1. Drive my car (Ryusuke Hamaguchi, Japon)
2. Le Diable n'existe pas (Mohammad Rasoulof, Iran)
3. Titane (Julia Ducournau, France)
4. Gagarine (Fanny Liatard, Jérémy Trouilh, France)
5. Compartiment n°6 (Juho Kuosmanen, Finlande)
6. Une histoire à soi (Amandine Gay, France)
7. Debout les femmes ! (Gilles Perret, François Ruffin, France)
8. Bergman island (Mia Hansen-Love, France)
9. Aline (Valérie Lemercier, France/Canada)
10. Tralala (Arnaud et Jean-Marie Larrieu, France)
11. La Loi de Téhéran (Saeed Roustayi, Iran)
12. Onoda (Arthur Harari, France/Cambodge)
13. First cow (Kelly Reichardt, Etats-Unis)
14. L'Evénement (Audrey Diwan, France)
15. West Side story (Steven Spielberg, Etats-Unis)
Viennent ensuite (top alternatif) : Les Intranquilles (Joachim Lafosse, Belgique), La Nuée (Just Phillipot, France), Milla (Shannon Murphy, Australie), Sound of metal (Darius Marder, Etats-Unis), Les Sorcières d'Akelarre (Pablo Agüero, Espagne), Le Sommet des dieux (Patrick Imbert, France), Illusions perdues (Xavier Giannoli, France), Memoria (Apichatpong Weerasethakul, Colombie/Thaïlande), Madres paralelas (Pedro Almodovar, Espagne), Mandibules (Quentin Dupieux, France), Les Sorcières de l'Orient (Julien Faraut, France), Petite maman (Céline Sciamma, France), La Traversée (Florence Miailhe, France/Allemagne/République tchèque), La Terre des hommes (Naël Marandin, France), Stillwater (Tom McCarthy, Etats-Unis)
- Bravo : Le Diable n'existe pas (Mohammad Rasoulof)
- Bien : L'Evénement (Audrey Diwan), West Side story (Steven Spielberg), Memoria (Apichatpong Weerasethakul), Madres paralelas (Pedro Almodovar), La Pièce rapportée (Antonin Peretjatko), The Card counter (Paul Schrader)
- Pas mal : Chère Léa (Jérôme Bonnell), Les Magnétiques (Vincent Maël Cardona), La Fièvre de Petrov (Kirill Serebrennikov), Ziyara (Simone Bitton), Les Amants sacrifiés (Kiyoshi Kurosawa), Dune (Denis Villeneuve), Madeleine Collins (Antoine Barraud)
- Bof : Affamés (Scott Cooper), Un héros (Asghar Farhadi), Tromperie (Arnaud Desplechin)
LE DIABLE N'EXISTE PAS (Mohammad Rasoulof, 1er déc) LLLL
Ce n'est pas un, mais quatre récits que nous raconte Mohammad Rasoulof dans son nouvel opus (Ours d'or à Berlin en 2020). Ils ne s'entremêlent pas, et peuvent se voir indépendamment les uns des autres, mais ils ont des rapports entre eux, et l'ordre dans lequel ils nous sont présentés ne doit rien au hasard. Ce sont des contes moraux, dont on ne dévoilera pas ici les tenants et les aboutissants, car le cinéaste nous propose un cinéma beaucoup plus narratif que contemplatif (bien que des plans soient de toute beauté, ce qui est remarquable pour un film tourné dans la semi-clandestinité). En fil rouge, le film critique l'usage de la peine de mort en Iran. La grande originalité, par rapport à de précédents réquisitoires (de La Dernière marche de Tim Robbins à La Voie de la justice de Destin Daniel Cretton), tient dans le fait qu'il s'intéresse non pas aux condamnés à mort, mais aux personnes chargées de les tuer (qui peuvent être par exemple des appelés effectuant leur service militaire). De ce fait, l'intérêt des histoires qui nous sont proposées ici réside moins dans le suspens (bien qu'il y ait des chutes qui peuvent être surprenantes bien que logiques) que dans la réflexion humaniste que ces récits font sédimenter en nous.
L'EVENEMENT (Audrey Diwan, 24 nov) LLL
Annie Ernaux bénéficie enfin d'une adaptation solide de l'un de ses récits. Nous sommes en France au début des années 1960, et Anne est une prometteuse étudiante en lettres issue d'un milieu modeste. Elle tombe enceinte, et n'a le choix qu'entre garder l'enfant (au risque d'abandonner sa vocation littéraire) ou avorter clandestinement à ses risques et périls, compte tenu de la législation de l'époque. Pour son deuxième long métrage, Audrey Diwan fait un choix stylistique fort : dans un format 4/3, elle multiplie les plans serrés sur son héroïne. Par ce dispositif, elle donne ainsi à percevoir l'étau qui se referme sur Anne, et déjoue également l'écueil des reconstitutions historiques trop léchées. Anamaria Vartolomei endosse le rôle avec abnégation mais sans ostentation, et peut s'appuyer sur de solides seconds rôles utiles à l'ancrage sociologique du récit (Luana Bajrami, Sandrine Bonnaire, Kacey Mottet Klein). Le film a touché le jury du festival de Venise, qui lui a attribué le Lion d'or (devançant les nouveaux films d'Almodovar ou de Jane Campion).
WEST SIDE STORY (Steven Spielberg, 8 déc) LLL
Au départ, on se demande quel est l'intérêt de revisiter cette comédie musicale déjà adaptée au grand écran par Robert Wise en 1961. Le livret est le même, et l'hommage est respectueux, que ce soit dans la mise en images qui ranime le Technicolor de l'époque, ou dans les brillantes chorégraphies de Justin Peck, très inspirées de celles de Jerome Robbins dans la première version, mais en les transposant parfois encore davantage en extérieur. Et puis on se rend compte que Spielberg apporte un nouveau regard. Comme dans ses réalisations les plus adultes, il y ajoute plus de noirceur, voire un peu de politique : le théâtre des affrontements entre le gang des Jets et celui des Sharks est un quartier qui se gentrifie, avec des immeubles en ruine qui seront remplacés par des nouveaux logements pour une population plus aisée. Le thème du racisme semble également plus développé, et le destin des personnages en sort d'autant plus poignant. Au final, cette version n'efface pas l'originale, mais en propose une nouvelle lecture qu'on aurait bien tort de bouder.
MEMORIA (Apichatpong Weerasethakul, 17 nov) LLL
On entre dans ce nouveau film d'Apichatpong Weerasethakul avec une certaine appréhension. L'écosystème fragile de son univers allait-il survivre au déplacement de la Thaïlande à la Colombie, et à l'emploi de stars internationales du cinéma d'auteur (Tilda Swinton, Jeanne Balibar) ? Le point de départ est de plus assez casse-gueule : l'héroïne entend par moments une détonation mystérieuse. Elle est apparemment la seule à les percevoir (enfin presque, puisque les spectateurs aussi). Elle mène son enquête singulière (sur un son !), qui intrigue malgré (en fait grâce à) la lenteur délibérée des plans. Et force est de constater que le cinéaste arrive une nouvelle fois à nous hypnotiser, à nous embarquer par une étrangeté inimitable, jusqu'à une dernière partie qui justifie le titre, recelant de surprenantes réminiscences mémorielles. Une expérience sensorielle à tenter.
MADRES PARALELAS (Pedro Almodovar, 1er déc) LLL
Pour la première fois depuis La Mauvaise éducation, Pedro Almodovar évoque les heures sombres de l'histoire espagnole (en ouverture et conclusion de ce film), tout en se concentrant sur autre chose, les destins liés de deux femmes d'âges différents qui accouchent le même jour. La force de la narration n'est pas de ménager des coups de théâtre (certains se voient d'assez loin), mais de croiser des enjeux de nature diverse. On peut s'interroger, à froid, sur le traitement de certains éléments. Ou s'étonner de l'importance qu'accorde Almodovar au lien biologique dans la filiation, ou du fait que les deux familles ont des employées de maison qu'elles ne traitent pas très bien (le film le dénonce-t-il ?). Mais, à chaud, et c'est l'atout du film, on est de bout en bout captivé par les personnages et leurs interprètes. En particulier, Penelope Cruz n'est jamais aussi bien que sous la direction du cinéaste, sans compter le talent de la nouvelle venue, Milena Smit, ainsi qu'un personnage masculin nuancé (Israel Elejalde).
LA PIECE RAPPORTEE (Antonin Peretjatko, 1er déc) LLL
S'il est un peu plus court en bouche que ses deux prédécesseurs ( La Fille du 14 Juillet, La Loi de la jungle), le troisième long métrage d'Antonin Peretjatko confirme son goût pour la comédie satirique et des choix esthétiques tranchés. Il reprend les codes du vaudeville, qu'il revivifie d'une certaine acuité politique, en mettant en scène une famille de grands bourgeois parisiens, à la fortune (forcément) très mal acquise. Chaque scène est poussée vers l'outrance, loin de tout naturalisme, tout en restant crédible. Le cinéaste délaisse sa famille d'acteurs (Vimala Pons, Vincent Macaigne) pour en créer une nouvelle : Josiane Balasko, mère à la perversité redoutable, qui fait suivre sa belle-fille roturière, auparavant guichetière du métro (Anaïs Demoustier, qui feint très bien la naïveté), et, dans le rôle du vieux garçon qui se marie sur le tard, un Philippe Katerine à contre-emploi, dont la perruque et les accents de la haute sont irrésistibles.
THE CARD COUNTER (Paul Schrader, 29 déc) LLL
Lors de son séjour en prison militaire (peine relative à sa participation à des actes de torture ou d'humiliation dans les geôles d'Abou Ghraïb), William Tell (Oscar Isaac) a appris à compter et mémoriser les cartes. Une fois la liberté recouvrée, il écume les casinos des Etats-Unis, et utilise ce talent à son profit (notamment au blackjack). Il se contente de gains "modestes" (qui le font quand même vivre sans souci) pour rester discret. Il est contacté par un jeune homme qui sollicite son aide pour une quête personnelle : son père a également servi à Abou Ghraïb, et s'est suicidé, alors que leurs formateurs n'ont jamais été inquiétés... Tell rencontre également une femme qui s'intéresse aux jeux de carte et qui voudrait le sponsoriser... Le scénario brode plusieurs motifs disparates, mais le brio et la relative sobriété de la mise en scène de Schrader (qui affectionne Pickpocket de Bresson) font tenir l'ensemble plus qu'honorablement.
CHERE LEA (Jérome Bonnell, 15 déc) LL
Le début du film est assez déconcertant et explique peut-être son échec commercial : il semble que les plans n'ont pas la même densité qu'habituellement chez Jérôme Bonnell (du Chignon d'Olga jusqu'au Temps de l'aventure). On se sent presque de trop dans un univers un peu trop bourgeois, au sens courant plus que marxiste du terme (le personnage principal, Jonas, est associé d'une boîte dans l'immobilier ; séparé de sa femme, il vit mal sa rupture avec une jeune chanteuse lyrique, mais se donne le temps de lui écrire une lettre). Et puis, imperceptiblement, la glace se fend. Est-ce la réussite de l'unique scène avec l'ex-femme de Jonas, où Léa Drucker est épatante ? Par la suite, on a l'impression que la mise en scène retrouve ses marques, que les personnages, bien servis par Grégory Montel, Anaïs Demoustier, Grégory Gadebois et Nadège Beausson-Diagne, sont bien regardés. Un peu comme les Désaxés de John Huston, le film a des défauts, mais sait se rendre attachant, jusqu'à surprendre par la subtilité de la petite musique une nouvelle fois distillée par le cinéaste...
LES MAGNETIQUES (Vincent Maël Cardona, 17 nov) LL
Au début des années 1980, dans une ville de province, deux frères s'occupent d'une émission musicale sur une radio libre. Le grand frère extraverti tient le micro, mais c'est à son cadet, beaucoup plus réservé, que le film va s'intéresser, notamment lorsqu'il devient secrètement amoureux de la copine de son aîné... Le film commence par l'élection de François Mitterrand, mais la demi-douzaine de jeunes scénaristes, qui n'étaient pas nés à l'époque, n'en fait pratiquement rien. D'autres aspects du film, le service militaire par exemple, témoignent d'une même prudence. On suit néanmoins avec un certain plaisir l'émancipation du héros, qui se révèle doué pour les mixages sonores d'avant le numérique. De jolies scènes, et bien sûr une bande son de choix, relèvent l'intérêt de ce premier long métrage sympathique et un peu convenu.
LA FIEVRE DE PETROV (Kirill Serebrennikov, 1er déc) LL
On découvre Petrov grippé, dans un transport en commun. Rejoignant un (faux ?) ami conducteur de corbillard, il se soigne à coup d'alcool et d'aspirine périmée, avant de rejoindre sa femme et son fils, qu'il contamine. Le film est un long trip, hallucinatoire, qui oscille entre un quotidien assez glauque, de doux souvenirs et des fantasmes qui peuvent être violents. On passe des uns aux autres presque sans crier gare, à quelques signes près (des lunettes que la femme de Petrov enlève et remet). Une dernière partie plus posée, relatant le passé d'une jeune fille (lorsque Petrov était enfant), tournée dans un somptueux noir et blanc (qui rappelle Leto, le précédent film de Serebrennikov, une épure), apporte un nouvel éclairage à certaines scènes vues précédemment, dépassant la rage primaire et légitime du cinéaste persécuté par le régime de Poutine.
ZIYARA (Simone Bitton, 1er déc) LL
Simone Bitton part au Maroc à la rencontre des gardiens des sanctuaires juifs et synagogues du pays. Le titre du film renvoie aux saints que musulmans et juifs ont célébré conjointement, avant le départ de ces derniers. Les témoignages de ces musulmans qui tiennent à entretenir la mémoire de leurs voisins d'une autre religion que la leur sont touchants. Dans le dernier tiers du film, on apprend par des universitaires que l'exode des juifs serait lié au contexte de la guerre des Six jours. On comprend alors mieux pourquoi Simone Bitton, juive d'origine marocaine, a si bien critiqué les politiques sionistes et coloniales d'Israël dans ses précédents documentaires de cinéma ( Mur, Rachel), de facture plus rigoureuse.
LES AMANTS SACRIFIES (Kiyoshi Kurosawa, 8 déc) LL
Au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, un grand entrepreneur continue de commercer avec des hommes d'affaires internationaux. Au point de trahir son pays ? Doit-il mettre sa femme au courant de ses activités ? Quel est le sens du devoir de chacun ? Patriotisme, humanisme, relation de couple... Il y a des choses intéressantes dans le scénario écrit par Ruysuke Hamaguchi, le cinéaste de Drive my car (chef d'oeuvre de l'année) qui fut un ancien élève de Kiyoshi Kurosawa. Malheureusement, on a parfois du mal à y croire, notamment à cause d'une mise en scène atone et d'une curieuse lumière un peu trop monochrome.
DUNE (Denis Villeneuve, 15 sep) LL
Nous sommes en l'an 10191. La vraie gauche n'a toujours pas gagné, et on surexploite les planètes à qui mieux mieux. L'Empereur décide de décharger les Harkonnen, trop brutaux avec le peuple autochtone des Fremen, de la récolte de l'Epice, et confie la mission à la famille des Atréides, des exploiteurs plus gentils (et blancs de peau, c'est bien Houellebecq qui a écrit le roman ? en tout cas c'est le même code couleur). Le jeune héritier des Atréides pourrait bien être l'Elu attendu par les croyances des Fremen. Plus discutable qu' Avatar de James Cameron au niveau idéologique, le film se laisse voir : prévoir peut-être des boules Quiès (selon votre sensibilité musicale), mais l'image est un peu délestée des laideurs pixellisées qui encombrent généralement ce genre de superproduction.
MADELEINE COLLINS (Antoine Barraud, 22 déc) LL
Petite déception devant le nouveau film d'Antoine Barraud, dont j'avais beaucoup aimé Le Dos rouge. On est content de revoir devant la caméra Nathalie Boutefeu, pour quelques scènes. Le prologue, assez lynchien, montre une femme ayant un malaise dans une boutique de luxe. Puis, tout en restant dans le même milieu, c'est une autre femme que l'on ne quitte plus d'une semelle par la suite. Celle-ci mène une double vie, entre deux hommes et deux descendances. Si l'on mettait à plat l'histoire, elle serait assez logique. Mais, curieusement, la mise en scène sophistiquée la rend parfois totalement invraisemblable. De ce point de vue, c'est un peu le contraire d'Hitchcock, même si Virginie Efira, qui fait ici un festival, campe une héroïne que n'aurait pas reniée le maître...
AFFAMES (Scott Cooper, 17 nov) L
Scott Cooper est un réalisateur un peu touche à tout, et propose ici deux films en un : un film psychologique, et un film horrifique, avec un vrai monstre. Les protagonistes sont un jeune enfant qui ne va pas bien, et son institutrice, qui a dû affronter un père abusif dans son enfance. Malheureusement, l'hybridation tentée (avec Guillermo Del Toro à la production) ne fonctionne pas : les scènes psychologiques classiques ne sont pas en cause, mais le reste peine à convaincre, comme une juxtaposition un peu artificielle.
UN HEROS (Asghar Farhadi, 15 déc) L
Rahim, emprisonné pour dette non payée, va voir ses proches pendant une permission. Il se retrouve en possession d'un sac perdu contenant de l'or, et préfère le restituer à sa propriétaire plutôt que de s'en servir pour rembourser sa dette. Le geste est médiatisé, et les réseaux sociaux s'en emparent. Mais gare aux petits arrangements avec la vérité qui vont se payer cash, tels les révolvers dans les films noirs qu'on voit apparaître un instant, puis réapparaître à un moment critique. Le scénario est implacable, mais c'est justement ça le problème : on a l'impression de voir une idée plus qu'un film. Les personnages semblent n'exister que pour se prêter à une mécanique sadique qui asphyxie tout : personnages, spectateurs, comme si la vie et l'ambiguïté avaient (définitivement ?) déserté le cinéma de Farhadi...
TROMPERIE (Arnaud Desplechin, 29 déc) L
Adapté de Philip Roth, le film est censé nous intéresser à diverses relations extra-conjugales de l'écrivain américain renommé, notamment lors d'une résidence à Londres. Même si on peut reconnaître ici ou là quelques éléments pouvant rappeler l'univers de Desplechin, le film est surtout une catastrophe. On n'y croît pas à cause de la langue (le français au lieu de l'anglais), du casting (Denis Podalydès, pour une fois peu convaincant, on se raccroche à Emmanuelle Devos et Anouk Grinberg, personnages trop secondaires), de l'artificialité de la plupart des dialogues (dont certains sont censés montrer le travail d'écriture), du regard presque misogyne porté sur l'ensemble des personnages féminins, qui ne semblent exister que pour agrémenter la vie du personnage principal masculin...
- Bien : Compartiment n°6 (Juho Kuosmanen), Aline (Valérie Lemercier), First cow (Kelly Reichardt), Illusions perdues (Xavier Giannoli)
- Pas mal : La Fracture (Catherine Corsini), Tre piani (Nanni Moretti)
- Bof : Les Olympiades (Jacques Audiard)
COMPARTIMENT N°6 (Juho Kuosmanen, 3 nov) LLL
Sur le papier, l'argument est mince : c'est l'histoire d'une rencontre imprévue, dans un train qui traverse la Russie vers le milieu des années 1990 (les téléphones portables n'étaient pas encore largement diffusés). Elle est amoureuse d'une femme, mais part sans elle, en jeune archéologue, découvrir les pétroglyphes de Mourmansk. Lui est un jeune homme russe qui descend au même endroit, mais pour travailler dans une mine. Mais, à l'écran, cette rencontre prend une ampleur inattendue, mais pas dès le départ : les personnages ne sont pas glamour comme d'autres rencontres de voyage ( genre Winslet et Di Caprio dans Titanic, ou Murray et Johansson dans Lost in translation). Yuriy Borisov est d'ailleurs au bord de la caricature, mais sans jamais y tomber. Mais il se passe toujours quelque chose sur le visage de Seidi Haarla, que la caméra scrute sans voyeurisme. Si ces deux personnages a priori éloignés mettent du temps avant de communiquer vraiment, la mise en scène de Juho Kuosmanen est d'emblée à l'écoute, trouvant la bonne distance et la juste durée des plans pour apporter de la grâce à l'ensemble. "Petit" film, mais grande réussite.
ALINE (Valérie Lemercier, 10 nov) LLL
L'histoire d'une chanteuse issue d'un milieu populaire et qui va devenir une diva de la variété internationale, jusqu'à évoluer dans une absurde prison dorée... Le personnage s'appelle Aline Dieu, mais on peut bien sûr penser à une personnalité bien réelle, "trésor national" au Québec. Jadis, Robert Charlebois avait évoqué les paradoxes de la vie de star populaire dans une poignante chanson, Ordinaire. Celle-ci pourrait servir de fil rouge à cet étonnant long métrage. Mais, n'empêche, Valérie Lemercier est, elle, assez extraordinaire, justement. Le grand budget dont elle a disposé ne sclérose pas sa mise en scène. Dans le genre si normé du biopic, elle ose des scènes pleines d'invention, subtilement décalées (au sens non dévoyé du terme : par leur extravagance, certaines scènes font d'une certaine façon un pas de côté par rapport aux conventions). C'est une sorte de paradoxe, alors que la deuxième partie de carrière de l'idole est fait de shows calibrés à l'américaine. Le film ose évoquer son enfance ou son histoire d'amour avec une sorte de pygmalion sans tomber dans la caricature. Ni hagiographie, ni satire, Valérie Lemercier trouve un ton qui n'appartient qu'à elle. Respectant l'intelligence et la sensibilité des spectateurs et spectatrices, elle fait preuve de nuances, mais des nuances flamboyantes...
FIRST COW (Kelly Reichardt, 20 oct) LLL
Il y a deux siècles, dans un coin perdu de l'Oregon, Otis, un cuisinier (surnommé Cookie) et King-Lu, venu de Chine, se rencontrent alors qu'ils projettent de faire fortune dans le Nouveau Monde. Ils en viennent à se lancer dans la vente de beignets au miel, concoctés à partir du lait, tiré en douce de la première vache de la région, appartenant à un riche négociant... Le film est éminemment politique, montrant la logique capitaliste à ses débuts (jusqu'à faire acheter à un client quelque chose qu'il possède déjà, en quelque sorte). Mais la cinéaste n'accable pas les deux compères, qui n'ont rien des notables héritiers de l'accumulation primitive pré-capitaliste (liée à l'esclavage puis la colonisation). On peut même voir le film comme une grande histoire d'amitié entre les deux filous. De même la traite nocturne de la vache est montrée comme une relation de respect, voire de tendresse entre l'homme et l'animal. Formellement, le film est une épure. La musique est discrète, parcimonieuse. Ce qui intéresse Kelly Reichardt, c'est le concret, des sons, des gestes, dans une mise en scène dépouillée qui magnifie les extérieurs et la lumière naturelle. Un des plus beaux films de la cinéaste, trop discrètement distribué dans les salles françaises, qui l'ont sorti tardivement, plus d'un an et demi après sa sélection au festival de Berlin, juste avant la crise sanitaire...
ILLUSIONS PERDUES (Xavier Giannoli, 20 oct) LLL
Le roman fleuve de Balzac comportait trois parties. C'est essentiellement la deuxième qu'a choisi d'adapter Xavier Giannoli. L'histoire d'un jeune homme qui écrit des poèmes, et monte à Paris en espérant se faire éditer. En attendant, il accepte un emploi de journaliste littéraire... Ce qui frappe d'emblée, c'est l'audace, l'insolence de Balzac, qui livre un quasi-pamphlet du monde de la presse de l'époque, partagé entre partisans d'un pouvoir fort (royalistes) et avant-garde d'opposition libérale (y compris au sens économique du terme, tout s'y achète, les contrats l'emportent sur les convictions). Le récit est saturé d'ironie derrière chaque personnage, chaque dialogue. Du pain béni pour les interprètes (dont Jean-François Stévenin, dans un dernier rôle savoureux), qui s'y donnent à coeur joie. Devant sans doute gérer un budget important, Xavier Giannoli semble moins radical dans sa mise en scène, qui vise davantage la bonne copie consensuelle et élégante (même si dans ce matériau se glisse des éléments qui pourraient renvoyer également... au monde d'aujourd'hui).
LA FRACTURE (Catherine Corsini, 27 oct) LL
C'est le premier film qui traite de manière frontale et réaliste le mouvement des Gilets Jaunes et sa répression ( Effacer l'historique l'évoquait aussi, mais dans un style de comédie satirique). Dans un hôpital parisien débordé se retrouvent plusieurs personnages, notamment une bourgeoise de gauche égocentrique (Valeria Bruni Tedeschi, aussi bonne que dans ses propres réalisations) qui s'est cassé le bras en courant derrière sa compagne (Marina Foïs), qui vient de la quitter, et un transporteur routier (Pio Marmaï) venu à Paris et blessé par la répression policière de la manifestation. Politiquement, le film est d'une grande pertinence (aucune politique de gauche ne se fera contre ou sans les classes populaires). Cinématographiquement, il est un peu plus laborieux, même si le scénario arrive à rendre prenante la seconde moitié du film.
TRE PIANI (Nanni Moretti, 10 nov) LL
Trois étapes, à cinq années d'intervalles, dans la vie des habitants d'un immeuble affectés par un drame : un jeune conducteur ivre tue accidentellement une piétonne avant que le véhicule s'encastre dans un appartement. Une fillette y logeant est confiée à des voisins âgés, dont un homme qui perd la mémoire et qui va être soupçonné de bien pire par le père de l'enfant, qui à son tour doit faire face à d'autres accusations. Pendant ce temps, le père magistrat du chauffard veut couper les ponts avec son fils, et une jeune femme qui partait accoucher le jour de l'accident se retrouve souvent seule, son mari étant toujours en déplacement professionnel... Le matériau est romanesque, les interprètes sont irréprochables (dont les excellentes Margherita Buy et Alba Rohrwacher). Les personnages masculins sont froids et assez désespérants dans leurs réactions, et cela contamine un peu trop la mise en scène un peu terne de Moretti, alors que ça aurait pu être un vrai sujet...
LES OLYMPIADES (Jacques Audiard, 3 nov) L
Le titre renvoie à un quartier du XIIIè arrondissement de Paris, où se croisent des jeunes gens. Malgré la diversité affichée, ils font tous partie d'une petite bourgeoisie plus ou moins intellectuelle, plus ou moins précarisée. Après deux films décevants ( Dheepan et Les Frères Sisters), Jacques Audiard allait-il arriver à se renouveler ? En tout cas, j'ai peiné à m'intéresser aux coucheries de ces personnages, bien qu'ils soient agréables à regarder, dans un écrin noir et blanc qui se veut chic...
- Bien : Debout les femmes ! (Gilles Perret, François Ruffin), Tralala (Arnaud et Jean-Marie Larrieu), Les Intranquilles (Joachim Lafosse), La Traversée (Florence Miailhe)
- Pas mal : Petite soeur (Stéphanie Chuat, Véronique Reymond), Julie (en 12 chapitres) (Joachim Trier), Le Dernier duel (Ridley Scott)
DEBOUT LES FEMMES ! (Gilles Perret, François Ruffin, 13 oct) LLL
Deux documentaires en un dans ce nouveau film de Gilles Perret et François Ruffin, peut-être le meilleur qu'ils ont fait (ensemble ou séparément). Le premier mérite du film est de donner la parole à des femmes que l'on entend si peu : auxiliaires de vie, en milieu scolaire (auprès d'élèves en situation de handicap) ou à domicile, agents d'entretien, etc. Les horaires éclatés, les rémunérations au Smic horaire (donc parfois en dessous du seuil de pauvreté, à cause du temps partiel subi), la pénibilité physique. Le second mérite du film est de suivre l'évolution d'une mission parlementaire que Ruffin a initiée, bien avant la crise sanitaire, sur les métiers du lien (très majoritairement féminins, d'où ces rencontres), et qu'il est contraint de mener avec un député LREM, Bruno Bonnell (un personnage très contrasté). La crise sanitaire a brièvement mis en lumière ce précariat (ces "métiers que l'on rémunère si mal", à "l'utilité commune" incontestable, dixit Macron pendant les 2 minutes où il a été de gauche). Mais la majorité présidentielle reste cruellement droit dans ses bottes néolibérales, à part un ou deux mots qui ne coûtent rien. Malgré tout, le documentaire, au montage très digne et agrémenté de chansons de Bourvil, se clôt sur une séquence finale émouvante et formidable, qui donne tout son sens, politique au sens noble du terme, à la démarche.
TRALALA (Arnaud et Jean-Marie Larrieu, 6 oct) LLL
Un chanteur de rue quitte Paris pour Lourdes où il tente de retrouver une jeune femme qui lui est apparue la veille dans la Capitale. C'est le tout début d'une histoire certes improbable, mais qui se prête fort bien à une comédie musicale réjouissante. Les frères Larrieu sont des cinéastes imprévisibles à la filmographie très inégale. Ici l'audace paye : on se réjouit de voir Mathieu Amalric entonner des chansons composées par Philippe Katerine, Josiane Balasko se lancer dans un duo avec la voix de Dominique A, ou encore Mélanie Thierry déclamer de façon piquante du Jeanne Cherhal. Sans oublier le chanteur Bertrand Belin, au charisme oscillant entre Bashung et Mitchum, dans un rôle de musicien pas complètement accompli. "Ne soyez pas vous même" est le message drôlatique qui s'échange entre deux des personnages principaux. Une devise qui peut s'adresser aussi aux spectateurs/trices pour apprécier au mieux la réussite de Tralala.
LES INTRANQUILLES (Joachim Lafosse, 29 sep) LLL
Joachim Lafosse continue d'explorer les thèmes du couple et de la famille. Ici, il suit les affres d'un père peintre atteint de bipolarité (maladie mentale moins souvent frontalement représentée que les dépressions classiques) et les conséquences sur son entourage, en premier lieu sur sa femme et son fils, aimants. On voit d'abord davantage les épisodes maniaques (tout aussi problématiques que les épisodes dépressifs), la suractivité, y compris nocturne, la tentation d'échapper aux prises de lithium... Par une mise en scène intense, le cinéaste belge arrive à regarder ses personnages sans les juger ni les condamner. Il y parvient par la mobilisation de son équipe technique et de ses interprètes : Leïla Bekhti, aussi impliquée que l'était Emilie Dequenne ( A perdre la raison) ou Bérénice Bejo ( L'Economie du couple) dans les précédents films de Lafosse, et bien sûr Damien Bonnard, nuancé sans être dans la retenue...
LA TRAVERSEE (Florence Miailhe, 29 sep) LLL
On ne dira jamais assez à quel point le cinéma d'animation peut receler une grande richesse artistique, ne serait-ce qu'en s'intéressant à la grande diversité des techniques utilisées (a fortiori si on s'écarte des produits calibrés pour le succès). Depuis ses courts-métrages remarqués ( Hammam, Conte de quartier, vus il y a quelques années au festival de La Rochelle), Florence Miailhe utilise la peinture animée (sur plaque de verre), ce qui donne ici un premier long métrage d'une grande beauté esthétique. L'écrin accompagne l'odyssée d'une adolescente contrainte de fuir un pays ravagé par la guerre, et de tenter avec son petit frère de passer la frontière et peut-être de rejoindre ses parents. Les épreuves successives sont montrées sans aucune niaiserie, tout en restant accessible au jeune public (adolescent).
PETITE SOEUR (Stéphanie Chuat, Véronique Reymond, 6 oct) LL
Sven, un comédien de théâtre de grand talent, tombe gravement malade. Lise, sa soeur jumelle, tente de l'aider, d'abord en tentant une greffe, puis en essayant de le faire remonter sur scène, en lui écrivant un rôle sur mesure qu'il interpréterait sans trop se fatiguer. Mais la maladie progresse... Stéphanie Chuat et Véronique Reymond n'édulcorent rien, intention louable mais qui risque de rendre le film prévisible et peu aimable, hormis une séquence de parapente impressionnante. Mais les réalisatrices savent choisir et diriger leurs interprètes : après Michel Bouquet et Florence Loiret-Caille dans le trop méconnu La Petite chambre, c'est la très grande actrice allemande Nina Hoss qui ici porte le film sur ses épaules.
JULIE (EN 12 CHAPITRES) (Joachim Trier, 13 oct) LL
C'est l'histoire d'une trentenaire d'aujourd'hui, que l'on suit dans son évolution, stade après stade (de façon littéraire, le film est découpé en douze chapitres, d'inégale longueur, d'un prologue et d'un épilogue). Brillante étudiante, elle peine pourtant à trouver sa voie, et se cherche aussi sur le plan personnel. Des problèmes de riches ? En tout cas, les personnages donnent l'impression de se créer beaucoup de difficultés, avant qu'un tournant dramatique ne survienne. L'interprétation inspirée de Renate Reinsve dans le rôle titre fut primée à Cannes, mais on saluera aussi celle d'Anders Danielsen Lie, acteur fétiche du cinéaste qui a aussi illuminé certains films français ( Ce sentiment de l'été, Bergman island).
LE DERNIER DUEL (Ridley Scott, 13 oct) LL
Le film s'inspire d'une célèbre affaire de viol au Moyen-Âge, en France : un écuyer bien vu du potentat local profite de l'absence d'un chevalier pour courtiser sa femme et la violer. Celle-ci décide de parler. Sans pouvoir faire appel à des témoins, les protagonistes s'en remettent au jugement de Dieu : les deux mâles s'affrontent dans un duel. Celui qui en sortira vivant sera censé être celui qui dit vrai. Mais si c'est le mari qui est tué, sa femme sera condamnée et brûlée pour fausse accusation... Si un film ne tenait qu'à son scénario, celui-ci serait une réussite, grâce à sa construction scénaristique (l'histoire est racontée par chacun des protagonistes, ce qui donne au final trois versions). Mon impression est cependant beaucoup plus mitigée, pour des raisons artistiques : le film est tourné en anglais (alors qu'il se déroule en France), et la direction artistique est assez grossière : décors et figurants rajoutés en numérique, photographie et scènes de bataille assez laides (rien à voir avec Kurosawa, alors que la construction fait penser à Rashomon). Reste l'histoire, bien menée et édifiante.
- Bravo : Drive my car (Ryusuke Hamaguchi)
- Bien : Onoda (Arthur Harari), Les Sorcières d'Akelarre (Pablo Agüero), Le Sommet des dieux (Patrick Imbert), Les Sorcières de l'Orient (Julien Faraut), La Terre des hommes (Naël Marandin), Stillwater (Tom McCarthy), Louloute (Hubert Viel), Boîte noire (Yann Gozlan), Tout s'est bien passé (François Ozon)
- Pas mal : Serre moi fort (Mathieu Amalric), Rouge (Farid Bentoumi), Une fois que tu sais (Emmanuel Cappellin), True mothers (Naomi Kawase), Les Amours d'Anaïs (Charline Bourgeois-Tacquet), Tom Medina (Tony Gatlif)
- Bof : France (Bruno Dumont), Passion simple (Danielle Arbid)
DRIVE MY CAR (Ryusuke Hamaguchi, 18 aou) LLLL
Le film demande certes au spectateur de se rendre disponible pendant trois heures. Mais ce qu'il offre en retour est magnifique, et on a envie de le remercier pendant des heures après l'avoir vu. Ryusuke Hamaguchi a su concilier l'exigence narrative (prix du scénario à Cannes) et l'exigence de mise en forme que requiert le cinéma. Hamaguchi (ou Murakami ?) s'autorise, en particulier dans le dernier tiers, des coups de théâtre qui peuvent surprendre, à l'intérieur de la petite musique bouleversante qui s'élabore et nous atteint petit à petit. Mais il ne s'agit pas vraiment de coups de force scénaristiques dans le but de faire avancer son récit : Hamaguchi ne s'intéresse qu'aux répercussions intimes ou existentielles sur ses personnages (ainsi cela ne dénature pas sa démarche). Le prix de la mise en scène aurait tout aussi bien pu lui convenir : si on est attentif aux moindres détails, ce n'est pas uniquement le fait du côté romanesque, mais aussi par la qualité de regard du cinéaste. Il n'y a pas un seul plan de raté ou d'approximatif, on ressent toutes les scènes comme si elles avaient la durée idéale etc. Sans parler de la direction d'acteurs et de la puissance d'incarnation des interprètes... Drive my car suit le trajet (intérieur) de plusieurs personnages, mais pas comme une aventure, un parcours linéaire semé d'embûches. Ici, le passé s'invite et dialogue avec le présent, quand bien même le film n'a recours à aucun flash-back et respecte l'ordre chronologique du début à la fin. Aucune longueur malgré sa durée.Tant mieux, car il faut bien 3h pour en apprendre davantage sur les personnages sans les brusquer. Au niveau qualitatif, l'intimité qu'on noue avec eux est sans comparaison possible avec les films qui ne proposent à leurs spectateurs et spectatrices que de tenir la chandelle...Dans l'histoire du cinéma, les films "modernes" ont parfois été reliés au thème de l'incommunicabilité. Drive my car est encore travaillé par ça, mais ose peut-être aussi le contraire : d'une part, on continue à être relié aux personnes disparues, et d'autre part, au présent, on n'a pas besoin de parler la même langue pour parler le même langage...
ONODA (Arthur Harari, 21 juil) LLL
Tourné par un réalisateur français au Cambodge (l'intrigue se passe en réalité aux Philippines) avec des acteurs japonais, cette production atypique impressionne. Elle raconte l'histoire authentique de Onoda, un officier japonais formé par une unité spéciale (avec une éthique très différente de l'armée régulière), qui est envoyé en 1944 à Lubang, une île des Philippines, avec un commando. Attendant d'être relevé de sa mission par un supérieur, il se croit toujours en guerre, un quart de siècle après l'armistice. Il ne faut pas avoir peur de la durée du film (plus de 2h40), car on ne voit pas le temps passer. Arthur Harari réussit une fresque très inhabituelle dans le cinéma français, avec un sens de l'espace (qui peut faire penser autant à Werner Herzog que Terrence Malick) et un antihéros passionnant même si on le suit sans fascination (il n'a pas un charisme à la Klaus Kinski) ni sympathie.
LES SORCIERES D'AKELARRE (Pablo Agüero, 25 aou) LLL
L'action se passe au Pays basque, en 1609. De jeunes tisserandes sont brusquement arrêtées et accusées de sorcellerie, simplement parce qu'elles vivent dans un village de pêcheurs, abandonné une partie de l'année par les hommes, mais terre de mission pour l'Eglise catholique... Le film est tourné en Espagne par un réalisateur argentin, Pablo Agüero, mais est inspiré par la mission inquisitrice dans le Pays basque français du juge Pierre de Rosteguy de Lancre (à la demande d'Henri IV). La mise en scène est très relevée, avec des moments d'anthologie, et le film, historique mais qu'on regarde avec nos yeux d'aujourd'hui, peut faire écho à des questionnements contemporains (sur le stigmate de "sorcière" et la manière dont on peut le retourner).
LE SOMMET DES DIEUX (Patrick Imbert, 22 sep) LLL
On a peine à croire que ce film d'animation français est tiré d'un manga à succès de Jirô Taniguchi et Baku Yumemakura de plus de mille six cent pages, tant la fluidité narrative n'est jamais mise en défaut dans la réduction inévitable en un récit d'une heure et demie. Habu est un alpiniste solitaire (ses rares compagnons de cordée semblent l'encombrer), qui rêve d'inscrire son nom dans les annales de sa discipline. Après plusieurs revers marquants, il disparaît des radars. Une dizaine d'années plus tard, Fukumachi, reporter montagnard, croît l'apercevoir à Katmandou... Le film commence comme une enquête et se nourrit de nombreux flash-back. Puis peu à peu c'est surtout la quête de Habu que l'on accompagne, avec des séquences vertigineuses qui deviennent aussi un hommage à l'inhospitalière beauté des plus hautes montagnes.
LES SORCIERES DE L'ORIENT (Julien Faraut, 28 juil) LLL
Après L'Empire de la perfection, consacré à John McEnroe, Julien Faraut propos un nouveau documentaire sportif sortant à nouveau de l'ordinaire. Il s'intéresse à l'histoire très singulière d'une équipe féminine de volleyball, constituée d'ouvrières d'une usine textile, qui va devenir au début des années 1960 l'équipe nationale du Japon, et accumuler les victoires internationales (record jamais battu), jusqu'aux championnats du monde et aux Jeux olympiques de Tokyo. Si le film réunit certaines des protagonistes, il offre surtout des images d'archives impressionnantes, sur leurs entraînements notamment, que Julien Farault mêle de façon audacieuse à des extraits de manga inspirés par leur épopée, grâce à un sens du montage assez exceptionnel.
LA TERRE DES HOMMES (Naël Marandin, 25 aou) LLL
Constance veut sauver la ferme de son père de la faillite, en montant avec son fiancé un projet de reprise de l'exploitation, moins quantitatif mais plus qualitatif, éthique mais viable économiquement. Elle obtient le soutien d'un responsable syndical des exploitants, mais celui-ci abuse d'elle. Constance commence par encaisser en silence... Pour son deuxième long métrage, Naël Marandin réussit à tenir les deux thèmes de son drame (les difficultés paysannes dans le modèle agricole dominant, et les agressions et crimes sexuels), sans en sacrifier aucun, et en montrant comment ils s'entrelacent. Diane Rouxel n'est pas une star, mais une grande actrice qui nous fait comprendre la complexité des réactions de son personnage et de la notion de non consentement. Les mille nuances de son jeu constituent le grand atout du film, et compensent une musique un peu trop présente et à l'efficacité convenue.
STILLWATER (Tom McCarthy, 22 sep) LLL
Bill Baker, un ouvrier américain spécialisé dans les forages pétroliers, rend visite à sa fille, emprisonnée à Marseille pour le meurtre de sa petite amie qu'elle dit ne pas avoir commis. Le jugement étant déjà tombé, il décide de rester dans la ville et de mener sa propre enquête (forcément maladroite). Ne parlant pas français, une jeune femme rencontrée par hasard lui sert d'interprète. Il s'installe chez elle et sa ravissante gamine... Malgré sa trame scénaristique, le film n'est pas un polar tendu (comme l'était Spotlight, un précédent film du cinéaste), plutôt un drame qui prend le temps d'accompagner ses personnages attachants, qui s'apprivoisent malgré les différences culturelles qui ne sont pas niées. Belle interprétation d'ensemble, Matt Damon et Camille Cottin en tête.
LOULOUTE (Hubert Viel, 18 aou) LLL
Louise est une prof d'histoire au sommeil perturbé (elle peut s'endormir n'importe où). Dans ses rêves, elle redevient Louloute et navigue dans ses souvenirs d'enfance, dans les années 1980, dans la ferme familiale spécialisée dans l'élevage de vaches laitières. Louloute n'est pas encore adolescente mais, malgré des parents aimants qui cherchent à la protéger (Laure Calamy et Bruno Clairefond, plus que bien), elle comprend que son père est en difficulté, entre endettement croissant et cours du lait en baisse... Sans ostentation, la mise en scène rend très vivants les personnages (les enfants semblent naturels, sans surjouer), l'époque est finement restituée, et le grain de l'image (le film a visiblement été tourné en pellicule) n'y est pas pour rien.
BOÎTE NOIRE (Yann Gozlan, 8 sep) LLL
Après le crash d'un vol Dubai-Paris, un jeune acousticien du BEA (Pierre Niney) mène son enquête. Le son a ses mystères et son suspense : Brian De Palma en avait déjà tiré partie dans Blow out, avec un ingénieur du son de série B interprété par John Travolta. Ici, l'analyse de la boîte noire de l'appareil est un terrain d'investigation prenant, avant de virer dans la deuxième moitié du film en un thriller paranoïaque haletant. On se prend même à penser à Hitchcock, dans la façon dont la mise en scène nous emmène émotionnellement là où le cinéaste veut aller, alors même qu'à froid on pourrait s'interroger sur la vraisemblance de tel ou tel point du scénario.
TOUT S'EST BIEN PASSE (François Ozon, 22 sep) LLL
Après un AVC qui le laisse douloureusement handicapé, un vieil homme qui avait une personnalité excentrique, demande à l'une de ses deux filles de l'aider à mourir, car il ne veut plus vivre de cette façon là. Le film traite son sujet de manière juste au niveau politique ou éthique (sur le droit à mourir dans la dignité). Pour ce que j'en sais, il semble assez fidèle au roman autobiographique éponyme d'Emmanuèle Bernheim (qui avait déjà inspiré le très beau et très libre Être vivant et le savoir d'Alain Cavalier). Est-il également juste émotionnellement ? Le film se montre en tout cas extrêmement prudent, évite tout pathos, et est bien interprété (Sophie Marceau, Géraldine Pailhas, qui a une filmographie discrète mais remarquable depuis Le Garçu de Pialat...).
SERRE MOI FORT (Mathieu Amalric, 8 sep) LL
Une femme quitte sa famille nucléaire (son mari, sa fille et son fils). Elle ne donne pas de nouvelles. Mais, au bout d'un moment, on s'aperçoit qu'elle communique et interagit avec les scènes familiales auxquelles on assiste. Pendant un long moment, on ne comprend pas trop ce qu'on est en train de voir, il y a des pièces du puzzle assez dissonantes. Mais lorsqu'on saisit enfin l'enjeu réel du film, on se dit que, cette fois-ci, contrairement à Barbara où la post-modernité pouvait paraître forcée, ici la forme est indissociable du fond, qui aurait pu être lourd dans un traitement conventionnel. Et Amalric peut compter sur une interprète lumineuse fragile-solide, Vicky Krieps ( Phantom thread, Bergman island).
ROUGE (Farid Bentoumi, 11 aou) LL
A travers le scandale des boues rouges, curieusement transposé dans les Alpes, le film montre bien les tensions qui peuvent exister entre les préoccupations sociales et écologiques si l'on reste dans le cadre capitaliste. On a donc besoin d'une écologie qui dépasse le capitalisme, par une planification démocratique, plutôt que d'une écologie qui fait des risettes au grand patronat. L'autre idée du film, c'est d'incarner le dilemme dans un conflit familial. C'est un peu moins convaincant, d'autant que le film n'a pas toujours les moyens de ses ambitions. Pourtant les interprètes sont irréprochables : Sami Bouajila (le père, ouvrier historique), Zita Hanrot (la fille, récemment embauchée et lanceuse d'alerte), et Céline Sallette (journaliste indépendante).
UNE FOIS QUE TU SAIS (Emmanuel Cappellin, 22 sep) LL
Le titre de ce documentaire renvoie à un questionnement sur la psychologie humaine, une fois que les personnes comprennent l'ampleur du risque d'effondrement que nous encourons. Il commence par abuser de musique plombante et de commentaires sentencieux, qui laissent craindre une position de surplomb. Il commence d'ailleurs par interroger des experts qui n'insistent pas toujours sur la nécessité de lier l'urgence écologique à l'urgence sociale et l'urgence démocratique. Heureusement, la suite infléchit un peu cette impression, avec Saleemul Huq et les séquences tournées au Bengladesh. Et, à la fin, le réalisateur participe à une action d'Extinction Rébellion beaucoup plus critique vis-à-vis du modèle économique. Il n'y aura pas de solution tant qu'on confie l'économie au bon vouloir d'actionnaires tout puissants dans des conseils d'administration qui agissent pour accumuler des profits immédiats. Vu l'urgence et l'ampleur de la tâche, il aurait peut-être fallu commencer par là...
TRUE MOTHERS (Naomi Kawase, 28 juil) LL
Depuis quelques années, le cinéma s'interroge sur la pluriparentalité : par exemple dans Lady Bird de Greta Gerwig (une intrigue secondaire du film), ou plus récemment dans Une histoire à soi, le passionnant documentaire d'Amandine Gay sur l'adoption internationale. C'est d'adoption interne au Japon dont il est question ici, à travers l'histoire de Hikari, une adolescente qui, à la demande de ses parents, a caché sa grossesse et a laissé son enfant, à sa naissance, à une association qui se charge de lui trouver des parents. Huit ans plus tard, Hikari cherche à rentrer en contact avec les parents adoptifs de son enfant, un couple aisé mais stérile. Naomi Kawase convainc dans l'aspect social voire documentaire de son approche, un peu moins dans la mise en scène (construction en flash-back, aspects mélodramatiques parfois appuyés).
LES AMOURS D'ANAÏS (Charline Bourgeois-Tacquet, 15 sep) LL
Anaïs (Anaïs Demoustier) est une jeune femme qui court tout le temps, et est toujours en retard. En cela elle ressemble à la Jeanne qu'interprétait Virginie Ledoyen dans Jeanne et le garçon formidable (qui reste haut perché dans mon panthéon personnel). Anaïs finit une thèse de littérature, rompt pour de bon avec un petit ami, cède aux avances d'un éditeur plus âgé (Denis Podalydès, autre point commun des deux films), avant de se passionner pour l'épouse écrivaine de ce dernier (Valéria Bruni Tedeschi)... Ce premier long métrage, situé dans un milieu bourgeois, carbure à une certaine légèreté. D'ailleurs, lorsque la réalisatrice tente d'incorporer des éléments plus graves, cela ne prend pas toujours. Avec également l'impression que le résultat est plus littéraire que cinématographique.
TOM MEDINA (Tony Gatlif, 4 aou) LL
L'histoire d'un jeune homme tumultueux qui est envoyé en "séjour de rupture" dans un mas de Camargue, sous l'autorité d'un gardian. Pendant un moment, on croit assister à une purge : les situations ont déjà été vues de nombreuses fois en mieux dans les précédents films de Gatlif. Malgré tout, il y a de belles scènes, au moment où on ne s'y attend plus. C'est un film brouillon, mais où la magie opère encore parfois. Grâce à l'interprétation de Slimane Dazi, formidable en éducateur miné par le chagrin. Grâce surtout à l'intensité de la musique, entre les décharges électriques de Karoline Rose Sun et des morceaux de flamenco déchirants.
FRANCE (Bruno Dumont, 25 aou) L
Au début, on y croit, à cette caricature de la médiocrité de certaines chaînes d'information en continu, avec sa présentatrice sans scrupule (Léa Seydoux) et son assistante dénuée de toute conscience morale (Blanche Gardin). Le film dénonce la culture du "buzz" et les reportages bidonnés. Sauf qu'aujourd'hui les chaînes d'information en continu, c'est souvent (il ne faut pas mettre sur le même plan France Infos et CNews) peu de reportages et beaucoup de discussions en plateaux, avec des consultants droitisés voire extrémistes et à la légitimité plus que douteuse. Bruno Dumont n'en parle pas, sa critique est datée et imprécise. Le scénario est agrémenté de rebondissements gratinés, et le film semble interminable.
PASSION SIMPLE (Danielle Arbid, 11 aou) L
L'irruption d'une passion amoureuse et charnelle, avec sa part d'inexpliquable, chez une femme de lettres, est un vrai sujet. Son traitement proposé par Danielle Arbid, réalisatrice pourtant talentueuse ( Dans les champs de bataille, Peur de rien), n'arrive pas à convaincre. Le film n'arrive pas vraiment à faire ressentir les états émotionnels de son héroïne (malgré l'abnégation de Laetitia Dosch), et, malgré son caractère parfois cru, paraît bien théorique. On notera néanmoins une bande originale soignée (une adaptation anglaise de Ne me quitte pas, et une version féminine du I want you de Dylan, notamment).
- Bravo : Titane (Julia Ducournau), Gagarine (Fanny Liatard, Jérémy Trouilh)
- Bien : Bergman island (Mia Hansen-Love), La Loi de Téhéran (Saeed Roustayi), Sound of metal (Darius Marder), Ibrahim (Samir Guesmi), Sous le ciel d'Alice (Chloé Mazlo), Annette (Leos Carax)
- Pas mal : Les 2 Alfred (Bruno Podalydès), De l'or pour les chiens (Anna Cazenave Cambet)
- Bof : Février (Kamen Kalev) Benedetta (Paul Verhoeven)
TITANE (Julia Ducournau, 14 juil) LLLL
Le cinéma français produit de plus en plus de films "de genre", avec des résultats contrastés. Julia Ducournau avait frappé fort dès son premier long métrage, Grave, qui était aussi un teen movie. L'attente était forte, et la cinéaste réussit à faire encore mieux avec Titane, Palme d'or d'un jury cannois audacieux. Alexia est d'abord une petite fille qui survit à un accident de la route grâce à un ajout d'une plaque de titane dans son crâne. Devenue adulte, elle semble avoir perdu toute humanité, entretient avec les automobiles des rapports érotiques, et tue ceux qui se dressent sur sa route. Recherchée par la police après une tuerie, elle tente de se faire passer pour le fils, disparu il y a de longues années, d'un pompier inconsolable, qui survit à coups de stéroïdes... On a le droit de baisser les yeux, à des instants où la scène est difficilement soutenable. Et pourtant, on ne sort jamais de ce film, qui capte l'attention de bout en bout. Il ne le fait pas avec des coups de force scénaristiques. Il s'agit plutôt d'une trajectoire moins prévisible, où de la lumière peut surgir des ténèbres, et une véritable émotion s'installer en profondeur. Le "genre" n'est qu'un moyen qui ne doit pas masquer la singularité et l'amplitude de la mise en scène de Julia Ducournau, plus humaniste qu'il n'y paraît.
GAGARINE (Fanny Liatard, Jérémy Trouilh, 23 juin) LLLL
Youri (Alséni Bathily), 16 ans, a grandi à Gagarine, la cité d'Ivry-sur-Seine inaugurée par le cosmonaute russe en 1963. Lorsqu'il apprend que la cité est menacée de démolition, Youri décide de rentrer en résistance. Grand bricoleur, et accessoirement féru d'astronomie, il est aidé dans son entreprise par ses amis, notamment Diane (Lyna Khoudri), une jeune Rom du terrain vague voisin... Pour leur premier long-métrage, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh dépoussièrent le regard cinématographique sur la banlieue. Ses jeunes héros, même s'ils sont un peu plus âgés, rappellent ceux des Petits frères de Jacques Doillon, loin de l'approche dominante. Mais il y a surtout la mise en scène, audacieuse, maîtrisée, surprenante (même les champs/contre-champs prennent une proportion inédite). Dès les premiers plans, on se sent happé. A partir d'un point de départ réaliste, le film s'en échappe peu à peu et finit par décoller irrésistiblement.
BERGMAN ISLAND (Mia Hansen-Love, 14 juil) LLL
Un couple de cinéastes (Tim Roth, à contre-emploi, et Vicky Krieps, la révélation de Phantom Thread, encore formidable ici) sont en résidence sur l'île de Farö, là où Bergman a résidé et tourné certains de ces chefs d'oeuvre ( Persona, Scènes de la vie conjugale). L'ombre du maître plane sur le couple, surtout que de drôlatiques parcours touristiques célèbrent la mémoire du génie du septième art (cruel jusque dans sa vie). Chris et son mari, plus expérimenté qu'elle, sont dans un autre registre, mais chacun a son univers. Au bout d'un moment, Chris commence à raconter ce qu'elle a écrit, et c'est l'histoire d'un autre couple (Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie, inoubliable dans Ce sentiment de l'été) en séjour sur l'île, le temps d'un mariage, qu'elle raconte... Mia Hansen-Love nous réconcilie avec son cinéma : elle n'est jamais aussi à l'aise qu'en se centrant sur l'intimité, en s'inspirant peut-être du couple qu'elle a longtemps formé avec Olivier Assayas. L'exercice de style aurait pu être nombriliste, il est en fait délicieux et magnifiquement incarné. La fluidité avec laquelle on passe d'une couche à une autre (et même de Bergman à ABBA !) est remarquable.
LA LOI DE TEHERAN (Saeed Roustayi, 28 juil) LLL
Les politiques "sécuritaires" aggravent les problèmes qu'elles sont censées résoudre. On le voit aussi en Iran, où la toxicomanie progresse en flèche, alors même que la détention de 30g de drogue peut faire risquer la peine de mort tout autant que s'il s'agissait de plusieurs kilos... C'est dans ce contexte qu'on suit un flic (Payman Maadi, déjà apprécié dans Une séparation) tenter de remonter une filière. Peu à peu, le film glisse vers une sorte de duel entre ce flic et un "gros poisson" (Navid Mohammadzadeh). La mise en scène aurait pu se contenter d'être efficace. Elle l'est indéniablement, mais le film enrichit les personnages, non réduit à des archétypes, et laisse aussi quelques scènes mémorables (entre autres une course-poursuite inaugurale interrompue de la plus inattendue des manières, ou une démonstration de gymnastique qu'un petit garçon exécute au parloir d'une prison, en guise d'adieu à son oncle).
SOUND OF METAL (Darius Marder, 16 juin) LLL
Ruben et Lou, ensemble à la ville comme à la scène, sillonnent les Etats-Unis de concert en concert, avec leur groupe de metal. Un soir, l'audition de Ruben se dégrade. Il consulte un médecin qui lui annonce qu'il sera bientôt sourd. Ruben va-t-il apprendre à vivre avec sa surdité au sein d'une communauté de sourds, ou va-t-il tenter de réunir la somme conséquente que coûterait un implant ? Le film avance pas à pas avec Ruben. Si le traitement du son est remarquable, quoique attendu, le film convainc par sa finesse d'observation, dans les détails de l'expérience de Ruben, et dans l'évolution de sa vie sociale. Cette production indépendante, loin de tout effet mélodramatique, bénéficie également des interprétations, d'une grande justesse, de Riz Ahmed et Olivia Cooke.
IBRAHIM (Samir Guesmi, 23 juin) LLL
Pour son premier film en tant que réalisateur, le comédien Samir Guesmi raconte la délicate relation entre un père et son fils qu'il élève seul. Il interprète le premier, un écailler qui rêve de passer en salle et de servir les clients. Mais il doit économiser pour s'acheter des prothèses et remplacer sa dentition défaillante. Pendant ce temps, Ibrahim (Abdel Bendaher), son fils de 17 ans, est entraîné par un camarade à se faire de l'argent en apparence facile... Le film séduit par sa faculté de dire peu (les deux personnages principaux sont assez taiseux) tout en suggérant beaucoup. Une mise en scène tenue et retenue (le film ne dure qu'1h 19). Et un casting de luxe pour les seconds rôles (Raba Naït Oufella, Maryline Canto, Luana Bajrami, Florence Loiret-Caille).
SOUS LE CIEL D'ALICE (Chloé Mazlo, 30 juin) LLL
Dans les années 50, Alice quitte la Suisse natale pour le Liban. Elle y rencontre son futur mari, Joseph, un astrophysicien qui rêve d'envoyer le premier Libanais dans l'espace. Mais, au bout de quelques années de vie commune, la guerre civile s'immisce dans leur quotidien idyllique... Le premier long métrage de Chloé Mazlo fait étrangement écho au documentaire The Lebanese Rocket Society de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (projeté au festival La Rochelle cinéma 2021), mais il peut s'apprécier sans. Car cette chronique douce-amère, entre fantaisie et mélancolie, bénéficie d'un traitement tout sauf naturaliste, avec des décors artificiels et même quelques séquences d'animation. Alba Rohrwacher et Wajdi Mouawad se fondent au mieux dans cet univers.
ANNETTE (Leos Carax, 7 juil) LLL
Après le mémorable et radical Holy motors, Leos Carax continue de prendre des risques, en proposant un film opératique, entièrement chanté comme Les Parapluies de Cherbourg ou Une chambre en ville de Demy. Le groupe des Sparks a composé la musique et écrit le scénario, autour d'un couple dissonant formé par une cantatrice célèbre (Marion Cotillard) et un humoriste de stand-up (Adam Driver). Ce dernier personnage a une personnalité très sombre, voire toxique. Artistiquement, il y a des fulgurances, des feux d'artifice : le prix de la mise en scène par le jury cannois n'est donc pas forcément usurpé. Mais il manque une certaine profondeur qui ajouterait davantage d'émotion à ces partis pris formels.
LES 2 ALFRED (Bruno Podalydès, 16 juin) LL
On est dans un futur assez proche, entouré d'objets hyper-connectés (dont une voiture très autonome). Denis Podalydès est un quinqua qui se fait embaucher dans une start-up, dans laquelle les salarié.e.s s'engagent à ne pas avoir d'enfants en bas âge... Le film traite d'un monde ultralibéral (sur le plan économique) et des dérives liberticides du numérique. Malheureusement, Bruno Podalydès, dont on aime les délicieux décalages et pas de côté ( Adieu Berthe, Comme un avion), tombe dans une certaine mollesse. Le film est angoissant malgré lui, et souffre de la comparaison avec des films récents qui contrebalancent le pessimisme de la raison par la vigueur de la révolte (le réjouissant Effacer l'historique, de Kervern et Delépine).
DE L'OR POUR LES CHIENS (Anna Cazenave Cambet, 30 juin) LL
Après la fin de son boulot saisonnier dans les Landes, une jeune fille monte à Paris dans l'espoir de revoir son amour de l'été. Le film est son cheminement, et la fin, assez singulière, ne ressemble pas du tout au début, plus banal. Sans être incontournable, ce premier long métrage s'en sort plutôt bien, et les débuts de Tallulah Cassavetti sont même assez prometteurs, bien secondée par des seconds rôles chevronnés (Corentin Fila, Julie Depardieu).
FEVRIER (Kamen Kalev, 30 juin) L
Le même homme à trois âges de la vie : enfant, lorsqu'il passe l'été au côté de son grand-père berger ; jeune adulte, lorsqu'il s'en va au service militaire, au lendemain de ses noces ; vieillard, devant affronter dans la solitude la rigueur de l'hiver. Dans ce troisième temps, peut-être le meilleur, on pense parfois au cinéma de Béla Tarr ( Le Cheval de Turin). Le problème, c'est que les plans de ce film n'ont jamais la même densité. Cela peut en devenir problématique, quand on fait un cinéma "lent".
BENEDETTA (Paul Verhoeven, 9 juil) L
Benedetta est une jeune nonne du XVIè siècle, qui a régulièrement des visions de Jésus, alors qu'une jeune novice fait naître un appétit sexuel. Virginie Efira est formidable d'ambiguïté : on ne sait jamais si son mysticisme est sincère, ou si elle simule pour gagner du pouvoir au sein de l'abbaye. On n'en dira pas autant de la mise en scène de Paul Verhoeven : sans aucune subtilité, elle accumule scènes impossibles, constamment proche du grand-guignol.
- Bien : Une histoire à soi (Amandine Gay), La Nuée (Just Phillipot), Milla (Shannon Murphy)
- Pas mal : 143 Rue du désert (Hassen Ferhani), 5è set (Quentin Reynaud), Freaky (Christopher Landon)
- Bof : Teddy (Ludovic et Zoran Boukherma)
UNE HISTOIRE A SOI (Amandine Gay, 23 juin) LLL
L'adoption est souvent traitée dans les médias sous l'unique angle des parents adoptants ou du difficile parcours des candidats à l'adoption. Amandine Gay, née sous X, livre des témoignages beaucoup plus rares : ceux d'enfants adoptés en France et devenus adultes. Ils sont cinq, originaires de Corée du Sud, du Brésil, du Rwanda, du Sri Lanka et d'Australie. Cet angle est beaucoup plus politique qu'il n'y paraît, ce qui n'étonnera pas de la part de la réalisatrice de Ouvrir la voix. Mais la cinéaste ne parle nullement à la place de ces témoins. Au contraire, elle les laisse raconter les nuances de leurs histoires familiales (ils et elles ont eu des parcours, des expériences ou des choix parfois similaires, parfois différents). Formellement, Amandine Gay a fait des choix forts, comme celui de ne pas les faire apparaître face caméra. Leurs témoignages, uniquement en voix off, s'entrecroisent habilement et sont illustrés par des photos ou des vidéos de famille. Et, un peu comme chez Mariana Otero ou Eric Caravaca, ces réflexions intimes nourrissent aussi des questionnements politiques, sur la pluriparentalité ou encore sur les rapports qui sous-tendent l'adoption internationale.
LA NUEE (Just Phillipot, 16 juin) LLL
Virginie est une mère célibataire qui a abandonné l'élevage de chèvres pour un élevage de sauterelles. Elle espère en tirer une farine hyperprotéinée qui pourrait alimenter d'autres bêtes. Mais les premiers clients souhaitent une plus grande quantité, et moins cher... Le réalisme des premières scènes rend crédible la suite qui couve, plus ou moins horrifique. Il pose des questions politiques, structurelles, sans verser dans le moralisme vis-à-vis de ses personnages. On peut comprendre que Virginie veuille se saigner aux quatre veines pour nourrir sa famille, et les enfants ont une existence propre, la fille ainée étant peut-être le personnage le plus perspicace du film. La bande son est très travaillée, et même impressionnante. Sorte de croisement entre l'horrifique animalier ( Les Oiseaux, Phase IV) et le drame agricole ( Au nom de la terre), le premier long-métrage de Just Phillipot est le meilleur film "de genre" français depuis Grave de Julia Ducournau.
MILLA (Shannon Murphy, 28 juil) LLL
C'est l'histoire d'une lycéenne qui tombe amoureuse pour la première fois. Les prémices semblent banales, mais les deux adolescents ne le sont pas : on découvrira qu'elle vient d'une famille aisée, mais qu'elle a une maladie sérieuse, et que son amoureux se dépêtre avec la drogue... Les ingrédients pourraient être ceux d'un drame édifiant, mais Shannon Murphy en fait autre chose, un film plus enlevé, plus pop, plus proche d'un journal intime d'ado, sans jamais tomber dans la facilité ou l'édulcoration. La haute personnalité de son héroïne comme les audaces de la mise en scène dans certaines séquences ne sont pas sans rappeler Jane Campion période Un ange à ma table. Un premier film très prometteur.
143 RUE DU DESERT (Hassen Ferhani, 16 juin) LL
C'est un documentaire-portrait, autour de la figure de Malika, la patronne d'une sorte de resto-route, qui sert omelette, thé ou café à ceux qui passent par là, sur la Nationale 1, au milieu de nulle part, en plein désert algérien. C'est un portrait de ce lieu aussi. Petit à petit, les plans s'élargissent, et on voit que cet endroit pittoresque est menacé par l'implantation d'une future station service. Malika est un personnage haut en couleurs, attachée à son indépendance du haut de ses 74 ans, mais les clients qui défilent semblent constituer une coupe d'une partie de la société algérienne contemporaine. Malika n'a pas son pareil pour écouter les autres. On sent un peu le dispositif, le côté petit théâtre, mais cela donne aussi de jolies scènes, avec l'intervention d'un écrivain (Chawki Amari) ou d'un groupe de musique...
5E SET (Quentin Reynaud, 16 juin) LL
Le grand intérêt du film est de montrer le quotidien de tennismen professionnels qui n'arrivent pas à intégrer durablement le top 100 ou 200 mondial. Le récit est circonstancié (le réalisateur est un ancien joueur semi-professionnel), et Alex Lutz (toujours aussi transformiste) et Ana Girardot sont excellents. La mise en scène n'est pas aussi inspirée : abus de caméra portée ou de musique excessivement dramatisante. Heureusement, dans la dernière manche, ces défauts s'effacent. Balles neuves. Le réalisateur n'a plus besoin d'artifices. Alors ce n'est ni un grand film ni un Nadal-Djokovic, mais il réussit à refaire son break de retard...
FREAKY (Christopher Landon, 23 juin) LL
Cela commence comme un teenmovie d'horreur, comme l'était déjà Happy birthdead, du même réalisateur. Des jeunes sont trucidés par un tueur en série (qui nourrit les légendes urbaines depuis plusieurs décennies). Une lycéenne échappe au tueur, mais, inexplicablement, tous deux se réveillent dans le corps de l'autre. Bonjour les quiproquos ! Le film réussit à nous faire accepter cette absurdité, et navigue entre scènes de frisson et sourires, lorgnant vers Wes Craven, sans atteindre la même finesse d'exécution. La fin alternative est discutable. On dira que c'est une façon de nous sortir du film...
TEDDY (Ludovic et Zoran Boukherma, 30 juin) L
Une histoire de loup-garou qui se passe dans le Sud-Ouest de la France, c'est intriguant sur le papier. On entrevoit le petit plaisir qu'ont eu les auteurs à l'écriture : mêler un thème classique du cinéma dans une géographie plus inédite, avec une pointe de dérision si française. Le problème, c'est qu'à l'écran c'est nettement moins convaincant. Le premier degré n'arrive pas vraiment à prendre, tant le film est incroyablement prévisible, et le second niveau à prétention satirico-potache manque cruellement de subtilité. L'idée était sans doute ambitieuse, mais le résultat est un peu étriqué.
- Bien : Mandibules (Quentin Dupieux), Petite maman (Céline Sciamma), Hospitalité (Kôji Fukada)
- Pas mal : Balloon (Pema Tseden), Si le vent tombe (Nora Martirosyan), L'Etreinte (Ludovic Bergery), Playlist (Nine Antico), Des hommes (Lucas Belvaux)
- Bof : Nomadland (Chloé Zhao)
MANDIBULES (Quentin Dupieux, 19 mai 2021) LLL
Deux compères qui survivent de combines assez aléatoires découvrent, dans le coffre d'une voiture qu'ils se sont (drôlement) appropriée, une mouche géante. L'un des deux propose de l'apprivoiser et de la dresser pour lui faire faire tout ce qu'ils souhaitent... Le point de départ est absurde, et les personnages sont très décalés (les deux glandeurs bien sûr, mais aussi d'autres personnages rencontrés par la suite). Mais, contrairement à certains films précédents de Dupieux qui s'usaient en cours de route, ici la note est vaillamment tenue jusqu'au bout, la durée (1h17) n'étant pas excessive. Le réalisateur donne ses lettres de noblesse à la crétinerie, qui lui permet une belle créativité, à distance de l'auteurisme comme de la vulgarité des produits grand public. Dix ans après le cultissime Rubber, parodie de genre tournée aux Etats-Unis autour d'un pneu tueur, Quentin Dupieux fait, en langue française cette fois, à nouveau mouche.
PETITE MAMAN (Céline Sciamma, 2 juin 2021) LLL
Nelly, 8 ans, n'a pas eu le temps de dire au-revoir à sa grand-mère maternelle. Avec ses parents, elle se retrouve dans la maison de la défunte, qu'il va falloir vider. Sa mère retrouve ses cahiers d'écolière. Puis elle part, laissant seuls la fille et son père. Nelly joue seule avec un jokari, l'élastique casse. En cherchant la balle perdue, elle tombe sur sa maman, enfant, à l'âge de 8 ans... Même s'il y a des constantes, la cinéaste Céline Sciamma continue de se réinventer à chaque film. Après la grande forme, flamboyante, de son Portrait de la jeune fille en feu, elle livre un opus plus intimiste sur le deuil et les liens familiaux, sous forme de fable fantastique. Son minimalisme ne plaira pas forcément à tout le monde, mais c'est pourtant là son intérêt : elle arrive à recréer tout un imaginaire avec une très grande économie de moyens. Elle tire le meilleur parti de ses petites comédiennes (les jumelles Joséphine et Gabrielle Ganz), avec un souci du détail et une discrète profondeur.
HOSPITALITE (Kôji Fukada, 26 mai 2021) LLL
Malgré la situation d'embouteillage cinématographique qui accompagne la réouverture des salles, on peut encore rattraper des films inédits. Celui-ci date de 2010, et nous arrive après plusieurs films plus récents du réalisateur Kôji Fukada. Un petit imprimeur vit avec sa fille, sa nouvelle (et jeune) compagne, ainsi que sa soeur. L'atelier est au rez-de-chaussée, la partie maison au-dessus. Un jour, un homme, ancienne connaissance de la famille, lui rend visite, suite à une petite annonce (pour retrouver l'oiseau de compagnie de la fillette)... La cellule familiale va être bouleversée par l'arrivée de cet intrus, alors même que des voisins pétitionnent contre la menace que représenteraient les mendiants et les étrangers (l'imprimeur a signé la missive par conformisme, pour ne pas se faire remarquer). Le film est une satire du modèle familial ancestral, mais surtout des replis identitaires et xénophobes qui travaillent la société japonaise (et bien d'autres par les temps qui courent). Kôji Fukada reprendra un peu le même motif dans un de ses films suivants ( Harmonium), mais en délaissant la satire politique pour un film de genre qui se voit davantage au premier degré.
BALLOON (Pema Tseden, 26 mai 2021) LL
Pema Tseden est un des rares cinéastes tibétains en activité (ou le seul ?) et avait fait l'objet d'une découverte au festival de La Rochelle en 2012. Quelques films ont été chichement distribués en France depuis. Balloon est tiré d'un recueil de nouvelles de Tseden lui-même, d'où son caractère plus narratif que Old dog (2011). Le film fait le portrait d'une famille d'éleveurs de béliers confrontée à la politique de contrôle des naissances imposée par le régime chinois. Le titre renvoie aussi bien à des préservatifs que des enfants utilisent comme ballons de baudruche qu'au ventre rond d'une femme enceinte. L'héroïne Drolkar (excellente Sonam Wangmo) va aussi devoir affronter les traditions, et notamment la croyance bouddhiste dans la réincarnation. La narration est un peu trop didactique, et semble privilégier le pittoresque au social, mais il est plaisant que la réouverture des salles obscures permette d'accéder à nouveau (dans de trop rares endroits) à ce genre de cinéma.
SI LE VENT TOMBE (Nora Martirosyan, 26 mai 2021) LL
Un premier long métrage de fiction, témoignage parfois proche du documentaire, et rattrapé depuis le tournage par la réalité, voici ce que propose Si le vent tombe. Nous sommes dans le Haut-Karabakh, en 2018. Un consultant français (Grégoire Colin) arrive dans un aéroport au milieu de nulle part, d'où aucun avion ne s'est jamais envolé. Il doit vérifier les normes de sécurité dans la perspective d'une ouverture prochaine. Il comprend rapidement que les enjeux dépassent son rapport technique : la mise en service aiderait le petit pays autoproclamé indépendant au début des années 1990 à être enfin reconnu par la communauté internationale, mais risquerait d'accroître la tension avec l'Azerbaïdjan, pays voisin hostile. Sans éviter un côté parfois illustratif (avec un petit garçon porteur d'eau), la réalisatrice arménienne arrive à rendre sensibles et concrètes des questions délicates (par exemple sur la notion, pas si intangible que ça, des frontières).
L'ETREINTE (Ludovic Bergery, 19 mai 2021) LL
Margaux est dans la cinquantaine, et vient de perdre son mari. Elle décide de donner un nouveau départ à sa vie, et pour ce faire de reprendre des études (de littérature allemande). Elle se rapproche d'un groupe d'étudiants, et se lie d'amitié avec l'un d'entre eux, homosexuel. L'enjeu du film est d'observer comment elle va réussir (ou pas) à revivre sur le plan personnel. Le scénario souffre parfois d'un trop grand schématisme : certaines séquences semblent regardées avec une grille de lecture réductrice qui semble n'envisager Margaux qu'à travers son âge, a fortiori lorsque le récit tourne autour du thème de la sexualité. L'atout du film, c'est Emmanuelle Béart. Comme elle a privilégié le théâtre pendant une dizaine d'années, comment allait-elle se faire à nouveau apprivoiser par la caméra ? Sur ce point, la réponse est positive, tant Ludovic Bergery multiplie sur elle les plans serrés et les gros plans, de façon assez convaincante (même si ce n'est pas du Bergman). C'est elle qui tient le film.
PLAYLIST (Nine Antico, 2 juin 2021) LL
Sophie est une jeune fille de 28 ans, à la recherche d'un travail stable qui lui plaise et d'un amour. Dessinant depuis toujours, elle quitte son petit boulot de serveuse pour un emploi de secrétaire relations presse dans une maison d'édition de bande dessinée... L'argument est assez banal, la mise en images moins. Tourné en noir et blanc, le premier film de Nine Antico, par ailleurs autrice de BD, réussit par moment de jolies vignettes, même si cela dépasse rarement le stade des bonnes petites idées. On savourera la bonne interprétation d'ensemble (Sara Forestier, Laetitia Dosch, Grégoire Colin), ainsi que les bonnes références musicales (Daniel Johnston).
DES HOMMES (Lucas Belvaux, 2 juin 2021) LL
Vu en avant-première juste avant la longue fermeture des salles, le film m'avait impressionné, mais cette impression s'est dissipée avec le temps. En le voyant une deuxième fois, je comprends pourquoi : Lucas Belvaux ne réussit pas vraiment à tirer des images cinématographiques du roman éponyme de Laurent Mauvigner. Sur le fond, le film fait plutôt du bien, dans un contexte où la moindre entorse au roman national est considérée aujourd'hui comme un danger supérieur aux idées parallèlement banalisées et dédiabolisées de la bête immonde. Un peu comme dans Voyage au bout de l'enfer (ou en tout cas dans la lecture que j'en fais), le film arrive à dénoncer l'absurdité du patriotisme de l'armée occupante qu'il confronte aux horreurs de la guerre et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Mais il échoue (là où peut-être le roman réussit) à tenir ensemble les deux époques (va-et-vient censé montrer la persistance des blessures) : la mise en scène est assez lourde, tout comme le recours systématique aux voix off pour appréhender l'intériorité des personnages. Avec une plus grande modestie apparente, La Trahison de Philippe Faucon (2006) était autrement plus convaincant, et René Vautier davantage encore, dès les années 70 ( Avoir 20 ans dans les Aurès).
NOMADLAND (Chloé Zhao, 9 juin 2021) L
Les deux précédents longs-métrages, réussis, de Chloé Zhao, Les Chansons que mes frères m'ont apprises et The Rider, étaient en immersion dans une Amérique mal connue, avec des acteurs non professionnels qui recréaient un peu de leur propre histoire devant la caméra. En apparence, Chloé Zhao prolonge la démarche dans Nomadland, qui s'intéresse aux travailleurs nomades, mais l'introduction d'un personnage fictif, interprété par Frances McDormand, change la donne. D'une part, les personnages "réels" sont relégués au rang secondaire. Et, d'autre part, ce pas supplémentaire vers la fiction ne s'accompagne d'aucune prise de distance critique (ce qui permet de mettre d'accord Télérama et le Figaro) : les personnages sont montrés avec dignité (encore heureux), mais le fonctionnement de l'économie capitaliste qui a généré ces pratiques de survie (contrats courts et nomadisme) n'est jamais remis en cause. Pire : Amazon est montrée explicitement comme une entreprise qui paye une place de parking pour les travailleurs nomades (quelle générosité), mais le film n'aborde pas la question de son modèle économique ni des conditions de travail. Pourquoi changer le système, alors que les personnages semblent s'en satisfaire et apprécier les couchers de soleil sur des paysages magnifiques ? Cinéaste sincère des marges à ses débuts, Chloé Zhao a depuis rejoint le centre de l'industrie hollywoodienne (son prochain film sera un film de super-héros). Ce n'est pas si étonnant...
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Il n'y a pas que le ciné dans la vie
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