est un formidable exercice de style de Sang-Ho Yeon, avec des zombies à grande vitesse, et un sous-texte assez politique (l'individualisme et la solidarité ont des conséquences différentes sur la mortalité des protagonistes). Hong Sang-Soo nous propose quant à lui en apparence un excellent jeu des 7 erreurs, en redémarrant son film au bout d'une heure (Un jour avec, un jour sans), avec de virtuoses petites variations dans le placement de la caméra, dans la durée d'une scène ou dans l'attitude de son protagoniste masculin qui font petit à petit diverger le récit... Le cinéma d'animation japonais a montré avec plusieurs films qu'il pouvait s'affranchir des productions du studio Ghibli (qui pour la première fois a co-produit un film en Europe, La Tortue rouge, film franco-belge précédemment évoqué), avec des ambitions artistiques et/ou commerciales élevées (sur les deux plans pour Your name de Makoto Shinkai, éducation sentimentale à la sauce fantastique, avec paradoxe spatio-temporel et déchaînement des éléments - un événement astronomique, pendant dans la fiction du tsunami dans la réalité). On complètera l'année asiatique par la sortie des derniers films de deux valeurs sûres : Hou Hsiao-Hsien (The Assassin, très beau visuellement) et Naomi Kawase (Les Délices de Tokyo, très simple mais poignant).

L'expérimenté égyptien Yousry Nasrallah et le nouveau venu tunisien Mohamed Ben Attia ont exprimé, chacun à leur manière, dans des styles aux antipodes l'un de l'autre, leur soif de liberté, respectivement dans Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage et Hedi. Ironie de l'histoire, l'année de l'élection de Donald Trump aux USA, le cinéma mexicain a dans plusieurs films interrogé la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, dans Soy Nero de Rafi Pitts (au style plutôt réaliste) et dans le film de genre Desierto de Jonas Cuaron. Au fur et à mesure que grandit la libre circulation des marchandises et des capitaux, la libre circulation des êtres humains, en principe garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948, est au contraire plus que jamais remise en cause par les gouvernements libéraux - conservateurs... Les défaillances des démocraties prétendument occidentales inspirent au canadien Philippe Falardeau un rire salvateur (Guibord s'en va-t-en guerre). L'esprit de résistance, on le trouve surtout chez Kleber Mendonça Filho, un ancien critique de cinéma devenu cinéaste et qui signe avec son deuxième long-métrage Aquarius l'un des plus beaux films de l'année, autour d'une intellectuelle à la retraite qui tient tête à des promoteurs immobiliers prêts à tout pour obtenir son départ et réhabiliter l'immeuble pour en faire un ghetto de riches. Mais le film ne se limite pas à cette intrigue là, est d'une belle profusion romanesque, l'actrice Sonia Braga est superbe, et le style aussi affirmé que dans les meilleurs Almodovar...

Top 10 films du reste du monde :
Aquarius (Kleber Mendonça Filho)
Dernier train pour Busan (Sang-Ho Yeon)
The Assassin (Hou Hsiao-Hsien)
Un jour avec, un jour sans (Hong Sang-Soo)
Les Délices de Tokyo (Naomi Kawase)
Desierto (Jonas Cuaron)
Your name (Makoto Shinkai)
Guibord s'en va-t-en guerre (Philippe Falardeau)
Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage (Yousry Nasrallah)
Hana et Alice mènent l'enquête (Shunji Iwai)
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Des films de fin 2016 (et rattrapages éventuels)

Article évolutif

  • Bien : Fais de beaux rêves (Marco Bellocchio), Your name (Makoto Shinkai), Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage (Yousry Nasrallah), Paterson (Jim Jarmusch)
  • Pas mal : Hedi (Mohamed Ben Attia)

FAIS DE BEAUX RÊVES (Marco Bellocchio, 28 déc) LLL
Massimo a 9 ans, en 1969, lorsque sa mère adorée meurt une nuit, mystérieusement. Il est d'abord dans le déni, notamment auprès de ses camarades de classe ou lors de l'enterrement, avant de prendre Belphégor (héros du feuilleton qu'il regardait avec sa mère) pour grand frère imaginaire. Trente ans plus tard, il est devenu journaliste, d'abord dans le milieu sportif puis reporter de guerre dans les Balkans. Mais, au moment de vider à la mort de son père l'appartement familial de son enfance, il est toujours hanté par les blessures de son passé et a toujours des difficultés pour s'accomplir pleinement dans sa vie personnelle. Le nouveau film de Marco Bellocchio est inspiré d'un roman autobiographique de Massimo Gramellini, tout en revisitant des thèmes qui lui sont chers (la famille, la religion, le deuil, la psyché humaine). Il orne les différents éléments romanesques d'une mise en scène qui frappe par sa précision (mais pas forcément concise). Grâce à son expérience (et à une impeccable direction d'acteurs), il réussit après La Belle endormie un nouveau drame psychologique qui évite à la fois la lourdeur comme la superficialité.

YOUR NAME (Makoto Shinkai, 28 déc) LLL
Taki et Mitsuhai ont le même âge (environ 16 ans). Le premier est lycéen à Tokyo, la seconde réside et étudie dans une petite cité d'une région montagneuse, et rêve de vie urbaine. A tel point qu'un jour elle se réveille dans le corps de Taki (qu'elle n'a jamais rencontré) et parallèlement lui habite également le temps d'une journée son corps à elle. Le processus d'échange des corps se répète à plusieurs reprises. La première partie du film, très réussie, est une sorte de comédie d'apprentissage (on y voit Taki prendre rendez-vous avec une fille de son âge, l'initiative en revenant à Mitsuhai) doublée d'une réflexion sur le genre ou l'opposition entre ville et campagne. Puis on se rend compte d'un paradoxe spatio-temporel supplémentaire, qui fait bifurquer le film vers quelque chose de beaucoup plus grave. Ce nouvel élément enrichit d'autant un scénario de plus en plus complexe, au risque de tuer l'émotion de cette tournure pourtant dramatique. Il faut une croyance très forte dans le cinéma pour adhérer pleinement à cette deuxième partie. Your name démontre néanmoins l'existence au Japon de films d'animation ambitieux en dehors des productions Ghibli et très différents artistiquement.

LE RUISSEAU, LE PRE VERT ET LE DOUX VISAGE (Yousry Nasrallah, 21 déc) LLL
On suit tout d'abord les préparatifs d'un banquet pour un grand mariage à la campagne. On suit en particulier l'activité des traiteurs du repas, deux frères cuisiniers et leur père, ainsi que les ambitions d'un riche notable de la région. Sans oublier la circulation des sentiments et du désir, à travers des personnages féminins aux formes généreuses et à la forte personnalité... Yousry Nasrallah offre une grande fresque haute en couleurs dans tous les sens du terme, qui célèbre les plaisirs culinaires et charnels. Formellement, le film n'est pas sans rappeler le cinéma de Youssef Chahine (Le Destin), avec les amples mouvements de caméra, l'exacerbation des couleurs, la sensualité, certains traits d'humour. Mais on n'est pas dans le pur divertissement pour autant (une des intrigues pousse le drame jusqu'au crime). Yousry Nasrallah offre donc sous des dehors kitsch un film goûteux et substantiel.

PATERSON (Jim Jarmusch, 21 déc) LLL
Adam Driver joue, avec une douceur décalée semblable à celle qu'il apportait à l'enquêteur de Midnight special, un bus driver nommé Paterson dans la ville de... Paterson. Il est un grand amateur de poésie, notamment de William Carlos Williams qui a écrit un recueil intitulé... "Paterson". Lors de sa pause méridienne, il écrit lui-même de la poésie. Alors voilà : celle-ci n'est pas reliée aux tourments du monde, mais inspirée du quotidien de son foyer protecteur qu'il forme avec son épouse (Golshifteh Farahani), actuellement femme au foyer très aimante qui l'encourage à publier, et leur chien. Le scénario est mince, mais le film échappe à l'insignifiance, tout entier contaminé par la poésie de son personnage principal. En s'attardant aux petites variations de son train-train d'un jour sur l'autre, avec parfois de petites touches d'ironie bienveillante, il construit une sorte d'élégie itérative (un peu comme Un jour sans fin d'Harold Ramis réinventait le comique de répétition). Un tout petit film mais une vraie réussite.

HEDI (Mohamed Ben Attia, 28 déc) LL
Dans la Tunisie actuelle, Hedi est un jeune homme dont la voie est toute tracée, sans qu'il ait eu vraiment son mot à dire, entre son boulot de commercial chez Peugeot et son futur mariage, désiré surtout par sa mère, programmé pour la fin de la semaine. Lors d'un déplacement professionnel au bord de la mer, une rencontre passionnée avec Rym, une animatrice d'activités pour touristes, plus libre (sur le plan personnel) que lui, va tout chambouler... L'interprétation (Majid Mastoura, Rym Ben Messaoud) est ce qu'il y a de plus remarquable dans ce premier film sur les difficultés de l'émancipation et de l'apprentissage de la liberté. Décliné sur le plan intime, il n'est pas interdit d'y voir une sorte de métaphore politique, mais le réalisateur laisse le spectateur libre de sa lecture...
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Des films de l'automne 2016 (2)

  • Bien : Dernières nouvelles du cosmos (Julie Bertuccelli), Premier contact (Denis Villeneuve), Baccalauréat (Cristian Mungiu), La Fille de Brest (Emmanuelle Bercot), Manchester by the sea (Kenneth Lonergan), Sully (Clint Eastwood), Louise en hiver (Jean-François Laguionie)
  • Pas mal : Une vie (Stéphane Brizé), L'Ornithologue (Joao Pedro Rodrigues)
  • Bof : Personal shopper (Olivier Assayas), Le Disciple (Kirill Serebrennikov)

DERNIERES NOUVELLES DU COSMOS (Julie Bertuccelli, 9 nov) LLL
Julie Bertuccelli, cinéaste atypique aussi à l'aise dans le documentaire que dans la fiction, nous amène à la rencontre de Hélène Nicolas. C'est une jeune femme de 30 ans, qui paraît deux fois moins âgée. Elle est autiste profonde, elle a certaines difficultés motrices, elle n'a pas trouvé le chemin de la parole... et pourtant elle écrit, sous le nom de plume de Babouillec. Comme elle ne peut pas tenir de stylo dans la main, elle compose des mots et des phrases à l'aide de lettres cartonnées et plastifiées avec l'aide logistique de sa mère. Et contrairement aux apparences trop simples, ce qu'elle écrit est fascinant. Son vocabulaire est riche, avec une maîtrise de l'orthographe étonnante alors qu'elle n'a pas eu d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Et elle donne à voir une personnalité hors du commun, très imaginative, espiègle voire corrosive et éprise de liberté. Babouillec se permet même de discuter philosophie avec un mathématicien visiblement impressionné. Il faut remercier la cinéaste pour la qualité de son regard, jamais voyeuriste, qui nous permet d'accéder à la profondeur de l'intériorité de la jeune femme, qui nous bouleverse et fait naître en nous des questionnements essentiels...

PREMIER CONTACT (Denis Villeneuve, 7 déc) LLL
Denis Villeneuve est un réalisateur capable du meilleur (Incendies) comme du pire (Prisoners). Son éthique de cinéaste est parfois douteuse, mais ici il réussit un très acceptable film de science fiction. Des vaisseaux de forme ovoïde ont atterri dans douze points du globe, et une éminente linguiste (Amy Adams) est appelée par l'armée américaine pour rentrer en contact avec les aliens. Ce qui frappe ici, c'est d'abord une élégance et une vraie inventivité visuelle, très éloignée de l'esthétique des jeux vidéos et des clichés de l'heroic fantasy pixellisée. On entre aussi dans une belle réflexion assez élaborée sur le langage, et sur le temps. Et s'y ajoute une dimension géopolitique : contrairement aux précédents "contacts" cinématographiques, l'Amérique n'est pas censée représenter la Terre entière. On peut regretter une fin trop rapide, bâclée, pas tout à fait à la hauteur du reste, et des flash-backs mélos parfois un rien envahissants, mais ça ne gâche pas la forte impression d'ensemble.

BACCALAUREAT (Cristian Mungiu, 7 déc) LLL
Romeo, médecin dans une petite ville, a tout fait pour que Eliza, sa fille, soit acceptée dans une université britannique. Il ne reste plus à Eliza qu'à obtenir une très bonne moyenne au baccalauréat, une formalité pour elle. Mais elle se fait agresser aux bords du lycée, amoindrissant ses chances de réussite... Baccalauréat a eu le prix de la mise en scène à Cannes, celui du scénario aurait pu lui convenir tout autant (voire mieux). La toile de fond est la montée, dans la société roumaine, de l'individualisme occidental couplée à la persistance d'un niveau de corruption élevé. Le père, quasiment de tous les plans, est interprété par Adrian Titieni, qui jouait déjà le rôle d'un père de famille dans Illégitime, autre très bon film roumain sorti cette année.

LA FILLE DE BREST (Emmanuelle Bercot, 23 nov) LLL
Emmanuelle Bercot tente un Erin Brockovich à la française en racontant le combat d'une lanceuse d'alerte, la pneumologue Irène Frachon, contre le Mediator, le médicament produit par les laboratoires Servier. Les faits et la chronologie sont globalement respectés, dans ce thriller médical où le happy end se fait toujours attendre : le médicament a été retiré de la vente mais aucune condamnation n'a encore été prononcée. Emmanuelle Bercot n'a jamais vraiment fait dans la subtilité, en témoigne des maladresses dans La Tête haute. Ici il y a certes des choses qui auraient été plus fortes avec plus de nuances. Il n'empêche que le film est très efficace, grâce au rythme trouvé et à l'interprétation fougueuse de Sidse Babett Knudsen qui joue une Irène Frachon bien entourée par sa famille et épaulée du docteur Le Bihan (Benoît Magimel), personnage rationnel mais friable (dans la fiction), librement inspiré du docteur Le Gal, solide soutien dans la réalité.

MANCHESTER BY THE SEA (Kenneth Lonergan, 14 déc) LLL
Lee (Casey Affleck), dans la quarantaine, travaille à Boston comme homme à tout faire d'un lotissement (quatre immeubles) de la capitale du Massachussets. Mais, après la mort de son grand frère, il est amené à rejoindre sa petite ville natale, Manchester by the Sea, la station portuaire à environ 1h de route qui donne son titre au film. Lee est en effet désigné comme le tuteur de son neveau de 16 ans (Lucas Hedges). Mais Lee doit surmonter un lourd passé... Mis à plat, le scénario n'indique en rien si le film est réussi ou s'il est tire-larmes. Pour son troisième film en tant que réalisateur, Kenneth Lonergan s'en tire très bien : l'interprétation est magnifique, que ce soit Casey Affleck, dont l'apparente impassibilité cache un chagrin et un sentiment de culpabilité lancinants, ou Michelle Williams, qui donne vie au personnage de l'ex-épouse de Lee en quelques scènes seulement. Utilisation remarquée de musique classique (Haendel, Albinoni) dans certaines séquences-clés, et montage qui suggère que le passé (ou certains fragments de celui-ci) appartient encore au présent. Même sans mouvements de caméra virtuoses, c'est plutôt de la belle ouvrage.

SULLY (Clint Eastwood, 30 nov) LLL
Le 15 janvier 2009, le commandant de bord Sullenberger, dit Sully, réalise un exploit inédit dans l'histoire de l'aviation, en réussissant, après la perte des deux moteurs peu après le décollage, un amerissage forcé sur l'Hudson, qui a permis grâce aux secours new-yorkais de sauver la vie des 155 passagers. Mais une enquête interne cherche à déterminer si le pilote a réellement choisi la solution la plus sûre et la moins coûteuse pour les compagnies d'assurance... Clint Eastwood réussit à nous captiver pendant une heure et demi sur les 208 secondes déterminantes de ce vol. Il mène de façon très explicite deux réflexions : l'une réussie sur le "facteur humain" dans les catastrophes (évitées ou non), l'autre un peu plus lourde sur le besoin d'héroïsme de l'Amérique frappée par les crises financières et qui doute de son "roman national".

LOUISE EN HIVER (Jean-François Laguionie, 23 nov) LLL
Louise est une vieille dame qui a passé l'été dans une petite station balnéaire. Mais elle rate le dernier train de l'année (le bourg n'est désservi que pendant la saison estivale), et Louise se retrouve seule au monde. Après une tempête elle décide de quitter sa maison et part s'installer sur la plage, dans une cabane qu'elle a elle-même construite... Le nouveau film d'animation de Jean-François Laguionie a un scénario moins échafaudé que dans Le Tableau, sa précédente oeuvre, mais invite à la méditation et à la rêverie. La vieille dame ne sait pas précisément si les réminiscences de l'enfance sont de purs rêves ou de véritables souvenirs, elle qui perd en partie la mémoire. Une histoire simple sur la "vieillitude" (néologisme inventé qui renvoie à la fois à la vieillesse et la solitude), bien servie par les très beaux dessins pastel.

UNE VIE (Stéphane Brizé, 23 nov) LL
Adaptation du premier roman de Maupassant, dans lequel Jeanne, une jeune aristocrate de la petite noblesse normande du XIXè siècle, se marie, encore pleine d'illusions, et subit les foudres de la domination masculine (violence, infidélité de l'époux, ingratitude du fils qui ne cessera de lui soutirer de l'argent). Pour éviter tout académisme, Stéphane Brizé adopte deux principes forts : des ellipses lors de moments importants, s'attachant plutôt à leurs répercussions dans le quotidien (à l'instar du moderne Fin août, début septembre d'Olivier Assayas), et l'utilisation d'un format resserré (4/3), souvent en caméra portée, qui évite toute reconstitution décorative et donne l'impression de scènes prises sur le vif (un peu comme dans son précédent film, La Loi du marché). Mais le systématisme de ces partis pris frôle parfois le dispositif théorique asséchant. Heureusement qu'il y a Judith Chemla qui donne accès à l'intériorité de son personnage (elle était déjà lumineuse dans l'autrement plus convaincant Ce sentiment de l'été en début d'année).

L'ORNITHOLOGUE (Joao Pedro Rodrigues, 30 nov) LL
Un jeune ornithologue est en mission dans une réserve naturelle portugaise, où il observe aux jumelles les oiseaux sauvages. Au cours d'une de ses observations, il ne voie pas que son kayak file vers de dangereux rapides... Il y a du style dans ce film, dès les premières images : on y voit des grands espaces magnifiés, comme dans le cinéma de toujours, mais on décèle aussi une volonté de créer un univers très singulier qui n'appartiendrait qu'à lui. Dans ses meilleurs moments, le film peut se ressentir comme à égale distance des modernes Alain Guiraudie (Rester vertical) et Apichatpong Weerasethakul (Cemetery of splendour). Après son naufrage, le scientifique fait des rencontres iconoclastes : deux jeunes chinoises en marche vers Saint-Jacques de Compostelle, un berger sourd-muet gay qu'on découvre en train de téter une de ses brebis etc. Malheureusement, ces personnages excentriques ne sont pas suffisamment regardés pour que leur présence dans le film atteste d'une démarche sincère du cinéaste. Le seul personnage qu'il prend le temps de nous faire connaître, c'est celui de l'ornithologue. Un film déroutant, parfois facinant, mais pas entièrement convaincant.

PERSONAL SHOPPER (Olivier Assayas, 14 déc) L
Après l'excellent Sils Maria (2014), Olivier Assayas continue de mettre la star Kristen Stewart dans la peau d'une assistante de l'ombre. Ici, elle incarne Maureen, une personal shopper, chargée par une grande bourgeoise people de choisir et préparer sa garde-robe, soirée après soirée. Mais Maureen est aussi medium et attend un signe de son frère jumeau qui vient de décéder à 27 ans d'une malformation cardiaque familiale. Parfois, un film tient par la grâce de la mise en scène, même lorsqu'il n'y a pas de scénario. Mais quand celui-ci est poussif ou raté comme c'est le cas ici, les bonnes solutions de mise en scène (récompensée à Cannes) n'arrivent pas toujours à maintenir le navire à flot. Surtout qu'il y a quand même quelques couacs (Benjamin Biolay en Victor Hugo faisant tourner les tables...). La conclusion du film sonne presque comme un aveu du cinéaste à ne pas croire lui-même à son histoire.

LE DISCIPLE (Kirill Serebrennnikov, 23 nov) L
Pris d'une crise mystique, un adolescent lit passionnément et de la manière la plus littérale possible la Bible. Il fustige les moeurs des personnes qu'il cotoie (sa mère, ses profs, ses camarades de classe qui vont en cours de natation en bikini etc). Seule sa prof de biologie tente de le raisonner... Aux gens qui croient que l'islam est une religion dangereuse en soi en s'appuyant sur l'exégèse du Coran, ce film, adapté d'une pièce de théâtre, montre que tous les livres sacrés pris au pied de la lettre peuvent servir les intégrismes, quelle que soit leur religion. Mais le souci, c'est que le film est aussi dogmatique que son personnage principal, dans le sens où celui-ci reste un personnage très théorique : contrairement au récent film français Le ciel attendra (qui montrait également des jeunes fanatisées), il n'y a pas de contradiction interne à sa logique, de complexité chez lui. C'est un personnage fictif de thèse anticléricale, mais pas une incarnation de cinéma.
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Dernier contact et premières nouvelles du cosmos (et inversement)

Premier contact

Avant d'aborder le documentaire qui m'a poussé à écrire, je voudrais faire un petit détour et évoquer Premier contact, le nouveau film de l'inégal Denis Villeneuve. C'est un film de science-fiction à l'américaine qui a priori ne devrait pas rencontrer de difficultés pour rencontrer son public. Ce n'est certes pas la première fois dans l'histoire du cinéma que l'on raconte la rencontre plus ou moins difficile entre l'humanité et des extra-terrestres : l'adjectif "premier" du titre est valable pour les personnages, alors que pour les spectateurs de cinéma, il aurait mieux valu intituler le film "Dernières nouvelles du cosmos" (mais le titre était déjà pris).

L'un des films emblématiques de tels premiers contacts, c'est évidemment Rencontres du troisième type. On y pense un peu, car le personnage principal, la linguiste jouée par Amy Adams, a la même curiosité et la même émotion que le personnage interprété par François Truffaut dans le film de Spielberg. Mais la référence s'arrête là : contrairement à Super 8 de J.J. Abrams, qui rendait hommage à la matrice spielbergienne jusque dans l'ambiance lumineuse (les fameux rais horizontaux de lumière bleue...), ici l'aspect visuel est totalement différent, et d'une certaine manière inédit. Par exemple, au lieu de prendre une forme cliché, les créatures extra-terrestres sont des heptapodes qu'on devine plus qu'on ne voit, à travers l'atmosphère translucide qui baigne le vaisseau spatial.

Mais les deux principales innovations du film sont d'un autre ordre :
1) Contrairement à de nombreux films du même genre, l'humanité n'y est pas présentée comme un tout homogène (où l'universalisme serait confondu avec l'uniformité) face à l'altérité absolue des aliens. Dans le merveilleux E.T., Elliott apprenait à E.T. le langage terrien (certains diraient le globish), le paradoxe étant que pour les spectateurs français qui l'ont découvert dans l'enfance en VF, E.T. veut "téléphone-maison", et il serait presque sacrilège de l'entendre "phone-home"... Alors que dans Premier contact, il y a un semblant de géopolitique, lié au fait que les immenses vaisseaux spatiaux ovoïdes noirs (non sans évoquer les mystérieux monolithes de 2001 l'Odyssée de l'espace de Kubrick) se tiennent en suspension en douze points du globe terrestre. Comment les différentes autorités politiques locales, et en particulier les grandes puissances, vont-elles réagir ? Cet aspect est plutôt bien tenu jusqu'à une fin un peu bâclée (pour une fois le film aurait gagné à être un peu plus long).
2) L'autre innovation, et peut-être l'intérêt principal du film, réside dans la réflexion sur le langage. La linguiste américaine va être confrontée à un langage écrit qui n'est pas fait pour être prononcé (aucun alphabet relié à des phonèmes), il y a donc une absence de lien entre les sons émis par les heptapodes et leurs écrits, des jets d'une sorte d'encre qui tracent des logogrammes circulaires à déchiffrer, mais dont on pourrait déduire un rapport particulier au temps... Pour communiquer avec l'autre, il faut prendre le temps de le rencontrer. Cette réflexion, et l'émotion qui va avec, emporte le morceau et est l'aspect le plus passionnant du film.

Si on veut faire le lien avec la politique contemporaine, plusieurs lectures sont possibles. Par exemple si on considère les aliens comme des migrants, alors le film est une sorte de réaction contre la montée de la xénophobie et des nationalismes. Ou si on le lit comme le nécessaire respect des intelligences non humaines, alors il plaide pour que êtres humains et animaux aient un avenir en commun...

Dernières nouvelles du cosmos

C'est le moment d'aborder mon coup de coeur des dernières semaines : Dernières nouvelles du cosmos, de Julie Bertuccelli. On y fait la connaissance de Hélène Nicolas, une jeune femme de 30 ans, mais pas comme les autres. Physiquement, elle paraît deux fois moins âgée, elle est autiste, mais surtout auteure de textes remarquables, sous le nom de Babouillec. Mais elle ne sait pas tenir un stylo, parce qu'elle n'a pas trouvé un usage entier de son pouce préhenseur. D'après sa mère Véronique Truffert, cela serait corrélé (compte tenu des régions du cerveau impliquées) avec le fait qu'elle n'a pas encore trouvé le chemin de la parole. Alors elle se sert de lettres cartonnées et plastifiées pour écrire des mots, puis des phrases. Lorsque Julie Bertuccelli nous montre pour la première fois ce processus, ça a quelque chose de fascinant, car les premières scènes nous montraient les difficultés motrices d'Hélène, son expression orale limitée à quelques rires, et tout d'un coup Hélène devient Babouillec et donne accès à sa personnalité. Donc, d'une certaine manière, ce film a en commun avec celui de Denis Villeneuve de tourner autour du mystère du langage et de la communication et de faire naître chez le spectateur des questionnements essentiels. De façon un peu paradoxale, ce qui est presque théorique dans le film de SF devient concret et réel dans le documentaire.

Alors jusqu'à maintenant j'ai évoqué comment elle écrit, mais pas ce qu'elle écrit. Là aussi le film est un crescendo. Avant d'être confronté nous-mêmes à ce qu'elle écrit, Julie Bertuccelli nous donne à entendre les commentaires de certains de ses proches, notamment un metteur en scène de théâtre qui cherche à adapter sur les planches un des recueils de Babouillec et qui en discute avec elle. Mais ce n'est que lorsqu'on est confronté à son écriture que l'on comprend vraiment. Hélène-Babouillec cache des capacités intellectuelles insoupçonnées. Alors qu'elle n'a jamais vraiment appris à lire et écrire, elle a un vocabulaire très riche, utilise parfois des mots complexes (loin du langage courant et en ne faisant quasiment pas de fautes d'orthographes) pour un résultat étonnant et souvent détonnant. On découvre une personnalité hors du commun, très imaginative, parfois espiègle ou même corrosive, et fortement éprise de liberté. Et encore on n'a pas tout vu : à la fin du film, elle rencontre un mathématicien, et le dialogue philosophique qu'elle noue avec lui est tout simplement admirable. Bien que concrètement, au niveau logistique, le processus d'écriture soit long (ce qui en fait un rituel fortement cinématographique), on découvre une Babouillec qui répond du tac au tac, et prétend même être un peu télépathe et devancer les questionnements de son interlocuteur... C'est ce formidable échange qui a inspiré à Julie Bertuccelli le titre de son film.

Résumons : ce film n'est pas un documentaire qui traiterait de l'autisme en général. C'est le portrait d'une autiste profonde en particulier. C'est l'histoire d'une relation mère-fille singulière : lorsque Hélène avait 14 ans, sa mère l'a prise à temps plein chez elle, et après des années d'un programme de stimulations sensorielles, et de la relation de confiance établie, la porte que l'on découvre aujourd'hui s'est ouverte. C'est enfin et surtout le portrait d'une artiste extrêmement touchante, dont on admire également la grande générosité : après tout rien ne l'obligeait à partager avec nous la profondeur de son intériorité. Le tout donne un film bouleversant et stimulant : un critique de Télérama semble regretter qu'il n'y ait pas plus de réponses à toutes les questions que l'on se pose. Mais c'est au contraire ce qui fait la richesse et la beauté de ce film : non pas répondre à tout, mais faire naître des questionnements qui touchent à ce qui nous fait humain, non pas le plus petit dénominateur commun, mais plutôt certaines dimensions anthropologiques essentielles.

Cette première rencontre avec Hélène/Babouillec est très belle, et il faut à ce titre aussi remercier Julie Bertuccelli pour la qualité de son regard jamais voyeuriste. Le film aurait d'ailleurs très bien pu s'appeler "Premier contact" (mais le titre était déjà pris).

Laurent

Post-scriptum : Zut ! Babouillec fait mécaniquement sortir François Ruffin de mon top 10 de l'année. L'occasion de rappeler que l'année documentaire a été excellente, et qu'on pourrait la résumer par un top 10 spécialisé qui ne comporterait que des films de bonne tenue, par exemple : Dernières nouvelles du cosmos (Julie Bertuccelli), Merci patron (François Ruffin), La Sociologue et l'ourson (Mathias Théry, Etienne Chaillou), J'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd (Laetitia Carton), No land's song (Ayat Najafi), La Sociale (Gilles Perret), In Jackson heights (Frederick Wiseman), Swagger (Olivier Babinet), Janis (Amy Berg), Fuocoammare (Gianfranco Rosi)...
Et encore dans cette liste je n'ai pas cité les documentaires sur le cinéma lui-même, qui évoquent les films où le jour se lève (Voyage à travers le cinéma français) ou ceux qui n'ont jamais vu le jour (Jodorowsky's Dune)...
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Des films de l'automne 2016 (1)

sans oublier "Moi, Daniel Blake" et "Aquarius" déjà commentés

  • Bien : Planetarium (Rebecca Zlotowski), La Sociale (Gilles Perret), Swagger (Olivier Babinet), Réparer les vivants (Katel Quillévéré), Voyage à travers le cinéma français (Bertrand Tavernier)
  • Pas mal : Apnée (Jean-Christophe Meurisse), Le Client (Asghar Farhadi), Sing street (John Carney), Mademoiselle (Park Chan-Wook)

PLANETARIUM (Rebecca Zlotowski, 16 nov) LLL
Au cours des années 1930, deux jeunes soeurs américaines font une tournée en Europe avec leur spectacle de medium. A Paris, Korben, un producteur de cinéma, fasciné, leur commande une séance privée. Puis décide de les engager pour un film qui serait chargé d'enregistrer une trace des présences ressenties lors des expériences. Le réalisateur choisi préfererait tourner de façon classique pour limiter les risques. C'est l'argument de départ du nouveau film de Rebecca Zlotowski (Grand central), mais en réalité l'enjeu du film ne cesse de se déplacer et de se redéfinir constamment, sans aucun recours de la cinéaste à de quelconques effets scénaristiques à la mode. Peut-être que le film laissera moins de trace dans la mémoire collective qu'un film qui se cristalliserait autour d'un sujet identifiable d'emblée. Mais pendant la projection, quelle plaisir ! C'est un film qui respire le cinéma, mais qui le fait respirer aussi, avec une inspiration permanente et une vraie originalité, jusque dans la B.O de Rob. Natalie Portman et Lily-Rose Depp assurent dans le rôle des deux soeurs, mais c'est Emmanuel Salinger qui impressionne le plus en Korben. Rebecca Zlotowski complète son casting hétéroclite par des choix astucieux, notamment le cinéaste Pierre Salvadori pour jouer un réalisateur un peu dépassé par les visions de son producteur...

LA SOCIALE (Gilles Perret, 9 nov) LLL
Deux ans après Les Jours heureux, excellent documentaire sur le Conseil National de la Résistance et son programme, Gilles Perret nous raconte la construction de la Sécurité Sociale. Il réhabilite notamment la figure d'Ambroise Croizat, ministre du Travail (communiste) en 1945 et bâtisseur de la Sécu, aujourd'hui oublié (mais qui eut des funérailles nationales avec une foule énorme en 1951), y compris dans l'école de formation de l'institution, au profit du haut fonctionnaire gaulliste Pierre Laroque (qui donne son nom à un amphi). Il fait intervenir des chercheurs passionnés, historiens ou sociologues, ou une syndicaliste médecin de l'hôpital public, qui évoquent hier pour mieux critiquer les choix libéraux d'aujourd'hui, arguments solides et rationnels à l'appui. Mais cette Histoire nous est rendue très incarnée grâce à certaines archives mais surtout à Jolfred Fregonara, formidable témoin de 96 ans (né en 1919, décédé en août 2016), militant CGT qui organisa la mise en oeuvre de la caisse de Sécurité sociale en Haute Savoie. Excellent conteur, dans un véritable souci de transmission, il passe le relais aux nouvelles générations avec un optimisme volontariste.

SWAGGER (Olivier Babinet, 16 nov) LLL
Des documentaires de cinéma qui donnent la parole à des adolescents, a fortiori de banlieue parisienne, on n'en voit pas beaucoup. Même en fiction cette génération est peu représentée, à l'exception de l'excellent Petits frères (1999) de Jacques Doillon. Mais ce n'est pas l'unique raison pour jeter un oeil à ce film autour d'une dizaines de collégiens de Sevran et Aulnay-sous-Bois. Il y a la forme : les images sont magnifiques, y compris dans les séquences d'interview qui mettent d'autant plus en valeur la parole recueillie. Et puis de temps à autre il y a des séquences où la mise en scène donne vie à certains de leur délires, y compris par la comédie musicale ou la science fiction. Des mouvements de caméra à l'ampleur classique via l'utilisation de drônes. Sans oublier la superbe bande originale de Jean-Benoît Dunckel. Bref, un joli film qui donne à voir et entendre autre chose que les représentations habituelles, sans prétention mais avec une vraie élégance.

REPARER LES VIVANTS (Katell Quillévéré, 2 nov) LLL
Katell Quillévéré est une cinéaste qui change de thématique et de style à chaque film, elle ne capitalise pas sur ce qu'elle a déjà fait. Son deuxième et précédent film, Suzanneétait le récit étalé sur des années d'une jeune femme amoureuse d'un bad boy, plein d'ellipses fulgurantes avec des personnages secondaires très forts (Adèle Haenel et François Damiens), et le célèbre morceau de Leonard Cohen au générique de fin. Réparer les vivants est au contraire resserré sur quelques jours et n'exclut pas une certaine frontalité. Les vingt premières minutes ne sont pas les plus réussies, on a peur de voir la version long métrage de spots ministériels, successivement sur la prévention routière et sur le don d'organe. Mais plus le film avance, et plus il prend son envol vers autre chose. Tournant le dos au chantage à l'émotion, à l'hyper-réalisme comme à la stylisation poseuse, la cinéaste fait entrer dans l'histoire de ce coeur, qui sera transplanté d'un adolescent en mort cérébrale à une femme mûre, toute une panoplie de personnages dont elle suggère sans s'appesantir qu'ils/elles sont chacun-e un réservoir à fictions (comme dans le roman éponyme ?). Le film accomplit donc quelque peu la promesse du titre.

VOYAGE A TRAVERS LE CINEMA FRANCAIS (Bertrand Tavernier, 12 oct) LLL
C'est un périple à travers le cinéma français, mais borné dans le temps : la période évoquée commence à l'avènement du parlant et s'achève au début des années 1970, lorsque Bertrand Tavernier devient cinéaste. Le panorama est tout sauf exhaustif : on ne voit pas tout le paysage, mais seulement une partie retenue en fonction de la subjectivité et des éléments autobiographiques de Tavernier, de son enfance à ses fonctions d'assistant-réalisateur et d'attaché de presse dans les années 60. Il s'arrête longuement et avec bonheur sur Jacques Becker et Jean Renoir, grands cinéastes incontestables (même s'il ne passe pas sous silence la versatilité politique du second, pour ne pas dire pire), mais rend aussi hommage à d'autres fonctions : acteurs (Jean Gabin, Eddie Constantine), musiciens (Maurice Jaubert, compositeur entre autres pour L'Atalante, Vladimir Cosma), décorateurs etc. Par de nombreux extraits de films, la forme oscille entre leçons de cinéma souvent probantes et anecdotes.

APNEE (Jean-Christophe Meurisse, 19 oct) LL
Dès les premières minutes, on entend parler de 6è République, mais à travers la revendication d'un mariage à trois (comme la trinité républicaine Liberté, Egalité, Fraternité) devant un maire désemparé et excédé. Céline, Thomas et Maxence forment un "trouple" de trentenaires qui dynamitent les conventions. La première partie est assez satirique sur les galères de la jeunesse actuelle pour trouver un logement (appart de 18 m2 à 1250 € mensuels) ou un boulot (cours d'entretien d'embauche) ou construire une vie de famille. Mais cet aspect politique s'épuise assez vite, leur revendication principale consistant à vouloir se comporter comme des enfants. Ils portent à l'écran le même prénom que dans la vraie vie, comme le duo belge Dominique Abel - Fiona Gordon (L'Iceberg, Rumba), mais ces derniers ont un style cinématographique beaucoup plus rigoureux. Ici, il s'agit plus d'une suite inégale mais assez drôle de sketchs iconoclastes.

LE CLIENT (Asghar Farhadi, 9 nov) LL
Obligés de quitter leur appartement dans un immeuble menaçant de s'effondrer, Emad et Rana emménagent en urgence dans un logement prêté par un de leurs amis avec qui ils font du théâtre amateur, et occupé auparavant par une locataire qui se prostituait. Un incident va se produire et bouleverser la vie du jeune couple. C'est le film du retour à Téhéran pour Asghar Farhadi. Il a obtenu le prix du scénario et le prix d'interprétation masculine à Cannes. D'une certaine manière, ce n'est pas complètement illogique, la direction d'acteurs est en effet remarquable. Quant au scénario, il est très "fort", mais est-il bon pour autant ? Il s'agit bien d'un nouveau drame domestique et conjugal et d'un suspense moral : la tension est là, mais la partie finale, une sorte de clou moralisateur sur l'ensemble des personnages, d'une certaine lourdeur, peut laisser perplexe. Le film n'est cependant pas du tout indigne pour autant.

SING STREET (John Carney, 26 oct) LL
Au mitan des années 1980, un jeune lycéen, dont les parents ont des problèmes de couple et d'argent, change de lycée et essaie de s'intégrer dans son nouveau bahut au règlement intérieur rigoriste. L'éclaircie viendra de la mystérieuse Raphina, une jeune fille plus âgée que lui qu'il croise régulièrement aux abords de là. Pour la séduire, il s'invente un groupe de musique et un clip à tourner. Elle mord à l'hameçon et le voilà contraint à monter son groupe alors que lui-même ne sait jouer d'aucun instrument... Le film a un certain charme, dans l'écriture des personnages notamment. Dommage que cette finesse n'irrigue pas le scénario, qui fait trop souvent dans l'invraisemblance (le groupe constitué fait des progrès spectaculaires en quelques mois, capable de performances quasi pro ou de changer de style en deux coups de cuillère à pot) et dans une trame générale très attendue. Un film parfois très attachant, mais entravé par ses défauts.

MADEMOISELLE (Park Chan-Wook, 2 nov) LL
Park Chan-Wook transpose un roman anglais se déroulant à l'époque victorienne dans la Corée des années 30 colonisée par le Japon. Ne pas s'attendre à un film social ou politique pour autant. Un séduisant escroc coréen, se faisant passer pour un riche aristocrate japonais, s'arrange pour introduire une jeune complice comme domestique d'une héritière séquestrée par un oncle érotomane dans un inquiétant manoir.  A l'issue de cette première partie, on reprend l'histoire sous un autre angle. Cela pourrait faire décoller le film, or cela le fait plutôt patiner. Le procédé du scénario à tiroirs a déja été utilisé maintes fois, et de façon plus convaincante. Ici l'idée est amusante, mais son exécution décevante : malgré de grands moyens et des décors baroques, la mise en scène manque d'inspiration et de subtilité, y compris dans les scènes de sexe (certains plans sont d'un érotisme convenu, chic et toc). On pourra (re)voir avantageusement le classique sud coréen La Servante de Kim Ki-Young réalisé en 1960.
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Les films de la rentrée

sans oublier "Frantz" et "Victoria" déjà commentés...

  • Bravo : Moi, Daniel Blake (Ken Loach), Aquarius (Kleber Mendonça Filho)
  • Bien : La Fille inconnue (Jean-Pierre et Luc Dardenne), Ma vie de Courgette (Claude Barras), Brooklyn village (Ira Sachs), Mal de pierres (Nicole Garcia), Fuocoammare (Gianfranco Rosi), Olli Mäki (Juho Kuosmanen)
  • Pas mal : Soy Nero (Rafi Pitts), Poesia sin fin (Alejandro Jodorowsky), Divines (Houda Benyamina), Mercenaire (Sacha Wolff), Le Ciel attendra (Marie-Castille Mention-Schaar)
  • Bof : Juste la fin du monde (Xavier Dolan)

MOI, DANIEL BLAKE (Ken Loach, 26 oct) LLLL
Daniel Blake est un menuisier de 59 ans qui est obligé par son médecin, suite à des problèmes cardiaques, de s'arrêter de travailler. Mais dans le même temps, il est obligé par l'assurance chômage, de rechercher un emploi sous peine de sanction. Dans un « job center », il fait la connaissance de Katie, une mère célibataire en difficulté... On en reparlera une fois que tous les films en compétition à Cannes seront visibles, mais la Palme d'or pour ce film est une bonne idée ! En terme purement cinématographique, la mise en scène n'est pas avant-gardiste, mais il y a une vraie efficacité et je n'ai vu en revanche aucune maladresse ni faute de goût. Ken Loach a pris la peine de construire de vrais personnages (s'il n'avait pas eu la récompense suprême, le scénario et l'interprétation de Dave Johns auraient pu être célébrés). Une nouvelle fois, Loach n'est pas manichéen, sa grande affaire c'est la justice, pas une morale binaire (bien/mal). Un film avec peu d'espoir ? Oui, peut-être, mais, avec quelques notes d'humour grinçant, un film de colère (celle du réalisateur) et de dignité (celle des personnages).

AQUARIUS (Kleber Mendonça Filho, 28 sep) LLLL
A Recife, Clara, critique musicale à la retraite qui a plutôt bien gagné sa vie, est la dernière propriétaire à rester dans son immeuble, alors que tous les autres ont quitté les lieux et vendu leur appartement à un promoteur qui souhaite transformer le lieu en un immeuble de grand standing et sécurisé. De la fenêtre on voit la plage, où il est interdit de se baigner trop loin à cause des requins, mais c'est d'autres requins que devra affronter Clara. Cela pourrait être une nouvelle chronique de l'accroissement des inégalités et de la pression foncière des plus riches sur le reste de la population urbaine, or Kleber Mendonça Filho a l'intelligence d'intégrer cet aspect dans un ensemble plus large. De fait, tous les ingrédients du film sont goûteux : le jeu imposant de l'actrice principale Sonia Braga (mais aussi de Barbara Colen qui joue Clara plus jeune dans un prologue superbe ramenant en 1980), la puissance de la mise en scène dans sa maîtrise de l'espace, l'importance des décors et objets de l'appartement pour en faire un lieu de mémoire (celui où les enfants ont grandi) et de sensualité (délicieuse écoute de vinyles judicieusement choisis). Tout n'est peut-être pas parfait dans cette profusion romanesque, mais cette oeuvre de résistance est assurément un des grands films de l'année.

LA FILLE INCONNUE (Jean-Pierre et Luc Dardenne, 12 oct ) LLL
Il y a des dilemmes moraux, et en particulier une quête morale dans ce nouveau film des frères Dardenne : celle de Jenny, jeune médecin généraliste, qui a refusé d'ouvrir son cabinet, une heure après la fermeture, à une jeune femme retrouvée morte peu de temps après, mais non identifiée par la police. Jenny va tenter de découvrir son identité, pour qu'elle soit enterrée dignement et qu'elle échappe à l'oubli. Certains s'étonneront que les Dardenne aient choisi un personnage principal ne faisant pas partie des classes populaires : se seraient-ils embourgeoisés ? Fausse piste : Jenny (interprétée de façon étonnante par Adèle Haenel) est un personnage plutôt solitaire, son rapport au monde est encore en devenir, mais en s'installant dans un cabinet ouvert aux classes les plus modestes (rappelant un peu La Maladie de Sachs), elle laisse la place à de nombreux personnages en rien secondaires. Formellement, contrairement au Gamin au vélo ou à Deux jours, une nuit, on n'est pas immédiatement admiratif devant la maîtrise des cinéastes. Ici, on revient à beaucoup de caméras à l'épaule (tout en ayant une composition des plans rigoureuse), mais l'incertitude de la trajectoire, moins limpide que d'habitude, donne un film assez passionnant et bouleversant.

MA VIE DE COURGETTE (Claude Barras, 19 oct) LLL
Icare, qui curieusement préfère qu'on l'appelle Courgette, est un garçon de 9 ans qui a provoqué par accident la mort de sa mère : elle l'élevait seule, était alcoolique et avait la fâcheuse habitude de lever la main sur lui. Il est placé dans un foyer, avec d'autres enfants orphelins ou séparés de leurs parents pour des motifs divers (y compris emprisonnement ou expulsion). Il s'agit donc de victimes des violences de la société. Mais le récit, adaptation du livre Autobiographie d'une courgette de Gilles Paris, n'en fait néanmoins pas un réquisitoire sur l'enfance maltraitée par les adultes, mais plutôt une histoire poignante filmée à hauteur d'enfant et une ode à leurs capacités de résilience. Les dialogues de l'excellente Céline Sciamma (Naissance des pieuvres, Tomboy) déniaisent l'ensemble, ce sont d'ailleurs les enfants qui sont les personnages les plus réussis (les adultes sont plus des personnages de contes avec bons et méchants). Enfin et  surtout, il s'agit d'un film d'animation. Le procédé utilisé (stop motion) rend à merveille l'illusion du mouvement. Quant aux visages, sans être forcément réalistes ils sont étonnamment expressifs.

BROOKLYN VILLAGE (Ira Sachs, 21 sep) LLL
Après la mort de son grand-père, Jake, 13 ans, quitte avec ses parents le quartier de Manhattan, devenu très au-dessus de leurs moyens, pour s'installer dans la maison du défunt à Brooklyn. Au rez de chaussée se trouve une petite boutique de vêtements tenue par une couturière chilienne qui a elle aussi un fils de 13 ans, Tony, qu'elle élève seule. Jake et Tony ne vont pas tarder à se lier d'amitié. Tous deux aspirent à rentrer dans un lycée avec une spécialité artistique. Mais leur relation va être mise en danger par le comportement des adultes, en particulier des parents de Jake, dans une mauvaise passe financière relativement à leur train de vie (elle est psy et ses honoraires font vivre la famille alors que lui n'arrive pas à gagner sa vie comme homme de théâtre), qui vont exiger une forte hausse du loyer payé par le magasin d'en dessous. On retrouve dans ce film certaines des qualités qui faisaient la beauté de Love is strange, en particulier le mélange entre la délicatesse dans le regard porté sur les personnages et la cruauté des rapports sociaux. Aucun adulte n'est vraiment regardé comme un salaud (d'autant plus que Jake et Tony, les little men du titre original, ont besoin d'aimer leurs parents), ce sont bien les superstructures qui les dépassent (la gentrification) qui sont pointées ici, dans une chronique d'une rare finesse et toute en suggestion.

MAL DE PIERRES (Nicole Garcia, 19 oct) LLL
Dans la France rurale des années 50-60, une jeune femme atteinte d'un mal mystérieux, qui lui donne des crampes et influe sur son mental, est mariée par sa famille à un artisan maçon qu'elle n'aime pas. Mais son appétit de vie et d'amour sera ranimé lors d'une cure thermale... Jusqu'alors j'aimais toujours avec modération le cinéma de Nicole Garcia, que je trouvais parfois un peu trop en retrait ou illustratif par rapport au sujet (L'Adversaire, Un beau dimanche). Ici, la première partie du film n'impressionne pas outre mesure, on ne sait pas encore ce que le film peut devenir. Mais au fur et à mesure que le film avance, ces premières scènes sont rétrospectivement réhaussées. Cette adaptation littéraire n'est ni académique ni formellement ostentatoire. Malgré une histoire finalement assez simple, le film acquiert une vraie profondeur qui génère une émotion grandissante qu'on n'avait pas forcément vu venir. Un bel écrin pour le jeu de Marion Cotillard, et un film qui méritait sa sélection en compétition officielle à Cannes.

FUOCOAMMARE (Gianfranco Rosi, 28 sep) LLL
Le dernier festival de Berlin a accordé sa récompense suprême, l'Ours d'or, à ce documentaire, ce qui est assez inhabituel. Mais il faut dire que ce nouveau film de Gianfranco Rosi lorgne aussi vers la fiction. Tourné dans l'île de Lampedusa, il raconte en montage alterné les vagues de réfugiés qui tentent d'arriver en Europe, mais aussi l'histoire de quelques habitants de l'île, dont Samuele, un petit garçon qui n'a l'usage que d'un oeil (l'autre est diagnostiqué "paresseux"). La charnière entre ces deux récits réside notamment dans le personnage du médecin de l'île, qui soigne Samuele mais qui livre aussi un témoignage bouleversant sur son action auprès des migrants. Le film livre assez peu d'informations sur ces derniers (ce n'est pas un reportage télé), mais enregistre des images poignantes et glaçantes d'un sauvetage en mer. On pourra trouver que le film manque un peu de contextualisation (ce n'est pas explicitement un brûlot sur l'Europe-forteresse), mais c'est une oeuvre utile et singulière.

OLLI MÄKI (Juho Kuosmanen, 19 oct) LLL
Olli Mäki est un boulanger dans une petite ville de Finlande, mais surtout un champion de boxe qui en cet été 1962 va tenter de décrocher à domicile le titre de champion du monde poids plumes contre un Américain multi-titré. Entraînements, préparation psychologique, perte de poids : le film aurait pu se centrer là-dessus, mais il raconte aussi d'autres choses, puisque dans les jours qui précèdent le match, Olli se rend compte qu'il est tombé amoureux de sa copine Raija... C'est un premier long métrage charmant, qui n'en fait pas des tonnes côté reconstitution : il lui suffit de recréer le style de certains films de l'époque, des nouvelles vagues européennes, entre noir et blanc soyeux et visages radieux... Tel quel le film est très plaisant, même si un rien trop sage : un brin de folie en plus aurait pu le propulser vers les sommets (il a quand même obtenu le prix "Un certain regard" à Cannes).

SOY NERO (Rafi Pitts, 21 sep) LL
Nero est un jeune homme de 19 ans qui a grandi aux Etats-Unis, avant d'être expulsé au Mexique, le pays de ses parents. Il est bien décidé à repasser la frontière, afin de rejoindre son grand frère Jesus à Los Angeles, et d'échapper à la clandestinité en devenant soldat de l'US Army, ce qui lui permettrait d'obtenir la nationalité américaine... On peut y voir évidemment un propos politique sous-jacent, à savoir que dans ce monde où les marchandises et les capitaux circulent de plus en plus librement à travers la planète, les frontières sont de plus en plus impitoyables pour les êtres humains. Dans beaucoup de plans du film, le héros est confronté à une ligne qu'il devra franchir : la frontière USA-Mexique bien sûr, mais aussi le portail d'une villa cossue par exemple. Le film est construit par bloc. Les retrouvailles avec le frère sont filmées avec une certaine étrangeté. Dommage que la dernière partie du film soit aussi statique (ce qui est certes adapté à la situation), et peut-être pas aussi tendue qu'il faudrait. Malgré ces réserves, un cinéaste à suivre.

POESIA SIN FIN
(Alejandro Jodorowsky, 5 oct) LL
Après nous avoir raconté son enfance dans La Danza de la realidad, Alejandro Jodorowsky continue son autobiographie déjantée. On le retrouve tout d'abord à l'adolescence, lorsqu'il quitte avec sa famille la petite ville de Tocopilla pour s'installer à Santiago. Quelques années plus tard, il fuit ses parents, qui veulent lui imposer des études de médecine, pour vivre sa nouvelle passion pour la poésie. On retrouve en grande partie les ingrédients du premier volet, sa mère chante toujours ses répliques, mais la chanteuse d'opéra Pamela Flores a un double rôle car elle interprète également le premier amour d'Alejandro, muse colorée farouchement indépendante, papillon de sa vie nocturne. Evidemment, l'inspiration est largement surréaliste, mais ça fonctionne un peu moins bien que dans le premier volet : moins de fulgurances esthétiques irrésistibles qui terrasseraient même les moins convaincu-e-s, moins de dimension politique (hormis à la toute fin du film), et fatalement moins d'effets de surprise. Mais une curiosité à voir en complément de sa précédente proposition de cinéma.

DIVINES (Houda Benyamina, 31 aou) LL
Dounia et Maimounia sont deux copines inséparables, soudées contre le monde entier. La première, qui ne rêve que de "money, money, money" pour sortir de la galère, est prête à tout, même à se mettre avec risques et périls au service d'une économie parallèle. Divines se veut une sorte de conte, dans lequel les rôles entre femmes et hommes sont plus ou moins inversés : la caïd du coin est une femme, Rebecca, et Dounia épie amoureusement un garçon passionné de danse (et presque réduit à ça). Sans oublier le langage (le célèbre "T'as du clitoris"). Mais, pour le reste, le film intègre sans les interroger les clichés du genre, avec une conclusion qui pulvérise (punit ?) le désir d'émancipation de Dounia. Formellement le film est très inégal (loin de la recherche esthétique de Bande de filles), mais la séquence de la virée en voiture de sport sans voiture de sport est un grand moment, malheureusement un peu isolé.

MERCENAIRE (Sacha Wolff, 5 oct) LL
Soane, un wallisien de 19 ans qui a grandi en Nouvelle-Calédonie à Nouméa, débarque en Métropole, échappant ainsi à la tyrannie de son père et offrant ses 110 kg de muscles à des clubs de rugby de seconde zone. Ce colosse aux pieds d'argile découvre ce nouveau monde, ses compromissions, le dopage, sa condition de joueur acheté et vendu comme du bétail, mais aussi la fraternité des troisièmes mi-temps et l'amour... Ce que réussit le mieux Sacha Wolff pour son premier film, c'est cette immersion dans ce milieu inconnu pour Soane, sa condition d'exilé (dans son propre pays). En revanche, la tragédie familiale est très appuyée, avec des scènes de violence physique qu'on a l'impression d'avoir déjà vu des dizaines de fois (et pas que dans des bons films). Néanmoins il y a une scène de haka assez mémorable, et même poignante.

LE CIEL ATTENDRA (Marie-Castille Mention-Schaar, 5 oct) LL
Le destin croisé de deux jeunes filles françaises qui se font enrôler par des jihadistes. Le film a pour but de montrer l'embrigadement, improprement appelé "radicalisation" par les médias ou le gouvernement, puisqu'il s'agit souvent de "conversion" et que de toute façon ça n'a rien à voir avec de quelconques racines : on voit pour l'une d'elles le processus de déculturation par rapport à la façon d'envisager la religion dans sa famille. Enfin, Dounia Bouzar (plus ou moins conseillère technique du film) interprète son propre rôle auprès des parents désemparés. Et le cinéma ? Dans la première partie, il y a quelques scènes embarrassantes, maladroites dans la mise en scène comme dans l'interprétation. Puis la gêne disparaît peu à peu au fur et à mesure du film, avec un montage alterné moins conventionnel qu'on pourrait le penser au départ. Bref un film utile sur le fond mais assez inégal sur la forme.

JUSTE LA FIN DU MONDE (Xavier Dolan, 21 sep) L
Louis (Gaspard Ulliel) est un jeune homme de 34 ans, auteur reconnu parti vivre au Canada. Après douze ans d'absence, il revient au pays pour rendre visite à sa famille et tenter de leur annoncer sa mort prochaine (il est atteint du sida). Adapté d'une pièce de Jean-Luc Lagarce écrite au début des années 90, le film est une sorte d'enregistrement d'entomologiste de la rencontre entre Louis et les autres membres de sa famille : sa mère (Nathalie Baye), sa petite soeur (Léa Seydoux), son grand frère (Vincent Cassel) et sa belle-soeur (Marion Cotillard). Le tout est filmé presque sans plans d'ensemble, uniquement des gros plans et plans rapprochés, donnant au film des allures de huis clos (même dans le réceptacle d'une voiture). Mais, dans un esprit approchant, on est loin de la virtuosité de Chéreau dans Ceux qui m'aiment prendront le train. Ici, les ping-pong verbaux sont caricaturaux, et Xavier Dolan cède parfois à ses pires penchants pompiéristes. Ce n'est pas la fin du monde, juste un film qui s'auto-asphyxie.
Version imprimable | Films de 2016 | Le Mardi 25/10/2016 | 0 commentaires
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Films de l'été 2016 (et un rattrapage)

  • Bravo : Frantz (François Ozon)
  • Bien : La Sociologue et l'ourson (Etienne Chaillou, Mathias Théry), Dernier train pour Busan (Sang-Ho Yeon), La Tortue rouge (Michaël Dudok De Wit), Le Fils de Jean (Philippe Lioret), Guibord s'en va-t-en guerre (Philippe Falardeau), Victoria (Justine Triet), L'Economie du couple (Joachim Lafosse), Rester vertical (Alain Guiraudie), La Forêt de quinconces (Grégoire Leprince-Ringuet)
  • Pas mal : L'Effet aquatique (Solveig Anspach), Hôtel Singapura (Eric Khoo), Love and friendship (Whit Stillman), Fronteras (Mikel Rueda), Jason Bourne (Paul Greengrass), Le Secret des banquises (Marie Madinier), Toni Erdmann (Maren Ade), Moka (Frédéric Mermoud), Sur quel pied danser (Paul Calori, Kostia Testut), Instinct de survie (Jaume Collet-Serra), Irréprochable (Sébastien Marnier), The Strangers (Na Hong-Jin)
  • Bof : Nocturama (Bertrand Bonello)

FRANTZ (François Ozon, 7 sep) LLLL
En 1919, dans une petite ville allemande meurtrie par la guerre, Anna se rend tous les jours au cimetière où repose Frantz, son fiancé mort au front quelques mois auparavant. Un jour elle découvre des fleurs, et fait la rencontre d'Adrien, un français venu lui aussi se recueillir sur la tombe de Frantz. Anna l'introduit non sans mal auprès des parents du défunt, pour qui chaque français pourrait être responsable de la mort de leur fils... Ce n'est que le début du nouveau film en noir et blanc (à part quelques scènes heureuses en couleurs) de François Ozon. Inspiré d'un drame muet méconnu de Lubitsch, c'est un film très romanesque sur les stigmates et l'absurdité de la Première Guerre mondiale, tourné en langue allemande et parfois en français (le langage secret de Frantz et Anne) et riche en rebondissements. François Ozon n'a pas renoncé à la cruauté ni aux émotions troubles, mais livre un film intime et historique d'une ampleur inédite pour lui. Dans le rôle d'Anne, Paula Beer est impressionnante, mais ses partenaires ne sont pas en reste : Pierre Niney (qui joue Adrien) et Ernts Stötzner et Marie Gruber (les parents de Frantz).

LA SOCIOLOGUE ET L'OURSON (Etienne Chaillou, Mathias Théry, 6 avr) LLL
Sur le fond, ce documentaire décrypte les enjeux de la loi sur le mariage pour tous (peut-être la seule loi authentiquement de gauche de tout le quinquennat Hollande), avec les éclairages de la sociologue Irène Théry. Institution du mariage, famille, filiation sont tour à tour interrogées, avec des perspectives historiques et autobiographiques. Cela aurait pu suffire à donner un film très intéressant, d'autant que les propos sont clairs et dépassionnés. Mais il y a la forme : s'il y a quelques images d'archives (de 2012 – 2013), dont une visite éclair de l'Élysée, la matière principale est constituée de conversations téléphoniques entre Irène Théry et son fils Mathias, co-réalisateur du film. Et ces échanges sont restitués par d'irrésistibles séquences d'animation de marionnettes (oursons entre autres), une vraie et audacieuse trouvaille pédagogique pour que le spectateur s'approprie le sujet. En bonus, la relation mère – fils entre Irène et Mathias. Jubilatoire.

DERNIER TRAIN POUR BUSAN (Sang-Ho Yeon, 17 aou) LLL
Alors qu'une sorte de virus se répand à travers le pays, en transformant des vivants en zombies hyper-agressifs qui cherchent de nouvelles proies, un père de famille prend avec sa fille le train express KTX pour rejoindre la mère de la fillette à Busan. Mais il y a déjà des morts-vivants dans le train... Décidément, après Snowpiercer de Bong Joon-ho, le cinéma coréen aime les films de genre se déroulant dans les trains filant à toute berzingue ! Celui-ci est très convaincant, le scénario est certes classique, mais la mise en scène est assez différente et beaucoup plus digeste que les films de zombie hollywoodiens. Plaisir, efficacité, mais aussi regard politique, puisqu'on constate que lorsque l'individualisme prime, les zombies font plus de victimes, alors que la solidarité (que le père de famille, cynique dans sa vie professionnelle, va apprendre rapidement), a tendance à sauver des vies... Le suspense du film tend donc à se déplacer autour de cette question : est-ce le chacun pour sa peau ou l'entraide qui l'emportera ?

LA TORTUE ROUGE (Michaël Dudok De Wit, 29 juin) LLL
Un homme rescapé d'un naufrage en haute mer échoue sur une île déserte. C'est le point de départ de ce premier long métrage d'animation franco-belge, mais co-produit par les studios Ghibli. Il serait dommage de dévoiler l'intrigue (le film réserve des surprises de taille) : disons que c'est un conte sur le cycle de la vie et une fable universelle sur la condition humaine, rien que ça ! Mais il n'y a aucune emphase, ni dans l'écriture (le scénario est co-signé par Michaël Dudok De Wit et... Pascale Ferran) ni dans le style visuel qui bénéficie de la même simplicité : personnages aux contours bien apparents (ligne claire) insérés dans des paysages magnifiques. Et enfin absence de dialogues : il y a les bruits de l'environnement naturel, des cris, un accompagnement musical jamais envahissant, et c'est tout. Une production artistique due à Isao Takahata (les studios Ghibli ont co-produit le film) pour un résultat sans tambour ni trompettes mais de la belle ouvrage !

LE FILS DE JEAN (Philippe Lioret, 31 aou) LLL
Mathieu, la trentaine, n'a jamais connu son père. Mais il apprend que ce dernier était canadien, qu'il a eu deux autres fils et qu'il vient de mourir. Malgré le tournoi de judo de son fils, dont il a la garde alternée, Mathieu décide d'aller à l'enterrement et à la rencontre de ses deux demi-frères. Mais à Montréal, il est accueilli par le meilleur ami de son père qui tempère ses velléités et lui conseille la discrétion sur son identité... Philippe Lioret délaisse les grands sujets sociaux (Welcome, Toutes nos envies) pour une sorte d'enquête familiale. Adaptant un roman de Jean-Paul Dubois, il distille les ingrédients petit à petit, mais c'est surtout l'élégance de la mise en scène qu'on retient : durée des plans, importance des regards et des silences, direction d'acteurs parfaite (superbes Pierre Deladonchamps, Gabriel Arcand, Catherine de Léan...). Un certain classicisme dans le meilleur sens du terme.

GUIBORD S'EN VA-T-EN GUERRE (Philippe Falardeau, 27 juil) LLL
Guibord est un député indépendant d'une circonscription du Nord-Québec. Sans véritable pouvoir jusque là, son vote va être décisif : le gouvernement envisage l'entrée en guerre du Canada au Moyen-Orient, et le scrutin va se jouer à une voix près. Il décide de consulter sa base, qui a d'autres chats à fouetter. Sa femme est dans le camp des bellicistes, sa fille dans le camp des opposants. Il est également confronté à un barrage routier organisé par des Indiens en colère, et un autre au nom de la sauvegarde de l'emploi. Secondé par Souverain, un stagiaire haïtien féru de Jean-Jacques Rousseau, Montesquieu, ou Tocqueville, il va tenter de faire face. Une belle comédie politique, plus comique que politique, mais assez caustique tout de même sur le fonctionnement actuel de nos démocraties.

VICTORIA (Justine Triet, 14 sep) LLL
Victoria est une avocate pugnace, et une mère célibataire de deux fillettes, un peu dépassée. A l'approche de la quarantaine, sa vie se complique encore un peu plus lorsque son meilleur ami, accusé de tentative de meurtre contre sa compagne, insiste pour qu'elle prenne sa défense, que Sam, un ex-dealer qu'elle a sorti d'affaire, la supplie de l'engager comme homme à tout faire, et que son ex-mari ouvre un blog littéraire dans lequel les confidences passées de Victoria font office de source d'inspiration... Après La Bataille de Solferino, Justine Triet garde le même type d'héroïne mais ouvre davantage son cinéma en direction du spectateur, lui offrant une comédie réussie (ce qui est malheureusement assez rare dans le cinéma français ces derniers temps, excepté La Loi de la jungle), audacieuse et pleine d'inventions (par exemple des témoins oculaires peu banals), avec une grande palette d'interactions entre les personnages, et la conjonction des talents de Virginie Efira, Melvil Poupaud, Vincent Lacoste, Laurent Poitrenaux et Laure Calamy.

L'ECONOMIE DU COUPLE (Joachim Lafosse, 10 aou) LLL
Après environ 15 ans de vie commune, Marie et Boris se séparent... mais, compte tenu de la situation financière de ce dernier, continuent de vivre sous le même toit. Cela ne les empêche pas d'avoir chacun leur jour de garde de leurs deux fillettes jumelles. Boris réclame sa part dans la maison, pour les travaux qu'il a effectués dedans... C'est un affrontement presque sans merci entre deux personnes qui se sont aimées. Le film ne séduit pas d'emblée, et n'évolue pas dans une trajectoire toute tracée vers une solution de facilité. Au contraire, il garde sa rugosité, évite les pièges, ne choisit pas entre ses deux personnages principaux (Bérénice Bejo et Cédric Kahn, très solides), observés finement par la génération qui précède (superbe Marthe Keller en mère de Marie). Surtout, le film tient la distance grâce à une mise en scène bien charpentée qui fait des allées et venues de chacun une chorégraphie entêtante.

RESTER VERTICAL
(Alain Guiraudie, 24 aou) LLL
Léo, un cinéaste-scénariste en panne d'inspiration, part à la recherche du loup sur un grand causse de Lozère. Il y fait la connaissance de Marie, une bergère. Ils vont avoir un enfant ensemble, mais en proie au baby blues et faute de suffisamment de confiance envers Leo, Marie les abandonne tous les deux... C'est une des entrées du nouveau film de Guiraudie. Après L'inconnu du lac, où il montrait son savoir-faire à installer une atmosphère prégnante (même si je trouvais qu'elle était insuffisamment exploitée, trop épurée), le cinéaste revient à un cinéma en apparence plus foutraque, mais avec l'assurance acquise lors de son précédent film. Loin d'un cinéma d'illustration, Guiraudie invente son propre style : les distances géographiques sont abolies (pas de transition entre les paysages de Lozère, de la côte bretonne ou du Marais poitevin !), et la sexualité est chez lui assez démocratique et ne concerne pas uniquement les personnages les plus jeunes et jolis... Libre, debout, Alain Guiraudie me semble progresser (à moins que ce soit moi qui progresse dans son univers ?).

LA FORÊT DE QUINCONCES (Grégoire Leprince-Ringuet, 22 juin) LLL
Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, l'acteur Grégoire Leprince-Ringuet propose l'histoire d'un jeune homme balloté entre deux filles : la première le plaque, il veut se venger sur la deuxième qui a ses propres velléités... Au départ, le film peut paraître hors sol, tant les personnages semblent éloignés des contingences quotidiennes. Mais cette réserve devient une qualité au fur et à mesure que se déploie la singularité du film, non pas tant dans le fond que dans la forme, avec des bouffées fantastiques et/ou poétiques : dialogues soudain versifiés, sortilèges jetés. Un pari ténu mais bien tenu, dans lequel on appréciera de retrouver en seconds rôles Maryline Canto et Antoine Chappey, adultes stables en contrepoint des bourrasques de la passion...

L'EFFET AQUATIQUE (Solveig Anspach, 29 juin) LL
De l'excellent Queen of Montreuil, Solveig Anspach garde le personnage du grutier décalé, toujours interprété par Samir Guesmi. Il craque pour Agathe, une maître nageuse. Pour la séduire, il prend des leçons de natation. Peu de temps après, Agathe est choisie pour représenter la Seine-Saint-Denis au congrès international des maîtres nageurs, à Reykjavik... Pour son dernier film, tout l'univers de Solveig Anspach (disparue l'an dernier), entre France et Islande, est là... Cette comédie romantique échappe donc aux rails tout tracés. On retrouve la fantaisie de la cinéaste, mais en plus précipité et moins fignolé que d'habitude (ce qu'on peut comprendre). Florence Loiret Caille est juste très bien, mais d'ordinaire elle est extraordinaire...

HÔTEL SINGAPURA (Eric Khoo, 24 aou) LL
Les secrets de la chambre n°27 de l'Hôtel Singapura, de l'immédiat après guerre à nos jours... Comme une histoire en creux de l'évolution des moeurs à Singapour (mais assez universelle). C'est une suite de sketchs : une relation homosexuelle à peine assumée, un musicien pop et ses groupies dans les sixties, une transsexuelle attendant l'ultime opération pour devenir entièrement femme, des histoires de frigidité, de première fois, d'adultère... Chaque histoire (et chaque époque) a son style propre, mais mélange crudité et tendresse, sensualité et intimité dans ce qu'elle a de plus singulier. On peut aimer certains segments plus que d'autres. Dommage que les dernières scènes soient aussi mélodramatiques (cela ne s'imposait pas).

LOVE AND FRIENDSHIP (Whit Stillman, 22 juin) LL
Le titre est bateau, mais le film ne l'est pas. C'est une adaptation d'un roman de Jane Austen, mais, fort heureusement, ne consiste pas en une reconstitution guindée. Il s'agit plutôt d'une comédie de moeurs (en costumes, certes), autour d'une veuve (Kate Beckinsale), la petite quarantaine, qui pour éviter le déclassement cherche un beau parti pour elle-même et pour sa fille à peine majeure. Elle est prête à toutes les intrigues pour cela, et les hommes (dont un riche très benêt) tombent plus souvent que les femmes dans le panneau. Il y a donc des dialogues brillants, surtout que l'héroïne commente régulièrement l'action à sa meilleure amie américaine (Chloë Sevigny). Cela peut faire penser parfois à un équivalent historique des films londoniens de Woody Allen, mais avec moins de profondeur et d'intensité que chez l'auteur de Match point et Café society. Les films de Whit Stillman étant beaucoup plus rares, ils font mécaniquement événements. Mais après tout, pourquoi pas.

FRONTERAS (Mikel Rueda, 31 aou) LL
Les réactionnaires à la mode ne tenteront même pas d'aller voir ce film, qui raconte la rencontre, dans une boîte de nuit, puis la relation qui se noue entre Rafa, ado espagnol d'une quinzaine d'années, à la recherche de son orientation sexuelle, et Ibrahim, un marocain d'environ deux ans son aîné, sans papiers qui risque l'expulsion... Alors certes les films bien intentionnés ne font pas forcément de bons films, et celui-ci, qui raconte ce double combat contre la pression sociale, pourrait s'avérer édifiant. Mais Mikel Rueda a la bonne idée d'en faire un film intimiste, filmé à hauteur des personnages, très vivants, dans lequel prise de conscience politique et initiation amoureuse vont de pair. Les réserves sont plutôt du côté de la forme, avec une mise en scène parfois beaucoup trop hésitante ou imprécise.

JASON BOURNE (Paul Greengrass, 10 aou) LL
C'est la quatrième fois que Matt Damon reprend le rôle de Jason Bourne, homme amnésique doté de grandes capacités physiques et mentales. Je n'ai vu auparavant que les deux premiers volets, mais pas besoin de pré-requis, le récit est limpide. Jason Bourne, en bataille contre la raison d'Etat, est traqué par la CIA même si celle-ci hésite entre deux attitudes : le liquider ou tenter de le réintégrer à l'organisation. Le scénario est excellent, et il faut noter qu'il est rare de voir dans un film grand public américain un héros aussi peu "patriote", et dont le danger est représenté par les méthodes inquiétantes de la CIA. Sur la forme, bonnes interprétations de Damon, Tommy Lee Jones et Alicia Vikander, mais il faut avaler une mise en scène énervée (énervante ?), deux longues courses-poursuites, et se fader une bande originale qui ferait passer n'importe quelle musique de jeu vidéo pour un chef d'oeuvre symphonique...

LE SECRET DES BANQUISES (Marie Madinier, 22 juin) LL
Un savant fou, le professeur Quignard (Guillaume Canet), étudie les effets bénéfiques d'une protéine émise par des pingouins, peut-être le secret de l'immunité universelle pour les êtres humains. Mais c'est surtout le professeur qui intéresse une de ses jeunes laborantines, Christophine (Charlotte Le Bon). Pour attirer son attention, elle s'inocule une bonne dose d'un sérum réservé jusque là aux souris... Le début du scénario, très original, laisse augurer le meilleur, tout en faisant penser à Chérie, je me sens rajeunir, un film mineur de Hawks mais assez drôle. Mais, au fur et à mesure qu'avance le film, le trait perd un peu de finesse, et certaines idées pas toujours bien amenées entament la crédibilité (notion certes subjective) de l'ensemble. Seconds rôles savoureux de Patrick D'Assumçao et Anne Le Ny.

TONI ERDMANN (Maren Ade, 17 aou) LL
Inès est une executive woman allemande, consultante en management installée à Bucarest. Son facétieux père décide de lui rendre visite. Le pétard mouillé du dernier festival de Cannes (encensé par la quasi totalité de la critique française et internationale, il a d'ailleurs reçu le prix de la Fipresci) ? Pas mal mais pas aussi génial qu'on le dit. Alors oui la satire du monde managérial et du consulting est mordante. Et est touchante la relation entre un père et une fille qui n'ont pas les mêmes valeurs (même si tous les deux sont dans les faux-semblants en quelque sorte : elle doit donner des arguments en apparence objectifs pour aider un patron à externaliser donc dégraisser, lui s'amuse à briser les convenances et les mondanités à l'aide de farces et attrapes, perruques et faux dentiers derrière lesquels il se cache pudiquement). Mais tout ça est trop long pour ce que c'est (difficile de jouer sur l'incongruité pendant plus de 2h½), et certaines scènes sont inutiles ou pas très bien amenées.

MOKA (Frédéric Mermoud, 17 aou) LL
Une femme séparée de son mari engage un détective pour retrouver la personne qui a renversé son fils, ce dont elle a besoin pour faire son deuil. Peu à peu, en croisant les témoignages, les soupçons se portent sur la conductrice d'une voiture couleur moka, par ailleurs mère de famille... C'est une sorte de polar intime, adapté du roman éponyme de Tatiana de Rosnay. La vraisemblance n'est malheureusement pas au rendez-vous, et les faiblesses ponctuelles du scénario ne sont contrebalancées par aucun surcroît de style. Pour autant, il y a néanmoins de savoureuses ambiguïtés, une belle utilisation des abords du lac Léman comme décor faussement calme du film, et l'interprétation d'Emmanuelle Devos est magistrale (les scènes entre Nathalie Baye et elle fonctionnent vraiment).

SUR QUEL PIED DANSER (Paul Calori, Kostia Testut, 6 juil) LL
Julie (Pauline Etienne), qui enchaîne CDD sur CDD, voit ses espoirs de CDI brisés par le plan social qui touche la fabrique de chaussures de luxe qu'elle vient de rejoindre. Cela pourrait être un film naturaliste, mais les réalisateurs Paul Calori et Kostia Testut, dont c'est le premier long métrage, ont opté pour la comédie musicale. Ce choix audacieux faisait saliver d'avance (le sujet pouvant faire penser à la séquence finale du documentaire Entre nos mains de Mariana Otero), d'autant qu'ils ont confié les chansons à de vraies pointures : Jeanne Cherhal, Agnès Bihl, Clarika, Albin de la Simone... Les morceaux sont effectivement pas mal, mais les chorégraphies comme le scénario général manquent d'ampleur, trop sages. Un premier essai sympathique mais loin des références dans ce registre peu usité (Une chambre en ville de Demy, Jeanne et le garçon formidable du tandem Ducastel - Martineau).

INSTINCT DE SURVIE (Jaume Collet-Serra, 17 aou) LL
Nancy, une jeune américaine, part faire du surf toute seule sur une plage mexicaine. Malheureusement pour elle, un requin rôde dans les parages, et, du fait de son isolement, elle ne pourra compter que sur elle-même pour s'en sortir... Dans les Dents de la mer de Spielberg, la société était présente à l'écran, ne serait-ce que dans des scènes de panique collective. Ici, l'héroïne est isolée et individualiste : au début du film, elle dit au type qui l'a prise en stop qu'elle reviendra grâce à Uber, l'entreprise qui détruit tous les droits sociaux des taxis partout dans le monde. Donc on n'est pas fâché de la voir morfler un max pour tenter de s'en sortir : si formellement le film a une mise en scène tout juste fonctionnelle, sur le fond ce qui arrive à son héroïne ne donne pas trop envie de succomber à l'idéologie néolibérale où il ne faudrait compter que sur soi-même.

IRREPROCHABLE (Sébastien Marnier, 6 juil) LL
Constance, une femme de 40 ans (Marina Foïs) a perdu son emploi, et quitte Paris pour revenir dans son village natal de Charente-Maritime, où vit sa mère malade. Elle tente de retravailler dans une agence immobilière locale. Elle tente d'amadouer une jeune fille fraîchement embauchée par l'agence et convoite son poste... Ne pas se fier aux noms ou aux titres : Constance n'est pas très stable, et le film n'est pas irréprochable. Cela se veut un film de genre, et il y a parfois une atmosphère inquiétante assez réussie, dès lors que le film s'échappe un peu de la trajectoire beaucoup trop rectiligne de son scénario. Sébastien Marnier est un réalisateur prometteur, mais son film ne tient pas toutes ses promesses...

THE STRANGERS (Na Hong-Jin, 6 juil) LL
Un policier est confronté à des meurtres assez sauvages dans un village de montagne de Corée du Sud. Un étranger (japonais) est montré du doigt... J'ai mis avec indulgence la note moyenne, car il y a du potentiel, et quelques rares ruptures de ton, comme empruntées à son compatriote Bong Joon-Ho (The Host). Mais, dans l'ensemble, la tonalité est unique, celle d'un polar horrifique. Malheureusement, en guise de mise en scène, il y a une outrance permanente : elle permet peut-être de réveiller l'attention du critique professionnel blasé qui doit se taper plus de 300 nouveaux films par an (s'il voit consciencieusement la moitié de ce qui sort sur les écrans). Pour le cinéphile amateur, en revanche, rien n'est moins sûr : le parti pris outré du film peut déclencher l'indifférence ou le ricanement devant des scènes excessives qu'on peut ressentir comme insignifiantes ou involontairement grotesques.

NOCTURAMA (Bertrand Bonello, 31 aou) L
Bertrand Bonello, excellent cinéaste spécialiste des ambiances fin d'époques (L'Apollonide, Saint Laurent), a probablement voulu faire un film générationnel sur la jeunesse, la classe d'âge la plus touchée par l'augmentation de la précarité et le manque de perspectives d'avenir. Il suit une bande de jeunes venus d'horizons sociaux et familiaux très divers, mais qui décident de provoquer des attentats simultanés dans Paris : un bureau de la banque HSBC, une statue de Jeanne d'Arc, le ministère de l'Intérieur. Les explosions sont programmées pour intervenir à une heure où les locaux sont vides. Puis ils se retrouvent dans un grand magasin façon Samaritaine où ils se cachent toute une nuit. Malgré le caractère symbolique très fort de leurs méfaits, on ne sent aucune exaltation politique chez eux : aucune discussion politique préalable aux passages à l'acte par exemple, et dans la deuxième partie on les voit succomber aux sirènes du consumérisme ultralibéral. Du coup, on a rarement vu un film aussi artificiel, creux et prétentieux (regardez comme je sais faire un prologue sans dialogues), et malheureusement rattrapé depuis le tournage par une actualité terroriste d'une autre nature.
Version imprimable | Films de 2016 | Le Dimanche 11/09/2016 | 0 commentaires
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