1. Leto (Kirill Serebrennikov, Russie)
2. Une affaire de famille (Hirokazu Kore-Eda, Japon)
3. Mes provinciales (Jean-Paul Civeyrac, France)
4. La Douleur (Emmanuel Finkiel, France)
5. Senses (Ryûsuke Hamaguchi, Japon)
6. Le Poirier sauvage (Nuri Bilge Ceylan, Turquie)
7. Burning (Lee Chang-Dong, Corée du Sud)
8. Phantom thread (Paul Thomas Anderson, Etats-Unis)
9. Seule sur la plage la nuit (Hong Sang-Soo, Corée du Sud)
10. Trois visages (Jafar Panahi, Iran)
11. En guerre (Stéphane Brizé, France)
12. Cold war (Pawel Pawlikowski, Pologne)
13. BlacKKKlansman (Spike Lee, Etats-Unis)
14. Ready player one (Steven Spielberg, Etats-Unis)
15. Amin (Philippe Faucon, France)
Viennent ensuite (top 15 alternatif) : La Tendre indifférence du monde (Adilkhan Yerzhanov, Kazakhstan), L'Apparition (Xavier Giannoli, France), Les Bonnes manières (Juliana Rojas, Marco Dutra, Brésil), Girl (Lukas Dhont, Belgique), Le Temps des forêts (François-Xavier Drouet, France), Amanda (Mikhaël Hers, France), De chaque instant (Nicolas Philibert, France), L'Ile aux chiens (Wes Anderson, Etats-Unis), Pupille (Jeanne Herry, France), Parvana (Nora Twomey, Irlande/Canada), Yéti & compagnie (Karey Kirkpatrick, Jason Reisig, Etats-Unis), Fortunata (Sergio Castellitto, Italie), Nul homme n'est une île (Dominique Marchais, France), Cornélius, le meunier hurlant (Yann Le Quellec, France), Lady Bird (Greta Gerwig, Etats-Unis)
- Bravo : Leto (Kirill Serebrennikov), Une affaire de famille (Hirokazu Kore-Eda)
- Bien : Pupille (Jeanne Herry), Yéti & compagnie (Karey Kirkpatrick, Jason Reisig), Un amour impossible (Catherine Corsini), Miraï, ma petite soeur (Mamoru Hosoda), Marche ou crève (Margaux Bonhomme)
- Pas mal : L'Homme fidèle (Louis Garrel), Mon cher enfant (Mohamed Ben Attia), Hard eight (Paul Thomas Anderson), Lola et ses frères (Jean-Paul Rouve), Bohemian Rhapsody (Bryan Singer), Premières solitudes (Claire Simon), Wildlife (Paul Dano), Les Chatouilles (Andréa Bescond, Eric Métayer), Astérix - Le secret de la potion magique (Alexandre Astier, Louis Clichy)
- Bof : Le Grand bain (Gilles Lellouche), Spider-Man : New generation (Peter Ramsey, Bob Persichetti, Rodney Rothman)
LETO (Kirill Serebrennikov, 5 déc) LLLL
Un été au début des années 1980 à Leningrad. L'heure n'est pas encore à la Glasnost ou à la Perestroïka, mais un groupe de musiciens s'échangent de la main à la main des enregistrements de David Bowie et Lou Reed. C'est dans ce contexte qu'on suit les efforts de Mike Naumenko, l'un des artistes locaux les plus talentueux du moment, pour émerger : le rock n'est pas interdit en URSS, mais chaque morceau doit recevoir l'aval de certaines autorités. Mike est un peu plus âgé que les autres, il est marié à la belle Natacha (Irina Starshenbaum, dont les regards sont aussi un peu les nôtres) lorsqu'il rencontre le jeune Viktor Tsoï, en qui il décèle un véritable potentiel. Le film a, on le voit, quelques points communs avec Cold War (y compris dans le choix du noir et blanc), mais il s'en distingue toutefois. La mise en scène de Pawel Pawlikowski était toute en maîtrise et en ellipses maximales, alors que celle de Kirill Serebrennikov fait le choix de l'immersion totale dans une génération, à travers quelques figures (les deux musiciens vedettes ont réellement existé) qu'on suit à la trace dans leur quotidien et leurs désirs d'émancipation. Cela donne lieu notamment à des scènes d'envolées jubilatoires, qui se concluent par un personnage indiquant qu'elles n'ont jamais existé... Bref, la fièvre juvénile face aux freins de l'ordre établi. Dans l'état d'esprit, c'est donc un des films les plus punks de l'année.
UNE AFFAIRE DE FAMILLE (Hirokazu Kore-Eda, 12 déc) LLLL
Une petite fille, visiblement battue, traîne dans la rue, et est recueillie par une famille... La famille est le sujet de prédilection de Kore-Eda depuis une bonne douzaine d'années, ce qui a donné des films sensibles, parfois franchement réussis ( Still walking), parfois mineurs ( I wish). Mais ici, il n'y a pas beaucoup de liens du sang dans cette cellule chaleureuse qui fait cohabiter trois générations. L'éducation est elle-aussi très alternative : la fille aînée s'exhibe dans un peep-show, tandis que le fils pré-ado fait souvent les courses, parfois accompagné de son père, mais sans jamais passer à la caisse... Le scénario est formidable, car il procède par petites touches, loin de rails programmatiques tout faits, mais en plus il est exécuté avec une grande intelligence. Hirokazu Kore-Eda pratique ici un cinéma inspiré et méticuleux, presque bressonien (pas seulement pour les pickpockets, mais aussi pour tout un art de la métonymie, par exemple quelques oranges qui roulent par terre deviennent poignantes...), tout en abordant avec grâce des thématiques fortes, qu'elles soient existentielles (la mort, la sexualité) ou sociales (la survie dans la pauvreté, la toute-puissance du patronat, l'insuffisance des couvertures sociales). Un sommet assez transgressif dans la carrière du cinéaste, et une Palme d'or méritée (même si plusieurs films étaient du même niveau, dans une sélection de très haute tenue).
PUPILLE (Jeanne Herry, 5 déc) LLL
Pupille est le nom donné aux enfants nés sous X et confiés à leur naissance par leur mère biologique aux services d'adoption. Le film raconte en parallèle les trajets respectifs d'un de ces nourrissons et de la mère adoptante (Elodie Bouchez), mais avec des temporalités différentes (trois mois pour le premier et huit ans pour la seconde). Il montre toute la chaîne des intervenants, de l'assistance sociale (Clotilde Mollet) qui recueille les volontés de la mère biologique au tuteur provisoire (Gilles Lellouche) qui recueille provisoirement l'enfant pendant deux mois (délai de rétractation) puis pendant le temps que le comité (présidé par Miou-Miou, la mère de la cinéaste) attribue l'enfant à sa famille définitive. Le film est très instructif, sans être documentaire (il fait confiance en la fiction). Et il le fait sans dogmatisme idéologique : les services sociaux cherchent les meilleurs parents pour les enfants, et non l'inverse (ce qui peut être douloureux à entendre). Et il montre qu'être parent adoptif est plus exigeant qu'être parent de ses enfants biologiques, notamment parce qu'il faut créer avec retard le lien d'attachement, et que l'enfant aura le droit de faire des recherches sur ses origines.
YETI & COMPAGNIE (Karey Kirkpatrick, Jason Reisig, 17 oct) LLL
Je rattrape tardivement ce film d'animation qui se passe dans une communauté de yétis vivant en autarcie au sommet d'une montagne. Un chef spirituel affirme, pierres illustrées à l'appui, que les humains, les "petits pieds" (d'où le titre original Smallfoot), n'existent pas. Un petit groupe d'iconoclastes pensent le contraire... S'il peut se suivre dès l'âge de six ans, le film est doté d'un scénario très habile qui parlera à tous les âges, mélangeant avec une certaine grâce un humour immédiat, des allusions contemporaines (téléphones portables et vidéos virales côté humain) et des aspects hautement philosophiques (réflexions sur la coexistence entre espèces, mais aussi sur les fonctions des religions). Une très bonne surprise.
UN AMOUR IMPOSSIBLE (Catherine Corsini, 7 nov) LLL
Catherine Corsini a modifié certains prénoms, mais il s'agit bien d'une adaptation du roman éponyme de Christine Angot sur sa mère. L'histoire de Rachel, une jeune femme juive de milieu modeste qui tombe amoureuse de Pierre, un jeune homme séduisant, grand bourgeois pervers, qui ne manquera pas de l'humilier plus ou moins subtilement. De cette passion inégalement partagée naîtra une fille, Chantal. Pierre, qui s'est éloigné et a fait sa vie ailleurs, fera souffrir la mère et la fille... C'est une saga qui traverse plusieurs décennies, sans s'appesantir sur la reconstitution, présente mais pas insistante. Le film trouve un équilibre bien senti entre le destin bouleversant de la mère (Virginie Efira, impressionnante et très subtile dans un registre inattendu) et les mots tranchants en voix off de la fille (et future romancière). Le film, par son aspect social, peut aussi rappeler le travail d'Annie Ernaux, et est une des meilleures réussites de la réalisatrice.
MIRAÏ, MA PETITE SOEUR (Mamoru Hosoda, 26 déc) LLL
Kun est un petit garçon heureux, jusqu'à l'arrivée de sa petite soeur Miraï. Face à ce bébé qui monopolise l'attention de ses parents, il ressent de la jalousie (comme le chien de la famille a pu en ressentir à son arrivée). Mamoru Hosoda ( Les Enfants loups, Ame & Youki) traite d'un sujet universel, mais en y apportant une touche fantastique dont il a le secret : Kun est régulièrement et temporairement propulsé dans le passé ou dans le futur, rencontrant des membres de sa famille à des âges divers (par exemple sa petite soeur à l'adolescence). Il va apprendre à s'adapter à la nouvelle situation, à grandir... ou à faire du vélo ! Visuellement, ce film d'animation est une grande réussite, car Mamoru Hosoda est un vrai cinéaste tout court qui sait composer des plans et prêter une grande attention à ses personnages...
MARCHE OU CREVE (Margaux Bonhomme, 5 déc) LLL
Elisa, adolescente fougueuse, passe l'un de ses derniers étés dans la maison familiale du Vercors où elle a grandi. Elle fait de l'escalade mais surtout elle s'occupe, avec son père mais en l'absence de sa mère, qui a quitté le foyer quelque temps auparavant, de sa soeur lourdement handicapée. La relation entre les deux soeurs est passionnelle mais aussi exclusive, laissant peu de place aux amoureux : la responsabilité n'est-elle pas écrasante pour une jeune fille qui rêve de voler de ses propres ailes et de poursuivre ses études ailleurs ? Ce premier film n'est jamais édifiant, il ne fait pas le malin mais trouve toujours les bonnes solutions. Globalement, l'interprétation est au diapason, et Diane Rouxel est en particulier excellente, bien qu'un peu âgée pour le rôle.
L'HOMME FIDELE (Louis Garrel, 26 déc) LL
Marianne quitte précipitamment Abel pour se marier avec Paul, dont elle est enceinte. Neuf ans plus tard, Paul meurt, et Abel et Marianne se rapprochent à nouveau, au grand dam de Eve, la petite soeur de Paul devenue adulte et amoureuse depuis toujours d'Abel. Joseph, le fils de Marianne, est lui aussi contrarié, d'autant plus qu'il soupçonne sa mère d'avoir tué Paul... Le scénario, savoureux, est co-écrit par Jean-Claude Carrière. Certes le film semble parfois un rien artificiel (pendant la séance) mais vieillit bien dans la tête par la suite. Peut-être parce qu'il rend discrètement hommage, mais sans surcharge, à plusieurs figures de la Nouvelle Vague : Truffaut pour la fantaisie littéraire (trois voix off !), Chabrol pour le petit suspense goguenard, et Godard pour une déambulation à toute allure dans un monument de Paris...
MON CHER ENFANT (Mohamed Ben Attia, 14 nov) LL
Riadh et Nazli sont des parents inquiets : leur fils unique, Sami, qui doit passer le bac en fin d'année, est régulièrement en proie à des maux de tête. Un jour, il disparaît : il est parti pour la Syrie... Pour son deuxième long métrage après le prometteur Hedi, Mohamed Ben Attia réussit à aborder un sujet difficile en évitant les explications trop simples qui ont parfois cours en France, la fameuse (et fumeuse) théorie du grand continuum, qui permet les amalgames les plus injustes (entre islam et islamisme, ou entre communauté et communautarisme). Il choisit de faire le portrait d'un père désemparé par le choix de son fils. On regrettera juste que ce personnage reste, dans l'émotion, toujours sur la même note tout au long du film.
HARD EIGHT (Paul Thomas Anderson, 21 nov) LL
C'est peut-être le succès critique et public de Phantom Thread, petite merveille de maturité, qui vaut à ce film, le premier long métrage de Paul Thomas Anderson, d'arriver sur nos écrans, au bout de 22 ans... Dans une station service entre Reno et Las Vegas, on rencontre John (John C. Reilly), un trentenaire qui n'a même pas de quoi payer l'enterrement de sa mère. Il rencontre Sydney, un élégant et mystérieux sexagénaire (Philip Baker Hall), qui lui apprend à devenir joueur professionnel et à gagner beaucoup d'argent au casino. Les combines sont improbables, mais c'était déjà le cas de la Baie des anges de Demy. Le film, poisseux et désabusé, n'est pas follement original mais n'a pas la démesure prétentieuse de certains films postérieurs du cinéaste ( Punch-Drunk Love, The Master). Plaisant.
LOLA ET SES FRERES (Jean-Paul Rouve, 28 nov) LL
Une soeur et deux frères, entre 35 et 47 ans. On les suit dans les événements assez communs de leur existence : le troisième mariage de l'un, le licenciement de l'autre, une naissance, une rencontre... Cinématographiquement, il n'y a pas grand chose à en dire : les spectateurs exigeants n'auront pas plus de grain à moudre que les spectateurs moins attentifs. Pour autant, et si vous êtes sensibles à ce genre d'arguments, le film est très chaleureux avec ses personnages (comme avec son public). On a plaisir à retrouver Ludivine Sagnier (trop rare à l'écran ces dernières années), et à trouver José Garcia plus touchant que d'habitude. Quelques scènes (au Pôle emploi ou dans un bar-karaoké) sont particulièrement réussies, tout comme le personnage du jeune étudiant snob incapable de simplicité, même pour dire les choses les plus triviales...
BOHEMIAN RHAPSODY (Bryan Singer, 31 oct) LL
Bohemian Rhapsody, c'est l'un des morceaux les plus extravagants et opératiques du groupe Queen, un de ceux qui échappaient à tout formatage. Reprendre ce titre pour intituler ce biopic de la vie et l'oeuvre de Freddy Mercury était donc prometteur. Le résultat, jamais désagréable, est beaucoup plus convenu. L'histoire telle qu'elle est racontée est empreinte d'une vision très hollywoodienne de la réussite individuelle des self made men, à l'image de certains hymnes plus formatés du groupe ( We are the champions), et ne nous apprend pas grand chose qu'on ne savait déjà. L'esprit rock, paradoxalement un peu absent ici, est beaucoup plus présent dans Leto de Kirill Serebrennikov, sorti quelques semaines plus tard.
PREMIERES SOLITUDES (Claire Simon, 14 nov) LL
Claire Simon a proposé à une dizaine d'élèves d'une classe de première L option cinéma d'un lycée d'Ivry sur Seine de filmer leurs discussions entre eux, avec toujours le même dispositif : l'un ou l'une d'entre eux lance un sujet et écoute activement la réponse, rebondissant parfois sur ce que dit l'autre. Les jeunes découvrent les difficultés familiales ou sociales de leurs camarades de classe. Ce qui frappe ici c'est leur capacité d'empathie, qui permet la franchise des confidences. Si l'exercice a des vertus pédagogiques pour les élèves, cela reste cinématographiquement un documentaire un peu ténu qui n'a pas forcément l'ampleur de certains précédents films de la cinéaste ( Le Concours).
WILDLIFE (Paul Dano, 19 déc) LL
1960. Joe, un garçon de 14 ans, voit ses parents s'éloigner l'un de l'autre : employé d'un terrain de golf viré pour une trop grande proximité avec la riche clientèle, son père finit par rejoindre une équipe chargée d'éteindre le feu dans les proches montagnes du Montana, au grand dam de la mère. La plupart des scènes sont filmées du point de vue de l'adolescent, qui semble parfois le plus mûr des trois, même s'il s'agit également d'une difficile conquête d'indépendance de la mère (un grand rôle pour Carey Mulligan). Le problème, c'est que le film définit très tôt son programme, et ne s'en départit jamais. Et surtout, la mise en scène est trop atone, scolaire, à la limite de l'académisme, pour convaincre complètement.
LES CHATOUILLES (Andréa Bescond, Eric Métayer, 14 nov) LL
Les "chatouilles", c'est en réalité les agressions sexuelles voire viols dont a été victime le personnage principal de ce film, qui tourne autour de la prise de conscience et du travail de résilience. Sur le fond, Les Chatouilles, basé sur l'expérience réelle de sa coréalisatrice Andréa Bescond, est inattaquable. On peut par contre trouver la forme choisie (décalages incessants, happenings psy) comme souvent maladroite ou contre-productive. Cela tient sans doute à l'origine du projet, qui est une transposition d'un one-woman-show d'Andréa Bescond, qui fonctionnait sans doute beaucoup mieux sur les planches, où elle tenait tous les rôles (ce qui faisait sans doute mieux passer les digressions ou les second rôles à la limite de la caricature). Une captation du spectacle, avec le même contenu tant pédagogique pour les spectateurs que thérapeutique pour l'artiste, aurait sans doute été plus convaincant.
ASTERIX - LE SECRET DE LA POTION MAGIQUE (Alexandre Astier, Louis Clichy, 5 déc) LL
Après une mauvaise chute, le druide Panoramix se cherche un successeur dans toute la Gaule, attisant l'intérêt de Sulfurix, un autre druide, passé du côté obscur. Le scénario est original, mais coche toutes les cases de ceux écrits par Goscinny (garnison romaine qui se prend une tannée, bagarres avec du poisson, bateaux de pirates qui coulent, César dans son bain etc). L'élément nouveau, c'est une place plus importante accordée aux femmes et aux enfants. Le résultat est assez mitigé : il y a des moments amusants, mais l'animation, trop caricaturale, est impuissante à distiller le même plaisir que les bandes dessinées (qui tiennent la route parce que l'imagination du lecteur travaille).
LE GRAND BAIN (Gilles Lellouche, 24 oct) L
Des hommes en souffrance dans leur vie professionnelle ou familiale se mettent à la natation synchronisée... Le film est devenu un phénomène de société. Certains sociologues y voient un désir de collectif, inassouvi dans le néolibéralisme ambiant, très individualiste. De près, le film peut avoir des aspects moins sympathiques (naïvetés du genre "quand on veut on peut", inégalités dans le traitement des personnages : un homme racisé qui n'est défini que par le fait qu'il ne parle pas français, des coachs féminines réduites à un seul trait de caractère). Cinématographiquement, le film est tellement prémâché que les cinéphiles, au lieu du grand plongeon, risquent de rester dans le petit bassin. Reste la tentation de lui accorder la moyenne, parce que ce n'est qu'une comédie, dans laquelle Amalric et Katerine sont attachants, et parce qu'on n'a pas envie de voir Gilles Lellouche redoubler (Le Grand bain 2, non merci...).
SPIDER-MAN : NEW GENERATION (Peter Ramsey, Bob Persichetti, Rodney Rothman, 12 déc) L
Spider-Man est sans doute le super-héros le plus attachant, car il reçoit ce don alors qu'il n'est pas encore adulte, et doit continuer à grandir avec. La nouveauté ici c'est qu'il y a plusieurs Spider-Man. C'est ce que va découvrir Mike Morales, un ado métis de Brooklyn qui va être mordu par l'araignée radioactive qui lui confère les supers-pouvoirs. Grâce à des paradoxes spatio-temporels et des dimensions supplémentaires, il va croiser des homologues, dont un Peter Parker devenu quadragénaire et bedonnant. C'est tout ce qu'on peut sauver de ce film, qui par ailleurs est très binaire (lutte pétaradante des gentils contre les méchants). Et surtout, visuellement, c'est une bouillie indigeste qu'on ne devrait pas appeler cinéma.
- Bien : Cold war (Pawel Pawlikowski), La Tendre indifférence du monde (Adilkhan Yerzhanov), Le Temps des forêts (François-Xavier Drouet), Amanda (Mikhaël Hers), En liberté ! (Pierre Salvadori), Le Grand bal (Laetitia Carton), L'Amour flou (Romane Bohringer, Philippe Rebbot), Le Procès contre Mandela et les autres (Nicolas Champeaux, Gilles Porte)
- Pas mal : First man (Damien Chazelle), Yomeddine (A.B. Shawky), I feel good (Benoît Delépine, Gustave Kervern)
- Bof : High life (Claire Denis)
COLD WAR (Pawel Pawlikowski, 24 oct) LLL
En Pologne, à la fin des années 1940, Wiktor, un pianiste et professeur de musique, est chargé de recruter des talents issus des classes populaires, afin de transfigurer les chants et danses folkloriques et en faire une vitrine qui glorifie le peuple. Il s'entiche rapidement de Zula, qui ne l'impressionne pas seulement par la justesse de sa voix, mais aussi par une personnalité très affirmée (irrésistible Joanna Kulig). S'ensuit pendant une quinzaine d'années une histoire d'amour contrariée (lorsqu'il a choisi l'exil, elle n'a pas pu ou voulu le suivre), avec ellipses et retrouvailles, sur le mode du "ni avec toi ni sans toi" doublé d'une autre impossibilité (ni à l'Est ni à l'Ouest et pas davantage en terrain neutre...). La forme, récompensée à Cannes par le prix de la mise en scène, est très travaillée, entre un noir et blanc somptueux, plus contrasté que celui de Ida, et une bande son riche en sessions musicales, chargée de sens et de ravissement pour les oreilles. Un grand film classique mais pas académique.
LA TENDRE INDIFFERENCE DU MONDE (Adilkhan Yerzhanov, 24 oct) LLL
Une mère criblée de dettes demande à sa fille Saltanat d'aller en ville rejoindre un oncle qu'elle ne connait pas mais qui propose de renflouer petit à petit la famille, à ses conditions. La jeune femme est accompagnée par son ami d'enfance Kuandyk, une douce brute qui veille (amoureusement) sur elle. Le film vient du Kazakhstan, mais ne fait pas dans le pittoresque pour autant. Au contraire, chaque plan frappe par la précision du cadre, ou de chaque détail : quelques gouttes de sang qui tombent sur une fleur, le rouge intense de la robe de l'héroïne, une poésie visuelle constante (belle scène d'évasion... au milieu d'un empilement de containers !). On pense parfois aux premiers films de Kaurismaki pour la mise en scène qui dit beaucoup avec peu (les règlements de compte sont réduits à leurs conséquences, la violence est souvent hors champ, ou nimbée d'humour burlesque) ou pour les personnages parfois esthètes, qui citent Stendhal... et Jean-Paul Belmondo ! Il y a bien une ou deux coquetteries (un plan filmé de façon gratuite derrière un aquarium), mais l'ensemble est réjouissant, et Yerzhanov un cinéaste à suivre.
LE TEMPS DES FORÊTS (François-Xavier Drouet, 12 sep) LLL
Si le climat, l'énergie ou l'alimentation sont des classiques des discours des écologistes insoumis ou modérés, et sont passés dans les préoccupations courantes de personnes assez éloignées de la politique, les enjeux liés à la forêt sont moins évoqués et moins connus (même s'il existe un livret thématique forêt lié au programme de la France insoumise). Et pourtant... Le documentaire de François-Xavier Drouet, de facture classique, vient combler ce manque, en faisant intervenir de multiples acteurs de la filière. Le territoire français ne souffre pas de déforestation, mais plutôt de "malforestation", c'est-à-dire d'une exploitation calquée sur le modèle de l'agriculture intensive (coupes rases par des engins surpuissants, dégradation des sols et de la biodiversité, monocultures de résineux, malaise social et suicides à l'ONF, demande croissante due à la mondialisation capitaliste etc). Pourtant des alternatives viables existent, à condition de s'éloigner de la logique de maximisation du profit immédiat.
AMANDA (Mikhaël Hers, 21 nov) LLL
David a 24 ans, et vit de plusieurs petits boulots : il est entre autres élagueur pour la mairie de Paris (il aime bien grimper aux arbres). Sa petite existence est remise en cause lorsque sa grande soeur, dont il était très proche, meurt brutalement dans un attentat. Il doit alors encaisser le choc, tout en prenant en charge Amanda, sa petite nièce de 7 ans... Comme dans ses deux premiers longs métrages ( Memory lane, Ce sentiment de l'été), Mikhaël Hers filme la perte, les deuils à faire, ou plutôt les deuils qui nous font... Mais il le fait en reliant ces éléments personnels, qui font partie d'une intemporelle condition humaine, à une observation contemporaine de la marche du monde. C'est l'aspect intime qu'il réussit le mieux. Sa mise en scène reste d'une grande délicatesse. La lumière estivale et le grain si particulier de l'image permettent d'accompagner les personnages d'une enveloppe chaleureuse, mais aussi de la trace invisible de l'absente... Côté interprétation, Vincent Lacoste est à son meilleur.
EN LIBERTE ! (Pierre Salvadori, 31 oct) LLL
Yvonne, jeune inspectrice de police, découvre que son mari, le capitaine Santi, héros local tombé au combat, n'était pas le flic courageux et intègre qu'elle croyait mais un véritable ripou. Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d'Antoine, injustement incarcéré par Santi pendant huit longues années... Dans ce film très éloigné des comédies industrielles formatées, l'humour emprunte des registres si variés qu'on ne sait pas toujours d'où il va surgir ni quelles formes il va prendre : comique de répétition (la parodie de mauvais film d'action est pénible la première fois, mais est très drôle une fois qu'on a compris de quoi il s'agissait - le récit qu'Yvonne fait le soir à son fils des exploits de son père - et les variations à suivre), humour noir voire macabre, comique de situation ou à l'opposé très humain en exagérant les défauts ou caractères des personnages comme dans une comédie romantique ou à l'italienne. Mention spéciale aux comédiens, Adèle Haenel et Damien Bonnard en particulier.
LE GRAND BAL (Laetitia Carton, 31 oct) LLL
Le grand bal en question, c'est un festival d'une semaine qui a lieu chaque été à Gennetines, une commune rurale de l'Allier. Pendant la journée, on y apprend des danses traditionnelles françaises ou européennes, avant la mise en pratique dans les bals programmés le soir et tout une partie de la nuit. Comme dans son film précédent ( J'irai vers toi avec les yeux d'un sourd), Laetitia Carton fait preuve d'une grande capacité d'immersion. Derrière la belle surface (des séquences de danse impressionnantes et/ou chaleureuses), on s'interroge : compte tenu du niveau affiché, cette manifestation, qui attire des personnes de tous les âges, est-elle élitiste ou inclusive ? Le documentaire pose aussi des questions essentielles : sur les rapports à soi, au groupe, à l'autre, au(x) corps, sur les rapports femmes/hommes. Il n'y a pas de musique préenregistrée, elle est jouée en direct par des musiciens absolument remarquables et d'une grande sensibilité. Un documentaire beau et inattendu.
L'AMOUR FLOU (Romane Bohringer, Philippe Rebbot, 10 oct) LLL
Après dix ans de vie commune, Romane et Philippe se séparent. Ils décident d'emménager dans deux appartements contigus, avec une pièce commune pour permettre aux enfants de passer facilement de chez papa à chez maman... Si la situation peut faire penser au beau drame social L'Economie du couple, le traitement est tout autre. Cette autofiction, puisque cette situation familiale est réelle, n'est pas non plus nombriliste : le ton est celui d'une comédie inventive, accueillante (on ne reste pas au seuil) et généreuse (on y convoque Reda Kateb pour un personnage secondaire fictif de fada des chiens, ou encore la députée Clémentine Autain dans son propre rôle, même si dans cette scène savoureuse elle semble moins à l'aise que dans les débats réels). Bref, une bonne surprise.
LE PROCES CONTRE MANDELA ET LES AUTRES (Nicolas Champeaux, Gilles Porte, 17 oct) LLL
En novembre 1963 s'ouvre à Pretoria le procès de neufs dirigeants d'une branche de l'ANC (dont Nelson Mandela), accusés d'actes de sabotage. Les prévenus vont en faire une tribune contre l'apartheid. Ils évitent la peine de mort mais, condamnés à perpétuité, vont rester un quart de siècle en prison. Il n'existe aucune image du procès, mais des centaines d'heures d'enregistrement audio. Ce documentaire interroge, en leur faisant écouter des extraits de ces archives historiques, les trois survivants, mais aussi Winnie Mandela ou le fils du procureur. Enfin, et ce n'est pas le moindre atout du film, la puissance des paroles et des discours est rehaussée par l'expressivité des croquis animés de l'illustrateur Oerd Van Cuijlenborg. Encore une fois, documentaire et animation peuvent faire bon ménage.
FIRST MAN (Damien Chazelle, 17 oct) LL
Un biopic de Neil Armstrong, le premier homme ayant marché sur la Lune. Ce qui frappe, c'est le relatif inconfort et la précarité des engins spatiaux, prompts à s'enflammer lorsqu'ils traversent l'atmosphère terrestre. L'autre aspect récurrent du film, c'est la relative froideur du héros, qui semble s'interdire l'accès à ses émotions depuis la mort de sa fille, emportée en bas âge par un cancer. Il y a aussi quelques séquences critiques par rapport aux dépenses faramineuses englouties par la conquête spatiale. Néanmoins, le film, s'il est plaisant (et n'est pas une glorification de la souffrance comme l'étaient les précédents films de Damien Chazelle), reste dans un registre assez convenu : s'il est moins sexiste que Gravity, il est aussi formellement beaucoup moins inspiré. Sidéral mais pas sidérant.
YOMEDDINE (A.B. Shawky, 21 nov) LL
Un lépreux quitte la léproserie où il avait été abandonné enfant, pour retrouver trace de sa famille. Un gamin orphelin, qui s'était attaché à lui, l'accompagne dans son périple... L'aspect réussi du film, c'est sa chaleur, son humanisme, qui nous rend immédiatement sympathique son personnage principal (un peu comme David Lynch l'avait fait dans Elephant man). Sa limite, c'est qu'avec son road movie sans aspérité mâtiné de feel good movie, ce premier long métrage semble cocher toutes les cases d'un world cinéma pittoresque rempli de bons sentiments (la mise en scène n'a jamais l'ampleur de celle de Central Do Brasil de Walter Salles, par exemple).
I FEEL GOOD (Benoît Delépine, Gustave Kervern, 26 sep) LL
C'est l'histoire d'un frère et d'une soeur qui ont eu la chance d'avoir des parents communistes. Tandis qu'elle (Yolande Moreau) anime une communauté Emmaüs, lui a mal tourné : croyant au discours dominant (il a pour idole Bill Gates et Bernard Tapie), il cherche l'idée qui fera de lui un millionnaire... Le personnage, interprété par Jean Dujardin, est un peu trop chargé pour être crédible, malgré des dialogues mordants (" faut que tu sortes de ta zone de confort", " je veux être dans le haut du panier de crabes", " le but du jeu c'est de faire bosser les autres"). Les deux cinéastes livrent un film sympathique, qui préfère les terriens aux jupiteriens, mais sans l'inventivité de leurs plus belles réussites ( Louise-Michel, Le Grand soir).
HIGH LIFE (Claire Denis, 7 nov) L
Le début est intriguant : un cosmonaute est seul avec un bébé à l'intérieur d'un vaisseau spatial, sans apesanteur, avec une sorte de jardin au centre et tout un ensemble de dispositifs de recyclage. Par des retours en arrière, on va comprendre d'où vient cette situation inédite, et ce n'est pas triste : s'il était publié, le scénario original figurerait parmi les plus faibles romans de science-fiction. Un galimatias où il est question d'un équipage entièrement composé de criminels condamnés à perpétuité ou à mort, d'expériences de reproduction (médicalement très assistée) dans l'espace, d'une fumeuse mission à l'approche d'un trou noir... Claire Denis pratique en général un cinéma expérimental et charnel souvent stimulant. Mais ici, en dépit de quelques visions rappelant l'univers de Tarkovski, le ratage est à la hauteur de l'ambition.
- Bien : Amin (Philippe Faucon), Girl (Lukas Dhont), Leave no trace (Debra Granik), Nos batailles (Guillaume Senez), Libre (Michel Toesca), Chris the Swiss (Anja Kofmel), Mademoiselle de Joncquières (Emmanuel Mouret)
- Pas mal : Contes de juillet (Guillaume Brac), Un peuple et son roi (Pierre Schoeller), Invasion (Kiyoshi Kurosawa), Première année (Thomas Lilti), The House that Jack built (Lars Von Trier)
- Bof : Les Frères Sisters (Jacques Audiard)
AMIN (Philippe Faucon, 3 oct) LLL
Amin, venu du Sénégal pour travailler en France, a laissé au pays sa femme Aïcha et leurs trois enfants, qu'il ne voit qu'une ou deux fois par an. En France, toute sa vie est absorbée par son travail et il n'a pour seule compagnie que ses amis du foyer. Jusqu'au jour où il rencontre Gabrielle... Le cinéma de Philippe Faucon est de plus en plus ample (le succès public et critique de Fatima y a sans doute contribué). En racontant cette histoire de travailleurs immigrés, il a tourné à la fois au Sénégal et en France. Loin d'être une abstraction ou une statistique dans des débats hexagonaux frileux voire nauséabonds, les personnages y acquièrent une vraie épaisseur, de vraies aspirations et élans sentimentaux. Sans jamais tomber dans la démonstration, Philippe Faucon y aborde de nombreux sujets, dans une ligne claire (avec une superbe photographie) mais non didactique.
GIRL (Lukas Dhont, 10 oct) LLL
Lara a 15 ans. Elle a changé d'établissement scolaire, et voudrait devenir danseuse étoile. Mais son corps se plie difficilement à la discipline que requiert cette quête, d'autant plus que l'adolescente est née garçon... Voici un premier film très maîtrisé (lauréat de la Caméra d'or à Cannes), même si la route qu'il suit a déjà été balisée (par Billy Elliot et surtout Tomboy de Céline Sciamma). Pour arriver à ses fins, Laura suit un traitement hormonal qui lui permettra peut-être de subir l'opération, si importante à ses yeux, qui lui permettrait de faire coïncider son corps biologique avec l'identité de son intériorité. Lukas Dhont a choisi d'éviter les clichés : dans toutes ses épreuves, Lara peut s'appuyer sur le soutien indéfectible de son père (Arieh Worthalter, magnifique), d'autant plus qu'il n'y a pas de mère (l'élément féminin de la famille c'est bien elle). Enfin, le miracle du film, c'est d'avoir trouvé en Victor Polster un interprète incroyable, dans le sens où il est d'une maturité exceptionnelle dans ce rôle délicat alors même que sa puberté n'est pas terminée.
LEAVE NO TRACE (Debra Granik, 19 sep) LLL
Un père et sa fille adolescente, Tom, vivent clandestinement, de façon débrouillarde mais chichement, au fin fond d'un parc national de l'Oregon. Un jour, ils sont chassés de leur campement, et les services sociaux leur proposent un toit, un job pour le père, une vie "normale"... On ne comprend pas d'emblée les raisons qui ont poussé cet homme à adopter ce mode de vie : précarité, marginalité subie ou volontaire, rejet de la société de consommation (il indique à sa fille que quoi qu'il arrive ils garderont leur liberté de penser). On apprend petit à petit que c'est un ancien soldat. Pendant ce temps, sa fille semble s'épanouir autant au contact de la nature que dans celui avec autrui... Formellement, la cinéaste semble tirer partie des moindres situations concrètes, tout en abordant avec délicatesse des thématiques d'une grande richesse.
NOS BATAILLES (Guillaume Senez, 3 oct) LLL
Olivier est employé d'une plateforme de distribution et lutte, en tant que chef d'équipe et syndicaliste, pour améliorer au quotidien les conditions de travail de ses collègues. Un jour, sa femme Laura, vendeuse, sur laquelle il se reposait pour l'éducation de leurs deux enfants, quitte inopinément le foyer et disparaît. Du jour au lendemain, il lui faut donc tout assumer, entre ses responsabilités professionnelles et familiales. Si le deuxième long métrage de Guillaume Senez peut compter sur l'interprétation de Romain Duris dans un de ses meilleurs rôles, il ne sacrifie aucun personnage, de Laura (Lucie Debay) dans le prologue du film à la soeur comédienne et intermittente du spectacle (Laetitia Dosch), de la copine syndicaliste (Laure Calamy) à la mère (Dominique Valadié). Chaque scène, que ce soit dans le monde du travail ou au sein de la famille, fait mouche. Un beau travail naturaliste, dans le meilleur sens du terme.
LIBRE (Michel Toesca, 26 sep) LLL
Voici un documentaire certes militant mais pas politicien, autour de la figure de Cédric Herrou, qui cultive des oliviers et élève des poules dans la vallée de la Roya, dans un méandre de la frontière franco-italienne. On suit le combat de cet agriculteur qui aide les migrants pour le dépôt de demandes d'asile et la prise en charge des mineurs isolés. Il se met à la limite de la loi pour pallier la carence de l'Etat. Je retiens du documentaire que si être républicain signifie être attaché aux valeurs de la devise "Liberté, Egalité, Fraternité", alors Cédric Herrou l'est certainement davantage que la préfecture des Alpes maritimes, prise dans les injonctions contradictoires des lois successivement adoptées relatives à l'asile et l'immigration, de plus en plus sécuritaires dans le contexte français (et européen). Le conseil constitutionnel a cet été donné (en partie) raison à ces militants, en rappelant le principe de fraternité, inscrit dans la Constitution.
CHRIS THE SWISS (Anja Kofmel, 3 oct) LLL
La réalisatrice Anja Kofmel part enquêter sur son cousin plus âgé Christian Würtenberg, reporter de guerre assassiné en Croatie en janvier 1992. Qui était-il vraiment ? Un personnage multiple, agent secret, engagé par conviction dans une milice pro-croate internationale flirtant avec l'extrême droite, ou bien un journaliste infiltré ? Le film alterne séquences documentaires avec des témoins de l'époque, ainsi que de nombreuses séquences d'animation aux allures de cauchemars, pour évoquer le bourbier complexe que constitua la guerre civile, mais aussi les états d'âme de la réalisatrice et les traumas laissés dans sa famille par cet assassinat. Sur la forme, ce film hybride n'a pas la rigueur d'un Valse avec Bachir, mais il peut passionner précisément par ces tâtonnements...
MADEMOISELLE DE JONCQUIERES (Emmanuel Mouret, 12 sep) LLL
Madame de La Pommeraye, jeune veuve retirée du monde, cède à la cour d'un marquis à la réputation libertine. Lorsqu'elle découvre que celui-ci s'est lassé de cette relation, elle entérine leur rupture et décide de fomenter une vengeance... Le nouveau film d'Emmanuel Mouret marquera moins les mémoires cinéphiles que Les Dames du bois de Boulogne, précédente adaptation à l'écran de la nouvelle tirée du recueil Jacques le fataliste de Diderot. En effet, le style de Bresson, même sans être à son point culminant, faisait déjà toute la différence. Ici, l'adaptation est plus respectueuse, notamment en revenant à l'époque d'origine (le XVIIIè siècle) tout en ayant des résonances contemporaines. La qualité des dialogues introspectifs et la finesse de l'interprétation de Cécile de France et d'Edouard Baer font ressortir toutes les nuances des sentiments successifs.
CONTES DE JUILLET (Guillaume Brac, 25 juil) LL
Quelques semaines après son documentaire L'île au trésor, Guillaume Brac sort ce film, en réalité deux moyens métrages de fiction. La première partie, intitulée L'amie du dimanche, se passe d'ailleurs en grande partie sur la base de loisirs de Cergy-Pontoise qui était le lieu et le sujet du documentaire. La seconde partie, Hanne et la Fête nationale, est centrée sur une étudiante norvégienne qui s'apprête à quitter Paris pour la pause estivale. Dans les deux cas, elles se font aborder par des garçons, et tout ne se passe pas forcément très bien (on peut passer de la légèreté à la souffrance). Toute ressemblance avec l'univers d'Eric Rohmer (en particulier Conte d'été) est loin d'être fortuite. Même si la démarche est plus modeste, moins intellectualisée, la finesse de l'observation donne à l'ensemble un certain intérêt.
UN PEUPLE ET SON ROI (Pierre Schoeller, 26 sep) LL
Le film suscitait la curiosité : comment le réalisateur de L'Exercice de l'Etat (2011) allait-il aborder la Révolution française ? La réponse est contrastée. Ce qu'il réussit de mieux, c'est peut-être d'avoir créé comme fil rouge du film des figures du peuple de Paris (et des alentours), et de les avoir confié à une brochette d'excellents interprètes populaires (Adèle Haenel, Izia Higelin, Olivier Gourmet, Gaspard Ulliel). Pour autant, il n'en fait pas un feuilleton à la Vautrin ( Le Cri du peuple), la narration n'est pas uniquement centrée sur eux, le film peut se voir également comme une suite de tableaux couvrant la période allant de la prise de la Bastille en 1789 à l'exécution du roi en 1793 (désolé pour le spoiler). Il n'évite pas complètement l'écueil du survol (on aurait aimé voir davantage Céline Sallette en chanteuse révolutionnaire). On notera que Denis Lavant interprète Marat comme s'il s'agissait d'une rockstar, alors que Louis Garrel est plus sobre en Robespierre.
INVASION (Kiyoshi Kurosawa, 5 sep) LL
Des extraterrestres préparent l'invasion de la Terre. Ils prennent forme humaine et volent des "concepts" aux êtres humains qu'ils rencontrent, qui deviennent mutilés de notions essentielles. Kiyoshi Kurosawa réalise une nouvelle adaptation de la pièce de Tomohiro Maekawa qu'il avait déjà lui-même adapté il y a moins d'un an ( Avant que nous disparaissions). Cette sorte d'auto-remake abandonne le style pop (avec ruptures de ton tragi-comiques) de la première version. Il y a de jolies idées (le concept d'amour donne vraiment du fil à retordre à l'alien), et le film peut fonctionner pour qui n'a pas vu la version précédente, mais l'intérêt de cette variante reste néanmoins limité. Cependant, Invasion est également un montage raccourci d'une mini-série diffusée au Japon, ce qui peut expliquer que le film ne donne pas sur grand écran sa pleine mesure.
PREMIERE ANNEE (Thomas Lilti, 12 sep) LL
Suite à une dérogation, Antoine (Vincent Lacoste) entame sa troisième première année de médecine. Il a la vocation, et se lie d'amitié avec Benjamin (William Lebghil), un fils de médecin qui vient d'avoir son bac et souhaite reconquérir l'estime de son père. Le nouveau film du réalisateur-médecin Thomas Lilti (à qui l'on doit le beau Hippocrate) dénonce de façon juste le numerus clausus source d'un bachotage absurde, et s'appuie sur de bons interprètes. Mais il échoue à donner une forme véritablement cinématographique à un contenu assez répétitif. Mieux vaut (re)lire Les Trois médecins de Martin Winckler pour une approche enlevée, romanesque et critique de la formation des médecins.
THE HOUSE THAT JACK BUILT (Lars Von Trier, 17 oct) LL
C'est un film qui suit Jack (Matt Dillon, tout sauf lisse), un homme qui devient tueur en série, chaque crime devenant pour lui une sorte de création artistique... Dès les premières scènes, à l'humour sardonique, on reconnaît la sorte de malaise fécond et inconfortable, fécond parce qu'inconfortable, du style de Lars Von Trier. Jack est conçu d'emblée comme un double morbide du cinéaste qui s'amuse à entrecouper l'intrigue de digressions imparables sur l'histoire de l'art, y compris des images de ses propres films. Malheureusement, plus on avance dans le film, plus le sadisme prend de la place (quelques scènes sont difficilement soutenables), et le tout semble interminable et finalement assez gratuit. Lars Von Trier est un cinéaste toujours doué, mais la réussite à l'écran est plus aléatoire.
LES FRERES SISTERS (Jacques Audiard, 19 sep) L
Nous sommes en 1851, dans l'Oregon. Les Frères Sisters sont deux tueurs à gages. Ils sont missionnés par un mystérieux "Commodore" pour retrouver un détective chargé de suivre la trace d'un chercheur d'or visionnaire à plus d'un titre, et finir le boulot... La trame du film peut susciter de l'intérêt, même si elle n'est pas follement originale. Les deux frères ont en outre des caractères différents (le cadet est un meneur sans pitié, l'aîné est plus sensible). On trouvera aussi d'autres lectures, le problème étant qu'elles sont juste esquissées. Quant à la mise en scène, elle donne trop souvent l'impression d'une purge. Un deuxième film décevant d'Audiard après Dheepan.
- Bravo : Le Poirier sauvage (Nuri Bilge Ceylan), Burning (Lee Chang-Dong)
- Bien : BlacKKKlansman (Spike Lee), De chaque instant (Nicolas Philibert), The Guilty (Gustav Möller), Silent voice (Naoko Yamada)
- Pas mal : Une valse dans les allées (Thomas Stuber), Une pluie sans fin (Dong Yue), Guy (Alex Lutz), Au poste ! (Quentin Dupieux), Under the Silver Lake (David Robert Mitchell)
- Bof : Hôtel Artemis (Drew Pearce)
LE POIRIER SAUVAGE (Nuri Bilge Ceylan, 8 aou) LLLL
De retour, après la fin de ses études supérieures, dans son village natal, dans les Dardanelles, non loin du site archéologique de Troie, Dinan rêve de devenir écrivain, tout en passant le concours d'instituteur pour assurer ses arrières. Il a déjà écrit un essai, et met toute l'énergie nécessaire à rassembler l'argent pour être publié, alors que son père Idriss, instituteur, est montré du doigt pour avoir accumulé des dettes de jeu... Nuri Bilge Ceylan signe une nouvelle fresque de trois heures qui, au premier abord, semble moins caractéristique de son style, mais se révèle assez impressionnant d'amplitude et de profondeur. Le matériau du film est intime, romanesque, tout en interrogeant courageusement certains aspects de la société turque. Une nouvelle fois le cinéaste livre un film passionnant bien que le personnage principal masculin ne fasse rien pour être sympathique (il a l'ardeur mais aussi l'arrogance de sa jeunesse). Dans des images d'automne parfois superbes, l'oeuvre est plus bavarde qu'à l'accoutumée, mais chez lui les dialogues ne signifient pas un cinéma figé, au contraire la mise en scène en fait constamment un film en mouvement (y compris dans ces scènes là, voir par exemple la discussion avec les deux imams). Reparti bredouille de Cannes (projeté le dernier jour du festival, alors que le jury était déjà fatigué), le nouveau film de Nuri Bilge Ceylan mérite une attention soutenue et patiente, les spectateurs qui s'y adonneront en seront largement récompensés.
BURNING (Lee Chang-Dong, 29 aou) LLLL
Jong-su est un jeune homme réservé, presque apathique. Il est livreur à temps partiel, en attendant mieux : il admire Faulkner et désire être écrivain. Par hasard, il rencontre Hae-mi, une jeune fille qui a grandi dans le même village que lui. Ils apprennent à se connaître intimement. Puis elle part quelques semaines en Afrique, lui laissant le soin de nourrir son chat fantomatique (il ne pointe pas le bout d'une oreille). Lorsqu'elle revient, elle lui présente Ben, un jeune homme aussi riche que mystérieux et plein d'assurance, qu'elle a rencontré là-bas. C'est le début d'une étrange relation à trois, avant une nouvelle disparition... Le cinéaste de Poetry revient avec un film languissant, plus difficile d'accès mais splendide, librement inspiré d'une nouvelle de Mirakami. Il invite à dépasser ce qu'on voit à l'écran, de manière explicite lorsque Hae-mi épluche et fait mine de manger une mandarine invisible. On peut voir dans les liens entre le fils de fermier et le nanti intouchable et manipulateur un rapport de classe, mais aussi une rivalité amoureuse ou une paradoxale attirance. Si l'on ne reste pas au seuil, le film envoûte par sa profondeur secrète, et devient un des grands films de l'année, reparti injustement bredouille du festival de Cannes.
BLACKKKLANSMAN (Spike Lee, 22 aou) LLL
Ron Stallworth est un jeune inspecteur de police noir, qui cherche à progresser au sein de l'unité de Colorado Springs. Aprés avoir réussi une mission de surveillance, il profite d'une petite annonce de recrutement pour infiltrer le Ku Klux Klan. Il téléphone lui-même à l'organisation pour la "suprématie blanche", mais est doublé lors des rencontres physiques par Flip Zimmerman, un collègue blanc... mais juif. L'histoire est adaptée d'un réel fait divers daté de la fin des années 1970, et permet à Spike Lee de réaliser un film souvent drôle mais qui tient diablement bien la route, où l'on croise une militante du Black Power inspirée d'Angela Davis, et où l'on assiste à une projection redoutable de Naissance d'une nation, le classique de D.W. Griffith... Le film se conclut par des images des manifestations d'extrême droite de Charlottesville, en 2017, mais il n'y a aucune lourdeur dans le retour à la réalité contemporaine. Un des grands films américains de l'année, récompensé à raison par le jury du festival de Cannes (un Grand-prix qui n'est critiquable que parce que d'autres grands films ont été écartés).
DE CHAQUE INSTANT (Nicolas Philibert, 29 aou) LLL
En homologue français du grand documentariste Frederick Wiseman, Nicolas Philibert continue de radiographier des lieux singuliers de la société française, sans commentaires mais avec une acuité remarquable. Après La Maison de la radio, il s'intéresse à la scolarité d'élèves (filles ou garçons) d'une école d'infirmières. Le documentaire est découpé en trois parties : l'apprentissage au sein de l'école, pour acquérir à la fois la dextérité technique et des compétences plus relationnelles, puis les stages en immersion dans le monde hospitalier réel (qui permet de faire rentrer indirectement les conséquences des politiques néolibérales à l'intérieur du film), puis enfin les confidences, parfois poignantes, des étudiant-e-s lors de leur retour d'expérience. Loin de toute mode, Nicolas Philibert continue d'interroger ce qui nous fait humain, et saisit des fragments d'universel puisque nous avons tou-te-s été plus ou moins confronté-e-s à la maladie et au milieu médical.
THE GUILTY (Gustav Möller, 18 juil) LLL
Une femme, victime d'un kidnapping, contacte les urgences de la police. Mais la conversation est interrompue brutalement. Le policier qui a reçu l'appel, d'astreinte dans le call center, ne peut faire évoluer la situation qu'avec l'aide de son intuition et de son téléphone... Le premier long métrage de Gustav Möller est une démonstration, celle qu'un thriller efficace ne tient pas forcément à la solidité de son scénario, qui une fois le puzzle achevé peut paraître... téléphoné, mais plutôt à la force de sa mise en scène. Il montre de manière radicale l'importance des hors-champs pour faire monter la tension : en ne quittant pas les semelles de l'opérateur, il ne narre l'action qu'à travers la bande-son qui à elle seule crée de l'espace. Un exercice de style réussi et prometteur.
SILENT VOICE (Naoko Yamada, 22 aou) LLL
Shoko, une jeune fille sourde, est brimée par certains de ses camarades de classe, emmenés par le populaire Ishida. Mais lorsqu'elle finit par changer d'établissement, Ishida est à son tour montré du doigt. On le retrouve quelques années plus tard, isolé, rongé par le remords, et désireux de retrouver Shoko et d'obtenir son pardon... Adapté d'un manga de Yoshitoki Oima, ce long métrage d'animation arrive à toucher juste et sans cliché sur le double sujet du handicap et du harcèlement, grâce à une approche très (trop ?) poussée de la psychologie, et avec une certaine finesse de trait, malgré un ou deux excès mélodramatiques.
UNE VALSE DANS LES ALLEES (Thomas Stuber, 15 aou) LL
Christian, un homme réservé, intègre l'équipe de manutentionnaires d'un supermarché allemand. Il croise le sourire triste de Marion. Celle-ci va tenter de mieux connaître le "bleu". Dès les premiers plan sur le grand magasin avec en fond sonore des valses de Strauss (qui justifie le titre choisi par les distributeurs français), on se dit qu'on va assister à un film singulier. Alors oui les personnages sont très attachants, il est vrai que Christian et Marion ont des interprètes en vogue dans le cinéma allemand, respectivement Franz Rogowski ( Transit) et Sandra Hüller ( Toni Erdmann). Mais ce joli petit film fait (trop) profil bas, que ce soit sur la forme (la mise en scène) ou sur le fond (regard compassionnel mais peu engagé).
UNE PLUIE SANS FIN (Dong Yue, 25 juil) LL
Dans le sud de la Chine, des meurtres sont commis sur des jeunes femmes. Alors que la police piétine, Yu Guowei, un chef de la sécurité d'une vieille usine, va mener sa propre enquête, qui va tourner à l'obsession, faisant courir des dangers à des personnes proches.... Le premier film de Dong Yue est ambitieux, plaçant son (faux ?) thriller dans un sous-texte politique (l'action se passe en 1997, à quelques mois de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine). On le suit avec intérêt. Mais sa stylisation manque de nuances (par exemple un abus de scènes sous la pluie), et l'ensemble fait un peu trop penser à Memories of murder, de Bong Joon-Ho, qui, avec sa maîtrise des ruptures de ton, était d'une toute autre ampleur.
GUY (Alex Lutz, 29 aou) LL
Ex-crooner à succès dans les années 70-80, Guy Jamet publie un nouvel album et entame une ultime tournée. Un documentaire est tourné par un jeune réalisateur, qui serait le fils illégitime de Guy, d'après les dernières confidences de sa mère récemment décédée... Alex Lutz a réussi à créer un personnage imaginaire mais parfaitement crédible. La performance transformiste fonctionne, mais les images d'archives sont les séquences les plus drôles (avec la complicité de Marina Hands et Elodie Bouchez). L'humour vachard et la mélancolie pourront séduire (par exemple le public qui avait fêté Quand j'étais chanteur de Xavier Giannoli), à condition que la ringardise des chansons, créées pour le film, quelque part entre Cloclo et Herbert Léonard, ne soit pas trop rédhibitoire.
AU POSTE ! (Quentin Dupieux, 4 juil) LL
C'est un huis-clos, entre Fugain (Grégoire Ludig), un type qui a trouvé un homme baignant dans son sang en bas de chez lui, et le commissaire Buron (Benoît Poelvoorde), chargé de l'interrogatoire qui va durer toute la nuit. Mais bien sûr ce point de départ est surtout le prétexte à une nouvelle fantaisie absurde de Quentin Dupieux, qui tourne en France après plusieurs films réalisés en indépendant aux Etats-Unis. C'est parfois drôle, certaines scènes rappelant le cinéma de Bertrand Blier (et sa conception du discours indirect). Malheureusement, comme souvent chez Dupieux, ça tourne assez court (à l'exception du génial Rubber). Côté interprétation, on remarquera le contre-emploi réjouissant et décalé de Anaïs Demoustier en blonde frisée ponctuant ses phrases d'un machinal " C'est pour ça"...
UNDER THE SILVER LAKE (David Robert Mitchell, 8 aou) LL
Un jeune trentenaire désoeuvré, menacé d'expulsion, enquête sur la disparition soudaine de sa voisine, dont il venait de tomber sous le charme... C'est le début d'une fantasmagorie cinéphile, jouant à plein du fait que l'action est située à Los Angeles. Le film multiplie les références : la suprématie de l'atmosphère sur l'intrigue rappelle Le Grand sommeil (Hawks), le voyeurisme du personnage principal évoque Fenêtre sur cour (Hitchcock), et la vision désenchantée d'Hollywood tente de ranimer la flamme de Mulholland Drive (Lynch). Las, le résultat n'est pas désagréable, mais un peu dénué d'une personnalité propre (les deux premiers films de David Robert Mitchell étaient plus singuliers), et le film s'oublie très vite...
HÔTEL ARTEMIS (Drew Pearce, 25 juil) L
Nous sommes en 2028 à Los Angeles. Des émeutes éclatent suite à la privatisation de l'eau. Pendant ce temps, l'hôtel Artemis abrite en réalité un hôpital secret où viennent se faire soigner des criminels en toute discrétion. Il y a des règles internes strictes, mais certains pensionnaires s'en affranchiraient volontiers... Le regretté Wes Craven en aurait peut-être fait un film réjouissant, mais ici la platitude des dialogues n'a d'égale que la médiocrité de la mise en scène. Même Jodie Foster, dans le rôle de la directrice de l'établissement et infirmière en chef, peine à convaincre.
- Bien : Trois visages (Jafar Panahi), Parvana (Nora Twomey), Woman at war (Benedikt Erlingsson), Paul Sanchez est revenu ! (Patricia Mazuy), How to talk to girls at parties (John Cameron Mitchell), L'Empire de la perfection (Julien Faraut)
- Pas mal : Sans un bruit (John Krasinski), Mutafukaz (Guillaume Renard, Shoujirou Nishimi), L'île au trésor (Guillaume Brac)
- Bof : Fleuve noir (Erick Zonca)
TROIS VISAGES (Jafar Panahi, 6 juin) LLL
L'actrice célèbre Behnaz Jafari reçoit sur son téléphone portable une vidéo macabre, dans laquelle une jeune fille, qui désire faire du théâtre contre la volonté de son père, l'appelle à l'aide avant de se pendre. Elle contacte son vieil ami le réalisateur Jafar Panahi. Ensemble, pour vérifier l'authenticité de la vidéo, ils partent enquêter sur le lieu supposé de la tragédie, un village dans les montagnes du Nord-Ouest... Le film est courageux dans ce qu'il montre, et c'est peut-être ce qui a motivé le jury cannois à lui décerner le prix du scénario. Mais il aurait sans doute mérité mieux, car cinématographiquement son intérêt ne se limite pas à son sujet. Sur la forme, Jafar Panahi paie sa dette à Abbas Kiarostami (dont il fut assistant), mais ce n'est nullement un exercice d'imitation. Le film est constamment stimulant, du fait de l'ambiguïté documentaire (Behnaz Jafari et Jafar Panahi jouent leur propre rôle), mais aussi parce que chaque plan est admirablement composé (cadre, arrière-plan) et d'une intelligence redoutable. Un cinéma de résistance, mais aussi du grand cinéma tout court.
PARVANA (Nora Twomey, 27 juin) LLL
Parvana est une fille de 11 ans, dont on suit le quotidien dans Kaboul sous le joug des talibans (le scénario est adapté d'un roman pour la jeunesse de Deborah Ellis, une canadienne antimilitariste engagée dans les mouvements pour l'éducation des réfugiées afghanes). Un jour, le père de Parvana, écrivain public, qui lui a donné le goût de la lecture et des contes (elle en invente d'ailleurs un qu'elle raconte à son petit frère), est arrêté. Pour le ravitaillement de la famille, elle doit alors se déguiser en garçon pour sortir dehors sans être obligée d'être accompagnée par un homme. Et elle se met en tête de trouver un moyen pour délivrer son père... Pour son premier long métrage en tant qu'unique réalisatrice, la cinéaste irlandaise Nora Twomey a conçu un film d'animation qui peut se voir dès l'âge de 10 ans (distribué en VF comme en VO). C'est à double tranchant : la mise en scène ne va pas beaucoup au-delà de l'illustration du scénario, mais c'est quand même de la belle ouvrage, avec la simplicité des dessins qui contraste volontairement avec la violence des situations, particulièrement pour les femmes.
WOMAN AT WAR (Benedikt Erlingsson, 4 juil) LLL
La femme du titre, on la découvre en train de saboter une ligne à haute tension alimentant l'industrie locale de l'aluminium. On va découvrir peu à peu qu'elle a des motivations relevant de l'écologie (au sens le plus politisé du terme) : opposition à un accord commercial international, défense d'un territoire... Le film est autant un portrait de femme quinquagénaire, non réductible à son activité militante (formidable Halldora Geirharösdottir), qu'un vrai thriller qui sait en outre tirer le meilleur parti des paysages islandais. Le second long métrage de Benedikt Erlingsson, contrairement au premier ( Des chevaux et des hommes), m'a pleinement convaincu. Il pousse la stylisation et la coquetterie jusqu'à faire apparaître à intervalles réguliers au milieu du plan des musiciens qui jouent la musique du film : cela met un peu de distance sans nuire à la tension grandissante. Un réalisateur en progression et déjà plein de talent.
PAUL SANCHEZ EST REVENU ! (Patricia Mazuy, 18 juil) LLL
Plusieurs témoins de cette petite ville du Var sont formels : Paul Sanchez, qui avait pris la fuite dix ans plus tôt après le massacre de sa famille, est revenu ! Dans un premier temps, les gendarmes n'y croient pas, à part la jeune Marion... Patricia Mazuy, qui tourne peu mais bien ( Saint-Cyr, Sport de filles), aime bien à chaque nouveau film se renouveler complètement, au niveau du style comme des thèmes. Ici le scénario aurait pu servir de base à un polar audiovisuel de série, mais elle y apporte d'autres touches, qui donnent un singulier mélange de western méditerranéen et de comédie, par exemple lors des savoureux échanges entre Marion (Zita Hanrot, excellente) et son commandant (Philippe Girard, très bon également). C'est ce plaisir de cinéma communicatif qui rend les scènes passionnantes, le suspense ne se situant pas forcément du côté du scénario.
HOW TO TALK TO GIRLS AT PARTIES (John Cameron Mitchell, 20 juin) LLL
Présenté hors compétition à Cannes en 2017, le nouveau film de John Cameron Mitchell a mis un an avant de sortir sur les écrans. On peut se demander pourquoi, tant le film est plaisant. Situé dans les années 70 et dans une banlieue britannique, il consiste en un heureux cocktail de film fantastique (note tenue jusqu'au bout, au premier degré même si cela tient aussi de la métaphore), musical (période Clash et Sex Pistols) et de teen movie intemporel (qui justifie le titre : de la difficulté d'aborder les filles quand, en plus, elles viennent réellement d'une autre planète). Côté interprétation, Nicole Kidman se lâche dans un second rôle réjouissant, après avoir porté le film précédent (beaucoup plus sombre) du réalisateur (le beau Rabbit hole), et Elle Fanning livre une composition extra-terrestre... Exercice de style réussi et sympathique.
L'EMPIRE DE LA PERFECTION (Julien Faraut, 11 juil) LLL
Au milieu des années 1980, John McEnroe était un immense champion : il a ainsi gagné 96 % de ses matchs en 1984. Il est alors filmé par Gil de Kermadec, le pionnier du service audiovisuel de la Fédération Française de Tennis, avec une vitesse de prises de vues, centrées sur le joueur, qui permet de somptueux ralentis pour décomposer les mouvements. Julien Faraut explore les rushs et en tire un documentaire singulier. Alors certes les colères de McEnroe y ont une place, mais elle ne constituent que le revers (si j'ose dire) de son extrême perfectionnisme. Julien Faraut glisse des aphorismes cinéphiles de Godard et Daney sur les tournois sur terre battue où les joueurs doivent créer du temps (comme au cinéma), avant de faire revivre, à la lumière de tout ce qui précède, la finale mythique à Roland-Garros contre Ivan Lendl.
SANS UN BRUIT (John Krasinski, 20 juin) LL
Dans un monde dévasté, une famille tente de survivre. Pour ce faire, elle ne doit pas faire de bruit, sinon de grosses vilaines créatures, aveugles mais à l'ouïe très fine, rappliquent illico et c'est le carnage... L'argument est original (quoique assez gratuit sur le fond). Et l'exécution donne lieu à une mise en scène très inventive, car ne s'appuyant pas sur des effets pétaradants : les personnages communiquent par langue des signes, la bande son, formidable, nous venge de tous ces films d'action assourdissants. La seconde moitié du film, où l'on voit à l'écran les bêtes qui se sont rapprochées dangereusement, est plus convenue, et le scénario en fait un peu trop (fallait-il vraiment que la mère de famille soit enceinte ?). Mais dans l'ensemble un film attachant, bien interprété, notamment par Emily Blunt et John Krasinski (à la fois devant et derrière la caméra).
MUTAFUKAZ (Guillaume Renard, Shoujirou Nishimi, 23 mai) LL
Dark Meat City est une nouvelle mégapole de la côte Ouest des Etats-Unis. La pollution et la saleté y sont reines, au point que les cafards deviennent des animaux domestiques presque attachants pour les deux anti-héros. Ces derniers vivent de petits boulots et d'expédients pendant que la criminalité se développe à vitesse grand V dans cette ville où la police peut être encore plus violente et dangereuse que les gangs. Guillaume Renard adapte (avec Shoujirou Nishimi) sa propre BD et livre en animation un polar d'anticipation assez déjanté. C'est plein de petites idées mises bout à bout, parfois rigolotes. Mais l'ensemble manque un peu de liant et de profondeur. Et le caractère fantastique de la seconde moitié du film n'est pas si originale que ça, rappelant un autre film français d'animation récent. Une curiosité pas si incontournable.
L'ILE AU TRESOR (Guillaume Brac, 4 juil) LL
Guillaume Brac est venu filmer la base de loisirs (surtout nautiques) de Cergy-Pontoise. Dans ce documentaire sans fil rouge, on croise des gamins fraudeurs, d'autres qui jouent, des adolescents qui viennent draguer, des retraités nostalgiques, quelques réfugiés racontant leur persécution dans leur pays d'origine et des employés qui veillent notamment à la sécurité. Le résultat est plaisant, mais rien n'est marquant. N'est pas Frederick Wiseman qui veut. Espérons que Contes de juillet, le long-métrage que le même cinéaste a tourné au même endroit, et qui sortira en salles quelques semaines plus tard, renouera avec une vraie inspiration.
FLEUVE NOIR (Erick Zonca, 18 juil) L
Un flic alcoolique (Vincent Cassel) est chargé d'enquêter sur la disparition d'un lycéen. Un étrange voisin (Romain Duris), qui a donné des cours particuliers à l'adolescent, s'intéresse lui aussi de près à l'affaire... Voilà dix ans qu'Erick Zonca n'avait pas sorti de long métrage au cinéma. Malheureusement, il semble s'être noyé dans ce fleuve noir, où les acteurs cabotinent jusqu'à plus soif. Rien ne fonctionne, et même Elodie Bouchez, la complice des débuts ( La Vie rêvée des anges), ne peut maintenir à flot cette frêle embarcation. Quant à la résolution finale, elle ne convainc pas davantage...
- Bravo : Senses (Ryûsuke Hamaguchi)
- Bien : En guerre (Stéphane Brizé), Cornélius, le meunier hurlant (Yann Le Quellec), Manhattan stories (Dustin Guy Defa)
- Pas mal : Plaire, aimer et courir vite (Christophe Honoré)
- Bof : Everybody knows (Asghar Farhadi), Daphné (Peter Mackie Burns)
SENSES (Ryûsuke Hamaguchi, 2, 9 et 16 mai) LLLL
C'est un film de cinq heures, découpé en cinq chapitres (associés chacun à un des cinq sens), et distribué dans les salles françaises en trois parties. J'ai vu le film dans sa continuité (en trois séances successives). Il s'agit d'une grande fresque autour de quatre jeunes femmes entre 30 et 40 ans, à Kobe au Japon. Lorsque l'une d'entre elles va disparaître, leur amitié et l'équilibre qui régnait au sein de leur groupe vont être mis à rude épreuve. Première constatation : le film est passionnant, et la durée se justifie pleinement. Le montage sait donner aux scènes le temps qu'il faut pour leur donner de la richesse. Ryûsuke Hamaguchi a fait oeuvre de sismographe tant dans l'observation d'un groupe d'amies que dans l'enregistrement du fonctionnement de la société japonaise et de la place accordée aux femmes. Sur la forme, la mise en scène est impressionnante, tant dans la lumière que dans l'intensité avec laquelle les personnages sont regardées. Et il réussit d'improbables morceaux de bravoures, comme un débriefing savoureux après un étrange stage de développement personnel, ou un saisissant débat littéraire (mais avec d'autres enjeux) suivant une scène de lecture publique un peu étirée. Le tout dernier épisode est un peu moins enthousiasmant (disons qu'une fin plus ouverte aurait été parfaite). Mais dans l'ensemble, une oeuvre assez magistrale.
EN GUERRE (Stéphane Brizé, 16 mai) LLL
La direction du groupe Perrin Industrie décide la fermeture totale d'un site de production en France, alors que, quelques années auparavant, les 1100 salarié-e-s du site avaient accepté une hausse du temps de travail sans hausse de salaire. Emmené-e-s par leurs délégué-e-s syndicaux, les salarié-e-s vont tout tenter pour sauver leur emploi. Contrairement à La Loi du marché, la mise en scène n'impressionne pas immédiatement : les plans ne sont pas cadrés avec la même précision. C'est que cette fois-ci, c'est un collectif qui est filmé, avec un réalisme proche du documentaire (sauf qu'on ne voit jamais les réunions avec le conseiller social de l'Elysée, même dans les docus engagés). Sur le fond, rarement un film n'aura montré de manière plus tangible la lutte des classes, entre celles et ceux qui n'ont que leur travail et leur salaire pour vivre (les premiers de corvée), et celles et ceux qui s'enrichissent en exploitant le travail des autres (les premiers de cordée). Pour autant, et c'est sa force, aucun des personnages, quelle que soit sa position, n'est caricaturé ni même jugé (interprétations homogènes et excellentes). Il insiste en revanche sur le fait que la désunion et le syndicalisme pour les miettes sont mortifères pour le rapport de force. Un bel hommage aux têtes dures, sans césar ni tribun ni références cocardières...
CORNELIUS, LE MEUNIER HURLANT (Yann Le Quellec, 2 mai) LLL
Un homme corpulent, bronzé, barbu, surgit du sable d'une plage déserte où il était enseveli. Dès le premier plan, le ton insolite du film est donné. Cet homme (Bonaventure Gacon) arrive dans un village, dont le maire (Gustave Kervern) l'accueille à bras ouvert : il a besoin d'un meunier. Il s'installe en surplomb, et se lie avec Carmen (Anaïs Demoustier), la jolie fleuriste (et fille du maire). Tout irait pour le mieux si, la nuit, il ne se mettait pas à hurler et réveiller tout le monde... Librement adapté du roman Le Meunier hurlant d'Arto Paasilinna, ce conte noir, qui n'oublie pas le burlesque, est vivifiant comme un bon bol d'air frais (en ce sens il pourrait faire penser aux premiers films de Philippe Ramos) : pas de pesante reconstitution (d'ailleurs l'époque reste indéfinie), originalité des décors, tant naturels (le tournage a eu lieu dans le cirque de Navacelles) qu'artificiels (l'incroyable moulin à vent édifié par Cornelius). Une jolie surprise.
MANHATTAN STORIES (Dustin Guy Defa, 16 mai) LLL
Dès le début, on est dans l'ambiance : la musique jazzy et la palette chromatique chaleureuse obtenue notamment par le grain particulier de la pellicule 16 mm donnent l'impression de se trouver devant un bon film américain des années 1970, de ceux qui s'intéressaient vraiment à leurs personnages. Pourtant ça se passe de nos jours à New-York. Le film entremêle, grosso modo l'espace d'une seule journée, le destin d'une dizaine de personnages (un mélomane collectionneur de vinyles, un journaliste d'un tabloïd spécialisé dans les faits divers crapoteux qui accueille une stagiaire, une adolescente rebutée par ce qu'elle croit savoir de la sexualité). Si le titre choisi par le distributeur français reflète l'argument narratif du film, le titre original Person to person me semble plus pertinent. Car, en filmant à hauteur de ses personnages, Dustin Guy Defa arrive à rendre extrêmement touchant des enjeux modestes ou très intimes. Sans être écrasé par l'ombre bienveillante des aînés (Woody Allen, Ira Sachs), il maîtrise déjà bien l'art de la litote (suggérer beaucoup avec peu).
PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE (Christophe Honoré, 10 mai) LL
Eté 1993. Arthur a 22 ans, est étudiant à Rennes lorsqu'il rencontre Jacques, un écrivain dandy parisien d'environ 40 ans et papa d'un jeune garçon. Le courant passe, une romance s'ébauche, mais pour Jacques le temps est compté... Cette nouvelle chronique sur le Sida dans les années 90 pourra souffrir pour certains de sortir quelques mois seulement après 120 battements par minute, mais les arguments des deux films sont assez différents : celui de Campillo était collectif et politique, tandis que celui d'Honoré travaille davantage les dimensions individuelle et romanesque. Bizarrement, contrairement à certains de ses films précédents les plus marquants ( Les Chansons d'amour, La Belle personne...), il opte pour une mise en scène beaucoup moins référencée, très profil bas (on ne retrouve pas vraiment l'urgence suggérée par le titre), mais tire le meilleur de ses comédiens (Pierre Deladonchamps, Vincent Lacoste).
EVERYBODY KNOWS (Asghar Farhadi, 9 mai) L
Pour une fête de famille, Laura revient avec ses enfants dans son village natal au coeur d'un vignoble espagnol. Son mari, resté en Argentine par nécessité (un entretien d'embauche), devra rejoindre Laura, suite à un événement dramatique. Le nouveau Asghar Farhadi, fort de ses trois stars internationales (Penélope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darin), a fait l'ouverture du dernier festival de Cannes, tout en participant à la compétition officielle. Pourtant, depuis Une séparation, les films du cinéaste sont de moins en moins bons. Il sur-écrit ses scénarios, ce qui aboutit comme ici à un film assez lourd et décevant en terme de cinéma. Alors que A propos d'Elly, tourné avant Une séparation, avait un scénario moins bétonné, ce qui donnait plus d'espace à la mise en scène, qui créait une vraie tension, ce que Everybody knows ne parvient pas à faire.
DAPHNE (Peter Mackie Burns, 2 mai) L
Daphné est une jeune femme londonienne qui cuisine dans un restaurant le jour, et écume les bars la nuit en rencontrant parfois des garçons. Farouchement indépendante, elle a un humour volontiers ironique. Son mode de fonctionnement va peut-être se gripper après un événement violent dont elle est le témoin... Pour son premier long métrage, Peter Mackie Burns offre un rôle attachant à l'actrice prometteuse Emily Beecham. Malheureusement, le sujet n'est ni traité ni savamment éludé, et le tout manque cruellement de cinéma pour sortir du rang.
- Bravo : Mes provinciales (Jean-Paul Civeyrac)
- Bien : Ready player one (Steven Spielberg), Les Bonnes manières (Juliana Rojas, Marco Dutra), L'Ile aux chiens (Wes Anderson), Nul homme n'est une île (Dominique Marchais), Avant que nous disparaissions (Kiyoshi Kurosawa), The Rider (Chloé Zhao), The Third murder (Hirokazu Kore-Eda)
- Pas mal : Abracadabra (Pablo Berger), Luna (Elsa Diringer), Katie says goodbye (Wayne Roberts), Transit (Christian Petzold)
- Bof : Tesnota (Kantemir Balagov)
MES PROVINCIALES (Jean-Paul Civeyrac, 18 avr) LLLL
Etienne quitte sa province et s'éloigne de sa copine pour monter à Paris et faire des études de cinéma à la fac. Il y fait la rencontre d'étudiants intransigeants, tandis que sa colocataire n'est pas insensible à son charme... Jean-Paul Civeyrac, cinéaste par intermittence (il est aussi enseignant en cinéma), avait déjà réalisé de beaux films ( A travers la forêt, Mon amie Victoria), mais celui-ci est d'une toute autre ampleur romanesque. On aurait pu craindre au tout début un film inscrit dans un tout petit milieu (celui des cinéphiles les plus idéalistes), on y disserte par exemple sur Boris Barnet, l'un des grands cinéastes soviétiques de l'époque muette, mais rapidement le film tient du roman d'apprentissage total, aussi bien au niveau artistique qu'intime, existentiel en somme (sur la recherche de la conformité des actes avec la pureté des intentions). Jean-Paul Civeyrac s'appuie sur des dialogues brillants, un noir et blanc aussi vibrant que dans les meilleurs Phillippe Garrel (notamment Les Amants réguliers), une utilisation inspirée de Jean-Sébastien Bach et sur de jeunes comédiens très à l'aise dans le cinéma d'auteur le plus exigeant : la découverte Andranic Manet dans le rôle principal, mais aussi Corentin Fila ( Quand on a 17 ans), Sophie Verbeeck ( A trois on y va), Jenna Thiam ( L'indomptée), Diane Rouxel ( Fou d'amour). Une des plus grandes réussites de l'année.
READY PLAYER ONE (Steven Spielberg, 28 mar) LLL
2045. Réchauffement climatique et crise du capitalisme financier ont précipité l'effondrement du système. Au plein coeur des Etats-Unis, des mobile home entassés tiennent lieu de logement social. Pour fuir leur quotidien sans horizon, la plupart des femmes et hommes du futur passent leur temps en enfilant un masque de réalité virtuelle, et rejoignant ainsi l'OASIS, jeu vidéo en ligne gratuit et réseau social où tout est encore possible. Un puissant fournisseur d'accès, IOI, rêve de prendre les commandes de l'OASIS, enjeu d'un concours lancé à sa mort par James Halliday, fondateur du jeu... Bien sûr, le film est un blockbuster, donc priorité au spectacle. Mais il y a aussi un propos politique d'une certaine acuité. Et surtout une très grande virtuosité pour naviguer entre d'une part un futur dystopique mais plausible et d'autre part la nostalgie de la culture pop des années 80 (avec hommage savoureux au Shining de Kubrick) qui a nourri l'imaginaire de Halliday. Sur la forme, on notera la qualité du montage pour passer en toute fluidité des terrains de jeu virtuels aux corps et décors bien réels. A ranger de façon inattendue dans les meilleures réussites de Spielberg.
LES BONNES MANIERES (Juliana Rojas, Marco Dutra, 21 mar) LLL
Clara, infirmière noire, est engagée pour soutenir Ana, une résidente des beaux quartiers de Sao Paulo, dans sa grossesse difficile. Cette dernière est rejetée par sa famille pour une raison que Clara va découvrir peu à peu. Prévenons tout de go : il s'agit bien d'un film de genre, avec quelques scènes fantastiques et/ou horrifiques. Et pourtant, les cinéastes en font également un grand film tout court : un film sur les inégalités sociales et de race (sociologique) au Brésil, mais aussi la description d'une relation entre femmes, mais encore un récit sur l'enfance et l'éducation... Avec sa mise en scène très inspirée, le film navigue entre Pedro Almodovar et Julia Ducournau ( Grave). Son propos n'est finalement pas très éloigné du "message" de La Forme de l'eau de Guillermo Del Toro, mais de façon moins consensuelle et beaucoup plus ample. Une réussite.
L'ILE AUX CHIENS (Wes Anderson, 11 avr) LLL
Le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens sur une île au large de la ville, pour éviter la propagation d'une grippe canine. Atari, son neveu (et fils adoptif) de 12 ans, va partir à la recherche de Spots, qui y a été déporté. Pour la première fois, Wes Anderson livre un film explicitement politique, une fable futuriste intéressante (même s'il adopte une ligne claire assez manichéenne) inspirée d'un court métrage palmé à Cannes il y a une quinzaine d'années. C'est son deuxième film d'animation après Fantastic Mr Fox, mais le style n'est pas le même (il n'y a aucun anthropomorphisme par exemple, même si les chiens sont dotés de parole). Curieusement, le cinéaste est plus convaincant ici lorsqu'il filme des marionnettes comme de vrais personnages, que dans son précédent film, The Grand Budapest Hotel, où il filmait ses acteurs en chair et en os comme s'il s'agissait de pantins au sein d'une maison de poupées...
NUL HOMME N'EST UNE ÎLE (Dominique Marchais, 4 avr) LLL
Le film commence en Italie, au palais communal de Sienne, devant les fresques du bon et du mauvais gouvernement, peintes vers 1340. Pour la première fois, l'artiste représentait non pas le roi et ses serviteurs, mais des paysans et des artisans, des citoyens en somme, qui voulaient décider de leur vie. Retour au présent dans la suite du documentaire qui suit justement des expériences alternatives (au niveau social comme écologique) dans l'agriculture (une coopérative bio), l'architecture, l'artisanat, en Sicile, en Suisse ou en Autriche. Et à chaque fois, le cinéaste du Temps des grâces (déjà un très beau film qui dénoncait de façon étayée l'agriculture contemporaine dominante), excelle dans l'inscription de ces solutions (partielles) dans des paysages façonnés par l'activité humaine et de ce fait riches de sens et de caractère. Le titre est bien sûr une réponse à la célèbre phrase de Margaret Thatcher, selon laquelle "La société, ça n'existe pas".
AVANT QUE NOUS DISPARAISSIONS (Kiyoshi Kurosawa, 14 mar) LLL
On dit communément que l'intelligence et les sentiments grandissent quand on les partage, mais ce n'est pas le cas dans ce film, où des aliens à apparence humaine volent des concepts aux êtres humains qu'ils rencontrent, qui deviennent mutilés de notions essentielles. Sur le fond, il s'agit d'un film conceptuel qui s'inscrit dans la lignée du classique L'Invasion des profanateurs de sépulture de Don Siegel ou du plus récent Under the skin de Jonathan Glazer. Mais, sur la forme, il s'agit surtout d'un retour en force du cinéma de Kiyoshi Kurosawa, qui réalise un film d'extra-terrestres presque sans effets spéciaux, et qui n'a pas son pareil pour créer une angoisse sourde, mâtinée d'un humour sardonique sur la situation actuelle de l'humanité (déjà au bord de l'autodestruction), simplement par le brio de sa mise en scène et de sa direction d'acteurs. De quoi se réconcilier avec le cinéaste, après plusieurs films décevants.
THE RIDER (Chloé Zhao, 28 mar) LLL
Brady n'a guère plus de 20 ans, il est dresseur de chevaux. Doué, il a participé à de nombreuses compétitions, mais en est désormais privé après un tragique accident de cheval, au cours d'un rodéo. Cela aurait presque pu être un documentaire (les acteurs non professionnels jouent peu ou prou leur propre rôle), mais Chloé Zhao a décidé de les magnifier par la fiction. Comme pour Les Chansons que mes frères m'ont apprises, son premier film (prometteur), la réalisatrice chinoise exilée aux Etats-Unis a tourné dans la réserve de Pine Ridge. Son héros est donc un cow-boy sioux, ce qui permet d'aborder en creux de nombreuses questions (sur l'assimilation ou la relation homme-animal). Les plaines et collines, filmées à la tombée du jour, évoquent le western, mais c'est un film contemporain, en apparence simple mais s'inscrivant dans une tradition humaniste.
THE THIRD MURDER (Hirokazu Kore-Eda, 11 avr) LLL
Shigermori, un ténor du barreau, est engagé pour défendre Misumi, accusé d'assassinat. La culpabilité de ce dernier semble évidente : il avait déjà été condamné pour un double meurtre 30 ans auparavant, et a avoué son crime. La contre-enquête du grand avocat, qui cherche le meilleur angle pour atténuer les charges contre son client (qui risque la peine de mort), avance cahin-caha au fil des interrogatoires, au cours desquels le suspect modifie continuellement sa version des faits. Se pourrait-il qu'il ne soit pas coupable ? Le nouveau film d'Hirokazu Kore-Eda s'inscrit dans le genre, inhabituel pour lui, du polar judiciaire, mais n'oublie pas ses fondamentaux (comme mêler de façon subtile délicatesse et cruauté). Les variations de mise en scène, par exemple dans les moments au parloir, insufflent de l'ambiguïté au récit. Le scénario n'est pas tiré au cordeau, et c'est mieux ainsi, c'est le style qui prime.
ABRACADABRA (Pablo Berger, 4 avr) LL
Après une séance d'hypnose qui tourne court, au cours d'un mariage, Carlos (Antonio de la Torre), le mari macho de Carmen (Maribel Verdu), se métamorphose : il devient un époux attentionné et aide aux devoirs de sa fille adolescente. Mais est-il toujours lui-même ? On n'est qu'au début des surprises, dans ce nouveau film de Pablo Berger, après les très réussis Torremolinos 73 (2005) et Blancanieves (2013). Le cinéaste mélange les genres à foison, même si la comédie domine, et continue de montrer une cinéphilie on ne peut plus éclectique. L'imagination est plus que jamais au pouvoir, mais au détriment de la cohérence. Du coup, le résultat est plaisant, mais ne restera pas dans nos mémoires, contrairement à ses deux premiers longs métrages. Un cinéaste rare à suivre néanmoins.
LUNA (Elsa Diringer, 11 avr) LL
Luna, qui vit près de Montpellier, est apprentie en horticulture. Au cours d'une soirée trop arrosée avec des amis et Ruben, dont elle est amoureuse, le groupe agresse un jeune inconnu. Celui-ci réapparaît dans la vie de Luna quelques semaines plus tard, à son travail, mais il ne la reconnaît pas... Il manque un regard de cinéaste dans les scènes du début, certes difficiles à réussir. Mais dès la réapparition d'Alex, le film arrive à trouver sa personnalité, un récit d'apprentissage, la naissance d'un remords et d'une relation compliquée. Dans un registre très différent de La Tête haute, Rod Paradot confirme son talent naissant. Et la débutante Laëtitia Clément, avec un faux air de Sara Forestier dans les intonations, est l'élément le plus convaincant du film.
KATIE SAYS GOODBYE (Wayne Roberts, 18 avr) LL
Serveuse dans un bar pour routiers d'un coin perdu d'Arizona, Katie fait quelques passes pour aider sa mère au chômage et mettre de l'argent de côté pour elle-même (elle rêve d'aller s'installer en Californie). Son histoire, c'est celle d'une femme qui sourit un peu trop, et de sa rencontre avec Bruno, un mécanicien automobile récemment sorti de prison... Après Ready player one, Olivia Cooke hérite d'un rôle beaucoup plus adulte, celle d'une femme-courage qui doit apprendre à dire non. Elle est émouvante, plus que le film, un peu mécanique (certains détails insistants font anticiper tel ou tel rebondissement), qui ne se départit jamais de son programme. Premier long métrage de Wayne Roberts, dont la mise en scène n'a pas encore la maîtrise ou l'intensité de celle des frères Dardenne.
TRANSIT (Christian Petzold, 25 avr) LL
A Marseille, des réfugiés de l'Europe entière rêvent d'embarquer pour l'Amérique (du Nord ou du Sud) pour échapper aux forces d'occupation fascistes. Georg, un Allemand, prend l'identité d'un écrivain qui s'est suicidé, dont il a récupéré un manuscrit inachevé, deux lettres, et un visa. Il rencontre Marie, qui ne veut pas partir tant qu'elle n'aura pas retrouvé son mari... Le film est librement adapté d'un roman d'Anna Seghers, publié en 1944, mais Christian Petzold filme comme si l'intrigue se passait de nos jours (les téléphones portables en moins). Il tente peut-être ainsi de faire écho à la xénophobie montante contemporaine, mais bute contre l'invraisemblance. Dommage, car le cinéaste de Phoenix sait toujours filmer et diriger ses interprètes (dont Paula Beer, révélée par Frantz de François Ozon).
TESNOTA (Kantemir Balagov, 7 mar) L
Ilana travaille dans le garage de son père à Naltchick, au Nord Caucase (Russie). Un soir, la famille se réunit pour célébrer les fiançailles de son frère David. Dans la nuit, David et sa fiancée sont kidnappés. Dans cette communauté juive, il est inconcevable d'appeler la police. Comment réunir la somme nécessaire pour payer la rançon ? Ilana, dont le petit ami est kabarde (une autre communauté), sera mise à contribution pour sauver son frère. L'histoire, inspirée d'un fait divers survenu à la fin des années 90, est forte, sur le papier. A l'écran, faute d'une vraie mise en scène, elle semble surtout d'une grande lourdeur, même s'il faut sauver l'interprétation de Darya Zhovner.
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Il n'y a pas que le ciné dans la vie
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