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Des films pour commencer le printemps 2025

  • Bravo : The Brutalist (Brady Corbet)
  • Bien : Berlin, été 42 (Andreas Dresen), Lumière, l'aventure continue ! (Thierry Frémaux), Black dog (Hu Guan), Ce n'est qu'un au revoir (Guillaume Brac), L'Attachement (Carine Tardieu), Un parfait inconnu (James Mangold), Becoming Led Zeppelin (Bernard MacMahon), A bicyclette ! (Mathias Mlekuz), Young hearts (Anthony Schatteman), Mickey 17 (Bong Joon-ho), Mikado (Baya Kasmi)
  • Pas mal : Fanon (Jean-Claude Barny), Bonjour l'asile (Judith Davis), A real pain (Jesse Eisenberg), Au pays de nos frères (Aliresa Ghasemi, Raha Amirfazli), The Insider (Steven Soderbergh)
  • Bof : Yôkai, le monde des esprits (Eric Khoo), Vermiglio (Maura Delpero)

THE BRUTALIST (Brady Corbet, 12 fév) LLLL
Le brutalisme est un courant architectural, certains spécialistes indiquent que les constructions imaginées par le personnage principal ne s'y ancrent pas vraiment. L'essentiel n'est pas là, puisque le terme n'est jamais prononcé dans le film. Il se pourrait que le titre soit tout simplement un jeu de mot qui renvoie aux brutalités rencontrées. Je redoutais une grande fresque ostentatoire et froide, heureusement il n'en est rien. C'est un film ambitieux, c'est vrai, mais à la hauteur de ses ambitions. Sa profondeur provient à la fois de la forme (une mise en scène inspirée et digne des plus grands), du fond (une sorte de biopic d'un personnage fictif, un architecte juif hongrois rescapé des camps et qui s'installe aux Etats-Unis), mais aussi de l'interprétation : Adrien Brody impressionne dans un rôle qui prend en quelque sorte la suite de celui qu'il incarnait dans Le Pianiste, mais aussi Felicity Jones dans le rôle de son épouse et Guy Pearce dans celui de son mécène. Une histoire inventée qui résonne de manière féconde avec l'Histoire réelle.

BERLIN, ETE 42 (Andreas Dresen, 12 mar) LLL
Le film raconte l'histoire d'un groupe de résistants communistes allemands qui passera à la postérité sous le nom de l'Orchestre rouge. Mais c'est aussi l'histoire d'amour qui unit deux de ses membres, Hans et Hilde (formidable Liv Lisa Fries). On ne quittera pas d'une semelle cette dernière. Le montage n'arrête pas de faire des va-et-vient, de telle sorte que le récit est reconstitué de manière sensible et non pas chronologique. Le style n'est pas mélodramatique mais plutôt naturaliste, et les personnages de l'autre côté ne sont pas forcément montrés comme des monstres ou des méchants d'opérette, ce qui rend d'autant plus effrayantes les structures du totalitarisme. Andreas Dresen est un cinéaste parfois inégal, mais il est ici à son meilleur.

LUMIERE, L'AVENTURE CONTINUE ! (Thierry Frémaux, 19 mar) LLL
Huit ans après Lumière ! L'aventure commence, Thierry Frémaux nous offre une nouvelle anthologie de films de Louis Lumière ou de ses opérateurs, logiquement intitulée Lumière, l'aventure continue ! Si les oeuvres les plus connues faisaient partie du premier opus, on découvre ici 120 nouvelles "vues", accompagnées par la musique de Gabriel Fauré (contemporaine de l'époque des tournages) et les commentaires, judicieux mais parfois un peu trop présents, du président de l'Institut Lumière. Magnifiquement restaurées, ces scènes nous montrent à quel point, mis à part le montage (elles duraient une cinquantaine de secondes), toute la grammaire du cinéma était déjà là, de la composition des plans aux premiers mouvements de caméra (travellings...). L'expérience régénère notre regard.


BLACK DOG (Hu Guan, 5 mar) LLL
Réalisateur de divertissements spectaculaires qui ont connu de gros succès au box-office chinois (mais non distribués en France), Hu Guan nous livre un film d'une toute autre teneur : on y suit Lang, un ancien motard récemment sorti de prison en liberté conditionnelle, qui retrouve sa ville natale, Chixia, en bordure du très cinégénique désert de Gobi. On est à la veille des JO de 2008, et les autorités locales veulent se débarrasser des chiens errants, l'un d'entre eux étant suspecté d'être enragé. Avec des séquences magistralement filmées, le film semble convoquer autant le classicisme hollywoodien (Le Vent de Victor Sjöstrom, Paris, Texas de Wim Wenders), que l'enregistrement des mutations contemporaines chinoises par Jia Zhangke (qui interprète ici un chef de clan) ou encore White God du hongrois Kornel Munduczo pour intégrer des personnages canins comme personnages à part entière qui font avancer le récit.

CE N'EST QU'UN AU REVOIR (Guillaume Brac, 2 avr) LLL
Divisé en chapitres portant chacun le nom de la protagoniste principale, ce documentaire suit des élèves de l'internat d'un lycée de Die, à la fin de leur Terminale, qui se demandent si leurs amitiés lycéennes vont survivre à leur éparpillement dans l'enseignement supérieur (et à la suite de leurs vies), d'où le titre. Mais le film enregistre plus que cela : outre les amitiés, palpables dans leurs discussions à l'intérieur comme dans les baignades à l'extérieur, on entend aussi des réflexions philosophiques, les premiers engagements, des confidences plus intimes livrées en voix off. Guillaume Brac se tient à juste distance et construit de beaux portraits d'une jeunesse à laquelle on doit un avenir. La séance est complétée par le moyen métrage Un pincement au coeur, tourné auparavant et dans le même état d'esprit avec des lycéennes plus jeunes (en Seconde) à Hénin-Beaumont.

L'ATTACHEMENT (Carine Tardieu, 19 fév) LLL
Depuis son premier long métrage, Carine Tardieu s'est fait une spécialité des drames ponctués d'humour. C'est encore le cas ici avec l'histoire d'Eliott, cet enfant de 5 ans qui perd sa mère lorsque celle-ci met au monde sa petite soeur Lucille. De manière élégante, les sauts dans le temps sont indiqués par les âges successifs de la nouvelle venue. Sandra, la voisine célibataire à laquelle Eliott avait été confié lors de l'accouchement problématique, se fait malgré elle une place dans la vie de cette famille. Le style est classique, mais le film emporte le morceau par un soin des détails qui évitent les clichés, par des dialogues savoureux car ils disent beaucoup sans jamais être des discours, et par des interprètes au diapason (Pio Marmaï, Valeria Bruni Tedeschi, Vimala Pons).

UN PARFAIT INCONNU (James Mangold, 29 jan) LLL
Evocation des cinq premières années de carrière, entre 1961 et 1965, de Bob Dylan, sorti de nulle part (d'où le titre). Pour une fois, j'ai trouvé convaincante l'interprétation de Timothée Chalamet (Monica Barbaro est également excellente en Joan Baez). Les comédiens (dont Edward Norton en mentor folk) ont réenregistré avec leurs propre voix les morceaux, ce qui donne de la fluidité à l'ensemble. Du fait de ce répertoire, on évite les musiques conventionnelles qui banalisent les biopics ordinaires. Surtout, les sous-titres permettent de toucher du doigt la poésie des paroles de Dylan, mais aussi le contenu engagé de certaines chansons, par exemple lors de la crise des missiles de Cuba en octobre 1962.

BECOMING LED ZEPPELIN (Bernard MacMahon, 26 fév) LLL
Sorti sur les écrans français une semaine après Brian Jones et les Rolling Stones (de Nick Broomfield), ce nouveau documentaire britannique sur un groupe de légende me semble bien plus réussi. Il ne s'agit pas là d'une différence de goût musical entre ces deux groupes, mais de la manière dont le film est conçu. Contrairement à celui sur l'étoile cachée des Stones, qui faisait intervenir beaucoup de proches de l'époque, pour raconter surtout des histoires personnelles, ce film-ci n'interroge que les membres encore vivants du groupe (Jimmy Page, Robert Plante, John Paul Jones). Comme il s'agit d'un récit autorisé, il n'est question que de ce qui a trait à la musique, et les extraits enregistrés lors des tournées sont plus longs, de telle sorte qu'on appréhende mieux les spécificités de leur travail (disons à la base une structure de blues, déconstruite pour introduire des improvisations puissantes).

A BICYCLETTE ! (Mathias Mlekuz, 26 fév) LLL
Mathias Mlekuz, le réalisateur, doit surmonter la perte de son fils Youri, à l'âge de 28 ans. Il décide de refaire le voyage à vélo accompli par ce dernier en 2018, de l'Atlantique (La Rochelle) à la Mer noire (Istanbul). Il embarque dans son projet son ami comédien Philippe Rebbot, qui lui suggère d'en faire un film. Le résultat est un fragile équilibre entre documentaire et (auto)fiction. Il oscille entre humour pudique voire burlesque assumé (en partie en hommage à Youri, qui était clown) et des séquences traduisant des considérations plus profondes (amitié, relations aux proches par-delà leur départ...), sans jamais exercer de chantage à l'émotion. Une attachante échappée belle.

YOUNG HEARTS (Anthony Schatteman, 19 fév) LLL
C'est un récit d'apprentissage entre deux collégiens, d'un côté Elias (Lou Goossens), sociable (il "est avec" une fille de son âge), fils d'un chanteur de charme local, de l'autre côté Alexander (Marius De Saeger), venu emménager en cours d'année en face de chez lui et désormais dans la même classe. Sans vraiment s'en rendre compte, ils vont s'ouvrir l'un à l'autre... Si le thème n'est pas particulièrement nouveau, le film gagne ses galons par la douceur avec laquelle il accompagne ses personnages (les légers accompagnements musicaux sont d'ailleurs superfétatoires), dans un univers presque utopique où la société et les adultes permettent à la jeunesse de grandir et aimer librement.

MICKEY 17 (Bong Joon-ho, 5 mar) LLL
Dans un futur dystopique, Mickey Barnes, criblé de dettes, se fait embaucher comme "remplaçable" dans une mission spatiale colonisatrice : il s'agit littéralement de se tuer à la tâche dans des missions périlleuses. S'il est tué, son corps et son cerveau sont immédiatement réimprimés... Dans la première partie, Bong Joon-ho distille suffisamment d'informations pour expliquer et rendre plausible l'intrigue. Il en profite également pour injecter dans sa science-fiction une ironie satirique assez dévastatrice (le réalisateur aime le mélange des genres, ce qui faisait déjà tout le sel de The Host). Bong Joon-ho est donc parvenu à garder sa personnalité en rejoignant Hollywood, même si le film s'étire et se banalise un peu dans son dernier tiers.

MIKADO (Baya Kasmi, 9 avr) LLL
L'humour est certes encore présent : la réalisatrice et coscénariste Baya Kasmi avait jusqu'à présent (co)écrit des comédies pour Michel Leclerc (Le Nom des gens) ou pour elle-même (Je suis à vous tout de suite). Mais, malgré un casting rompu à la fantaisie (Félix Moati, Vimala Pons, Ramzy Bedia), le sujet du film, qu'on découvre petit à petit, est plus grave que son amorce (une famille un peu bohème qui sillonne les routes avec leur van en plein été). Avec une délicatesse croissante, elle aborde différents thèmes, des enfances compliquées aux effets à l'âge adulte, sans appuyer le déterminisme ni juger les personnages. Belles prestations des jeunes Patience Muchenbach et Saül Benchetrit.

FANON (Jean-Claude Barny, 2 avr) LL
Il s'agit d'un biopic commençant au moment où le psychiatre martiniquais Frantz Fanon arrive en Algérie, en 1953, et prend son poste à l'hôpital de Blida, accompagné de son épouse Josie. Le film est reçu avec beaucoup de condescendance par la critique, un peu comme le Lumumba de Raoul Peck (réalisateur depuis reconnu, en particulier pour ses documentaires). C'est vrai que parfois la musique gêne un peu, mais le didactisme permet de faire comprendre l'origine de la pensée critique de Frantz Fanon sur le colonialisme. En exergue du film, la citation suivante : "Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir". Bien qu'historique, il jette une lumière aiguisée (et souvent absente des médias dominants) sur les tragédies contemporaines.

BONJOUR L'ASILE (Judith Davis, 26 fév) LL
Après Tout ce qu'il me reste de la révolution, la comédienne Judith Davis nous livre un second film en tant que réalisatrice, dans lequel elle s'attribue le rôle de Jeanne, une travailleuse sociale qui rend visite à son amie Elisa (Claire Dumas, très bien également), qui s'est installée avec sa famille à la campagne, non loin d'un château devenu foyer, tiers-lieu convoité par un promoteur pour en faire une résidence touristique de luxe. Ce qu'il y a de bien, c'est que l'autrice ne s'excuse jamais d'un regard toujours aussi radical sur la société. La limite de ce joyeux foutraque, c'est que l'abondance des thématiques (sociales, psychiques, féministes, écologiques) peut donner une impression de trop plein à la limite du superficiel. Le résultat est néanmoins assez sympathique, et gonflé.

A REAL PAIN (Jesse Eisenberg, 26 fév) LL
Deux cousins juifs américains profitent d'un voyage touristique mais mémoriel pour découvrir en Pologne la maison de leur grand-mère récemment décédée. On savait Jesse Eisenberg acteur brillant (Cafe Society par exemple). C'est aussi un bon auteur. L'idée de ce voyage organisé sur les lieux de la Shoah donne lieu à un humour d'équilibriste qui frôle parfois la limite de l'acceptable. Le groupe est accueillant : un rescapé non juif du génocide rwandais y participe. Mais en dépit de son lourd sujet, le film repose surtout sur une classique opposition entre les caractères des deux cousins (qui valut à Kieran Culkin l'Oscar du second rôle).

AU PAYS DE NOS FRERES (Aliresa Ghasemi, Raha Amirfazli, 2 avr) LL
Le film suit sur plusieurs décennies et plusieurs générations le destin d'une famille de réfugiés afghans en Iran. C'est un assemblage de trois segments, tournés chacun comme s'il s'agissait d'un court métrage (moins soumis à la censure préalable, même astuce que Rasoulof pour Le Diable n'existe pas). Le scénario fonce parfois dans le plus tragique, mais, dans un style plutôt naturaliste, le film donne à voir les rapports de domination ou de mise à l'écart (certains plans sont découpés de telle sorte à isoler certaines de ces personnes). Intéressant, bien que de facture plus modeste que les plus grands films iraniens actuels.

THE INSIDER (Steven Soderbergh, 12 mar) LL
De retour au cinéma, Steven Soderbergh est toujours aussi éclectique. Il y a à boire et à manger dans sa filmographie, même au sens propre : la meilleure séquence de ce film est une scène de repas. L'histoire tourne autour de deux espions qui sont aussi mari et femme. Le premier a reçu la mission de surveiller la seconde, soupçonnée d'être une taupe... Le divertissement se suit sans déplaisir, mais sans passion (comment s'intéresser à des personnages qui mentent tout le temps ?). Le résultat est loin d'égaler le sommet d'ironie qu'était L'Affaire Cicéron de Joseph Leo Mankiewicz, avec Danielle Darrieux et James Mason (et son fameux rire final).

YÔKAI, LE MONDE DES ESPRITS (Eric Khoo, 26 fév) L
Claire Emery (Catherine Deneuve), une chanteuse qui a eu son heure de gloire dans les années 1960, donne un concert au Japon. Yuzo, un de ses plus grands fans, vient de disparaître, et son fils Hayato, venu chez son père pour préparer les funérailles, trouve des places pour le concert et y assiste... Le film est censé prendre un tour fantastique, avec la présence de personnages récemment décédés. Si le spectateur n'y met pas beaucoup de bonne volonté, le film décevra inévitablement, même pas sauvé par les quelques chansons écrites et composées pour l'occasion par la talentueuse Jeanne Cherhal.

VERMIGLIO (Maura Delpero, 19 mar) L
L'histoire se passe dans un village reculé des montagnes d'Italie du Nord. Vers la fin de la Seconde guerre mondiale, un déserteur y arrive, et va bouleverser la vie des habitants, dont les filles de l'instituteur. Malheureusement, pour les spectatrices et spectateurs, de bouleversement il n'y a point. On est loin de Théorème (d'ailleurs pas mon Pasolini préféré). Maura Delpero vient du documentaire, mais son incursion dans la fiction historique, trop dépourvue d'un vrai regard, peine à convaincre.
Version imprimable | Films de 2025 | Le Dimanche 13/04/2025 | 0 commentaires
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Suite des films de début 2025

  • Bravo : From Ground Zero (collectif palestinien de réalisateurs et réalisatrices)
  • Bien : La Pie voleuse (Robert Guédiguian), Prima la vita (Francesca Comencini), Personne n'y comprend rien (Yannick Kergoat), Spectateurs ! (Arnaud Desplechin)
  • Pas mal : Presence (Steven Soderbergh), La Mer au loin (Saïd Hamich Benlarbi), Mon gâteau préféré (Maryam Moghaddam, Behtash Sanaeeha), Apprendre (Claire Simon), When the light breaks (Runar Runarsson), La Voyageuse (Hong Sang-soo), Brian Jones et les Rolling Stones (Nick Broomfield)

FROM GROUND ZERO (Collectif, 12 fév) LLLL
Le programme est constitué d'une vingtaine de courts-métrages réalisés par des cinéastes palestiniennes et palestiniens à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Les formes choisies oscillent entre documentaires, fictions ou une hybridation des deux. Evidemment, même dans les segments fictionnels, avec parfois des recherches esthétiques bouleversantes car faites avec les moyens du bord, le réel rentre dans le champ par ce qu'enregistre la caméra (bâtiments détruits, recherche de survivants parmi les décombres, promiscuité sous les tentes...). Ce qui frappe, c'est néanmoins la diversité des approches, le kaléidoscope des personnalités et attitudes décrites pour tenir bon, survivre, résister, assurer le présent et si possible l'avenir des enfants, et préserver la dignité humaine et le goût de vivre, parfois grâce à l'imaginaire ou la médiation artistique, face aux crimes contre l'humanité en cours (que les observateurs qui n'ont pas détourné le regard ont tenté de décrire à travers des néologismes avec le suffixe -cide pour signifier l'anéantissement de tout ou partie d'un groupe humain, mais aussi la destruction systématique des constructions urbaines, hopitaux, universités, bâtiments patrimoniaux, mémoire d'une civilisation). Un travail modeste mais indispensable, un peu à l'instar de celui de Pour Sama de Waad Al-Khateab (et Edward Watts) à propos des bombardements d'Alep par le régime syrien, déchirant quand on se remémore les aspirations des jeunes gazaoui.e.s recueillies dans Yallah Gaza de Roland Nurier ou Voyage à Gaza de Piero Usberti. Et dans le contexte actuel, ce travail révèle, par contraste, toute l'indécence du double standard des grands médias occidentaux mécaniquement alignés sur la propagande de guerre d'un Etat qui se soustrait depuis des décennies au droit international, pourtant la seule boussole qui puisse servir de base pour garantir le respect de chaque peuple à disposer de lui-même, et l'égalité d'accès à ses droits fondamentaux.

LA PIE VOLEUSE (Robert Guédiguian, 29 jan) LLL
Après quelques infidélités, retour du cinéaste au quartier de l'Estaque. On y suit Maria, une aide-ménagère, qui trime chez des petits vieux qu'elle aime, mais qu'elle vole aussi, un billet ou un chèque qu'elle remplit à la place de son propriétaire. Le but de ces larcins ? Sortir la tête de l'eau et offrir de vrais cours de pianos à son petit-fils. Certains cinéastes tournent en caméra subjective. Guédiguian, lui, nous propose une bande-son subjective, la grande musique (des classiques mais aussi des compositions originales de Michel Petrossian à la manière de) qu'écoute à longueur de journée Maria. S'il filme toujours extrêmement bien les rapports de classe, il dépasse, grâce à des plans judicieusement composés, la description sociologique mécaniste pour offrir à ses personnages (Ascaride, Darroussin, Meylan, Boudet dans son dernier rôle, Leprince-Ringuet, Marilou Aussilloux la nouvelle venue) de la dignité, de la sensualité, une bonté et une beauté qui feraient presque office de résistance intime par temps qui s'assombrissent.

PRIMA LA VITA (Francesca Comencini, 12 fév) LLL
En apparence, Francesca Comencini rend hommage à son père, le cinéaste Luigi Comencini. Moins formaliste que Fellini, moins radical que Pasolini, il est peu cité dans les histoires du cinéma, à part pour L'Incompris, film autour d'une enfance dramatique. Ici est reconstitué le tournage, joyeux pour les enfants, de son Pinocchio. Il avait une pratique qu'on pourrait qualifier d'humaniste (on l'entend prioriser "D'abord la vie, ensuite le cinéma"). Il ne voulait pas trop diriger, d'où, par parenthèse, des acteurs parfois en roue libre, mais Bette Davis, Alberto Sordi et Silvana Mangano cabotinent juste ce qu'il faut dans L'Argent de la vieille. Mais en fait, malgré des cerises pour cinéphiles (des extraits de L'Enfance nue de Pialat ou Païsa de Rossellini), le gâteau proposé par Francesca Comencini est goûteux pour tout le monde. Quand bien même le point de départ serait le nombril de la réalisatrice, le film va vers les autres, et ses vraies thématiques, autour de la transmission et de l'émancipation, résonnent de façon universelle.

PERSONNE N'Y COMPREND RIEN (Yannick Kergoat, 8 jan) LLL
Yannick Kergoat, monteur césarisé pour Harry, un ami qui vous veut du bien, ayant aussi collaboré avec Erick Zonca (La Vie rêvée des anges) ou de façon régulière avec Costa-Gavras, mène parallèlement une deuxième carrière de réalisateur de documentaires politiques. Celui-ci décortique les faits à la base de l'affaire Sarkozy-Kadhafi, en s'appuyant sur le travail d'enquête entrepris depuis des années par les journalistes de Mediapart Fabrice Arfi et Karl Laske. L'exposition chronologique des éléments permet parfois de les rapprocher de façon inattendue, et les différents témoins (y compris de la complaisance médiatique) tout comme la voix off de Florence Loiret Caille participent également à cet exercice pédagogique et de vigilance citoyenne.

SPECTATEURS ! (Arnaud Desplechin, 15 jan) LLL
Après quelques fictions beaucoup moins convaincantes que par le passé, Desplechin revient avec une sorte d'essai sur l'importance du cinéma dans sa vie et dans celle des autres. Il entremêle des séquences de fiction autobiographique, où l'on retrouve son double Paul Dédalus, interprété ici par le jeune Milo Machado Graner (Anatomie d'une chute), initié au cinéma par sa grand-mère (Françoise Lebrun), avec des séquences documentaires. Il interroge ainsi des amateur.ice.s anonymes, mais fait aussi intervenir un esthète (Dominique Païni) et une philosophe (Sandra Laugier) dans leurs propres rôles. Avec ce beau monde, il tente de cerner les plaisirs cinéphiles, mais aussi d'aborder la responsabilité du regard qui s'impose aux spectateur.ice.s.

PRESENCE (Steven Soderbergh, 5 fév) LL
Steven Soderbergh revisite le genre des films se déroulant dans une maison hantée, mais en choisissant de filmer les scènes entièrement en caméra subjective, du point de vue du spectre. Cependant, assez vite, on voit surgir dans cet exercice de style un autre genre, celui du drame psychologique, un peu moins bien exécuté (le cinéaste surligne beaucoup). Néanmoins c'est cette association, assez inédite, entre cette forme-ci et ce contenu là qui fait tout le sel de ce retour du côté du cinéma pour Soderbergh (après des détours pour la télévision).

LA MER AU LOIN (Saïd Hamich Benlarbi, 5 fév) LL
Situé au début des années 1990, cette saga sur Nour (Ayoub Gretaa), un Marocain débarqué à Marseille avec d'autres clandestins commence faiblement, avec des représentations bourrées de clichés. Heureusement, cela change lorsque Nour fait connaissance d'un couple très loin des conventions, interprété par les toujours insaisissables Anna Mouglalis et Grégoire Colin. Ainsi, le film est ponctué de maladresses, mais les personnages nous restent en mémoire bien après la projection.

MON GATEAU PREFERE (Maryam Moghaddam, Behtash Sanaeeha, 5 fév) LL
A Téhéran, une veuve retraitée redécouvre l'amour auprès d'un autre septuagénaire, chauffeur de taxi pour arrondir ses fins de mois. Dans un autre pays, l'histoire pourrait être banale (partager tendresse, sensualité et du vin), mais dans ce pays, la vivre et la montrer sont des actes courageux. Dommage que le scénario punisse les protagonistes dans sa dernière partie. Tourné clandestinement, le film n'est pas aussi insolent que d'autres qui nous viennent d'Iran, mais c'en est déjà trop pour les autorités : au moment où le film sort dans les salles françaises, les deux cinéastes sont assignés à résidence, dans l'attente de leur procès !

APPRENDRE (Claire Simon, 29 jan) LL
Il y a une trentaine d'années, Claire Simon avait déjà filmé une école (Récréations). Ici, elle rentre carrément dans les salles de classe de l'école primaire et maternelle Makarenko, à Ivry-sur-Seine. Elle se met à hauteur d'enfants, y compris au sens propre, dans le placement de la caméra. Elle en filme une quotidienneté qui tranche avec la façon dont le sujet est traité dans les débats publics, a fortiori par des journalistes proches de l'extrême droite. Ici, il y a des pleins et des déliés. Mais cette approche modeste, presque dépolitisée, peut-elle faire le poids face aux polémiques malsaines ?

WHEN THE LIGHT BREAKS
(Runar Runarsson, 19 fév) LL
Une jeune fille perd le garçon qu'elle aime, mais ne peut exprimer ouvertement son chagrin et son deuil, car cette relation n'était pas encore connue des proches, le garçon n'ayant pas encore rompu avec une autre. Le film est ramassé sur quelques jours, d'un coucher de soleil à un autre. L'actrice principale, Elin Hall, est formidable. Le tout manque toutefois d'intensité, si on se souvient par exemple de La Vie des morts, le moyen métrage réalisé en début de carrière par Arnaud Desplechin. D'un autre côté, on peut aussi savoir gré au cinéaste islandais de ne pas avoir cédé à la tentation de faire le malin.

LA VOYAGEUSE (Hong Sang-soo, 22 jan) LL
Le titre désigne une française installée en Corée du Sud qui a une méthode bien à elle d'enseigner le français, en conversant en anglais avec les autochtones. Hong Sang-soo renouvelle un peu le fond, tout en creusant son sillon sur la forme (plans séquences minimalistes, d'où s'échappent parfois un zoom). Si le résultat peut susciter par moments des surprises, le dispositif ne fonctionne plus très bien. Et le jeu d'Isabelle Huppert n'arrive pas à s'accorder pleinement à cet univers et aux autres interprètes.

BRIAN JONES ET LES ROLLING STONES (Nick Broomfield, 19 fév) LL
Paradoxal personnage que ce Brian Jones, fondateur des Rolling Stones et à l'oreille aiguisée via le jazz et le blues. Pourtant, ce documentaire insiste sur le fait qu'il n'était pas compositeur, et nous narre par le menu ses amourettes sans lendemain (mais pas sans descendance), et ses diverses addictions qui le conduiront à intégrer le tristement célèbre Club des 27. C'est son apport en tant qu'arrangeur inspiré qui est ici crédité ("Ruby Tuesday", "Paint it black", "Under my Thumb"), malheureusement, pour les mélomanes, les extraits ne dépassent guère quelques secondes...
Version imprimable | Films de 2025 | Le Mardi 25/02/2025 | 0 commentaires
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Des films de début 2025

  • Bravo : La Chambre d'à côté (Pedro Almodovar)
  • Bien : Bird (Andrea Arnold), Julie se tait (Leonardo Van Dijl), Je suis toujours là (Walter Salles), Mémoires d'un escargot (Adam Elliot)
  • Pas mal : Le Quatrième mur (David Oelhoffen), Un ours dans le Jura (Franck Dubosc), Le Dossier Maldoror (Fabrice Du Welz)
  • Bof : Les Feux sauvages (Jia Zhang-ke)

LA CHAMBRE D'A COTE (Pedro Almodovar, 8 jan) LLLL
Il y a six ans, Pedro Almodovar livrait Douleur et gloire, un film-somme d'inspiration en partie autobiographique, et dans lequel on retrouvait la quintessence de son style. Ici, il livre plutôt un film testamentaire, notamment de par son sujet, en interrogeant le rapport à la mort de ses deux personnages principaux, une reportrice de guerre frappée par un cancer agressif, et son amie écrivaine à succès qui vient d'écrire un livre à la teneur vitaliste. Le cinéaste s'inscrit depuis longtemps dans un héritage d'un certain cinéma classique hollywoodien, Douglas Sirk en particulier, donc la langue anglaise semble couler de source. Par contre, s'il y a toujours un travail sur les couleurs, elles ne sont pas saturées comme à l'habitude. Au lieu de reproduire ce qu'on attend de lui, Almodovar invente une forme plus sobre en apparence, et adaptée aux enjeux, qu'il traite d'ailleurs avec nuances, loin du manichéisme bien intentionné mais maladroit de Mar Adentro de son compatriote Amenabar. On retrouve bien sûr cette précision dans les interprétations de Tilda Swinton et Julianne Moore. Loin de rechercher la satisfaction immédiate, esthétique ou émotionnelle, ce nouveau sommet dans la filmographie du maître espagnol, qui déjoue les attentes, trouve sa grandeur avec des qualités beaucoup plus souterraines, qu'accompagne idéalement la musique d'Alberto Iglesias.

BIRD (Andrea Arnold, 1er jan) LLL
Il s'agit du quatrième film de la cinéaste Andrea Arnold à avoir été sélectionné en compétition officielle à Cannes. Contrairement aux trois autres, il n'a pas eu de prix, ce qui est paradoxal alors qu'il s'agit probablement de son meilleur. Curieusement, à tête reposée, on pourrait retrouver des motifs de ses précédentes réalisations : une adolescente défavorisée (elle est élevée par un père immature qui l'a eu trop tôt), mais douée d'une forte personnalité (comme dans Fish Tank), une utilisation non conventionnelle de musiques pas trop mainstream (comme dans American honey). Mais au cours de la projection, on a pourtant l'impression de redécouvrir son univers, grâce à une mise en scène dans laquelle les contraires (le naturalisme d'un côté, des touches de poésie presque surnaturelles d'un autre, celui du rôle titre) s'additionnent avec une grâce inédite, au lieu de s'annuler...

JULIE SE TAIT (Leonardo Van Dijl, 29 jan) LLL
Pratiquante intensive du tennis, Julie est très douée, aspire à devenir professionnelle, mais est encore lycéenne. Un jour, son entraîneur est suspendu soudainement... Les scènes tennistiques bénéficient à plein de l'expérience de son interprète principale Tessa Van den Broeck, jeune tenniswoman professionnelle dans la vraie vie. La mise en scène de ce premier long métrage est remarquable, avec des plans-séquences admirablement composés, aptes à travailler le hors-champ comme les non-dits. La musique originale, composition de vocalises assez étranges signées Caroline Shaw, est utilisée de façon parcimonieuse mais à bon escient, et contribue à l'atmosphère de ce suspense psychologique mâtiné de notes de critique sociale.

JE SUIS TOUJOURS LA (Walter Salles, 15 jan) LLL
La dictature militaire brésilienne évoquée à travers le destin de la famille Paiva, nombreuse, joyeuse et heureuse jusqu'à l'arrestation du père, ancien député travailliste. Eunice, la mère, formidablement incarnée par Fernanda Torres, qui se tenait jusque là à l'écart de la politique, va devoir résister au régime en place. Le récit est construit de façon très chronologique. On a ainsi d'abord le temps de s'immerger dans le quotidien de cette famille, avant qu'elle ne soit rattrapée par la réalité de la situation politique. Dans les meilleurs moments, on pense à Kleber Mendonça Filho, autre grand réalisateur brésilien contemporain (Aquarius). On pourra cependant regretter les conventions de l'épilogue final, après un ultime saut dans le temps...

MEMOIRES D'UN ESCARGOT (Adam Elliot, 15 jan) LLL
Prévenons d'emblée, ce second long métrage d'animation de Adam Elliot n'est pas à destination des enfants, et son personnage principal n'est pas un animal, comme le titre semble l'indiquer, mais un être humain. En l'occurrence il s'agit d'une jeune femme devenue orpheline beaucoup trop tôt, et placée de surcroît dans une autre famille d'accueil que son frère jumeau... Sur le papier, il y a pas mal de sordide dans cette histoire, mais le tournage en stop motion, avec des personnages plus expressifs que des interprètes en chair et en os, donne du relief, et même un certain humour à l'ensemble. Au détour d'une séquence, on remarquera également une mise en abyme, ce qui est devenu assez courant dans le cinéma en live mais est inhabituel dans le domaine de l'animation. Une jolie réussite qui concrétise les espoirs du prometteur Mary et Max, il y a plus de quinze ans.

LE QUATRIEME MUR (David Oelhoffen, 15 jan) LL
Pour respecter la volonté d'un vieil ami souffrant, le français Georges se rend au Liban pour mettre en scène Antigone avec des comédiens et comédiennes issus des différentes communautés. Nous sommes en 1982... Il ne s'agit pas ici d'un film qui mettrait au clair la chaîne des responsabilités qui ont abouti au massacre des camps de Sabra et Chatila (ce point est travaillé par Valse avec Bachir d'Ari Folman, original par son angle comme par le traitement esthétique). Mais plutôt d'une adaptation du roman éponyme du grand reporter Sorj Chalandon, dans lequel de bonnes volontés se retrouvent sous les bombardements, et dans un conflit qu'ils n'ont pas provoqué. Si le film se veut un choc, la violence ne me semble pas filmée de façon complaisante. On a rarement vu Laurent Lafitte dans un film aussi grave. La comédienne libanaise Manal Issa, découverte dans Peur de rien de la cinéaste Danielle Arbid, confirme l'excellence de son talent.

UN OURS DANS LE JURA (Franck Dubosc, 1er jan) LL
Il faut accepter cette prémisse heureusement improbable : en voulant éviter un ours sur la route, un conducteur tue accidentellement deux personnes en possession d'une grosse somme d'argent... Après beaucoup d'années d'un humour un peu au ras des pâquerettes, Franck Dubosc change de registre, et s'offre une comédie macabre dans la neige. Surprise : si la mise en scène n'égale pas celle des frères Coen (on pense bien sûr à Fargo), le film trouve un vrai style. La crédibilité vient moins d'un scénario certes astucieux mais avec ses invraisemblances que d'une interprétation homogène de personnages plus ou moins amoraux, avec des partenaires comme Laure Calamy (impayable, quoique) ou Benoît Poelvoorde (gendarme plus perspicace qu'il n'en a l'air).

LE DOSSIER MALDOROR
(Fabrice Du Welz, 15 jan) LL
Librement inspiré de l'affaire Dutroux. Le nom des personnages a été modifié, et le personnage principal de gendarme hanté par la disparition non résolue de plusieurs fillettes (Anthony Bajon) est fictif. Le film a le mérite de mettre en lumière la guerre des services, peu connue de ce côté-ci des Ardennes, existant à l'époque entre la gendarmerie, la police judiciaire et la police locale, qui ne partagent pas leurs informations. Le titre ne ment pas, il s'agit d'un film dossier. Un peu comme dans Voyage au bout de l'enfer, une longue séance de mariage dans le premier tiers donne la mesure du bonheur et de la perte à venir. La suite du long métrage est malheureusement filmée d'une façon qui frise parfois la complaisance avec la violence.

LES FEUX SAUVAGES (Jia Zhang-ke, 8 jan) L
Jia Zhang-ke a puisé dans les images tournées à l'occasion de ses longs métrages précédents pour tenter de construire une nouvelle fiction, en y ajoutant une coda qui se passe pendant la crise du Covid-19. Il y a bien des récurrences parmi les interprètes, mais cela ne crée pas forcément de nouveaux personnages intéressants. En enregistrant la mutation du pays (comme Richard Linklater filmait dans Boyhood le vieillissement de ses personnages), le seul intérêt du film reste son aspect documentaire, avec l'actrice Zhao Tao qui en serait un témoin muet.
Version imprimable | Films de 2025 | Le Dimanche 19/01/2025 | 0 commentaires
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