- Bravo : From Ground Zero (collectif palestinien de réalisateurs et réalisatrices)
- Bien : La Pie voleuse (Robert Guédiguian), Prima la vita (Francesca Comencini), Personne n'y comprend rien (Yannick Kergoat), Spectateurs ! (Arnaud Desplechin)
- Pas mal : Presence (Steven Soderbergh), La Mer au loin (Saïd Hamich Benlarbi), Mon gâteau préféré (Maryam Moghaddam, Behtash Sanaeeha), Apprendre (Claire Simon), When the light breaks (Runar Runarsson), La Voyageuse (Hong Sang-soo), Brian Jones et les Rolling Stones (Nick Broomfield)
FROM GROUND ZERO (Collectif, 12 fév) LLLL
Le programme est constitué d'une vingtaine de courts-métrages réalisés par des cinéastes palestiniennes et palestiniens à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Les formes choisies oscillent entre documentaires, fictions ou une hybridation des deux. Evidemment, même dans les segments fictionnels, avec parfois des recherches esthétiques bouleversantes car faites avec les moyens du bord, le réel rentre dans le champ par ce qu'enregistre la caméra (bâtiments détruits, recherche de survivants parmi les décombres, promiscuité sous les tentes...). Ce qui frappe, c'est néanmoins la diversité des approches, le kaléidoscope des personnalités et attitudes décrites pour tenir bon, survivre, résister, assurer le présent et si possible l'avenir des enfants, et préserver la dignité humaine et le goût de vivre, parfois grâce à l'imaginaire ou la médiation artistique, face aux crimes contre l'humanité en cours (que les observateurs qui n'ont pas détourné le regard ont tenté de décrire à travers des néologismes avec le suffixe -cide pour signifier l'anéantissement de tout ou partie d'un groupe humain, mais aussi la destruction systématique des constructions urbaines, hopitaux, universités, bâtiments patrimoniaux, mémoire d'une civilisation). Un travail modeste mais indispensable, un peu à l'instar de celui de Pour Sama de Waad Al-Khateab (et Edward Watts) à propos des bombardements d'Alep par le régime syrien, déchirant quand on se remémore les aspirations des jeunes gazaoui.e.s recueillies dans Yallah Gaza de Roland Nurier ou Voyage à Gaza de Piero Usberti. Et dans le contexte actuel, ce travail révèle, par contraste, toute l'indécence du double standard des grands médias occidentaux mécaniquement alignés sur la propagande de guerre d'un Etat qui se soustrait depuis des décennies au droit international, pourtant la seule boussole qui puisse servir de base pour garantir le respect de chaque peuple à disposer de lui-même, et l'égalité d'accès à ses droits fondamentaux.
LA PIE VOLEUSE (Robert Guédiguian, 29 jan) LLL
Après quelques infidélités, retour du cinéaste au quartier de l'Estaque. On y suit Maria, une aide-ménagère, qui trime chez des petits vieux qu'elle aime, mais qu'elle vole aussi, un billet ou un chèque qu'elle remplit à la place de son propriétaire. Le but de ces larcins ? Sortir la tête de l'eau et offrir de vrais cours de pianos à son petit-fils. Certains cinéastes tournent en caméra subjective. Guédiguian, lui, nous propose une bande-son subjective, la grande musique (des classiques mais aussi des compositions originales de Michel Petrossian à la manière de) qu'écoute à longueur de journée Maria. S'il filme toujours extrêmement bien les rapports de classe, il dépasse, grâce à des plans judicieusement composés, la description sociologique mécaniste pour offrir à ses personnages (Ascaride, Darroussin, Meylan, Boudet dans son dernier rôle, Leprince-Ringuet, Marilou Aussilloux la nouvelle venue) de la dignité, de la sensualité, une bonté et une beauté qui feraient presque office de résistance intime par temps qui s'assombrissent.
PRIMA LA VITA (Francesca Comencini, 12 fév) LLL
En apparence, Francesca Comencini rend hommage à son père, le cinéaste Luigi Comencini. Moins formaliste que Fellini, moins radical que Pasolini, il est peu cité dans les histoires du cinéma, à part pour L'Incompris, film autour d'une enfance dramatique. Ici est reconstitué le tournage, joyeux pour les enfants, de son Pinocchio. Il avait une pratique qu'on pourrait qualifier d'humaniste (on l'entend prioriser "D'abord la vie, ensuite le cinéma"). Il ne voulait pas trop diriger, d'où, par parenthèse, des acteurs parfois en roue libre, mais Bette Davis, Alberto Sordi et Silvana Mangano cabotinent juste ce qu'il faut dans L'Argent de la vieille. Mais en fait, malgré des cerises pour cinéphiles (des extraits de L'Enfance nue de Pialat ou Païsa de Rossellini), le gâteau proposé par Francesca Comencini est goûteux pour tout le monde. Quand bien même le point de départ serait le nombril de la réalisatrice, le film va vers les autres, et ses vraies thématiques, autour de la transmission et de l'émancipation, résonnent de façon universelle.
PERSONNE N'Y COMPREND RIEN (Yannick Kergoat, 8 jan) LLL
Yannick Kergoat, monteur césarisé pour Harry, un ami qui vous veut du bien, ayant aussi collaboré avec Erick Zonca (La Vie rêvée des anges) ou de façon régulière avec Costa-Gavras, mène parallèlement une deuxième carrière de réalisateur de documentaires politiques. Celui-ci décortique les faits à la base de l'affaire Sarkozy-Kadhafi, en s'appuyant sur le travail d'enquête entrepris depuis des années par les journalistes de Mediapart Fabrice Arfi et Karl Laske. L'exposition chronologique des éléments permet parfois de les rapprocher de façon inattendue, et les différents témoins (y compris de la complaisance médiatique) tout comme la voix off de Florence Loiret Caille participent également à cet exercice pédagogique et de vigilance citoyenne.
SPECTATEURS ! (Arnaud Desplechin, 15 jan) LLL
Après quelques fictions beaucoup moins convaincantes que par le passé, Desplechin revient avec une sorte d'essai sur l'importance du cinéma dans sa vie et dans celle des autres. Il entremêle des séquences de fiction autobiographique, où l'on retrouve son double Paul Dédalus, interprété ici par le jeune Milo Machado Graner (Anatomie d'une chute), initié au cinéma par sa grand-mère (Françoise Lebrun), avec des séquences documentaires. Il interroge ainsi des amateur.ice.s anonymes, mais fait aussi intervenir un esthète (Dominique Païni) et une philosophe (Sandra Laugier) dans leurs propres rôles. Avec ce beau monde, il tente de cerner les plaisirs cinéphiles, mais aussi d'aborder la responsabilité du regard qui s'impose aux spectateur.ice.s.
PRESENCE (Steven Soderbergh, 5 fév) LL
Steven Soderbergh revisite le genre des films se déroulant dans une maison hantée, mais en choisissant de filmer les scènes entièrement en caméra subjective, du point de vue du spectre. Cependant, assez vite, on voit surgir dans cet exercice de style un autre genre, celui du drame psychologique, un peu moins bien exécuté (le cinéaste surligne beaucoup). Néanmoins c'est cette association, assez inédite, entre cette forme-ci et ce contenu là qui fait tout le sel de ce retour du côté du cinéma pour Soderbergh (après des détours pour la télévision).
LA MER AU LOIN (Saïd Hamich Benlarbi, 5 fév) LL
Situé au début des années 1990, cette saga sur Nour (Ayoub Gretaa), un Marocain débarqué à Marseille avec d'autres clandestins commence faiblement, avec des représentations bourrées de clichés. Heureusement, cela change lorsque Nour fait connaissance d'un couple très loin des conventions, interprété par les toujours insaisissables Anna Mouglalis et Grégoire Colin. Ainsi, le film est ponctué de maladresses, mais les personnages nous restent en mémoire bien après la projection.
MON GATEAU PREFERE (Maryam Moghaddam, Behtash Sanaeeha, 5 fév) LL
A Téhéran, une veuve retraitée redécouvre l'amour auprès d'un autre septuagénaire, chauffeur de taxi pour arrondir ses fins de mois. Dans un autre pays, l'histoire pourrait être banale (partager tendresse, sensualité et du vin), mais dans ce pays, la vivre et la montrer sont des actes courageux. Dommage que le scénario punisse les protagonistes dans sa dernière partie. Tourné clandestinement, le film n'est pas aussi insolent que d'autres qui nous viennent d'Iran, mais c'en est déjà trop pour les autorités : au moment où le film sort dans les salles françaises, les deux cinéastes sont assignés à résidence, dans l'attente de leur procès !
APPRENDRE (Claire Simon, 29 jan) LL
Il y a une trentaine d'années, Claire Simon avait déjà filmé une école (Récréations). Ici, elle rentre carrément dans les salles de classe de l'école primaire et maternelle Makarenko, à Ivry-sur-Seine. Elle se met à hauteur d'enfants, y compris au sens propre, dans le placement de la caméra. Elle en filme une quotidienneté qui tranche avec la façon dont le sujet est traité dans les débats publics, a fortiori par des journalistes proches de l'extrême droite. Ici, il y a des pleins et des déliés. Mais cette approche modeste, presque dépolitisée, peut-elle faire le poids face aux polémiques malsaines ?
WHEN THE LIGHT BREAKS (Runar Runarsson, 19 fév) LL
Une jeune fille perd le garçon qu'elle aime, mais ne peut exprimer ouvertement son chagrin et son deuil, car cette relation n'était pas encore connue des proches, le garçon n'ayant pas encore rompu avec une autre. Le film est ramassé sur quelques jours, d'un coucher de soleil à un autre. L'actrice principale, Elin Hall, est formidable. Le tout manque toutefois d'intensité, si on se souvient par exemple de La Vie des morts, le moyen métrage réalisé en début de carrière par Arnaud Desplechin. D'un autre côté, on peut aussi savoir gré au cinéaste islandais de ne pas avoir cédé à la tentation de faire le malin.
LA VOYAGEUSE (Hong Sang-soo, 22 jan) LL
Le titre désigne une française installée en Corée du Sud qui a une méthode bien à elle d'enseigner le français, en conversant en anglais avec les autochtones. Hong Sang-soo renouvelle un peu le fond, tout en creusant son sillon sur la forme (plans séquences minimalistes, d'où s'échappent parfois un zoom). Si le résultat peut susciter par moments des surprises, le dispositif ne fonctionne plus très bien. Et le jeu d'Isabelle Huppert n'arrive pas à s'accorder pleinement à cet univers et aux autres interprètes.
BRIAN JONES ET LES ROLLING STONES (Nick Broomfield, 19 fév) LL
Paradoxal personnage que ce Brian Jones, fondateur des Rolling Stones et à l'oreille aiguisée via le jazz et le blues. Pourtant, ce documentaire insiste sur le fait qu'il n'était pas compositeur, et nous narre par le menu ses amourettes sans lendemain (mais pas sans descendance), et ses diverses addictions qui le conduiront à intégrer le tristement célèbre Club des 27. C'est son apport en tant qu'arrangeur inspiré qui est ici crédité ("Ruby Tuesday", "Paint it black", "Under my Thumb"), malheureusement, pour les mélomanes, les extraits ne dépassent guère quelques secondes...
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