- Bien : A touch of sin (Jia Zhang-Ke), La Jalousie (Philippe Garrel), Heimat (Edgar Reitz), Les Jours heureux (Gilles Perret), La Marche (Nabil Ben Yadir), Suzanne (Katell Quillévéré), Le Démantèlement (Sébastien Pilote), Borgman (Alex van Warmerdam), Inside Llewyn Davis (Ethan et Joel Coen), The Immigrant (James Gray)
- Pas mal : Casse-tête chinois (Cédric Klapisch), Snowpiercer (Bong Joon-ho), Comment j'ai détesté les maths (Olivier Peyon), 9 mois ferme (Albert Dupontel), Tel père, tel fils (Hirokazu Kore-Eda), Henri (Yolande Moreau)
- Bof : Avant l'hiver (Philippe Claudel)
A TOUCH OF SIN (Jia Zhang-Ke, 11 déc) LLL
Après des films intéressants mais qu'on croirait taillés pour les festivals internationaux, Jia Zhang-Ke change de style et passe à l'action, pourrait-on dire. Quatre histoires aux quatre coins de la Chine contemporaine. Un ouvrier révolté par la privatisation de sa mine et la corruption, un travailleur itinérant exalté par son arme à feu, une employée de sauna humiliée par un riche client, un jeune homme passant d'un petit boulot à un autre... Sans être en rien nostalgique du maoisme, le cinéaste montre comment la violence du système capitaliste déteint sur les individus (lorsque tout autre choix est étouffé). Du coup, son film est malheureusement autant universel que chinois. Cinématographiquement c'est une leçon de mise en scène (plans admirablement composés) qui aurait mérité au festival de Cannes un prix plus important que celui, obtenu, du scénario.
LA JALOUSIE (Philippe Garrel, 4 déc) LLL
Louis (Louis Garrel) quitte Clotilde, la mère de sa fille, pour s'installer dans un petit meublé avec Claudia (Anna Mouglalis), comédienne comme lui mais qui n'a pas beaucoup de propositions de travail. Philippe Garrel revient avec un film épuré, court mais assez profond sur une fragile relation amoureuse. Ses détracteurs pourraient parler d'un film bobo, or la précarité de ces personnages montre qu'il n'en est rien. Pour le cinéaste, l'ennemi n'est pas les saltimbanques, mais les banques... Mais l'essentiel est ailleurs. A l'époque des feel good movies insipides et des romances frileuses, Philippe Garrel oppose sa romantique radicalité, grâce à une forme très travaillée : un somptueux noir et blanc digne du cinéma muet et une attention émue aux moindres gestes délicats de ses personnages/interprètes.
HEIMAT 1 & 2 (Edgar Reitz, 23 oct) LLL
Edgar Reitz poursuit son travail commencé à la télévision dans les années 80 (et que je n'ai pas vu). Toujours situés dans le village imaginaire de Schabbach, en Rhénanie, ces deux nouveaux épisodes ( Chronique d'un rêve et L'Exode) nous font remonter aux années 1842 à 1844, à une époque où l'Allemagne était une terre d'émigration. Cette nouvelle oeuvre est essentiellement tournée en noir et blanc, même si d'expressives touches de couleurs surgissent parfois. La mise en scène est très classique, à part là aussi quelques mouvements de caméra virtuoses. Mais la vie dure de ce village et d'un jeune homme rêvant d'ailleurs et passioné par la science (il a la chance d'être instruit) passionne surtout grâce à la narration feuilletonesque et à l'interprétation très incarnée.
LES JOURS HEUREUX (Gilles Perret, 6 nov) LLL
Pendant une heure, le documentaire retrace, grâce aux témoignages de Raymond Aubrac, Léon Landini ou Stéphane Hessel notamment, l'histoire pas si connue du Conseil National de la Résistance, qui se réunit entre mai 1943 et mars 1944. En particulier ils vont rédiger un programme intitulé "Les Jours heureux", matrice des conquêtes sociales de l'après-guerre (sécurité sociale, retraites par répartition, comités d'entreprise, presse libérée des forces de l'argent...). La deuxième partie brise l'apparent consensus en interrogeant de manière opiniâtre des hommes politiques d'aujourd'hui. Salutaire à l'heure où les médias sont pour l'essentiel la propriété de grands groupes capitalistes et où le néolibéralisme de gauche comme de droite défait méthodiquement toutes ces conquêtes.
LA MARCHE (Nabil Ben Yadir, 27 nov) LLL
Nabil Ben Yadir restitue sous forme de comédie dramatique enlevée la "Marche des Beurs" de 1983, longtemps tombée dans l'oubli, née dans le climat de bavures et de crimes racistes de l'époque et lancée par trois jeunes des Minguettes et... un curé. Il montre bien les moments de franche rigolade ou de tension, notamment dans les préparatifs, mais aussi la naissance d'une prise de conscience sociale voire politique des marcheurs et marcheuses. Honnête, excellemment interprété, le film est populaire au meilleur sens du terme. Une réserve : le personnage un peu superfétatoire de Jamel qui fait son Debbouze, qui n'apporte pas grand chose mais qui a peut-être permis au film de se monter.
SUZANNE (Katell Quillévéré, 18 déc) LLL
C'est un destin tragique au féminin que raconte la jeune cinéaste Katell Quillévéré, pour sa deuxième réalisation après Un poison violent. Il serait dommage de déflorer l'intrigue, qui doit pouvoir se découvrir sans en savoir davantage. Katell Quillévéré joue beaucoup des ellipses, mais les scènes distillent suffisamment d'indices pour nous faire comprendre la situation nouvelle (ce principe peut faire penser au Pialat de Sous le soleil de Satan, même si le sujet n'a rien à voir). Le personnage de Suzanne est fort (et remarquablement interprété par Sara Forestier), mais d'autres le sont aussi, notamment le père (François Damiens) et la soeur (Adèle Haenel).
LE DEMANTELEMENT (Sébastien Pilote, 4 déc) LLL
Gaby est un agriculteur qui vit seul et aime passionnément ses deux filles devenues adultes et désormais installées à Montréal. L'aînée lui demande parfois de l'argent, et même beaucoup pour continuer à élever ses enfants une fois divorcée. Un jour Gaby se résout à vendre sa propriété, aux enchères comme une ferme voisine déjà "démantelée"... On n'est pas convaincu dès le départ de l'intérêt du film. Puis, au fur et à mesure, il gagne en ampleur, grâce à un scénario en crescendo, une mise en scène discrète mais élégante et surtout à la composition exceptionnelle de Gabriel Arcand dans le rôle principal.
BORGMAN (Alex van Warmerdam, 20 nov) LLL
Un homme hirsute, Camiel Borgman, sort de sous terre (littéralement) pour s'inviter dans la maison d'une famille aisée. Qui est-il ? Que veut-il ? Quelles déflagrations va-t-il provoquer en tant qu'élément extérieur chez ses hôtes ? Alex Van Warmerdam ne cherche jamais à répondre frontalement à ses questions. Cinéaste toujours proche de l'absurde ( Les Habitants c'était lui), il livre une sorte de fable noire, tendue, sardonique mais pince-sans-rire, que certains jugeront un peu vaine. Un film de pure mise en scène (au scalpel), logiquement en compétition au festival de Cannes cette année.
INSIDE LLEWYN DAVIS (Ethan et Joel Coen, 6 nov) LLL
Le film se situe au début des années 1960. Llewyn Davis est un chanteur de folk talentueux (la BO est une merveille), mais il est fauché, intègre et n'arrive pas à percer. Ethan et Joel Coen ont voulu réaliser une épure sur un personnage poisseux, rappelant en cela A serious man, sorti en 2010. Dans le rôle titre, Oscar Isaac aurait mérité un prix d'interprétation à Cannes. Prix qui aurait davantage convenu à ce film que le Grand prix du jury, accordé généreusement : ce n'est pas un sommet de la filmographie des frères Coen. Tel quel il est juste plaisant, avec notamment dans de savoureux personnages secondaires Carey Mulligan, John Goodman, Justin Timberlake ou encore... un chat fugueur.
THE IMMIGRANT (James Gray, 27 nov) LLL
En 1921, Ewa, une jeune immigrée polonaise (Marion Cotillard) débarque aux Etats-Unis, mais l'oncle et la tante qui devaient l'accueillir ne sont pas là. Et sa soeur Magda, soupçonnée d'être tuberculeuse, est placée en rétention. Heureusement, un homme (Joaquin Phoenix) la repère et lui propose son "aide" en la faisant travailler dans un spectacle de cabaret. La suite n'est pas toute tracée, les personnages évoluent, d'autres apparaissent. Cela pourrait être un mélo, mais James Gray a choisi d'éviter le lyrisme. James Gray livre un film moins stylisé que ses polars contemporains ( The Yards, La Nuit nous appartient), plus sobre mais toujours aussi personnel.
CASSE-TÊTE CHINOIS (Cédric Klapisch, 4 déc) LL
L'Auberge espagnole était un succès public, bien que filmé n'importe comment. Plus élégant et recentré sur quelques personnages, Les Poupées russes était une jolie réussite. Il reste de ça dans ce troisième volet, où on retrouve Xavier (Romain Duris) et les femmes de sa vie (Kelly Reilly, Audrey Tautou, Cécile de France). Si Cédric Klapisch filme bien le quartier chinois de New-York, ce n'est pas le dépaysement géographique qui rend le film attachant. C'est davantage le plaisir de voir une nouvelle fois Xavier obligé de se sortir d'imbroglios périlleux, malgré les années qui passent, dans une comédie enlevée (montage alerte) qui tient à la fois du vaudeville et d'un manifeste contre l'ordre moral.
SNOWPIERCER (Bong Joon-ho, 30 oct) LL
Le réchauffement climatique n'a pas été combattu par une approche politico-économique, mais par une approche techno-scientifique. Et les apprentis sorciers du climat ont finalement provoqué un refroidissement ! Les êtres humains restants sont embarqués dans un immense TGV qui fend la neige à toute allure et génère sa propre énergie. La piétaille est parquée en queue de train, les premiers wagons plus luxueux sont réservés à une oligarchie... Au début, le film fait un instant penser à Soleil vert. Il y a de bonnes idées (tirées de la BD française éponyme), presque trop. Un film de SF comme celui-ci nécessite de la rigueur, alors que Bong Joon-ho est à l'évidence plus à l'aise dans les ruptures de ton (voir l'excellent The Host).
COMMENT J'AI DETESTE LES MATHS (Olivier Peyon, 27 nov) LL
Un documentaire sur les mathématiques, c'est original. Ici on croise avec plaisir François Sauvageot, professeur de classe prépa plein d'humour et très pédago, ou encore Cédric Villani, médaille Fields en 2010, à l'institut d'Oberwolfach ou au Congrès international des mathématiciens. Le film s'éparpille un peu, mais ne manque pas d'observations assez pertinentes : le vrai matheux apprend beaucoup plus lorsqu'il se trompe que lorsqu'il trouve la bonne démonstration tout de suite ; les maths sont une école du doute et de l'esprit critique ; mais l'application des maths dans l'économie a donné naissance aux innovations financières (produits dérivés, subprimes), et a donc une part de responsabilité dans la crise de 2008...
9 MOIS FERME (Albert Dupontel, 16 oct) LL
Le plan-séquence d'ouverture, virtuose, est assez aérien. Albert Dupontel, dont j'avais aimé Le Créateur, soigne la forme de sa nouvelle comédie, même si certaines séquences sont plus lourdingues. Sandrine Kiberlain joue une juge coincée qui se retrouve enceinte après une nuit de la Saint-Sylvestre très arrosée. Albert Dupontel se réserve un rôle de truand "globophage" (je ne traduis pas), ce qui lui vaut la une des médias. La critique du sensationnalisme est le principal ingrédient de fond, le film se plaçant davantage dans un esprit cartoon déjanté (avec quelques scènes d'anthologie) que dans un quelconque souci de vraisemblance.
TEL PERE, TEL FILS (Hirokazu Kore-Eda, 25 déc) LL
Deux bébés ont été intervertis à la naissance. Les familles l'apprennent six ans plus tard. Qu'est-ce qu'être père ? Quelle place aux liens du sang ? L'enjeu du film est bien de faire grandir les adultes. Il y a aussi une critique sociale, entre un père architecte obsédé par la réussite sociale, l'autre père petit commerçant modeste qui prend du temps avec ses enfants, les mères aimantes mais dominées par les schémas patriarcaux... Mais Hirokazu Kore-Eda, pourtant capable de réussir l'histoire d'une poupée gonflable qui prend vie ( Air Doll), manque ici un peu de subtilité et de délicatesse, et le résultat est loin d'égaler certaines des réussites passées.
HENRI (Yolande Moreau, 4 déc) LL
Henri (Pippo Delbono), la cinquantaine, d'origine italienne, tient un café en Belgique, avec sa femme (Lio), qui décède brutalement. Pour le seconder, il fait appel à un "papillon blanc", Rosette, une jeune femme (Miss Ming) d'un établissement pour déficients mentaux situé à quelques encablures. Le rapprochement entre ces deux personnes non épargnées par les difficultés est touchant, et il y a de beaux moments poétiques. Mais d'autres scènes sont plus lourdes, Jacky Berroyer a du mal à sauver le pilier de bistrot qu'il interprète... Un petit film pas encore à la hauteur de ses modèles (Kervern, Delépine, Kaurismaki).
AVANT L'HIVER (Philippe Claudel, 27 nov) L
Drame bourgeois que-c'était-pas-la-peine. Le sujet pourrait faire penser à du Haneke (en particulier Caché), voire à du Chabrol, mais le traitement est aussi impersonnel qu'un téléfilm moyen. On peut néanmoins sauver l'interprétation (Daniel Auteuil, Leïla Bekhti, Kristin Scott Thomas, Richard Berry).
1. La Vie d'Adèle (Abdellatif Kechiche, France)
2. Blue Jasmine (Woody Allen, Etats-Unis)
3. La Maison de la radio (Nicolas Philibert, France)
4. La Danza de la realidad (Alejandro Jodorowsky, Chili)
5. Blancanieves (Pablo Berger, Espagne)
6. A touch of sin (Jia Zhang-Ke, Chine)
7. La Fille du 14 Juillet (Antonin Peretjako, France)
8. La Jalousie (Philippe Garrel, France)
9. Passion (Brian De Palma, France/Allemagne)
10. Heimat (Edgar Reitz, Allemagne)
11. Robert sans Robert (Bernard Sasia, Clémentine Yelnik, France)
12. Queen of Montreuil (Solveig Anspach, France)
13. 5 caméras brisées (Emad Burnat, Guy Davidi, Palestine)
14. Enfance clandestine (Benjamin Avila, Argentine)
15. La Vie domestique (Isabelle Czajka, France)
- Grand central (Rebecca Zlotowski, France)
Viennent ensuite Les Jours heureux (Gilles Perret, France), Miele (Valeria Golino, Italie), Chez nous, c'est trois ! (Claude Duty, France), Shokuzai (Kiyoshi Kurosawa, Japon), Ma meilleure amie, sa soeur et moi (Lynn Shelton, Etats-Unis), La Tête en l'air (Ignacio Ferreras, Espagne), Stories we tell (Sarah Polley, Canada), Foxfire (Laurent Cantet, France/Canada), Dans la brume (Sergueï Loznitsa, Russie), Mud (Jeff Nichols, Etats-Unis), Wadjda (Haïfaa Al-Mansour, Arabie Saoudite), Notre monde (Thomas Lacoste, France), Le Temps de l'aventure (Jérôme Bonnell, France), Free Angela and all political prisoners (Shola Lynch, Etats-Unis) etc...
- Bravo : La Vie d'Adèle (Abdellatif Kechiche)
- Bien : Omar (Hany Abu-Assad), Mes séances de lutte (Jacques Doillon), Just the wind (Bence Fliegauf), Gabrielle (Louise Archambault), Un château en Italie (Valeria Bruni-Tedeschi)
- Pas mal : Gravity (Alfonso Cuaron), La Bataille de Solferino (Justine Triet), Haewon et les hommes (Hong Sang-soo)
- Bof : Ma vie avec Liberace (Steven Soderbergh)
- Hélas : Prisoners (Denis Villeneuve)
LA VIE D'ADELE (Abdellatif Kechiche, 9 oct) LLLL
Beaucoup ont écrit qu'il s'agissait d'un film sur la passion. Oui, mais ce n'est pas exactement un film incandescent, et c'est surtout un film beaucoup plus riche que ça. Cela commence comme dans L'Esquive avec un cours de français autour de Marivaux. Adèle (Adèle Exarchopoulos, LA révélation de l'année) est une élève de première issue d'une famille modeste de la banlieue lilloise, qui adore les livres. Cela pourrait être un film de lycée, du style Entre les murs, mais il ne s'arrête pas là. En suivant Adèle pendant une petite dizaine d'années, on assiste avec empathie à toutes ses premières fois : premiers flirts avec des garçons, première rencontre avec Emma, jeune femme aux cheveux bleus, étudiante aux Beaux-Arts (Léa Seydoux), premiers ébats, plus tard premiers pas professionnels... Un film sur l'éducation sentimentale, mais aussi sur l'éducation tout court. Sur l'art, sa création, comme sa réception et sa transmission. Et, oui, sur la passion amoureuse et son évolution dans le temps... Formellement le montage est extrêmement fluide, on ne voit pas le temps passer (on en redemanderait), l'impression d'immersion est renforcée par la mise en scène et le nombre incroyable de gros plans (au moins deux heures sur les trois), en particulier sur le visage des interprètes.
OMAR (Hany Abu-Assad, 16 oct) LLL
Vivant en Cisjordanie occupée, Omar (Adam Bakri, révélation) franchit quotidiennement le mur pour rejoindre Nadia, la fille qu'il aime, et ses deux amis d'enfance, Tarek et Amjad, avec qui il a décidé de passer à la lutte armée. Lors de leur première opération, Omar est arrêté. Après des interrogatoires plus que musclés dans la prison israélienne, on lui propose de le relâcher contre la promesse d'une trahison. Que va-t-il faire une fois dehors ? Courses-poursuites, vengeance, chantage, manipulation, amour impossible : avec les moyens du cinéma de genre et de la fiction, le cinéaste palestinien Hany Abu-Assad livre un thriller nerveux qui en dit beaucoup sur la situation politique de son peuple dans la réalité.
MES SEANCES DE LUTTE (Jacques Doillon, 6 nov) LLL
Un an seulement après Un enfant de toi, Jacques Doillon revient avec un film audacieux, véritable ovni, qui s'accepte ou se rejette en bloc. Sara Forestier joue une jeune femme qui vient de perdre son père. Elle retrouve un voisin (James Thiérrée) avec qui elle avait amorcé un rapprochement amoureux quelques mois plus tôt. Ils essaient de rejouer la scène. Leur joutes prennent des formes inattendues, que ce soit dans les dialogues brillants de fantaisie et de distance, ou dans une lutte très physique. On connait au départ les talents à la tchatche de Sara Forestier (depuis L'Esquive), ceux d'acrobate de James Thiérrée (depuis Ce que mes yeux ont vu) : les deux vont se fondre. Une expérience singulière pour le spectateur aussi.
JUST THE WIND (Bence Fliegauf, 12 juin) LLL
Hongrie aujourd'hui. Mari (Katalin Toldi) et ses enfants, d'origine Roms, subissent un quotidien précaire, en attendant de pouvoir rejoindre le père parti au Canada. Mais il y a pire : en allant au travail (Mari) ou à l'école (les enfants, surtout la fille, le garçon faisant souvant l'école buissonière dans la forêt), ils doivent rester constamment aux aguêts, de peur que les autres villageois les prennent comme bouc émissaire. En effet, dans tout le pays, des familles Roms ont été assassinées... Le constat est glaçant, le racisme ordinaire aussi : voir le dialogue (au départ fonctionnel) entre deux policiers, un des moments-clés du film.
GABRIELLE (Louise Archambault, 16 oct) LLL
Gabrielle et Martin tombent amoureux l'un de l'autre. Ils font partie d'une chorale pour handicapés mentaux, les Muses de Montréal, qui prépare un spectacle avec en guest star Robert Charlebois... Le film aurait pu être édifiant, mais le plus souvent il évite les écueils (même si le traitement du sujet tient plus de la voie large que du chemin de traverse). La réalisatrice regarde tous ses personnages de la même façon, valides ou non. En proposant dès les premières minutes une belle reprise de Pendant que les champs brûlent de Niagara, elle met les mélomanes en confiance. Les obstacles ne sont pas esquivés, avec les réactions contrastées de l'entourage, mention à la soeur de Gabrielle (Melissa Désormeaux-Poulin, vue dans Incendies).
UN CHÂTEAU EN ITALIE (Valeria Bruni-Tedeschi, 30 oct) LLL
D'inspiration lointainement autobiographique (le personnage principal n'a pas de soeur), c'est l'histoire d'une actrice qui a arrêté de jouer, se cherche encore, est obsédée par le désir de maternité, à l'heure où son frère est gravement malade, le tout dans une famille de la grande bourgeoisie industrielle italienne... Il y a de savoureuses ruptures de ton dans ce film, qui peut dérouter, car il n'y a pas spécialement de personnages dans lesquels se projeter. Quelques bouffées burlesques surgissent à des moments inattendus, en particulier grâce à l'actrice-réalisatrice.
GRAVITY (Alfonso Cuaron, 23 oct) LL
Pendant une petite heure, c'est une merveille. Le spectaculaire joue à plein (et est bien meilleur marché qu'une entrée au Futuroscope). Même si on n'est pas sûr de la vraisemblance scientifique, on y est : dans l'espace, avec les spationautes qui se délectent du spectacle céleste tout en étant régulièrement aux prises avec des débris de satellite, destructeurs par leur vitesse relative. De quoi augurer le meilleur pour la fin ? Pas vraiment, la dernière demi-heure, sans être désagréable, douche un peu l'enthousiasme : trop répétitive, conventionnelle, manquant d'ampleur, presque bâclée. Comme si, contrairement à un James Cameron qui aurait sans doute trouvé le bon tempo, Alfonso Cuaron avait été pressé d'en finir. Dommage car visuellement quelle virtuosité !
LA BATAILLE DE SOLFERINO (Justine Triet, 18 sep) LL
Une jeune femme (Laetitia Dosch), présentatrice pour une chaîne d'information continue, est réquisitionnée en dernière minute pour couvrir la rue de Solferino le jour du 2è tour des élections présidentielles. Que va-t-elle faire des enfants, sachant qu'elle n'a pas confiance dans le père (Vincent Macaigne), dont elle s'est séparée et qui sort de l'hôpital psychiatrique ? Le morceau de bravoure est la partie tournée en "live" le 6 mai 2012. Le reste est une chronique naturaliste braillarde et brouillonne, pas inintéressante mais filmée sans relief. Un premier film prometteur si Justine Triet prend confiance dans les moyens du cinéma.
HAEWON ET LES HOMMES (Hong Sang-soo, 16 oct) LL
Haewon (Jeong Eun-Chae, très bien) est une jeune étudiante qui rêve de faire une carrière d'actrice à la Charlotte Gainsbourg (c'est ce qu'elle dit à Jane Birkin qui passait par là, dans son propre rôle). Sa mère partant pour le Canada, doit-elle renouer avec une liaison protectrice (un de ses profs) ? Après deux beaux films ( The Day he arrives et In another country), Hong Sang-Soo ajoute une nouvelle variation à son oeuvre. On retrouve certains ingrédients assez récurrents : le prof retraité des plateaux de cinéma, les relations pataudes, le repas alcoolisé, les zooms en milieu de plan etc. Mais, hormis l'écho à sa filmographie passée, le film peine à exister pour lui-même.
MA VIE AVEC LIBERACE (Steven Soderbergh, 18 sep) L
Quelques années dans la vie de Liberace (équivalent américain d'un croisement entre Richard Clayderman et Jacques Martin) dans les années 70, racontées par Scott, l'un des amours de sa vie, beaucoup plus jeune. C'est aussi l'histoire d'une homosexualité qui n'est pas publiquement assumée. Cela aurait pu faire un bon film. Tous les ingrédients (et les clichés) y sont, mais rien ne surprend (à part peut-être Matt Damon) : Michael Douglas en fait des caisses, et Steven Soderbergh, pourtant un bon faiseur, ne sait pas comment le filmer.
PRISONERS (Denis Villeneuve, 9 oct) o
Deux familles passent la journée ensemble, avant l'angoisse : deux de leurs fillettes ont disparu. Devant l'action compliquée de la police (Jake Gyllenhaal reprend un rôle voisin de celui qu'il avait dans Zodiac), l'un des pères va jusqu'à torturer le suspect idéal (un simple d'esprit joué par Paul Dano) pour tenter de connaître la vérité... Comment Denis Villeneuve ( Incendies) a-t-il pu réaliser ce thriller sans point de vue de mise en scène, donc avec une complaisance insoutenable, et qui plus est avec des rebondissements aussi peu crédibles ?
- Bravo : Blue Jasmine (Woody Allen), La Danza de la realidad (Alejandro Jodorowsky)
- Bien : Robert sans Robert (Bernard Sasia, Clémentine Yelnik), La Vie domestique (Isabelle Czajka), Grand Central (Rebecca Zlotowski), Miele (Valeria Golino), Chez nous, c'est trois (Claude Duty), Ma meilleure amie, sa soeur et moi (Lynn Shelton), Aya de Yopougon (Marguerite Abouet, Clément Oubrerie), Le Prochain film (René Féret), Hannah Arendt (Margarethe Von Trotta)
- Pas mal : Les Amants passagers (Pedro Almodovar), Jimmy P. (Arnaud Desplechin), Une place sur la terre (Fabienne Godet), Je ne suis pas mort (Mehdi Ben Attia), Vic + Flo ont vu un ours (Denis Côté), Les Salauds (Claire Denis), Ilo ilo (Anthony Chen), Frances Ha (Noah Baumbach), Le Congrès (Ari Folman)
- Bof : It felt like love (Eliza Hittman), Les Apaches (Thierry de Peretti), Magic magic (Sebastian Silva)
BLUE JASMINE (Woody Allen, 25 sep) LLLL
Une nouvelle pièce dans l'oeuvre si variée et si cohérente de Woody Allen. L'argument scénaristique est une sorte d'inverse de celui d' Escrocs mais pas trop (2000) : Jasmine (Cate Blanchett), mariée à un grand escroc à la Madoff (Alec Baldwin), quitte sa vie de grande bourgeoise new-yorkaise et, ruinée, est hébergée chez sa soeur caissière à San Francisco (Sally Hawkins, découverte chez Mike Leigh). Cela aurait pu être un portrait de femme rongée par le doute, comme l'était Une autre femme (1989). Mais Woody Allen adore mettre du noir dans la comédie et de l'humour dans la tragédie, comme il l'assumait dans le film-manifeste Melinda et Melinda (2005). Ainsi, le cinéaste est loin d'accompagner avec empathie la trajectoire descendante de son héroïne, il la regarde avec une cruauté très drôle. Le film partage deux caractéristiques avec Match Point (2005) : la satire sociale sous-jacente, et une construction narrative qui permet des coups de théâtre d'une grande férocité. Après le catastrophique To Rome with love, seul échec artistique de sa carrière, Woody Allen revient au sommet.
LA DANZA DE LA REALIDAD (Alejandro Jodorowski, 4 sep) LLLL
Après 23 ans d'absence, Alejandro Jodorowski (dont je n'ai pas vu les films précédents) revient avec un film plus ou moins autobiographique sur son enfance au Chili dans les années 1930, entre un père macho et admirateur de Staline, et une mère mystique et fellinienne qui n'arrête pas de vocaliser, le tout sur fond de dictature fascisante de Carlos Ibanez. Mais on pourrait caractériser les personnages tout autrement : chaque nouvelle séquence finit par démentir, en partie, ce qu'on croyait savoir des protagonistes. L'autre atout du film, tourné en grande partie dans son village natal de Tocopilla, c'est sa stylisation extrême (on en prend plein les yeux) : son chromatisme flamboyant, ses fantasmagories surréalistes qui sont autant de visions de cinéma.
ROBERT SANS ROBERT (Bernard Sasia, Clémentine Yelnik, 2 oct) LLL
Après 30 ans de bons, loyaux et fidèles services, Bernard Sasia, chef-monteur de tous les films de Guédiguian (sauf un), obtient la permission de réaliser son propre film sur l'univers du cinéaste. Mais au lieu de faire un best-of scolaire des meilleures séquences, il propose un voyage subjectif, à travers ses propres souvenirs, intuitions, re-découvertes. De façon ludique il s'amuse à multiplier les faux raccords entre les films dont Gérard Meylan, Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin sont les figures récurrentes et changeantes. Bernard Sasia et Clémentine Yelnik jouent avec les images et avec le spectateur, et multiplient les observations décalées. Hommage au cinéma de Guédiguian donc, mais aussi à l'armée de l'ombre de tous les corps de métiers du cinéma qui le rendent possible.
LA VIE DOMESTIQUE (Isabelle Czajka, 2 oct) LLL
Juliette habite près du parc de Marly, en région parisienne, comme quelques-unes de ses amies, quadragénaires comme elle. Elles ont des enfants à éduquer, la maison à entretenir et des maris qui rentrent tard le soir. Le film les suit pendant 24h. Le résultat est grinçant (mention spéciale à la scène d'ouverture, dîner redoutable chez des "amis" plutôt de droite). De film en film, Isabelle Czajka réussit, par une mise en scène acérée, à faire des films politiques (ici féministe) mais insérés dans le quotidien et jamais démonstratifs. Elle bénéficie également des interprétations d'Emmanuelle Devos, Natacha Régnier, et Julie Ferrier, toutes dans des registres différents.
GRAND CENTRAL (Rebecca Zlotowski, 28 aou) LLL
Il s'agit d'une histoire d'amour compliquée dans le milieu des sous-traitants du nucléaire. La fiction est bien documentée (cela fait un certain effet de lire l'excellent rapport du Parti de Gauche à ce sujet après avoir vu le film), et les scènes d'intérieur ont été tournées dans une centrale autrichienne qui n'a jamais été mise en service (suite à un referendum). Dans ce film de tous les dangers (sanitaires et sentimentaux), la mise en scène de Rebecca Zlotowski est solide et efficace. Et Tahar Rahim et Léa Seydoux irradient de leur classe, comme les nombreux seconds rôles : Olivier Gourmet, Denis Menochet, Johan Libéreau...
MIELE (Valeria Golino, 25 sep) LLL
Cela commence comme finissait Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé : on y voit un protocole de suicide assisté. Mais on est en Italie, pas en Suisse, et l'organisation qui le propose est clandestine. Irène, qui opère sous le pseudonyme de Miele, va être confrontée à un homme âgé parfaitement bien portant mais qui désire mourir. Où commence le droit à mourir dans la dignité ? Contrairement à Marco Bellocchio dans La Belle endormie qui traite le sujet de l'euthanasie de façon politique, Valeria Golino, pour son premier film en tant que réalisatrice, en fait surtout un fascinant portrait de jeune femme. Dans le rôle-titre excelle Jasmine Trinca ( Le Caïman, Le Rêve italien, L'Apollonide), moins souriante et juvénile qu'à l'accoutumée, visage plus fermé, opaque et mystérieuse...
CHEZ NOUS, C'EST TROIS (Claude Duty, 17 juil) LLL
Comment surprendre agréablement au cinéma ? Soit en agissant en cinéaste démiurge pour révolutionner le cinéma (mais tout le monde n'est pas Orson Welles ou Kubrick) ? Soit en prenant les chemins de traverse. C'est la deuxième option qui est brillamment choisie ici. Claude Duty raconte la tournée promotionnelle et estivale, dans une Bretagne rurale, d'une cinéaste quadra (Noémie Lvovsky) en pleine déprime sentimentale et peinant à continuer son exigeant métier. Claude Duty montre les difficultés des films d'auteur à être vus en dehors des mégapoles régionales. Mais en bon humaniste sortant des rails tout tracés, il remplit, surtout, son film de plein de détails savoureux (dont la tectonique des bises) et de seconds rôles lumineux (mention à Marie Krémer).
MA MEILLEURE AMIE, SA SOEUR ET MOI (Lynn Shelton, 3 juil) LLL
Encore sous le choc du décès de son frère, Jack (Mark Duplass) accepte la proposition de sa meilleure amie Iris (Emily Blunt, comédienne britannique remarquée dans My summer of love et Petits meurtres à l'anglaise) d'aller s'isoler dans le chalet familial. Il a la surprise de trouver le lieu déjà occupé par Hannah (Rosemarie DeWitt, vue récemment dans Promised land), soeur d'Iris et lesbienne, venue y soigner un chagrin d'amour. Les situations délicates et inattendues se succèdent, surtout qu'Iris les rejoint rapidement. Sur des thèmes de toujours (amour, sexe, amitié), la réalisatrice brode, telle une disciple de Jacques Doillon, une comédie psychodramatique où tout repose sur les interactions multiples entre les trois personnages. Une vraie réussite-surprise.
AYA DE YOPOUGON (Marguerite Abouet, Clément Oubrerie, 17 juil) LLL
L'action se passe à Yopougon, un quartier populaire d'Abidjan, dans les années 1970. Adaptée par les auteurs de la bande dessinée du même nom, ce film d'animation truculent et coloré suit le quotidien de trois lycéennes : Aya est studieuse, ses deux copines moins. Toutes trois fréquentent les "maquis" (petits bars de nuit). Tout déborde de vie dans ce film, qui tient à la fois de la comédie de moeurs (avec le français bien corrigé par l'argot populaire) et de la satire sociale et politique (anticapitaliste et anticolonialiste il épingle discrètement les multinationales, les inégalités et la corruption ou la politique africaine de la France).
LE PROCHAIN FILM (René Féret, 21 aou) LLL
Pierre Gravet est cinéaste, "auteur" plus que cinéaste connu. Il envisage de tourner un film inspiré par Tchekhov. Puis change d'idées en voyant son frère Louis, comédien "sérieux", chercher un réalisateur pour exploiter son talent comique inexploré... Au début, on pense que René Féret, comme dans le récent Chez nous c'est trois, a voulu traiter des difficultés d'un certain cinéma d'auteur français. Avec un regard plus fermé (ses deux personnages principaux sont assez égocentriques) que celui de Claude Duty qui ouvre les fenêtres. La respiration du film vient progressivement des compagnes des frangins, qui installent la vie dans le film. Ensemble le quatuor d'interprètes (Frédéric Pierrot, Antoine Chappey, Sabrina Seyvecou et surtout Marilyne Canto) fait merveille.
HANNAH ARENDT (Margarethe Von Trotta, 24 avr) LLL
Ce n'est pas un grand film sur la vie et l'oeuvre de Hannah Arendt (pour ma part je tiens Condition de l'homme moderne comme un précurseur de la critique du capitalisme par l'écologie politique). Il est resserré sur la période 1961-62, où la philosophe allemande, installée aux Etats-Unis depuis vingt ans, va, à la suite de son oeuvre Les Origines du totalitarisme, assister au procès d'Eichmann, avant d'en rendre compte dans le magazine The New Yorker, d'une manière qui va faire scandale. Même s'il cède parfois à l'académisme, le film, grâce à l'interprétation très solide de Barbara Sukowa, donne corps au travail de l'esprit en marche, dans un mouvement plus humain que purement cérébral.
LES AMANTS PASSAGERS (Pedro Almodovar, 27 mar) LL
Après une quinzaine d'années quasi-ininterrompue de grands films livrés à intervalle régulier (de Tout sur ma mère à La Piel que habito, en passant par Parle avec elle ou Etreintes brisées), Almodovar siffle la récréation. Si on compare avec les réussites récentes, on peut être déçu. Mais si on s'attend à une série B érotique (ce que le cinéaste vise vraisemblablement), alors on peut trouver ce nouvel opus assez goûteux. Une sorte de roman-photo très enlevé où une sorte d'épidémie d'érotomanie atteint des passagers et l'équipage d'un avion dont l'atterrissage est incertain. Almodovar, lui, n'a pas totalement perdu le contrôle...
JIMMY P. (Arnaud Desplechin, 11 sep) LL
Cinéphile endurci, Arnaud Desplechin a fini par réaliser un film aux Etats-Unis. L'adaptation du récit de Georges Devereux, ethnologue et psychanalyste venu d'Europe centrale, qui au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a soigné Jimmy Picard, un Indien blackfoot, mal remis d'une blessure à la tête. Le scénario est assez passionnant à bien des égards, mais le film l'est un peu moins (malgré la performance des deux interprètes, Mathieu Amalric et Benicio Del Toro), car très bavard. Surtout il colle peut-être encore trop à la psychanalyse pour convaincre totalement. Alors que dans Rois et reine du même Desplechin, le personnage joué par Amalric dans une séquence finale d'anthologie faisait preuve d'une acuité psychologique très émouvante...
UNE PLACE SUR LA TERRE (Fabienne Godet, 28 aou) LL
Antoine (Benoît Poelvoorde), photographe solitaire et désabusé, n'est distrait de son quotidien que par Matéo, le fils de sa jolie voisine, qu'il garde régulièrement. Jusqu'au jour où il remarque dans l'immeuble d'en face une jeune femme au piano (Ariane Labed). De sa fenêtre il va assister à sa tentative de suicide et la sauver. C'est le début de la rencontre entre ces deux personnages fâchés avec les autres et avec eux-mêmes. Fabienne Godet, dont j'avais adoré le premier film Sauf le respect que je vous dois (2006), prend son sujet (rebattu) à bras-le-corps, et son mélo échappe le plus souvent au pathos, préférant la suggestion voire l'humour.
JE NE SUIS PAS MORT (Mehdi Ben Attia, 7 aou) LL
Yacine (Mehdi Dehbi, brillante révélation) est un jeune étudiant qui prépare l'ENA et admire Richard (Emmanuel Salinger), haut fonctionnaire reconnu (on lui remet la Légion d'honneur) qui est surtout son professeur de philosophie politique. Une nuit, Richard meurt soudainement. Quelques heures plus tard, Yacine débarque au milieu des intimes du mort et déclare qu'il est Richard... La suite du film dépend de ce qu'on y voit, de ce qu'on y perçoit. C'est sa limite. Reste en filigrane une certaine satire de la méritocratie officielle et du sort réel réservé aux "minorités visibles"...
VIC + FLO ONT VU UN OURS (Denis Côté, 4 sep) LL
Libérée de prison, Vic (Pierrette Robitaille), la soixantaine, entend vivre en marge du monde, dans une ancienne baraque à sucre, isolée près des bois. Elle va y retrouver Flo (Romane Bohringer), 20 ans de moins qu'elle, qu'elle a connue et aimée en prison, mais qui est poursuivie par son passé... Leur seul vrai contact régulier avec l'extérieur est Guillaume, l'agent de probation de Vic. Rien n'est limpide, tout est mystérieux dans ce film, à la fois solaire (dans les relations entre les deux femmes) et sombre (dans la cruauté sourde qui n'est jamais loin). Dans les deux cas, Denis Côté sait suggérer l'invisible. Dommage que la fin soit si appuyée.
LES SALAUDS (Claire Denis, 7 aou) LL
Marco, un solide marin (Vincent Lindon), quitte son navire pour venir au secours de sa soeur, effondrée après le suicide de son mari. Marco vient s'installer dans l'immeuble de la famille de l'employeur de son beau-frère décédé. Pendant ce temps sa nièce (Lola Créton) est agressée. Pour son premier tournage en numérique (avec la fidèle Agnès Godard à la caméra), Claire Denis livre un puzzle très sombre (dans tous les sens du terme). On peut s'y perdre. C'est presque recommandé. Tout n'est pas convaincant, mais formellement, et avec la complicité musicale des fidèles Tindersticks, la cinéaste reste une grande plasticienne de l'invisible et de la nature humaine.
ILO ILO (Anthony Chen, 4 sep) LL
Singapour dans les années 90. Un couple aisé est mis à rude épreuve par leur fils, petit tyran à la maison comme à l'école. Ils embauchent comme bonne à tout faire une Philippine qui laisse sa propre famille (c'est la chaîne du care mondialisée) pour s'installer chez eux. L'enfant terrible va peu à peu se laisser apprivoiser par la nouvelle venue, pendant que les parents sont menacés professionnellement par la crise économique. Le premier film d'Antony Chen, caméra d'or à Cannes, souligne bien les rapports de classe, mais la chronique d'apprentissage est plus convenue. Certains évoquent la délicatesse de Yi Yi, le chef d'oeuvre du regretté taïwanais Edward Yang, mais on en est loin.
FRANCES HA (Noah Baumbach, 3 juil) LL
Frances est une jeune femme de 27 ans, qui vit à New-York, fait des petits boulots et rêve de devenir chorégraphe. Après le départ de sa colocataire (et meilleure amie), elle part en recherche d'un nouveau logement... et d'elle-même. Cela aurait pu être un film sur le précariat, mais à aucun moment le problème n'est véritablement soulevé. Au contraire, le caractère léché du noir et blanc, certains dialogues à la limite de la pédanterie font de ce film une comédie ostentatoire sur l'immaturité (qui soulignent en creux l'immense génie de Woody Allen, qui use parfois d'ingrédients assez proches). Heureusement il y a Greta Gerwig dans le rôle principal (et qui a co-écrit le scénario) : elle apporte une fraîcheur et un talent burlesque qui sauvent le film.
LE CONGRES (Ari Folman, 3 juil) LL
Robin Wright joue son propre rôle, en tout cas une actrice nommée Robin Wright, à qui le studio Miramount (!) propose d'être scannée pour pouvoir exploiter son image au cinéma à l'infini. La première partie, une satire en chair et en os (et avec Harvey Keitel !) de l'industrie du cinéma, est assez plaisante, voire brillante. Puis vient la seconde partie, futuriste, en animation. De la part du réalisateur de Valse avec Bachir, le style des dessins de cette deuxième partie, sorte de psychédélisme roccoco, déçoit. Très ambitieux, le film est en fait très inégal, avec cependant quelques belles fulgurances.
IT FELT LIKE LOVE (Eliza Hittman, 17 juil) L
Au niveau pictural, le film bénéficie de beaucoup de scènes d'extérieur qui tirent le meilleur parti de la lumière naturelle. Malheureusement c'est à peu près son seul atout, et cette histoire d'une jeune adolescente de 14-15 ans qui s'invente une aventure avec le petit dur charismatique du coin peine à trouver son originalité et même à s'incarner.
LES APACHES (Thierry de Peretti, 14 aou) L
A Porto-Vecchio, une poignée d'adolescents désoeuvrés volent quelques affaires dans une villa de luxe. Dont des fusils, ce qui va mettre le feu aux poudres... Réalisé par un régional de l'étape, le film a certainement des qualités documentaires. Mais cinématographiquement, après un départ prometteur, il rétrécit à vue d'oeil. Un film soi-disant corsé mais peu passionnant.
MAGIC MAGIC (Sebastian Silva, 28 aou) L
Une adolescente américaine (Juno Temple) part en vacances avec un groupe d'amis de sa cousine sur une île au large du Chili. Peu liante, elle subit les vexations des autres, qui ne s'aperçoivent pas de sa grande vulnérabilité... Ce film sur le sadisme peine à trouver la façon d'aborder son sujet et à assumer un point de vue. Du coup, malgré une toute fin ouverte pas inintéressante, il peut être ressenti comme lui-même sadique vis-à-vis de ses spectateurs.
- Bien : La Fille du 14 Juillet (Antonin Peretjatko), 5 caméras brisées (Emad Burnat, Guy Davidi), Enfance clandestine (Benjamin Avila), Shokuzai (Kiyoshi Kurosawa), Mud (Jeff Nichols), Free Angela and all political prisoners (Shola Lynch), La Belle endormie (Marco Bellocchio), Sous surveillance (Robert Redford)
- Pas mal : L'Inconnu du lac (Alain Guiraudie), Le Passé (Asghar Farhadi), Une vie simple (Ann Hui), Vanishing waves (Kristina Buozyte), Les Lendemains (Bénédicte Pagnot)
- Bof : Alps (Yorgos Lanthimos)
LA FILLE DU 14 JUILLET (Antonin Peretjatko, 5 juin) LLL
Après Queen of Montreuil il y a quelque temps, une nouvelle illustration que les films à (tout) petit budget peuvent être d'une liberté folle, voire jouissive. Hector, vague gardien de musée, tombe en pâmoison devant Truquette, qui propose à la criée, en marge du défilé militaire, pavés en mousse et mini-guillotines. Ils partent en vacances avec un pote d'Hector (Vincent Macaigne, seul acteur connu du film), une copine de Truquette et son frère. Vu l'âge de la troupe, on pourrait y voir une comédie générationnelle. Or Antonin Peretjatko, pour son premier long métrage, frappe plus fort. Il réalise un vrai film burlesque irrésistible (qui fait parfois penser à Blake Edwards), aux couleurs pimpantes (qui renvoient au cinéma pop des années 60-70) et très inventif. Et, sous l'esprit en apparence potache, on perçoit une satire politique : face à la crise, le gouvernement avance la rentrée au 1er août, au grand dam des aoutiens... Comme le titre joliment Politis, une comédie libertaire, égalitaire, fraternitaire...
5 CAMERAS BRISEES (Emad Burnat, Guy Davidi, 20 fév) LLL
Les cinq caméras brisées du titre sont celles utilisées successivement par Emad Burnat, petit paysan de Cisjordanie, pour filmer sa famille et la lutte pacifique de son village contre l'édification du mur de séparation par les Israëliens. Le mur spolie surtout Bil'in, le village, de la moitié de ses terres. Grâce à son dispositif, les caméras successives captent ce qu'on sait (quand on s'intéresse à la question) mais qu'on n'a pas l'habitude de voir, ce qui se passe en toute impunité quand les journalistes sont partis. La totale immersion permet de mesurer l'oppression de la colonisation israëlienne, leurs méthodes, alors qu'on s'attache aux personnages clés de la résistance du village, tout comme à la famille d'Emad Burnat, et à leur sort pendant les 5 années de tournage. Un document implacable et indispensable.
ENFANCE CLANDESTINE (Benjamin Avila, 8 mai) LLL
Après des années d'exil, Juan, 12 ans, et sa famille reviennent dans le Buenos Aires de 1979, sous une fausse identité. Désormais Juan sera au collège Ernesto, un élève vif qui cherche comme les autres à se faire des copains et est intriguée par la belle Maria. Le soir, il redevient Juan, fils de péronistes de gauche et résistants actifs contre la dictature militaire, toujours en état d'alerte maximal. Dans cette première oeuvre de fiction (qui aurait pu avoir la Caméra d'or au festival de Cannes l'an dernier), Benjamin Avila nous livre un double récit initiatique, entre première éducation sentimentale et perte d'innocence devant les oppressions politiques dont sont capables les adultes. Avec une mise en scène au diapason du scénario et une interprétation très incarnée, le film est un classique instantané.
SHOKUZAI (Kiyoshi Kurosawa, 29 mai et 5 juin) LLL
Quatre fillettes sont témoins de l'enlèvement conduisant au meurtre d'une camarade de classe mais, sous le choc, elles sont incapables de se souvenir du visage du tueur. La mère de cette camarade les réunit et les menace d'une pénitence éternelle. Après ce prologue, cette saga de l'auteur de Kaïro, diffusée en 5 épisodes à la télé japonaise, et sortie chez nous en deux parties ( Celles qui voulaient se souvenir et Celles qui voulaient oublier), montre ce qu'elles sont devenues 15 ans après. Chacun des 4 premiers chapitres est le portrait de l'une d'entre elles, le dernier est celui de la mère, le personnage relié à tous les autres... Polar réaliste, thriller psychologique à la limite du fantastique (autour du thème de la culpabilité), peinture de la société japonaise : malgré une résolution un poil alambiquée, l'exercice de style, grâce à la mise en scène, est une réussite.
MUD (Jeff Nichols, 1er mai) LLL
Le nouveau film de Jeff Nichols a pour point commun avec le précédent, Take shelter, de s'intéresser à une Amérique qu'on voit peu (ici les modestes habitations aux alentours du Mississipi) et de faire monter une menace qui se rapproche. Au cours d'une de leurs embardées, Ellis et Neck, deux ados inséparables, découvrent une île étrange, avec un bateau perché dans les arbres. Et un homme sorti de nulle part, avec un serpent tatoué sur le bras, qui se fait appeler Mud et leur demande du ravitaillement (il est recherché par la police). C'est un grand récit initiatique d'un classicisme sans faille, où Ellis, qui a le courage de tendre la main à cet homme, découvrira, entre autres, que les adultes ne sont pas nécessairement divisés en bons et méchants, qu'ils peuvent mentir (y compris sur des choses importantes) et se mentir, et que la vengeance ou l'escalade de la violence ne résoud rien.
FREE ANGELA AND ALL POLITICAL PRISONERS (Shola Lynch, 3 avr) LLL
Angela Davis, c'est une militante infatigable, qui a été accusée à tort de complicité de meurtre, alors qu'elle prônait la non-violence. Elle est devenue une égérie de la contestation radicale des années 60-70. Elle accumulait les tares aux yeux de certains : femme, noire, communiste, féministe, combattante anti-ségrégationniste, professeur de philo... Avec des images d'archives et une interview récente (elle est toujours vivante et toujours militante), c'est son histoire (une belle leçon de courage), son parcours qui est relaté, presque comme un thriller. Et au-delà de sa personne, c'est le combat de sa vie en faveur des prisonniers politiques et de la justice qui est bien restitué.
LA BELLE ENDORMIE (Marco Bellocchio, 10 avr) LLL
Il y a 8 ans, Alejandro Amenabar avait réalisé Mar Adentro, un film traitant de l'euthanasie, maladroit car assez manichéen. Avec la même intention humaniste de défendre le droit à mourir dans la dignité, Marco Bellocchio réalise ici un très beau film, qui ne juge jamais ses personnages. Il prend comme point de départ un fait divers qui a déchiré l'Italie en 2008 : le sort d'une jeune femme, plongée dans le coma depuis 17 ans, que son père a décidé de "débrancher". Et croise les histoires d'une jeune militante "pro-life", de son père, sénateur de droite (génial Toni Servillo), qui hésite à voter un projet de loi contre l'euthanasie, d'une célèbre actrice au chevet de sa fille comateuse, d'une toxico dépressive... Le cinéaste réhabilite la politique, l'engagement collectif et la responsabilité individuelle (dont aller contre la discipline de parti fait partie le cas échéant).
SOUS SURVEILLANCE (Robert Redford, 8 mai) LLL
Robert Redford semble renouer avec les thrillers politiques qu'il tournait dans les années 70 (par exemple Les Trois jours du condor, de Sydney Pollack, paranoïaque à souhait). Ici il joue un avocat, Jim Grant, dont un jeune journaliste révèle la véritable identité. Celle d'un ancien activiste très à gauche à l'époque de la guerre du Vietnam, et recherché pour son implication supposée dans le braquage d'une banque qui a mal tourné (un mort). Il repart en cavale... Pourquoi ? C'est une traque, un suspense haletant, qui pose les questions de la justice, de la responsabilité, de la fin qui ne justifie pas les moyens, mais aussi de la fidélité à ses idéaux alors que les raisons de la révolte sont encore là (injustices, abus d'autorité et escalade sécuritaire, dénis de démocratie).
L'INCONNU DU LAC (Alain Guiraudie, 12 juin) LL
J'avais testé le cinéma d'Alain Guiraudie une fois, avec un résultat mitigé ( Le Roi de l'évasion). Cette fois-ci, il me convainc davantage. Le film se déroule la plupart du temps sur une plage naturiste, lieu de drague gay, aux abords d'un lac. Franck y rencontre Henri, hétéro souffrant de solitude, et est attiré par le charismatique Michel, bien que celui-ci a semblé commettre sous ses yeux un acte irréversible... L' atmosphère insolite de ce film reste longtemps en mémoire. Etude de moeurs quasi-documentaire, polar, il semble se chercher, dans une apparente répétition et avec une certaine langueur estivale : il faut accepter qu'il ne se passe pas grand chose...
LE PASSE (Asghar Fahradi, 17 mai) LL
Ahmad, séparé depuis 4 ans de Marie, arrive à Paris depuis Téhéran, pour formaliser leur divorce. Il découvre de mystérieuses tensions entre Marie, son nouveau compagnon et sa fille. Contrairement à Une séparation, la mise en scène, qui semble hésitante, ne convainc pas d'emblée. On a même l'impression d'assister à un drame psychologique un peu lourd, qui n'a pas la rigueur d'un Bergman. Curieusement, ce sont les avancées, qu'on peut juger artificielles, du scénario qui donne, dans la deuxième partie, toute sa matière au film et aux personnages (solides interprétations, loin de performances ostentatoires). Et le tout apparaît comme une réflexion sur la vérité, dont chacun n'a qu'une vision partielle et partiale.
UNE VIE SIMPLE (Ann Hui, 8 mai) LL
Domestique au service d'une famille hongkongaise depuis plusieurs générations, Ah Tao ne s'occupe plus que du dernier héritier, producteur de cinéma quadragénaire (le reste de sa famille a émigré aux Etats-Unis). Le jour où elle tombe malade (attaques cardiaques), les rôles s'inversent... C'est la beauté de la relation entre ces deux personnages, magnifiquement interprétés par Deanie Yip et Andy Lau, qui intéresse le plus la cinéaste. Et, effectivement, le film est assez attachant dans sa description quasi anthropologique du don/contre-don, de l'importance des liens de qualité. Dommage par contre qu'il n'interroge pas de façon critique le principe de la domesticité, qui a à voir avec les rapports inégaux (sociaux ou de genre).
VANISHING WAVES (Kristina Buozyte, 29 mai) LL
Participant à une expérience scientifique , un jeune neurologue se fait raser le crâne sur lequel on installe tout un système de capteurs, reliés à la tête d'une jeune fille dans le coma. Au cours de ces séances, le jeune homme rencontre une inconnue qu'il retrouve à chaque connexion... La réalisatrice lituanienne nous propose une sorte de science-fiction romantique. Tout n'est pas forcément convaincant, loin de là, mais le caractère sensuel, sensoriel, cérébral de certaines scènes et l'écriture non automatique de ce premier essai mérite le détour.
LES LENDEMAINS (Bénédicte Pagnot, 17 avr) LL
En arrivant à la fac, Audrey (Pauline Parigot, révélation) s'éloigne de sa famille, de son amie d'enfance (Pauline Acquart, l'héroïne de Naissance des pieuvres) qui a raté son bac, de son petit ami. Sa colocataire essaye de l'initier au militantisme politique, aux débats d'idées, à la gauche réellement de gauche, puis elle rencontre des jeunes squatters... Pour son premier film, Bénédicte Pagnot a le mérite de montrer sans les juger des personnages rarement représentés au cinéma, sur fond de récit initiatique et de violence de la société guidée par le profit. Les choix formels sont beaucoup plus discutables, notamment une photographie numérique chichiteuse qui ne convient pas du tout au sujet.
ALPS (Yorgos Lanthimos, 27 mar) L
Yorgos Lanthimos, réalisateur du film culte Canine en 2009, revient ici, en proposant l'histoire d'une sorte de société secrète (nommée "Alps" car son chef se fait appeler "Mont-Blanc") qui accompagne d'une façon très particulière des personnes en situation de deuil. Certaines choses sont intéressantes, absurdes ou surréalistes, mais malheureusement l'ensemble se révèle assez décevant.
- Bravo : La Maison de la radio (Nicolas Philibert)
- Bien : Queen of Montreuil (Solveig Anspach), La Tête en l'air (Ignacio Ferreras), Stories we tell (Sarah Polley), Notre monde (Thomas Lacoste), Le Temps de l'aventure (Jérôme Bonnell), Promised land (Gus Van Sant), The Sessions (Ben Lewin), Inch'Allah (Anaïs Barbeau-Lavalette)
- Pas mal : No (Pablo Larrain), Möbius (Eric Rochant), Berberian sound studio (Peter Strickland), Django unchained (Quentin Tarentino), Au bout du conte (Agnès Jaoui), Ici et là-bas (Antonio Mendez Esparza), Camille Claudel 1915 (Bruno Dumont)
- Bof : Casa nostra (Nathan Nicholovitch)
LA MAISON DE LA RADIO (Nicolas Philibert, 3 avr) LLLL
Nicolas Philibert s'est toujours intéressé aux mondes qui, sans être forcément clos, forment un univers à part. Il était donc logique qu'il finisse par réaliser un documentaire sur la Maison ronde. On retrouve sa force d'observation qui repose sur une immersion totale et un sens aigu du montage. Ici il observe donc un média dans lequel tous les efforts se conjuguent pour fabriquer du son. Pour arriver à une certaine épure, le choix de Radio France est judicieux dans le sens où le poids de la publicité est beaucoup plus faible et les animateurs vedettes ne sont pas choisis selon le critère du "vu à la télé". Si on sourit devant le physique (pas toujours conforme à notre imagination) des voix célèbres des stations, Nicolas Philibert s'intéresse à tous les métiers de la radio. Le plus émouvant est la passion qui semble réunir tout ce petit monde, et dans le cas des animateurs, leur capacité d'écoute active pour que leurs invités puissent s'exprimer le plus facilement : la différence avec le monde télévisuel est flagrante. Hormis les émissions politiques (où les journalistes s'efforcent au contraire de ne pas laisser s'exprimer au mieux les invités qui ont quelque chose d'intéressant à dire), le cinéaste s'est intéressé à tous les types d'émission, y compris les fictions radiophoniques (peu célébrées). Un régal.
QUEEN OF MONTREUIL (Solveig Anspach, 20 mar) LLL
J'avais perdu de vue Solveig Anspach depuis son premier film Haut les coeurs ! (1999). Ce cinquième long-métrage en salle est très différent, loin des chemins tout tracés, et ça fait du bien. L'histoire est celle d'Agathe, une jeune réalisatrice qui rentre en France au début de l'été avec dans une urne les cendres de son mari. Dans sa maison de Montreuil, elle se retrouve à devoir faire son deuil, finir un scénario, et héberger provisoirement un couple d'Islandais (une mère et son jeune homme de fils) rencontré à l'aéroport. Dans la suite, on croisera entre autres un voisin énamouré, des grues de chantier à escalader ou encore une otarie dépressive. Pas de bonne humeur forcée dans ce film, le deuil et les fins de mois difficiles sont bel et bien là. Mais le monde se poétise avec la fantaisie de l'excellente Florence Loiret-Caille (une des meilleures jeunes actrices françaises, toujours inventive) et de la très délurée Didda Jonsdottir (déjà à l'affiche de Back soon, le précédent film de la cinéaste, que je n'ai pas vu).
LA TÊTE EN L'AIR (Ignacio Ferreras, 30 jan) LLL
Placé en maison de retraite par son fils pour pallier à sa mémoire qui flanche, le vieil Emilio découvre la routine de l'endroit mais se fait aussi de nouvelles amitiés. Le film s'inscrit dans les films d'animation à destination des adultes (comme Persépolis, Valse avec Bachir ou plus récemment Aloïs Nebel). Tout en étant très réaliste factuellement sur le quotidien des personnes atteintes d'Alzheimer, comme le serait un documentaire, la forme animée, paradoxalement, donne à cette histoire une authenticité émotionnelle forte. Alors que la même histoire racontée en chair et en os aurait pu sentir la naphtaline (tout dépend de la mise en scène), ce film-ci, stylisé en animation 2D traditionnelle avec des traits épurés, est une petite merveille d'humour et de délicatesse.
STORIES WE TELL (Sarah Polley, 27 mar) LLL
Sarah Polley est la jeune actrice canadienne qui avait un rôle bouleversant dans le film Des beaux lendemains d'Atom Egoyan, mais elle est aussi réalisatrice. Le point de départ de ce documentaire est son projet de tirer le portrait de sa mère défunte, actrice elle-même et femme libre et mystérieuse. Puis elle se demande si son père est bien son père biologique. Elle fait appel à des membres de sa famille et des proches, dont elle croise les interviews. En même temps, des scènes reconstituées en super-8 illustrent les propos. Et petit à petit, le projet du film se dévoile, très personnel et en même temps assez universel sur le genre humain. Elle demande à chacun d'exprimer sa version, sa vérité, partielle et partiale, même en toute sincérité. Si chacun collabore, le tout, par un excellent travail de montage, est son résultat à elle. Emouvant.
NOTRE MONDE (Thomas Lacoste, 13 mar) LLL
Editeur de la revue Le Passant ordinaire, Thomas Lacoste a réuni devant la caméra d'Irina Lubtchansky (et Marianne Denicourt) les témoignages d'une trentaine d'intellectuels critiques de toutes disciplines. Chacun met en lumière les problèmes qui apparaissent dans son champ d'étude, et propose des pistes de solution... Si l'écologie est en grande partie absente des analyses (Geneviève Azam était prévue au programme mais pour des raisons techniques son intervention n'a pu avoir lieu), c'est néanmoins un fameux réservoir à idées pour la vraie gauche (celle qui veut à raison passer à la VIè République) et pour tous les citoyen-ne-s engagé-e-s ou en tout cas non résigné-e-s. Les propos sont aérés par des images des coulisses de l'enregistrement, ainsi que par la lecture d'extraits de "Trois femmes puissantes" de Marie Ndiaye.
LE TEMPS DE L'AVENTURE (Jérôme Bonnell, 10 avr) LLL
Inconditionnel du cinéma de Jérôme Bonnell, je vais voir son cinquième film... et ne suis toujours pas déçu. Pourtant, les films qu'ils réalisent pourraient être qualifiés de fragiles : pas de très grand sujet, pas de scénario convenu résumable ou non à un pitch. Mais du cinéma, du vrai, un cinéma de mise en scène et simultanément un cinéma en empathie avec ses personnages. Alix est une comédienne qui quitte pendant une journée le Nord pour passer une audition à Paris et tenter de joindre sans succès son fiancé. Privée de béquilles technologiques, elle va céder à l'inconnu et à ce qui va peut-être se révéler être une aventure... Le reste est une histoire de gares et de trains (comme dans Brève rencontre de David Lean), mais surtout un univers singulier et sensible dans lequel Emmanuel Devos et Gabriel Byrne ( Miller's crossing !) excellent.
PROMISED LAND (Gus Van Sant, 17 avr) LLL
Steve est un représentant d'un puissant groupe énergétique, et débarque dans une petite commune rurale pour y vanter l'exploitation du gaz de schiste présent dans leur sous-sol. Mais cette fois-ci, il devra convaincre une majorité des habitants, le maire ayant pris l'initiative d'un référendum local... Souvent épris de recherches formelles, Gus Van Sant réalise cette fois-ci un film assez classique, linéaire mais avec des rebondissements efficaces, mais une fin (qu'on ne révèlera pas) un poil forcée. Un sujet d'actualité bien traité, et avec un brin d'audace, puisque les deux VRP du capitalisme productiviste sont joués par des acteurs sympathiques (Matt Damon, également co-scénariste, et Frances McDormand).
THE SESSIONS (Ben Lewin, 6 mar) LLL
A 38 ans, un tétraplégique insuffisant respiratoire (il est atteint de polio) entreprend de perdre sa virginité avec l'aide d'une "assistante sexuelle" qui va tenter de l'aider en quelques séances (six au maximum). Bonne introduction au débat sur handicap et sexualité, le film est assez didactique sur cette activité, interdite en France et assez marginale dans les pays où elle est autorisée, et montre bien notamment les différences par rapport à la prostitution. Les désirs et l'intimité des deux personnages principaux (interprétés par John Hawkes et Helen Hunt, formidables) sont respectés à égalité, avec autour d'eux d'excellents personnages secondaires. Par contre, on peut s'interroger sur un scénario (certes tiré d'une histoire vraie) qui met en scène un homme forcément extraordinaire, et quelques femmes énamourées un peu trop confinées dans un rôle de faire-valoir.
INCH'ALLAH (Anaïs Barbeau-Lavalette, 3 avr) LLL
Chloé (Evelyne Brochu) est une jeune femme québecoise qui travaille comme sage-femme dans un camp de réfugiés en Cisjordanie. Résidant du côté israélien, elle franchit chaque jour le checkpoint pour rejoindre la clinique... Elle se lie d'amitié avec sa voisine de pallier, jeune appelée israélienne, et une patiente palestinienne qui va bientôt accoucher (Sabrina Ouazani). La force du film, c'est qu'il ne s'éloigne jamais du regard de Chloé. C'est donc à une prise de conscience politique qu'on assiste, Chloé comme témoin étranger ne pouvant rester neutre et insensible au sort des Palestiniens, notamment après un drame sous ses yeux. Un film engagé sans être manichéen.
NO (Pablo, Larrain, 6 mar) LL
En 1988 au Chili, sous la pression internationale, Pinochet organise un référendum sur sa présidence. Pour la campagne du non, ses opposants se résolvent à faire appel à un jeune publicitaire arriviste (Gael Garcia Bernal)... La chute du dictateur est un grand moment de joie politique. Mais pourtant un petit goût amer reste. Les clips vont montrer des images positives de changement plutôt qu'honorer la mémoire des victimes de la dictature. Et surtout, l'idéologie publicitaire victorieuse transforme les citoyens en consommateurs et laisse pressentir que le modèle économique ultralibéral instauré par Pinochet va lui survivre... Un film très intéressant par son propos, mais dont on peut regretter la forme artificielle (tout est filmé par des caméras des années 80 telles que celles qui ont servi aux clips).
MÖBIUS (Eric Rochant, 27 fév) LL
Envoyé en mission à Monaco, un officier des services secrets russes se résout à entrer en contact avec son agent infiltré, une belle trader sans pitié... Le scénario lorgne vers John Le Carré sans en avoir la rigueur. Mais tout cela n'est-il pas un prétexte à filmer deux personnages ambigus, qui ne sont pas forcément au courant de leur rôle réel, et qui se laissent attirer l'un par l'autre... Pour ce faire, Eric Rochant dirige à merveille Jean Dujardin et Cécile de France dans des registres assez inhabituels pour eux. Un film à voir surtout pour l'alchimie entre elle et lui.
BERBERIAN SOUND STUDIO (Peter Strickland, 3 avr) LL
Au coeur des années 70, un ingénieur du son anglais (Toby Jones, impayable) accepte de venir en Italie au Berberian sound studio mixer un film, sans savoir que celui-ci est un film d'horreur... Un hommage cinéphile réussi, tendre et avec pas mal d'humour, à la puissance d'évocation des bruitages (puisqu'on ne voit aucune séance d'épouvante sur l'écran). Ou comment sonoriser un film en faisant la cuisine (j'exagère à peine). La bande originale est également une belle démonstration de musique concrète. Dommage que le scénario finisse par s'égarer, mais peut-être que pour certains ça fait partie du charme.
DJANGO UNCHAINED (Quentin Tarentino, 16 jan) LL
Chaque film de Tarentino est accueilli avec un concert de louanges, bien que depuis quelques films ses scénarios se révèlent assez puérils, schématiques, et où la violence extrême est pardonnée/justifiée par le sentiment de justice (au mieux) ou de vengeance (au pire). Il y a du mieux dans ce western anti-esclavagiste situé dans le sud des Etats-Unis quelques années avant la guerre de Sécession. On retrouve même pendant une bonne heure une certaine jubilation devant la maîtrise de la mise en scène, de la bande son et des dialogues. Et puis tout ça finit par s'étirer et lasser, hormis la performance de Samuel Jackson, méconnaissable.
AU BOUT DU CONTE (Agnès Jaoui, 6 mar) LL
C'est le quatrième film d'Agnès Jaoui, une comédie chorale assez hors mode. Ce sont les croyances et les (dés)illusions qu'elle épingle ou interroge à travers ses personnages. Sans égaler la réussite du Goût des autres, son premier essai - coup de maître, la cinéaste retrouve un peu de peps. Le mérite en revient moins à un scénario aux intentions sociologisantes un peu appuyées qu'à ses interprètes, qui apportent une certaine finesse : Jean-Pierre Bacri en tête, mais aussi Agathe Bonitzer, Arthur Dupont, Agnès Jaoui elle-même, Benjamin Biolay ou encore Dominique Valadié
ICI ET LA-BAS (Antonio Mendez Esparza, 13 fév) LL
Après avoir travaillé aux Etats-Unis, Pedro revient dans son petit village du Mexique, au milieu des montagnes. Avec ses économies accumulées, il aspire à une vie un peu meilleure avec sa femme et ses deux filles, et rêve de monter un petit groupe de musique. Le film a le mérite de parler du retour au pays après l'exil, thème pas si usité. Il le fait à sa manière, sans éclat particulier. Mais chacun des personnages de cette petite chronique familiale est assez touchant.
CAMILLE CLAUDEL 1915 (Bruno Dumont, 13 mar) LL
Il ne s'agit pas d'une biographie de la célèbre sculptrice, mais du récit de quelques jours, au cours d'une de ses premières années d'internement. Camille Claudel attend de la visite de son frère Paul (l'écrivain). Bruno Dumont est un grand cinéaste, mais aucun de ses films ne m'avait encore vraiment convaincu : il semblait toujours avoir un regard surplombant ou moraliste sur ses personnages. C'est moins le cas ici, d'ailleurs il fait jouer de véritables personnes en situation de handicap mental. Mais l'ensemble reste assez sec et théorique. Seule la grande performance de Juliette Binoche dans le rôle titre donne de la chair au film.
CASA NOSTRA (Nathan Nicholovitch, 10 avr) L
C'est une sorte de road movie dans lequel une fratrie (un frère, deux soeurs) renoue à l'occasion de la grave maladie de leur père. Incontestablement, ce premier film a de l'ambition, avec un parti pris esthétique audacieux (noir et blanc, et format carré de l'image). Malheureusement, la mise en scène a beaucoup de mal à trouver la bonne distance vis-à-vis de ses personnages, et les interprètes, bien qu'issu-e-s de la même troupe, semblent avoir des difficultés à interagir entre eux. Un premier film pas encore probant (mieux vaut revoir Cassavetes).
- Bien : Blancanieves (Pablo Berger), Passion (Brian de Palma), Foxfire (Laurent Cantet), Dans la brume (Sergueï Loznitsa), Wadjda (Haïfaa Al-Mansour) Le Grand retournement (Gérard Mordillat), Le Monde de Charlie (Stephen Chbosky)
- Pas mal : Lincoln (Steven Spielberg), Hitchcock (Sacha Gervasi), The Master (Paul Thomas Anderson)
- Bof : Happines Therapy (David O. Russel), Renoir (Gilles Bourdos)
BLANCANIEVES (Pablo Berger, 23 jan) LLL
Le muet est l'enfance de l'art cinématographique, mais parfois c'est aussi l'art de l'enfance, du conte. En témoigne ce deuxième film de Pablo Berger, après le déjà excellent Torremolinos 73 (2005). Carmencitta naquit il y a un siècle d'un père toréador et d'une mère diva qui meurt en accouchant. Son père étant devenu paralysé suite à un accident lors d'une corrida, elle est élevée par sa grand-mère... Pablo Berger transpose librement Blanche-Neige : il y aura une marâtre et une ribambelle de nains. Formellement beau (photo, musique, interprétations), le film bénéficie d'une mise en scène extrêmement inventive : par exemple, pour suggérer la mort d'un personnage, un tourne-disque s'arrête, et une robe blanche est trempée dans une bassine d'encre pour prendre la couleur noire du deuil... Contrairement à The Artist, qui était davantage dans le clin d'oeil cinéphile, cette inventivité visuelle est mise au service d'une narration touffue. Une très belle réussite.
PASSION (Brian de Palma, 13 fév) LLL
En faisant un remake très brillant de Crime d'amour, le dernier film d'Alain Corneau, qui m'avait laissé sur ma faim, Brian de Palma démontre que la force de la mise en scène est essentielle dans la réussite d'un film. On y suit les rapports ambivalents (admiration, sensualité, jalousie/arrivisme, humiliation, partage d'un même mec pas très net) de deux jeunes femmes cadres supérieures dans une succursale berlinoise de leur agence internationale de publicité (l'une est la supérieure hiérarchique directe de l'autre). Cela va mal finir pour l'une d'entre elles... Brian de Palma emprunte deux choses à Woody Allen : Raquel McAdams, l'interprète de Minuit à Paris, et l'amoralité des hautes sphères de la société capitaliste de Match Point. Il fait d'autres emprunts : Hitchcock (blonde/brune, douche, escaliers), Almodovar (écrin vif de la photo, masques)... Il fait surtout une utilisation extrêmement habile d'images aux statuts différents, pas à des fins théoriques mais au service d'un thriller haletant qui se regarde comme tel.
FOXFIRE (Laurent Cantet, 2 jan) LLL
Après Entre les murs (2008), Laurent Cantet tourne au Canada son premier film en langue anglaise. Il raconte, dans l'Amérique des fifties, l'histoire du gang appelé "Foxfire", créé par une bande d'adolescentes, unies à la vie à la mort pour se venger des hommes et des humiliations dues à la domination masculine comme aux injustices sociales. Elles louent ensemble une petite baraque propice à leur idéal de vie communautaire, et se débrouillent comme elles peuvent pour gagner l'argent nécessaire. Comme dans son précédent film, on retrouve le goût du cinéaste pour l'observation d'un groupe et ses individualités, avec en particulier le charisme de la meneuse (Raven Adamson). La mise en scène est fluide, en perpétuel mouvement, au diapason de ses personnages, et concourt à la réussite de ce film poignant aux accents féministes.
DANS LA BRUME (Sergueï Loznitsa, 30 jan) LLL
Le film se passe en 1942, en Biélorussie, alors sous le joug de l'occupation nazie. Trois prisonniers sont exécutés pour l'exemple, pendus pour actes de "terrorisme". Un autre, Sushenya, a été relâché et vit retiré avec sa femme, dans un refuge au coeur de la forêt. Deux résistants, qui le soupçonnent de collaboration, viennent le voir, dans le but de l'éliminer. Mais ça ne va pas se passer comme ça... On devine assez vite que Sushenya n'est pas un traître, alors pourquoi a-t-il été épargné par les allemands ? Et comment vont se résoudre les rapports de tension entre les trois personnages (dont un blessé), contraints d'errer en pleine forêt ? Il s'agit d'un thriller psychologique haletant, dans un instant historique où tuer quelqu'un n'est pas forcément faire le mal. Les dialogues sont réduits au minimum, l'atmosphère tendue étant créée par la rigueur des plans-séquences et par une grande richesse sonore.
WADJDA (Haïfaa Al-Mansour, 6 fév) LLL
Le film fait événement, c'est le premier exporté d'Arabie Saoudite (alors que le pays ne comporte aucune salle de cinéma), et qui plus est réalisé par une femme. Et cinématographiquement ? C'est une fable qui rappelle par sa simplicité et sa discrète insolence certains films iraniens (régimes politiques assez semblables, même si l'un est ami des Etats-Unis et pas l'autre, non ?). Wadjda est le prénom d'une fille d'une douzaine d'années, qui écoute par la bande du rock occidental, porte des baskets, et voudrait avoir un vélo pour faire la course avec Abdallah, un garçon de son âge. Mais il est interdit à une fille vertueuse de faire du vélo... La domination masculine (et la religion, enseignée à l'école et omniprésente) est au coeur du film qui raconte un désir d'émancipation. Mais, paradoxalement, seuls deux hommes apparaissent à l'écran : le père, souvent absent (il convoite une seconde épouse), et Abdallah.
LE GRAND RETOURNEMENT (Gérard Mordillat, 23 jan) LLL
D'un retournement l'autre est une formidable pièce en alexandrins écrite il y a deux ans par l'économiste Frédéric Lordon sur la grande crise dans laquelle nous baignons encore. Et ce n'est pas fini, vu l'inaptitude des grands partis au pouvoir à comprendre les impasses sociales et écologiques produites par le système financier ultralibéral. Connaissant la pièce d'avance, je me suis délecté de cette version cinématographique qui en restitue l'essentiel, en inventant une forme originale : ni représentation filmée ni fiction premier degré, le réalisateur a choisi de tourner toutes les scènes dans des décors simples mais malicieux, au sein d'un entrepôt d'une usine désaffectée. François Morel et Jacques Weber, respectivement en conseiller du président de la République et en banquier, rendent délicieusement justice à la langue mordante de Lordon.
LE MONDE DE CHARLIE (Stephen Chbosky, 2 jan) LLL
Charlie est un adolescent solitaire, un peu en marge lorsqu'il déboule au lycée. Jusqu'à ce que deux élèves plus âgés, un homosexuel obligé de cacher sa relation avec une star de l'équipe de foot américain du bahut, et sa soeur (Emma Watson, excellente dans son premier vrai rôle post Harry Potter), assez délurée mais qui ne tombe pas toujours sur les bons garçons, le prennent sous leurs ailes. Un teen movie en mode récit initiatique de plus ? Certes, mais un peu mieux que ça. Le film n'a pas la causticité de Ghost world de Terry Zwigoff, mais, même dans une veine plus consensuelle, Stephen Chbosky, en adaptant son propre roman, atteint une certaine authenticité, et semble restituer avec finesse ses atermoiements adolescents du début des années 90 (pas de portable, compilation maison de musique enregistrée sur cassette...). Et le final, d'une manière inattendue, est assez poignant.
LINCOLN (Steven Spielberg, 30 jan) LL
Le film débute après la réélection de Lincoln, et raconte sa bataille pour que les Etats-Unis adoptent le 13è amendement à la Constitution, qui doit officiellement abolir l'esclavage. Ce que le film montre bien, c'est son empressement à le faire avant la fin de la guerre de Sécession (puisque les dirigeants des états sudistes sont contre l'abolition). D'où les méthodes pas toujours morales de ses partisans pour arriver à la majorité des 2/3 au niveau parlementaire. Spielberg avait sans doute l'ambition de filmer les débats parlementaires comme un film à procès (genre typiquement américain). Or le film est formellement étonnamment plat, sans relief. Et si le meilleur film politique de Spielberg était plutôt La Guerre des mondes, film fantastique mais qui taillait en pièces l'idéologie sécuritaire ?
HITCHCOCK (Sacha Gervasi, 6 fév) LL
Le film imagine le tournage de Psychose, l'un des grands films de Hitchcock, mais dont aucun producteur ne voulait (ils auraient préféré une suite au triomphal La Mort aux trousses). Ce n'est pas vraiment un exercice cinéphile (on voit peu le maître à l'oeuvre), pas un film de bon goût de manière générale : Anthony Hopkins n'est pas vraiment fabuleux. Mais c'est dans la fantaisie ironique que le film s'en sort le mieux : le voyeurisme d'Hitchcock pris au pied de la lettre (il épie à travers une cloison ses actrices en train de se changer), ses rapports avec sa femme, et l'interprétation de Scarlett Johansson qui campe une Janet Leigh plus sensuelle que l'originale.
THE MASTER (Paul Thomas Anderson, 9 jan) LL
De retour de la Seconde Guerre mondiale, Freddie (Joaquin Phoenix), aussi alcoolique et violent que brisé, rencontre un leader charismatique (Philip Seymour Hoffman, à la limite du cabotinage) en pleine ascension, un personnage lointainement inspiré de Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie. Lequel va avoir le plus besoin de l'autre ? Dans ce long film à grand sujet, très ambitieux, il y a quelques scènes d'anthologie, mais l'ensemble ne convainc pas complètement, aussi formellement appuyé que peu consistant sur le fond.
HAPPINESS THERAPY (David O. Russell, 30 jan) L
Après 8 mois d'internement en hôpital psychiatrique, Pat, la trentaine bien sonnée, sort et revient habiter chez ses parents. Chez un couple d'amis, il rencontre Tiffany (Jennifer Lawrence), qui, pense-t-il, peut l'aider à reconquérir son ex. Tiffany est une jeune veuve très sexuée mais dépressive, qui a pris les mêmes médicaments que lui... Une comédie romantique post-dépressive c'est une bonne idée, sauf que la mise en scène est vraiment laide. Pour ne rien arranger De Niro, dans le rôle du père de Pat, cabotine en roue libre, à sauver néanmoins la dernière 1/2 heure et l'abattage de Jennifer Lawrence.
RENOIR (Gilles Bourdos, 2 jan) L
Nous sommes en 1915 dans la propriété azuréenne du peintre Auguste Renoir. Il fait la rencontre d'un nouveau modèle, Andrée (Christa Théret, lumineuse), également première muse de Jean Renoir, le fils d'Auguste, revenu blessé de la guerre, et futur cinéaste... Sur le papier, une ode au cinéma et à la peinture. Mais au final, malgré quelques jolies scènes, l'ensemble est très académique (c'est une croûte !), et même l'immense Michel Bouquet, dans le rôle du peintre, a l'air de pontifier...
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Il n'y a pas que le ciné dans la vie
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