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Des films de 2021 (suite)

("Milla" est déjà relaté dans le précédent billet)

  • Bravo : Titane (Julia Ducournau), Gagarine (Fanny Liatard, Jérémy Trouilh)
  • Bien : Bergman island (Mia Hansen-Love), La Loi de Téhéran (Saeed Roustayi), Sound of metal (Darius Marder), Ibrahim (Samir Guesmi), Sous le ciel d'Alice (Chloé Mazlo), Annette (Leos Carax)
  • Pas mal : Les 2 Alfred (Bruno Podalydès), De l'or pour les chiens (Anna Cazenave Cambet)
  • Bof : Février (Kamen Kalev) Benedetta (Paul Verhoeven)

TITANE (Julia Ducournau, 14 juil) LLLL
Le cinéma français produit de plus en plus de films "de genre", avec des résultats contrastés. Julia Ducournau avait frappé fort dès son premier long métrage, Grave, qui était aussi un teen movie. L'attente était forte, et la cinéaste réussit à faire encore mieux avec Titane, Palme d'or d'un jury cannois audacieux. Alexia est d'abord une petite fille qui survit à un accident de la route grâce à un ajout d'une plaque de titane dans son crâne. Devenue adulte, elle semble avoir perdu toute humanité, entretient avec les automobiles des rapports érotiques, et tue ceux qui se dressent sur sa route. Recherchée par la police après une tuerie, elle tente de se faire passer pour le fils, disparu il y a de longues années, d'un pompier inconsolable, qui survit à coups de stéroïdes... On a le droit de baisser les yeux, à des instants où la scène est difficilement soutenable. Et pourtant, on ne sort jamais de ce film, qui capte l'attention de bout en bout. Il ne le fait pas avec des coups de force scénaristiques. Il s'agit plutôt d'une trajectoire moins prévisible, où de la lumière peut surgir des ténèbres, et une véritable émotion s'installer en profondeur. Le "genre" n'est qu'un moyen qui ne doit pas masquer la singularité et l'amplitude de la mise en scène de Julia Ducournau, plus humaniste qu'il n'y paraît.

GAGARINE (Fanny Liatard, Jérémy Trouilh, 23 juin) LLLL
Youri (Alséni Bathily), 16 ans, a grandi à Gagarine, la cité d'Ivry-sur-Seine inaugurée par le cosmonaute russe en 1963. Lorsqu'il apprend que la cité est menacée de démolition, Youri décide de rentrer en résistance. Grand bricoleur, et accessoirement féru d'astronomie, il est aidé dans son entreprise par ses amis, notamment Diane (Lyna Khoudri), une jeune Rom du terrain vague voisin... Pour leur premier long-métrage, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh dépoussièrent le regard cinématographique sur la banlieue. Ses jeunes héros, même s'ils sont un peu plus âgés, rappellent ceux des Petits frères de Jacques Doillon, loin de l'approche dominante. Mais il y a surtout la mise en scène, audacieuse, maîtrisée, surprenante (même les champs/contre-champs prennent une proportion inédite). Dès les premiers plans, on se sent happé. A partir d'un point de départ réaliste, le film s'en échappe peu à peu et finit par décoller irrésistiblement.

BERGMAN ISLAND (Mia Hansen-Love, 14 juil) LLL
Un couple de cinéastes (Tim Roth, à contre-emploi, et Vicky Krieps, la révélation de Phantom Thread, encore formidable ici) sont en résidence sur l'île de Farö, là où Bergman a résidé et tourné certains de ces chefs d'oeuvre (Persona, Scènes de la vie conjugale). L'ombre du maître plane sur le couple, surtout que de drôlatiques parcours touristiques célèbrent la mémoire du génie du septième art (cruel jusque dans sa vie). Chris et son mari, plus expérimenté qu'elle, sont dans un autre registre, mais chacun a son univers. Au bout d'un moment, Chris commence à raconter ce qu'elle a écrit, et c'est l'histoire d'un autre couple (Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie, inoubliable dans Ce sentiment de l'été) en séjour sur l'île, le temps d'un mariage, qu'elle raconte... Mia Hansen-Love nous réconcilie avec son cinéma : elle n'est jamais aussi à l'aise qu'en se centrant sur l'intimité, en s'inspirant peut-être du couple qu'elle a longtemps formé avec Olivier Assayas. L'exercice de style aurait pu être nombriliste, il est en fait délicieux et magnifiquement incarné. La fluidité avec laquelle on passe d'une couche à une autre (et même de Bergman à ABBA !) est remarquable.

LA LOI DE TEHERAN (Saeed Roustayi, 28 juil) LLL
Les politiques "sécuritaires" aggravent les problèmes qu'elles sont censées résoudre. On le voit aussi en Iran, où la toxicomanie progresse en flèche, alors même que la détention de 30g de drogue peut faire risquer la peine de mort tout autant que s'il s'agissait de plusieurs kilos... C'est dans ce contexte qu'on suit un flic (Payman Maadi, déjà apprécié dans Une séparation) tenter de remonter une filière. Peu à peu, le film glisse vers une sorte de duel entre ce flic et un "gros poisson" (Navid Mohammadzadeh). La mise en scène aurait pu se contenter d'être efficace. Elle l'est indéniablement, mais le film enrichit les personnages, non réduit à des archétypes, et laisse aussi quelques scènes mémorables (entre autres une course-poursuite inaugurale interrompue de la plus inattendue des manières, ou une démonstration de gymnastique qu'un petit garçon exécute au parloir d'une prison, en guise d'adieu à son oncle).

SOUND OF METAL (Darius Marder, 16 juin) LLL
Ruben et Lou, ensemble à la ville comme à la scène, sillonnent les Etats-Unis de concert en concert, avec leur groupe de metal. Un soir, l'audition de Ruben se dégrade. Il consulte un médecin qui lui annonce qu'il sera bientôt sourd. Ruben va-t-il apprendre à vivre avec sa surdité au sein d'une communauté de sourds, ou va-t-il tenter de réunir la somme conséquente que coûterait un implant ? Le film avance pas à pas avec Ruben. Si le traitement du son est remarquable, quoique attendu, le film convainc par sa finesse d'observation, dans les détails de l'expérience de Ruben, et dans l'évolution de sa vie sociale. Cette production indépendante, loin de tout effet mélodramatique, bénéficie également des interprétations, d'une grande justesse, de Riz Ahmed et Olivia Cooke.

IBRAHIM (Samir Guesmi, 23 juin) LLL
Pour son premier film en tant que réalisateur, le comédien Samir Guesmi raconte la délicate relation entre un père et son fils qu'il élève seul. Il interprète le premier, un écailler qui rêve de passer en salle et de servir les clients. Mais il doit économiser pour s'acheter des prothèses et remplacer sa dentition défaillante. Pendant ce temps, Ibrahim (Abdel Bendaher), son fils de 17 ans, est entraîné par un camarade à se faire de l'argent en apparence facile... Le film séduit par sa faculté de dire peu (les deux personnages principaux sont assez taiseux) tout en suggérant beaucoup. Une mise en scène tenue et retenue (le film ne dure qu'1h 19). Et un casting de luxe pour les seconds rôles (Raba Naït Oufella, Maryline Canto, Luana Bajrami, Florence Loiret-Caille).

SOUS LE CIEL D'ALICE (Chloé Mazlo, 30 juin) LLL
Dans les années 50, Alice quitte la Suisse natale pour le Liban. Elle y rencontre son futur mari, Joseph, un astrophysicien qui rêve d'envoyer le premier Libanais dans l'espace. Mais, au bout de quelques années de vie commune, la guerre civile s'immisce dans leur quotidien idyllique... Le premier long métrage de Chloé Mazlo fait étrangement écho au documentaire The Lebanese Rocket Society de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (projeté au festival La Rochelle cinéma 2021), mais il peut s'apprécier sans. Car cette chronique douce-amère, entre fantaisie et mélancolie, bénéficie d'un traitement tout sauf naturaliste, avec des décors artificiels et même quelques séquences d'animation. Alba Rohrwacher et Wajdi Mouawad se fondent au mieux dans cet univers.

ANNETTE (Leos Carax, 7 juil) LLL
Après le mémorable et radical Holy motors, Leos Carax continue de prendre des risques, en proposant un film opératique, entièrement chanté comme Les Parapluies de Cherbourg ou Une chambre en ville de Demy. Le groupe des Sparks a composé la musique et écrit le scénario, autour d'un couple dissonant formé par une cantatrice célèbre (Marion Cotillard) et un humoriste de stand-up (Adam Driver). Ce dernier personnage a une personnalité très sombre, voire toxique. Artistiquement, il y a des fulgurances, des feux d'artifice : le prix de la mise en scène par le jury cannois n'est donc pas forcément usurpé. Mais il manque une certaine profondeur qui ajouterait davantage d'émotion à ces partis pris formels.

LES 2 ALFRED (Bruno Podalydès, 16 juin) LL
On est dans un futur assez proche, entouré d'objets hyper-connectés (dont une voiture très autonome). Denis Podalydès est un quinqua qui se fait embaucher dans une start-up, dans laquelle les salarié.e.s s'engagent à ne pas avoir d'enfants en bas âge... Le film traite d'un monde ultralibéral (sur le plan économique) et des dérives liberticides du numérique. Malheureusement, Bruno Podalydès, dont on aime les délicieux décalages et pas de côté (Adieu Berthe, Comme un avion), tombe dans une certaine mollesse. Le film est angoissant malgré lui, et souffre de la comparaison avec des films récents qui contrebalancent le pessimisme de la raison par la vigueur de la révolte (le réjouissant Effacer l'historique, de Kervern et Delépine).

DE L'OR POUR LES CHIENS (Anna Cazenave Cambet, 30 juin) LL
Après la fin de son boulot saisonnier dans les Landes, une jeune fille monte à Paris dans l'espoir de revoir son amour de l'été. Le film est son cheminement, et la fin, assez singulière, ne ressemble pas du tout au début, plus banal. Sans être incontournable, ce premier long métrage s'en sort plutôt bien, et les débuts de Tallulah Cassavetti sont même assez prometteurs, bien secondée par des seconds rôles chevronnés (Corentin Fila, Julie Depardieu).

FEVRIER (Kamen Kalev, 30 juin) L
Le même homme à trois âges de la vie : enfant, lorsqu'il passe l'été au côté de son grand-père berger ; jeune adulte, lorsqu'il s'en va au service militaire, au lendemain de ses noces ; vieillard, devant affronter dans la solitude la rigueur de l'hiver. Dans ce troisième temps, peut-être le meilleur, on pense parfois au cinéma de Béla Tarr (Le Cheval de Turin). Le problème, c'est que les plans de ce film n'ont jamais la même densité. Cela peut en devenir problématique, quand on fait un cinéma "lent".

BENEDETTA (Paul Verhoeven, 9 juil) L
Benedetta est une jeune nonne du XVIè siècle, qui a régulièrement des visions de Jésus, alors qu'une jeune novice fait naître un appétit sexuel. Virginie Efira est formidable d'ambiguïté : on ne sait jamais si son mysticisme est sincère, ou si elle simule pour gagner du pouvoir au sein de l'abbaye. On n'en dira pas autant de la mise en scène de Paul Verhoeven : sans aucune subtilité, elle accumule scènes impossibles, constamment proche du grand-guignol.

Version imprimable | Films de 2020-2021 | Le Samedi 07/08/2021 | 0 commentaires




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