1. EO (Jerzy Skolimowski, Pologne)
2. Les Passagers de la nuit (Mikhaël Hers, France)
3. Contes du hasard et autres fantaisies (Ryusuke Hamaguchi, Japon)
4. Annie colère (Blandine Lenoir, France)
5. Les Enfants des autres (Rebecca Zlotowski, France)
6. Les Poings desserrés (Kira Kovalenko, Russie)
7. Armageddon time (James Gray, Etats-Unis)
8. Les Repentis (Iciar Bollain, Espagne)
9. Vesper chronicles (Kristina Buozyte, Bruno Samper, Lituanie/France/Belgique)
10. Le Lycéen (Christophe Honoré, France)
11. L'Histoire de ma femme (Ildiko Enyedi, Hongrie)
12. As bestas (Rodrigo Sorogoyen, Espagne)
13. Saint Omer (Alice Diop, France)
14. Ouistreham (Emmanuel Carrère, France)
15. Reprise en main (Gilles Perret, France)
Viennent ensuite (top alternatif) : Pour toujours (Ferzan Ozpetek, Italie), En corps (Cédric Klapisch, France), Leïla et ses frères (Saeed Roustaee, Iran), Media Crash (Valentine Oberti, Luc Hermann, France), Le Petit Nicolas - Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux (Amandine Fredon, Benjamin Massoubre, France), The Souvenir part I & II (Joanna Hogg, Grande-Bretagne), Memory box (Joana Hadjithomas, Khalil Joreije, Liban), Les Cinq diables (Léa Mysius, France), Revoir Paris (Alice Winocour, France), Aucun ours (Jafar Panahi, Iran), Tori et Lokita (Jean-Pierre et Luc Dardenne, Belgique), La Conspiration du Caire (Tarik Saleh, Suède/France), Les Graines que l'on sème (Nathan Nicholovitch, France), Petite Solange (Axelle Ropert, France), La Nuit du 12 (Dominik Moll, France)
- Bien : Annie Colère (Blandine Lenoir), Le Lycéen (Christophe Honoré), Aucun ours (Jafar Panahi), Nous (Alice Diop), Godland (Hlynur Palmason), La (Très) grande évasion (Yannick Kergoat), Avatar : La Voie de l'eau (James Cameron), Les Pires (Lise Akoka, Romane Guéret), Joyland (Saim Sadiq), Les Banshees d'Inisherin (Martin McDonagh), La Petite bande (Pierre Salvadori)
- Pas mal : Mourir à Ibiza (Un film en trois étés) (Anton Balekdjian, Léo Couture, Mattéo Eustachon), She said (Maria Schrader), Stella est amoureuse (Sylvie Verheyde), Les Bonnes étoiles (Hirokazu Kore-eda), Falcon Lake (Charlotte Le Bon), La Passagère (Héloïse Pelloquet), Fumer fait tousser (Quentin Dupieux), Vivre (Oliver Hermanus)
- Bof : Nos frangins (Rachid Bouchareb)
- Hélas : Simone, le voyage du siècle (Olivier Dahan)
ANNIE COLERE (Blandine Lenoir, 30 nov) LLL
Il y a quelques semaines est sorti un biopic sur Simone Veil (cinématographiquement très discutable), qui fait un carton en salles. Le nouveau film de Blandine Lenoir traite aussi de la conquête du droit à l'avortement, mais il ne fait absolument pas double emploi, car sa focale est toute autre. En effet, il s'intéresse aux activités concrètes d'une antenne locale du MLAC, au début de l'année 1974. Et cela change tout. Il y a beaucoup de talent et de conviction à tous les étages : scénario, co-écrit avec Axelle Ropert, interprétation (si l'on en attendait pas moins de Laure Calamy et Zita Hanrot, toujours excellentes, Rosemary Standley, que je ne connaissais pas, est inoubliable). Et la mise en scène de Blandine Lenoir est toujours juste, certes pas révolutionnaire d'un point de vue strictement formel, mais sans fausse note. Une bonne surprise et un film important.
LE LYCEEN (Christophe Honoré, 30 nov) LLL
Il y a souvent des deuils dans les films de Christophe Honoré. C'est le cas notamment pour Lucas (Paul Kircher), lycéen de 17 ans, dont le père disparaît dans un accident de la circulation, quelques jours après une première sortie de route sans conséquence. La grande force du film, c'est de faire ressentir la perte, sans jamais tomber dans l'émotion facile. Honoré rejoue un peu de son adolescence, mais en la transposant à l'époque actuelle. Avec la maturité, il arrive à livrer une oeuvre dont le paradoxe est de nous faire passer par beaucoup d'émotions différentes, alors même qu'au niveau artistique (cadre, lumière, musique) le film garde une prenante unité. L'interprétation, homogène, est au diapason. Le cinéaste réussit la surface comme la profondeur, et livre une de ses oeuvres les plus convaincantes.
AUCUN OURS (Jafar Panahi, 23 nov) LLL
Si le sous-texte n'était pas si grave, on pourrait dire qu'il s'agit d'une autofiction, dans laquelle Jafar Panahi joue son propre rôle de cinéaste. Il tourne un film autour d'une histoire d'amour contrariée par un exil qui ne s'offre qu'à l'une des deux et qui pourrait les séparer, histoire inspirée de la réalité vécue par les interprètes. Redoutant d'être arrêté, Panahi n'est pas présent sur le tournage, mais le dirige via internet, depuis une maison louée dans un village près de la frontière. Dans ce village, il est témoin d'une autre histoire d'amour compliquée (pour d'autres raisons). Avec très peu de moyens, Jafar Panahi (le vrai) multiplie les niveaux de lecture, et livre un film courageux, ultime pied de nez avant sa réelle arrestation et incarcération en juillet 2022 (comme deux de ses collègues, Mohammad Rasoulof et Mostafa Al-Ahmad).
NOUS (Alice Diop, 16 fév, rattrapé en DVD) LLL
Librement inspirée par Les Passagers du Roissy-Express, un récit documentaire écrit par François Maspero en 1990, Alice Diop rencontre des riverains de la ligne B du RER. Il y a un aspect mosaïque dans la juxtaposition de ces séquences, où, malgré la durée contrainte, on donne à chaque personne un peu de temps au temps. C'est l'avantage immense du cinéma sur la télévision, dans les degrés de liberté permises à l'écriture du documentaire. Tout en étant en constante ouverture vers les autres, Alice Diop assume un caractère personnel à sa démarche, en incluant au montage des archives de sa famille. L'une des personnes qu'elle suit est également sa propre soeur, infirmière à domicile (et qui ouvre donc beaucoup de portes). Le résultat est un film inclusif envers des petites gens de toutes origines et de milieux sociaux divers, impression renforcée par le titre choisi, comme par la chanson de Jean Ferrat qui clôt le film (la France ainsi filmée semble complètement inédite par rapport aux regards racoleurs et politiquement douteux véhiculés par certaines chaînes de télévision).
GODLAND (Hylnur Palmason, 21 déc) LLL
Vers la fin du XIXè siècle (ou approximativement vers l'an -110 avant Björk, si vous préférez), un pasteur danois est envoyé dans un coin reculé de l'Islande, avec pour mission d'y bâtir une église, et de prendre des photographies... La première partie raconte l'odyssée périlleuse, face aux éléments, pour arriver à destination, tandis que la seconde partie traite de l'insertion dans une communauté et de la construction de l'édifice religieux. Le format presque carré de l'image est en symbiose avec les daguerréotypes pris par le prêtre, et donne du cachet aux paysages traversés comme aux personnages, même si la partie communautaire est plus classique dans sa narration. Hlynur Palmason a adopté un style qui lui est propre, qu'on pourrait situer à équidistance de Werner Herzog et de Jane Campion.
LA (TRES) GRANDE EVASION (Yannick Kergoat, 7 déc) LLL
Yannick Kergoat, monteur professionnel, avait déjà coréalisé avec Gilles Balbastre Les Nouveaux chiens de garde. Ici,il s'attaque à l'évasion fiscale. Comme dans le précédent film, c'est avant tout un film de montage sur un sujet qu'on croit connaître d'avance, mais y consacrer une heure et demie change un peu la donne. De même, le réalisateur assume d'accompagner les spectateurs/trices par des commentaires pêchus et ironiques, à l'image des infographies qui essayent de présenter de façon didactique les montages financiers qui permettent cette évasion. Face à ce fléau, les solutions existent, mais la volonté politique pas encore (a fortiori si les forces politiques susceptibles de s'y attaquer n'ont pas accès à une campagne électorale médiatique équitable).
AVATAR : LA VOIE DE L'EAU (James Cameron, 14 déc) LLL
Titanic pouvait se lire comme une critique du gigantisme, de la vitesse et du toujours plus, et des comportements de classe lorsque la catastrophe arrive. Le premier Avatar condamnait clairement l'extractivisme et le néocolonialisme. En somme, en portant une critique systémique, Cameron était une sorte d'écologiste plus à gauche que Cohn-Bendit et Jadot, aux visions plus compatibles avec les exigences du capital. Dans ce nouvel opus, ces préoccupations politiques passent nettement au second plan. Cameron semble même importer sur Pandora une vision très classiquement hollywoodienne des combats guerriers comme de la centralité de la cellule familiale et de son fonctionnement genré. L'écologie y est devenue avant tout spirituelle, avec des scènes centrales visuellement superbes : dans le milieu aquatique, le réalisateur de Abyss est vraiment dans son élément, ce qui est source d'émerveillements. Au point de peut-être interpréter de façon un peu trop littéral le slogan "Nous sommes la nature qui se défend".
LES PIRES (Lise Akoka, Romane Guéret, 7 déc) LLL
Un cinéaste plus tout jeune veut réaliser pour son premier film une fiction qui met en scène des enfants défavorisés d'une petite cité du Nord de la France. Au casting, il choisit des mômes qui ont déjà vécu. Et le tournage commence... Les mises en abyme sont légion au cinéma, mais celle-ci a pour particularité de tourner autour d'un cinéma social s'intéressant à l'enfance (on peut penser, dans le meilleur des cas, à certains films de Doillon ou plus récemment certains opus des Dardenne). Le film montre plutôt avec bienveillance les petites mains de l'artisanat cinématographique, tout en s'interrogeant sur l'éthique du réalisateur (la distance sociologique avec son sujet, ses méthodes - manipulatoires ? - pour faire vrai). Les Pires, qui tient finalement lui aussi du cinéma "social", contient en germe sa propre critique, mais se révèle chaleureux voire émouvant, malgré la conscience de ses limites.
JOYLAND (Saim Sadiq, 28 déc) LLL
Haider est au chômage, mais sa femme Mumtaz travaille. Pour occuper ses journées, il est un peu homme à tout faire dans la demeure familiale qu'il partage avec son père âgé, son frère, sa belle-soeur et leurs enfants. Plus ou moins méprisé par les autres hommes de la famille, il accepte un emploi, qui s'avèrera assez particulier, puisqu'il s'agit d'être danseur dans un cabaret érotique sous l'ordre de Biba, une meneuse de revue transsexuelle qui l'intrigue. Par suite Mumtaz est invitée par les membres de la famille à quitter son emploi pour s'occuper à la maison des tâches auparavant confiées à Haider... Intelligemment mis en scène, le premier film de Saim Sadiq interroge crûment les schémas patriarcaux, pour les hommes comme pour les femmes. On peut prévenir que le dénouement est assez abrupt. Premier film pakistanais sélectionné à Cannes, et récipiendaire de surcroît de la Queer Palm !
LES BANSHEES D'INISHERIN (Martin McDonagh, 28 déc) LLL
Colm annonce à Padraic la rupture de leur amitié. Le second tombe des nues, ils avaient pour habitude de se retrouver partager une pinte chaque jour au pub situé au sommet d'Inisherin, une petite île au large de l'Irlande. Est-ce irrévocable ? Padraic va tenter de la savoir, parfois aidé par sa soeur (qui partage le même foyer). Sur le papier, il n'est pas certain que le scénario soit si remarquable. Mais le cinéma, c'est l'art et la manière. Et ce conte cruel, parfois jusqu'à l'absurde, bénéficie d'une mise en scène classique mais inspirée, dans des paysages qui en imposent. Et, face à Brendan Gleeson, grand acteur irlandais (le Général de John Boorman, c'était lui !), Colin Farrell est très crédible dans le rôle de celui que tout le monde trouve un peu creux...
LA PETITE BANDE (Pierre Salvadori, 20 juil, rattrapé en DVD) LLL
Le film, sorti en catimini au milieu de l'été, a disparu si vite des salles que je l'ai rattrapé sur le petit écran. Commercialement un échec, il mérite pourtant d'être vu. Une bande de gamins d'une douzaine d'années tente d'incendier l'usine qui pollue leur rivière. Chacun a son caractère, et ses raisons plus ou moins avouables. Et, bien entendu, la petite entreprise sera bien compliquée à mettre en oeuvre. Voilà un film à vocation peut-être familiale mais qui ne verse pas dans l'angélisme. La comédie est inquiète, voire grave, mais contrebalancée par un humour burlesque dans lequel Pierre Salvadori est passé maître, même s'il l'adapte ici à l'âge des protagonistes. Certains spectateurs plus âgés pourront remarquer qu'en sous-texte la conscience écologique mobilisée ici n'a rien d'un idéalisme qui planerait au-dessus des conditions réelles d'existence.
MOURIR A IBIZA (Anton Balekdjian, Léo Couture, Mattéo Eustachon, 7 déc) LL
Une fille dans la vingtaine, en vacances à Arles, rencontrent deux garçons, et cherchent à en rejoindre un troisième, bien décidée à mieux le connaître. Au départ, on pourrait penser à un schéma rohmérien (intemporel), même si le film a des aspects plus contemporains. En réalité, il est plus aventureux et plus incertain : il suit l'évolution des relations entre les quatre jeunes gens au cours de trois étés successifs (escales à Etretat et Ibiza pour les deux derniers). Le film est tourné à six mains, probablement dans l'ordre chronologique (la technique s'étoffe : voix off, séquences musicales). Un peu à l'image de ses protagonistes, il semble s'inventer en chemin : c'est ce qui fait son charme buissonnier. Une fragile, hésitante mais plutôt jolie éclosion.
SHE SAID (Maria Schrader, 23 nov) LL
Reconstitution de l'enquête journalistique réalisée en 2017 par Jodi Kantor et Megan Twohey pour le New York Times, sur les agissements du producteur de cinéma Harvey Weinstein. Dans la vraie vie, l'onde de choc a provoqué le mouvement MeToo et la prise de conscience de l'importance des violences sexuelles (pas seulement par des hommes puissants). Cinématographiquement, l'onde de choc est plus modeste : formellement, le film s'inscrit dans les pas des Hommes du président ou de Spotlight, sans parvenir à la même intensité. En revanche, il atteint une certaine justesse dans l'écriture et l'interprétation, notamment grâce aux subtiles Zoe Kazan et Carey Mulligan qui campent les deux enquêtrices qui avancent avec tact et persévérance.
STELLA EST AMOUREUSE (Sylvie Verheyde, 14 déc) LL
Sylvie Verheyde redonne vie au personnage de Stella, fille d'un couple de bistrotiers (qui bat de l'aile). Elle a maintenant 17 ans, c'est l'année du bac. Elle n'est pas très intéressée par les études, et découvre une discothèque qui l'inspire davantage. Lycéenne peu à l'aise le jour, mais vaillant papillon de nuit dans les soirées. Le film est modeste, avec des défauts, mais se révèle néanmoins assez attachant. Stella tranche de part sa situation sociale (la mère a du mal à boucler les fins de mois) avec les jeunes filles habituelles du cinéma français (le film est de ce point de vue plus proche de Passe ton bac d'abord de Pialat que du très branché Eden de Mia Hansen-Love), et Flavie Delangle l'interprète avec finesse et nuance.
LES BONNES ETOILES (Hirokazu Kore-eda, 7 déc) LL
Une toute jeune mère abandonne son enfant dans une "boîte à bébés", où il est récupéré pour être vendu au marché noir de l'adoption. Rongée de remords, elle fait équipe avec les kidnappeurs du nourrisson pour prendre sa part dans la vente, mais aussi pour rechercher les meilleurs parents pour l'enfant. Il est souvent question de famille dans les films de Kore-eda, mais il s'agit de moins en moins de liens du sang ! Si on a un peu de peine à retrouver les mêmes qualités cinématographiques que dans ces précédents opus, le cinéaste arrive à faire exister des personnages atypiques, avec notamment la star coréenne Song Kang-hoo (récompensée pour ce rôle à Cannes).
FALCON LAKE (Charlotte Le Bon, 7 déc) LL
Un garçon de 13 ans et demi, qui rentre dans l'adolescence, et une fille de 16 ans, plus ou moins prête à en sortir. Ils se rencontrent près d'un lac au Québec, lieu nimbé d'un certain mystère (comme dans L'inconnu du lac, mais en version habillée). La famille du premier est en vacances et est invitée dans la maison de la mère de la seconde. Le récit a une part d'indétermination et de flottement qui rend le film intéressant, même s'il y a des figures imposées (la peur de l'eau du garçon peut symboliser sa crainte de la sortie de l'enfance et des relations amoureuses ou charnelles). L'évocation d'un fantôme est un peu moins réussi (Céline Sciamma avait mieux convoqué les superstitions adolescentes dans Naissance des pieuvres). L'ensemble est plutôt inabouti, mais prometteur.
LA PASSAGERE (Héloïse Pelloquet, 28 déc) LL
Un couple de marins pêcheurs prend le jeune Maxence comme apprenti. Peu à peu, une attirance se crée entre la femme de 45 ans et son subordonné... Héloïse Pelloquet semble s'appliquer dans les scènes de pêche comme dans les scènes intimes. Malgré cela, la réalisation reste plus plate que la mer (pas si calme car battue par les vents). Dommage, car les interprètes y croient : Cécile De France, mûre et sensuelle, Félix Lefebvre, révélé par Eté 85, et Grégoire Monsaingeon, tout en finesse. Heureusement, l'autrice soigne son épilogue, particulièrement réussi : dès son premier film, elle sait comment le terminer, ce qui n'est pas si fréquent.
FUMER FAIT TOUSSER (Quentin Dupieux, 30 nov) LL
Moins de six mois après la sortie du réjouissant Incroyable mais vrai, Quentin Dupieux revient déjà sur les écrans. Il invente une TabacForce, une bande de justiciers habillés façon Bioman, qui combat les ennemis en envoyant des faisceaux de fumées de cigarettes. Mais nous ne verrons guère leurs exploits, leur chef (un rat baveux qui a la voix de Chabat) les envoie au vert pour ressouder l'équipe. Ce sont les histoires qu'ils se racontent à la veillée qui constituent le film. Le casting est royal (Demoustier, Lellouche, Amamra, Zadi, Lacoste), les sketchs sont inégaux et parfois trash (le meilleur est celui du casque de pensée avec Dora Tillier). Il y a des séquences très étirées, mais qui peuvent être sauvées par une idée absurde qui débarque sans crier gare.
VIVRE (Oliver Hermanus, 28 déc) LL
Un employé de mairie apprend qu'il n'a plus que six mois à vivre. Alors qu'il semblait auparavant démotivé dans une vie de bureau terne, le voici qui se remet à vivre, d'une certaine façon. Si vous n'avez jamais vu le grand classique d'Akira Kurosawa, dont c'est le remake, vous pourrez apprécier les grandes lignes et la philosophie de l'histoire, écrite par le prix Nobel de littérature Kazuo Ishiguro. La transposition dans le Londres des années 1950 est passable. Evidemment la mise en scène n'égale pas celle du maître. Mais la performance de Bill Nighy, grand acteur britannique, apporte du crédit à cette version.
NOS FRANGINS (Rachid Bouchareb, 7 déc) L
Le film semble prendre sa part du devoir de mémoire envers Malik Oussekine et Abdel Benyahia, tués le même jour par des policiers dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, mais pas dans les mêmes circonstances. Le premier, tué par des "voltigeurs" en marge des manifestations étudiantes contre la loi Devaquet, est resté dans la mémoire collective, pas le second, abattu par un policier ivre en civil. La seconde mort a été invibilisée pendant 48h, et cachée à la famille. Le film le montre, mais pas forcément très habilement : formellement on voit pas mal d'archives télévisées, parfois insérées dans des scènes reconstituées à la manière de ces archives (d'où possible confusion). J'ai eu l'impression de n'avoir vu que des scènes d'exposition, et que l'action n'avait jamais vraiment commencé. C'est que le film se cantonne aux trois premiers jours. L'autre écueil de ce choix, c'est qu'il montre le père d'Abdel, qui a l'habitude de courber l'échine, sonné par la mort de son fils. Et qu'il occulte la création du comité Justice pour Abdel, et les manifestations dans lesquelles le père et la mère (totalement absente du film de Bouchareb) ont pris part activement (ils ne sont pas restés passifs, et se sont mobilisés pour ceux qui restent...).
SIMONE, LE VOYAGE DU SIECLE (Olivier Dahan, 12 oct) 0
Un carton au box-office, mais au niveau cinéma c'est un supplice du début à la fin. Il y a un quart de siècle, des films ont été critiqués pour beaucoup moins que cela. Ces critiques étaient bien sûr recevables par principe, même si les réalisateurs avaient voulu ou cru parier sur l'intelligence du spectateur (ce qui n'avait pas empêché des querelles d'interprétation sur certaines scènes). Alors même que la bête immonde revient, quel est le pari d'Olivier Dahan ? Pas trop sur l'intelligence du spectateur en tout cas. Comment peut-on filmer en utilisant en permanence de tels procédés grossiers ? Comment peut-on mettre une musique pareille, envahissante, sur de telles images ? Si les scènes de "reconstitution" sont douteuses, les scènes ordinaires sont tout autant médiocres, ni plus ni moins. Un tour de manège mémoriel dépourvu de sobriété (ou alors Lelouch c'est du Robert Bresson). Elsa Zylberstein a du mal à exister derrière le maquillage ostentatoire (comme si l'important était la ressemblance physique). Quand elles ne relèvent pas de la pseudo-virtuosité gratuite, ces scènes virent à la propagande sur un contenu lui-même discutable. On a droit par exemple à des leçons de morale en voix off, sans contradiction, qui brillent par leur anachronisme (l'Europe vue comme favorisant je cite la démocratie et la solidarité entre les peuples, alors que l'Union européenne existante aujourd'hui institutionnalise des politiques qui démantèlent les mécanismes de solidarité et qui pourraient bien être à l'origine de la montée de l'extrême droite dans tous les Etats membres). La bonne parole se clôt sur des enfants filmés en contre-plongée sous un ciel radieux. Pitié ! Il y a certes des éléments intéressants dans le film (on essaie de se raccrocher aux personnages, au sujet traité), mais surtout beaucoup de maladresses...
- Bien : Armageddon time (James Gray), Les Repentis (Iciar Bollain), Saint Omer (Alice Diop), Le Petit Nicolas (Amandine Fredon, Benjamin Massoubre), La Conspiration du Caire (Tarik Saleh), Plus que jamais (Emily Atef)
- Pas mal : R.M.N. (Cristian Mungiu), X (Ti West)
- Bof : Close (Lukas Dhont), Pacifiction (Albert Serra), Sans filtre (Ruben Östlund)
ARMAGEDDON TIME (James Gray, 9 nov) LLL
Après deux excursions dans d'autres territoires ( The Lost city of Z, Ad Astra), James Gray revient à New York, et situe son film à l'aube des années 1980. Dans le collège public dans lequel il effectue sa rentrée, Paul Graff, 11 ans, rêveur et facilement dissipé, se lie d'amitié avec Johnny, le seul garçon noir de sa classe, assez turbulent lui aussi. Paul observe le racisme le plus banal, qu'a bien connu son grand père maternel, juif (formidable Anthony Hopkins), le membre de la famille dont il se sent le plus proche. Le racisme social aussi, lorsqu'il est obligé de rejoindre une institution privée, alors qu'à la télévision Ronald Reagan mène une campagne électorale bientôt victorieuse... James Gray livre un film d'une apparente simplicité, mais riche en éléments qu'il distille par petites touches, dans une atmosphère faussement feutrée, sans ostentation (en cela il diffère de l'entreprise démonstrative du dernier Mungiu), sans forcer le/la spectateur/trice à les voir. La mise en scène a également la forme de l'évidence, et n'a recourt à aucune grandiloquence. Lorsque le générique de fin apparaît, on regrette que ce film, l'un des plus beaux du cinéaste, ne se prolonge pas davantage...
LES REPENTIS (Iciar Bollain, 9 nov) LLL
En 2000, Juan Maria Jauregui, ex-gouverneur PSOE, est abattu par l'ETA. Des années plus tard, deux membres du commando, qui ont rompu au cours de leur emprisonnement avec l'organisation basque indépendantiste, vont avoir l'occasion de rencontrer la veuve de leur victime (par la suite, l'ETA finira par renoncer aux assassinats politiques). Iciar Bollain, dont j'avais beaucoup apprécié Même la pluie, met tout son talent de cinéaste au service de cette reconstitution d'une histoire récente. Sa mise en scène fait profil bas, presque invisible, mais cette sobriété est paradoxalement un atout, car elle permet de mettre en avant les moindres nuances du scénario et des dialogues (certes inspirés d'une réalité), les moindres hésitations et contradictions auxquelles sont confrontés les différents protagonistes. L'interprétation, très homogène (Bianca Portillo, Luis Tosar, Maria Cerezuela, Urko Olazabal), contribue à apporter de la dignité à l'ensemble, un refus du manichéisme comme du relativisme.
SAINT OMER (Alice Diop, 23 nov) LLL
Rama est une jeune universitaire et écrivaine, qui se rend à Saint Omer assister au procès de Laurence Coly, accusée d'avoir abandonné sa fille de 15 mois sur la plage de Berck un soir de marée montante, dans le but de la laisser se noyer (elle sera retrouvée sans vie le lendemain matin). Le premier long-métrage de fiction d'Alice Diop, qui vient du documentaire, part d'une histoire réelle, et des véritables minutes du procès. Un journaliste lui a reproché de ne montrer l'enfant que quelques secondes. C'est justement un choix artistique fort de ne pas montrer l'infanticide, la démarche consistant justement à laisser travailler en nous ce qui n'est pas forcément sur l'écran. Plus des 4/5 du film se passent dans la salle du tribunal. Contrairement à beaucoup de films de procès, ce lieu n'est pas ici un théâtre où rebondit le récit. Alice Diop, par ses cadres très rigoureux, en filme son aspect cérémonieux (par exemple le tirage au sort des jurés), mais quelque chose d'insondable rentre à l'intérieur. Si ce n'est nullement anodin que Rama et Laurence sont des femmes noires, par rapport aux épreuves sociales qu'elles et leurs familles doivent traverser, ces corps sont néanmoins aptes à porter en eux la condition humaine et féminine dans ce qu'elle a d'universel, jusque dans les recoins les plus indicibles de la nature humaine.
LE PETIT NICOLAS : QU'EST-CE QU'ON ATTEND POUR ÊTRE HEUREUX ? (Amandine Fredon, Benjamin Massoubre, 12 oct) LLL
L'originalité de ce film d'animation, récompensé du Cristal du meilleur long métrage au festival d'Annecy, tient essentiellement en deux caractéristiques. Sur le fond tout d'abord, il reproduit certaines histoires du petit Nicolas, mais fait aussi le récit de sa création par Sempé et Goscinny : le film peut donc aussi être vu comme un double biopic sur ces deux créateurs. Sur la forme ensuite, ces deux types de séquences sont réalisées en respectant le style graphique de Sempé, son épure (avec par exemple des personnages qui perdent de la couleur lorsqu'ils s'aventurent au bord du dessin). Dans les deux cas, fond et forme, c'est épatant, tout comme la fluidité avec laquelle on passe d'un niveau de lecture à un autre. Un petit ravissement pour tous les âges.
LA CONSPIRATION DU CAIRE (Tarik Saleh, 26 oct) LLL
Adam, fils d'un modeste pêcheur, obtient une bourse pour étudier à l'université Al-Azhar du Caire, haut lieu de l'islam sunnite. Le grand imam meurt subitement quelques jours après la rentrée, et se profile bientôt l'élection interne de son successeur. Adam est une proie idéale pour servir d'agent secret infiltrant malgré lui la tendance d'un candidat menaçant celui que le pouvoir politique égyptien voudrait voir élu... Logiquement primé à Cannes (ce qui n'est pas le cas de tous les prix décernés cette année), le scénario à tiroirs, à double ou triple détente, à la fois récit d'apprentissage (dans tous les sens du terme) et intrigue policière, est effectivement le premier atout de ce film sur ce plan très audacieux, la mise en scène et l'interprétation visant davantage l'efficacité maximale au service de la narration plutôt qu'une forme originale.
PLUS QUE JAMAIS (Emily Atef, 16 nov) LLL
Une femme encore jeune est atteinte d'une grave maladie respiratoire. Sa seule chance pourrait être une greffe, mais l'opération est risquée, et, au grand dam de son conjoint, elle préfère faire, par l'entremise d'un blogueur malade lui aussi, un ultime voyage en Norvège, et respirer une dernière fois le grand air. Au début du film, tourné en intérieur, la mise en scène, privilégiant les plans serrés, est proche du pléonasme, et nous ferait presque étouffer comme son héroïne. Mais Emily Atef sait rendre la deuxième partie lumineuse, pas seulement par les magnifiques paysages. Elle n'édulcore rien, et ne verse jamais dans le chantage lacrymal. Vicky Krieps, à la fois forte et fragile, livre une interprétation à la fois subtile et intense, comme à son habitude lorsqu'elle est bien dirigée ( Phantom Thread, Bergman island). Et, en contrepoint, Gaspard Ulliel est très juste, dans hélas un de ses derniers rôles.
R.M.N. (Cristian Mungiu, 19 oct) LL
Matthias quitte son emploi en Allemagne, et revient dans son village d'enfance, en Transylvanie. Il tente de renouer avec son jeune fils, resté longtemps à la charge de sa mère, mais aussi avec Csilla, son ancienne maîtresse, une des cadres de la boulangerie industrielle implantée localement, mais qui va recruter des employés étrangers... R.M.N. est un acronyme signifiant IRM en roumain. Aucun des personnages principaux ne subira un tel examen. C'est bien la petite communauté dans son ensemble qui est examinée sous les moindres coutures par Cristian Mungiu, qui en fait presque une synecdoque (l'appréhension d'un tout par une partie) de la situation de l'Europe actuelle, et notamment de la montée de la xénophobie, quand s'en prendre aux étrangers nous est montré comme davantage à portée de main que de changer de système économique. Le film est donc dense (en témoigne la séquence d'une réunion de village), voire peut-être trop chargé : tout est un peu trop explicité, au risque que l'ensemble vire à la démonstration univoque.
X (Ti West, 2 nov) LL
Nous sommes dans les années 1970 aux Etats-Unis, et six jeunes gens louent une remise pour tourner un film érotique. Les vieux propriétaires ne l'entendent pas forcément de cette oreille. Un jeu de massacre va pouvoir commencer, la première victime étant l'apprenti réalisateur, qui avait l'ambition de réaliser une oeuvre exigeante artistiquement... Mia Goth interprète deux rôles opposés : une jeune femme qui rêve d'être star, et une femme très âgée encore traversée par des pulsions de vie et de mort. Le tout n'est pas déplaisant, même si on n'a pas forcément beaucoup peur, et que la réflexion "méta" ne va pas très loin (du moins jusqu'à une possible suite ?).
CLOSE (Lukas Dhont, 2 nov) L
Lukas Dhont avait impressionné dès son premier long-métrage, Girl. Il propose ici l'histoire d'une amitié quasi fusionnelle entre deux garçons d'une douzaine d'années, qui va être percutée par leur entrée au collège. L'un se lie plus facilement à ses nouveaux camarades, alors que l'autre est plus exclusif... Le début du film est assez prometteur, bien que l'amplitude visée ne soit jamais atteinte. C'est encore plus vrai dans sa deuxième partie, plus mélodramatique, qui ne dépasse que rarement le niveau téléfilm. Léa Drucker et surtout Emilie Dequenne, qui interprètent les mères, sont plutôt convaincantes, sans réussir à sauver totalement l'ensemble.
PACIFICTION (Albert Serra, 9 nov) L
Albert Serra et son acteur Benoît Magimel réussissent à créer un personnage singulier, celui d'un haut-commissaire de la République en Polynésie française. Tour à tour cynique, paternaliste, clientéliste, il doit rassurer la population, alors que circule la rumeur d'une reprise des essais nucléaires. Le tout en dessous de ciels rougeoyants ou baigné dans une lumière d'aquarium. La satire s'étire... Mais pourquoi une telle durée de 2h40 ? Pourquoi un style schizophrénique qui lorgne dans le même mouvement vers la démesure d'un Coppola et le minimalisme (proche de l'imposture) d'un Bozon ? Réponse peut-être lors d'une éventuelle deuxième vision du film, si elle est plus transcendante que la première...
SANS FILTRE (Ruben Östlund, 28 sep) L
Un couple de mannequins se voit offrir par leurs sponsors (ils sont influenceurs) une croisière sur un paquebot de luxe... Ruben Östlund a un petit talent pour étirer une séquence jusqu'à la faire déraper. Mais qu'en fait-il ? On espère pendant un temps une satire de la richesse mal acquise (avec notamment un couple de marchands d'armes), mais cet espoir va être vite annihilé. Le problème ne réside pas tellement dans une forme pas toujours ragoûtante (l'insistance sur le vomi), mais sur le fait que cette fausse provocation (ce n'est ni Le Charme discret de la bourgeoisie de Bunuel, ni Et vogue le navire de Fellini) finit par être du pain béni pour l'ordre établi. Östlund reçoit une deuxième Palme d'or, peut-être encore plus usurpée que la première.
- Bravo : EO (Jerzy Skolimowski)
- Bien : Reprise en main (Gilles Perret), Tori et Lokita (Jean-Pierre et Luc Dardenne), Straight up (James Sweeney), Jeunesse en sursis (Kateryna Gornostai), L'Eté nucléaire (Gaël Lépingle), Poulet frites (Yves Hinant, Jean Libon), L'Innocent (Louis Garrel)
- Pas mal : Un couple (Frederick Wiseman), Chronique d'une liaison passagère (Emmanuel Mouret), Le Serment de Pamfir (Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk), Un beau matin (Mia Hansen-Love), L'Origine du mal (Sébastien Marnier)
EO (Jerzy Skolimowski, 19 oct) LLLL
Au départ, il y avait Au hasard Balthazar, de Robert Bresson, un film centré sur un âne qui quittait les mains d'une jeune femme aimante pour passer entre les mains de nombreuses personnes qui l'étaient nettement moins (aimants, et c'est un euphémisme). Le nouveau film de Skolimowski reprend une trame analogue, mais ce n'est nullement un remake, tant les deux films sont dissemblables (ainsi, le film de Bresson n'est pas un pré-requis pour apprécier EO), dans le fond comme dans la forme. Le regard de Bresson était moraliste et essentiellement tourné vers l'humanité, l'âne servant de révélateur. Chez Skolimowski, on a l'impression d'assister au premier grand film antispéciste, tant les points de vue d'animaux de diverses espèces sont mis sur le même plan. Ainsi, lors de scènes clés, le point de vue adopté semble être celui de l'âne lui-même, y compris dans ses souvenirs de la jeune circassienne qui l'adorait, sans que ce point de vue soit exclusif. Il n'y a pas de dichotomie homme/animal, car l'âne fait également la rencontre avec d'autres espèces non humaines (avec même une séquence nocturne rappelant la Nuit du chasseur de Laughton). Formellement, on est loin du dépouillement bressonien : je conseille l'expérience sur grand écran pour apprécier au mieux ce travail d'artiste aux fulgurances exceptionnelles, tant dans la puissance des images que dans celle de la bande-son, et de l'agencement saisissant entre les unes et l'autre...
REPRISE EN MAIN (Gilles Perret, 19 oct) LLL
La première fiction de Gilles Perret parle de l'impact de la finance vautour sur les PME (rachats en LBO), comme son tout premier documentaire, Ma mondialisation réalisé en 2006 au même endroit (la vallée de l'Arve). Il imagine ici une bande d'amis d'enfance qui, dans l'urgence, tente d'élaborer une stratégie assez improbable pour piéger les requins à leur propre jeu. La crédibilité vient de l'inscription de la fiction dans des décors réels, mais aussi de la qualité d'écriture des personnages. Leurs interprètes, concernés, s'appuient idéalement les uns sur les autres. Le point de départ est assez dramatique (dont un accident du travail). La suite met subtilement en évidence une superstructure (financière) radicalement opposée aux intérêts des travailleurs. Enfin, il y a la question de l'attitude des jeunes cadres, et de la désobéissance éventuelle à ce qu'on attend d'eux. Les N+1 peuvent-ils exprimer une solidarité de classe avec les exécutants, et ce de manière conséquente ? La trajectoire du personnage interprété par Laetitia Dosch va-t-elle s'inscrire d'une certaine manière dans les pas de celui de Céline Salette dans Corporate (Nicolas Silhol, 2017) ? Loin d'être un tract filmé, Gilles Perret nous livre de la belle ouvrage.
TORI ET LOKITA (Jean-Pierre et Luc Dardenne, 5 oct) LLL
Tori et Lokita sont deux adolescents arrivés depuis peu en Belgique, frère et soeur de circonstance : le plus jeune a réussi à avoir des papiers, mais pas la seconde. Le film montre leur tentative de survie, leur parcours du combattant, mais aussi la façon dont ils sont exploités... Au départ, on peut craindre un film trop didactique (comme sa bande-annonce ratée), avec la diction trop appliquée du petit garçon sur des dialogues un rien trop explicites. Ces craintes sont rapidement dissipées par le style des Dardenne, qui n'a rien perdu de son acuité. En effet, ils ne livrent pas une démonstration plaquée sur un discours, mais s'attachent constamment au plus concret des tâches effectuées par les personnages, dans leurs moindres gestes. Leur démarche, encore récompensée à Cannes cette année, peut s'apparenter à du naturalisme (on croit ce qu'on voit), mais leur mise en scène très stylisée, qui n'est pas sans rappeler le cinéma de Robert Bresson, n'appartient qu'à eux.
STRAIGHT UP (James Sweeney, 26 oct) LLL
Un jeune homme, que tout le monde ou presque croit gay, à commencer peut-être par lui-même, entame une relation avec une fille de son âge (Katie Findlay). Ils partagent un même sens de l'humour, et s'obstinent à chercher les bonnes expressions pour décrire leur relation ou leurs états d'âme, dans un rapport hésitant avec les étiquettes. En mettant au centre de son premier long métrage des jeunes gens pour qui c'est flou, sans qu'il y ait forcément un loup, James Sweeney, qui interprète l'un des deux rôles principaux, régénère le genre de la comédie romantique avec brio, en la sortant des clichés. Bien que les images aient leurs mots à dire, les dialogues sont essentiels, et rendent l'ensemble subtil mais drôle, cru mais fin... Le tout est réjouissant, et même certainement libérateur, et témoigne qu'il ne faut pas encore totalement désespérer du cinéma américain contemporain.
JEUNESSE EN SURSIS (Kateryna Gornostai, 14 sep) LLL
Ce premier long-métrage de fiction de la réalisatrice Kateryna Gornostai a été montré à Berlin en 2021 (et à La Rochelle en 2022) sous son titre original Stop-Zemlia, qui fait référence à un jeu de cour de récré dans lequel une personne ayant les yeux fermés doit arriver à toucher un(e) camarade. Le film est un beau portrait, assez universel, d'un groupe d'adolescent.e.s (plus particulièrement de deux filles et un garçon), en dernière année de lycée en Ukraine. Le film, qui sort en France alors que le pays est en guerre face à la Russie, est distribué sous le titre Jeunesse en sursis. Même si la grande partie du film ne traite pas du contexte géopolitique qui a précédé (et ce n'est d'ailleurs pas forcément ce qu'il faut en retenir émotionnellement), quelques éléments en témoignent : un adolescent, venu d'une autre région, évoque le souvenir d'un bombardement ; les élèves du lycée suivent un cours de tir. Et la cinéaste a tenu à tourner l'intégralité de son film en ukrainien, alors qu'il aurait été plus réaliste que les personnages mélangent à l'oral les langues ukrainienne et russe.
L'ETE NUCLEAIRE (Gaël Lépingle, 11 mai, rattrapé en DVD) LLL
Les choses ont évolué depuis Le Syndrome chinois (1979) : on sait que le nucléaire civil est risqué (trois accidents majeurs dans trois puissances économiques différentes: Three Miles Island, Tchernobyl, Fukushima), et que la radioactivité est invisible. Le film de Gaël Lépingle imagine un accident nucléaire à la centrale de Nogent, et suit un groupe de jeunes qui se retrouve malgré lui confiné dans une maison à l'intérieur d'une zone à évacuer. Cette focale sur quelques personnages uniquement, ainsi que l'invisibilité de la menace (évoquée plus haut) permet au réalisateur, avec une certaine économie de moyens, de faire habilement monter l'angoisse à l'intérieur d'un contexte crédible (que notre expérience du premier confinement lié à la pandémie de COVID peut rendre sensible, bien que le tournage ait eu lieu avant).
POULET FRITES (Yves Hinant, Jean Libon, 28 sep) LLL
Comme Ni juge, ni soumise, le nouveau documentaire de Yves Hinant et Jean Libon est tiré des archives de l'ancienne émission Strip Tease. Il raconte l'enquête autour d'une femme retrouvée assassinée chez elle. L'un de ses voisins, toxicomane, est immédiatement suspecté et fait un coupable idéal. Les frites ingérées par la victime constituent une première pièce à conviction. Mais il y en aura d'autres, et l'enquête va évoluer. On se demande comment la caméra a été acceptée dans ces circonstances. Sans doute les protagonistes, de l'enquêteur faussement flegmatique aux suspects, en rajoutent un peu devant l'objectif. Cela a pour principal effet de donner du relief et du piment à une histoire qui n'a pourtant rien de drôle dans les faits. Certains verront peut-être une "belgitude" dans le regard finalement assez truculent posé sur la nature humaine.
L'INNOCENT (Louis Garrel, 12 oct) LLL
Abel, un jeune veuf, est catastrophé par le mariage de sa mère avec un détenu qu'elle a rencontré dans un atelier théâtre en prison. Clémence, la collègue et meilleure amie d'Abel (ils partagent le même deuil), veut l'aider dans cette nouvelle situation... On a d'abord l'impression de regarder des personnages un peu désuets tirés du cinéma populaire des années 1970. Le comédien-réalisateur désarçonne et tente de retrouver des touches de fraîcheur ou de naïveté auxquelles l'univers un peu cérébral et ultra-parisien qui lui colle à la peau ne nous a pas habitué. Le dernier tiers du film est assez jubilatoire, et arrive à lier ensemble et donner du relief aux éléments épars (plus ou moins réussis) semés jusque là (dont des extraits musicaux inattendus). Sans rien révéler, disons que Louis Garrel semble délivrer un magnifique hommage au "mentir vrai", avec pour partenaires de jeu des orfèvres en la matière (Roschdy Zem, Noémie Merlant), ainsi que la grande Anouk Grinberg (le seul personnage du film sans faux semblants, alors qu'elle seule est comédienne professionnelle dans l'histoire).
UN COUPLE (Frederick Wiseman, 19 oct) LL
Comme son titre ne l'indique pas forcément, on ne voit qu'un seul personnage à l'écran, Sofia Tolstoï. Dans une maison de repos, un jardin ou en bord de mer, on la voit évoquer sa vie de couple, ses aspirations personnelles, et sa condition de "femme de" (l'écrivain Léon Tolstoï). Vingt ans après La Dernière lettre, Frederick Wiseman revient au non-documentaire, en s'inspirant de journaux intimes de Sofia Tolstoï, et des correspondances échangées entre les époux. On est très heureux de retrouver sur grand écran la trop rare Nathalie Boutefeu, qui a participé à l'écriture du film. La radicalité du dispositif horripilera peut-être une partie des spectateurs, mais c'est pourtant ce choix qui donne tout son caractère à cet essai filmé.
CHRONIQUE D'UNE LIAISON PASSAGERE (Emmanuel Mouret, 14 sep) LL
Une homme et une femme se mettent d'accord dès le début de leur histoire pour que celle-ci soit sans engagement et ne dure qu'un temps. Bien sûr, ce n'est pas aussi simple. Le cinéma d'Emmanuel Mouret accorde de plus en plus de place au texte (les personnages n'arrêtent pas de commenter ce qu'ils croient ressentir), malheureusement moins convaincant que dans Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait. Le problème du texte réside plus dans la forme (assez plate) que dans le fond (qui peut réserver de fines observations). N'est pas forcément Lubitsch qui veut. Il y a également tellement de hors champ que les personnages semblent théoriques : ils ont à peine une vie professionnelle et évoluent dans de vastes espaces (le cinéma de Mouret s'est embourgeoisé). Vincent Macaigne est néanmoins formidable de maladresse, et Sandrine Kiberlain conjugue maturité et fraîcheur. L'épilogue est un savoureux hommage à Woody Allen et Ingmar Bergman, et finit de sauver cette demi-réussite.
LE SERMENT DE PAMFIR (Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, 2 nov) LL
Voici un film ukrainien contemporain qui ne met pas en son coeur les rapports avec le voisin russe. L'histoire se passe dans la région de Bucovine. Pamfir est le surnom donné au héros, revenu de l'étranger et qui accepte une dernière fois de servir la contrebande avec la Roumanie voisine, membre de l'Union européenne, afin de trouver l'argent pour réparer le préjudice commis par son fils. Le schéma est rebattu, mais le réalisateur débutant réussit les scènes viriles, parfois de violence explicite, même si cela en constitue aussi une limite (pourquoi garder toutes les scènes choc, et ne pas développer davantage d'autres aspects ?).
UN BEAU MATIN (Mia Hansen-Love, 5 oct) LL
Mia Hansen-Love fait preuve d'un certain courage autobiographique à évoquer l'histoire d'une jeune femme, mère célibataire, qui doit composer avec un père qui perd ses moyens (Pascal Greggory), un ancien prof de philo atteint d'une maladie neuro-visuelle (il perd peu à peu la vue) et neuro-dégénérative. La bonne idée du film, c'est d'accompagner son héroïne Sandra (Léa Seydoux) dans tous les aspects de sa vie, un peu comme les personnages de Fin août, début septembre d'Olivier Assayas, dans lequel la réalisatrice a eu un petit rôle. Malheureusement, la mise en scène n'évite pas toujours la platitude, tout comme l'histoire d'amour, très conventionnelle, entre Sandra et une ancienne connaissance (Melvil Poupaud). Une tentative d'humour (la mère de Sandra, macroniste convaincue, s'essaye à la désobéissance civile, juste pour le petit frisson semble-t-il) rappelle que le regard que porte la cinéaste sur la société reste très bourgeois et conservateur, quelles que soient ses intentions.
L'ORIGINE DU MAL (Sébastien Marnier, 5 oct) LL
Petite déception devant le troisième long-métrage de Sébastien Marnier, qui nous avait laissé sur une goûteuse Heure de la sortie. Là, il essaie de nous livrer un nouveau film de genre à la française, autour d'une ouvrière (Laure Calamy) qui renoue un lien avec un père qu'elle n'a jamais connu (Jacques Webber). Ce dernier, confortablement installé dans une luxueuse villa sur la côte (mais garnie de menaçants animaux empaillés), cohabite en patriarche malsain avec les femmes actuelles de sa vie, dont Dominique Blanc, qui rappelle un peu Gloria Swanson dans Boulevard du crépuscule de Wilder ou Bette Davis dans Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? d'Aldrich. Il y a une cruelle ironie dans l'utilisation que Marnier fait du split screen. Pour autant, on reste sur sa faim. Le scénario, retors, est ambitieux, mais la mise en scène n'est pas toujours à la hauteur pour donner de la crédibilité à ces faux-semblants.
- Bien : Les Enfants des autres (Rebecca Zlotowski), Leïla et ses frères (Saeed Roustaee), Les Cinq diables (Léa Mysius), Revoir Paris (Alice Winocour), Rodéo (Lola Quivoron)
- Pas mal : Tout le monde aime Jeanne (Céline Deveaux), L'Ombre de Goya par Jean-Claude Carrière (José Luis Lopez-Linares), Juste sous vos yeux (Hong Sang-soo), Coup de théâtre (Tom George), Elvis (Baz Luhrmann), Là où chantent les écrevisses (Olivia Newman)
- Bof : Trois mille ans à t'attendre (George Miller), Avec amour et acharnement (Claire Denis), La Dérive des continents (au sud) (Lionel Baier), Feu follet (Joao Pedro Rodrigues)
LES ENFANTS DES AUTRES (Rebecca Zlotowski, 21 sep) LLL
Au début, on s'inquiète un peu. Certes, Rebecca Zlotowski a toujours soigné ses mises en scène ( Grand central, ou le pas assez reconnu Planetarium), mais avec une attitude assez franc-tireuse. Là, on sent qu'elle veut adopter une position plus centrale, avec une grammaire cinématographique très classique, de même que ses références musicales (Julien Clerc, Yves Simon). Mais cette nouvelle centralité n'est nullement une démagogie, elle s'en sert pour raconter une histoire simple d'une femme quadragénaire qui s'inquiète de ne pas avoir fait d'enfants, et qui va s'attacher à Leïla, la fillette de son compagnon (un homme divorcé). Le savoir-faire de la cinéaste, d'inspiration assez truffaldienne ici, est mis au service d'un point de vue assez inédit sur cette situation, et au-delà (l'excellent titre ne renvoie pas uniquement à Leïla). Pour jouer une partition si subtile, il fallait un stradivarius, et c'est Virginie Efira, qui donne devant la caméra de Zlotowski une sensualité et une palette d'émotions complexes assez extraordinaire. Après Revoir Paris et Les Enfants des autres, on ne voit pas comment le César de la meilleure actrice pourrait lui échapper.
LEÏLA ET SES FRERES (Saeed Roustaee, 24 aou) LLL
Leïla est la seule femme de la fratrie. C'est aussi la seule à avoir un emploi stable. Elle propose à ses frères un plan pour les sortir de la misère : acheter un futur local commercial à l'emplacement des toilettes actuelles d'une galerie marchande. Mais la mise de départ est élevée, et ils ont besoin de l'aide de leurs parents. Or le père a très envie de recevoir des honneurs en devenant le "parrain" de la famille élargie, ce qui nécessite de financer un cadeau de mariage pour le mariage du fils d'un cousin... Les dernières réalisations d'Asghar Farhadi ont pu décevoir par leurs coups de théâtre un peu forcés qui les animent. Saeed Roustaee, après le succès de La Loi de Téhéran, confirme son talent, avec une fresque plus subtile qui prend le temps de construire des personnages complexes. Les intrigues familiales peuvent se voir comme une métonymie de la société, écartelée entre traditions réactionnaires (auxquelles sont attachés les aînés) et mirages capitalistes (comment s'enrichir quand on n'a pas de capital initial ?). Courageux, à l'heure où le régime n'hésite pas à emprisonner des cinéastes accomplis (Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof).
LES CINQ DIABLES (Léa Mysius, 31 aou) LLL
Le titre renvoie peut-être aux cinq personnages principaux du film, mais fait sans doute également écho aux cinq sens. C'est l'odorat qui est au coeur de cette histoire : une petite fille qui a l'odorat particulièrement développé conserve dans des bocaux des odeurs diverses dont celle de sa mère. En s'imprégnant de l'odeur de cette dernière, elle pénètre ses souvenirs, et va découvrir l'histoire maternelle précédant sa naissance. On n'en dira pas davantage, le scénario frisant avec les paradoxes temporels se prêtant aux découvertes. Il y a de nombreuses pistes, pas toutes abouties, mais cela témoigne d'une certaine ambition, qui se retrouve également dans la mise en scène, particulièrement talentueuse pour filmer... les quatre éléments. Côté interprétation, on retrouve Adèle Exarchopoulos dans un de ses meilleurs rôles, ainsi que Moustapha Mbengue (découvert dans Amin de Philippe Faucon).
REVOIR PARIS (Alice Winocour, 7 sep) LLL
Pas pressée de rentrer chez elle, Mia s'arrête un instant dans une grande brasserie parisienne, en attendant la fin d'un orage. Ce lieu sera le théâtre d'un attentat. Le film est fictionnel, mais inspiré de l'expérience du frère de la réalisatrice, présent au Bataclan le soir du 13 novembre 2015. Ce qu'il réussit de mieux, c'est de montrer les mémoires traumatiques des victimes : en se regroupant, en croisant leurs souvenirs respectifs, certains détails remontent à la surface. L'autre aspect réussi, c'est le gouffre qui peut se creuser entre les victimes et leurs proches qui n'ont pas vécu cette expérience. Au fur et à mesure, le film devient de plus en plus choral, tout en restant centré principalement sur Mia, incarnée par une Virginie Efira au sommet de son art, qui endosse son personnage pleinement, sans jamais en faire trop. Alice Winocour change de registre à chaque film, mais s'en tire avec les honneurs.
RODEO (Lola Quivoron, 7 sep) LLL
Julia est une jeune fille fada de moto. Elle rencontre un vendeur d'occasion, et, sous prétexte d'essayer l'engin, se fait la belle avec. Elle rejoint un groupe de motards, et fait avec eux du cross bitume (rodéo en deux roues), sur un morceau de route désaffectée. Julia tente de s'intégrer dans ce milieu très masculin, et prend part également aux trafics qui lient cette bande, orchestrés par un caïd depuis sa cellule de prison... Dès le départ, le film s'ancre dans une sorte de no man's land ni rural ni urbain, et peu représenté sur grand écran. Et même si la performance de Julie Ledru est assez impressionnante dans la peau de l'héroïne, c'est en fait tous les aspects de ce premier long métrage qui transpirent de cinéma par toutes les pores. Et ça fait du bien, en dépit d'une fin qui appartient à un autre registre et arrive sans crier gare.
TOUT LE MONDE AIME JEANNE (Céline Devaux, 7 sep) LL
Jeanne est une inventrice, mais sa dernière création tombe à l'eau, littéralement. Comme elle était caution personnelle, elle se retrouve au bord de la faillite, et doit se résoudre à vendre l'appartement situé à Lisbonne appartenant à sa mère, disparue un an plus tôt. Au cours du voyage et du séjour, elle retrouve un ancien camarade de classe pas très net... Même si le fond n'est pas drôle, on pourra qualifier ce premier long-métrage de comédie psychologique, écrin sur mesure pour les jeux de Blanche Gardin et Laurent Lafitte. Le supplément d'âme est apporté par les séquences dessinées par Céline Devaux elle-même (illustratrice en plus d'être scénariste et réalisatrice), qui rendent compte avec une certaine acidité des dialogues intérieurs de son héroïne. Le procédé pêche un peu par son systématisme, mais le film demeure attachant.
L'OMBRE DE GOYA PAR JEAN-CLAUDE CARRIERE (José Luis Lopez-Linares, 21 sep) LL
On accompagne Jean-Claude Carrière, modèle d'érudition et formidable conteur, dans son dernier voyage en Espagne, sur les traces de Goya, peintre du XVIIIè siècle. L'oeuvre du peintre est vaste et variée, et l'excellent guide qu'est Carrière peut s'interroger sur certains détails d'un tableau ou d'un dessin, mais aussi sur l'influence du maître dans tous les domaines artistiques. Il revient ainsi sur sa longue collaboration avec Luis Bunuel, originaire de la même région. Le réalisateur du documentaire José Luis Lopez-Linares a néanmoins du mal dans le montage de son film, trop hésitant, comme s'il ne savait pas quelles pistes privilégier.
JUSTE SOUS VOS YEUX (Hong Sang-soo, 21 sep) LL
Après de longues années d'absence, une actrice rentre en Corée du Sud, et accepte un rendez-vous avec un réalisateur. Quelle attitude va-t-elle adopter ? Elle ne vit plus qu'au présent... On retrouve tout ce qui fait le style du cinéaste prolifique : tournage à une seule caméra (privilégiant les zooms avant et arrière aux découpages et gros plans classiques), discussions alcoolisées entre intellectuel(le)s... Certains de ses films sont squelettiques, d'autres sont beaucoup plus profonds. Celui-ci a un sujet sérieux (un secret qu'on devine sans peine), qui méritait peut-être mieux que le traitement minimaliste de Hong Sang-soo, même si les comédiens s'en sortent bien (la fabuleuse Lee Hye-young et l'habitué Kwon Hae-hyo).
COUP DE THEATRE (Tom George, 14 sep) LL
C'est un whodunit : une intrigue dont le seul intérêt est de découvrir l'identité du coupable d'un crime. On est donc proche du théâtre filmé, surtout que le premier long métrage de Tom George joue d'emblée la mise en abyme, en situant l'action dans le Londres des années 1950 dans un théâtre où se joue une pièce... d'Agatha Christie. La bonne idée du film, c'est la jeune adjointe de l'enquêteur (Saoirse Ronan) : elle est cinéphile, aime les mises en scènes, mais tire des conclusions trop hâtives... Hormis cette petite fibre comique, le reste est plutôt plaisant, mais très attendu.
ELVIS (Baz Luhrmann, 22 juin) LL
Un biopic sur la vie et l'oeuvre d'Elvis Presley, vues par son producteur, un "salaud" qui n'est pas accablé par le film, puisqu'interprété par le "gentil" Tom Hanks. Le fond est intéressant, en situant l'origine de la vocation du chanteur dans un quartier noir à l'heure de la ségrégation. Mais, sur la forme, Baz Luhrmann est davantage dans l'abondance bling-bling que dans la sobriété (au sens non dévoyé du terme), et le surlignage permanent dessert le film, à l'exception d'une utilisation parfois judicieuse du split screen dans certaines scènes de concert. Austin Butler livre une interprétation parfois candide de la star, loin de son image rebelle, mais raccord avec cette histoire d'emprise.
LA OU CHANTENT LES ECREVISSES (Olivia Newman, 17 aou) LL
Kya est la fille d'un homme violent, que sa mère et ses frères et soeurs ont fini par fuir. Un jour, il déserte lui aussi la maison. Kya grandit ainsi en enfant sauvage dans les marais de Caroline du Nord, dans les années 50 et 60, avant qu'elle devienne la coupable toute désignée d'un meurtre... L'histoire, tirée d'un roman à succès de Delia Owens, est passionnante. Elle maintient à elle-seule un intérêt à ce film qui, par ailleurs, est tellement lisse et platement illustratif que cela finit par en devenir gênant...
TROIS MILLE ANS A T'ATTENDRE (George Miller, 24 aou) L
En voyage à Istanbul, une experte en "narratologie" acquiert une antiquité, de laquelle s'échappe bientôt un djinn. Celui-ci lui narre ses aventures (sentimentales), notamment avec de mortelles humaines... Cela pourrait être un formidable divertissement sur le pouvoir des mythes. George Miller a eu beaucoup de moyens, et les effets spéciaux sont techniquement réussis. Le résultat, adapté d'une nouvelle de A.S. Byatt, donne néanmoins l'impression d'un gâchis, d'un survol (trois mille ans réduits à moins de deux heures). Et le personnage intéressant interprété par l'impeccable Tilda Swinton n'est pas creusé. Comme si le cinéma de Miller n'arrivait pas à la cheville de la littérature pour restituer la magie et les réflexions promises...
AVEC AMOUR ET ACHARNEMENT (Claire Denis, 31 aou) L
Sara (Juliette Binoche) et Jean (Vincent Lindon) forment un couple épanoui, jusqu'à ce que François (Grégoire Colin), ancien associé de Jean et ancien compagnon de Sara, ne réapparaisse dans leur vie... Deuxième adaptation de Christine Angot par Claire Denis, après le surprenant et très réussi Un beau soleil intérieur (2017). Le film a reçu l'Ours d'argent de la meilleure réalisation au festival de Berlin. Pourtant, et de façon inhabituelle chez la cinéaste, l'essentiel passe par les dialogues (y compris le passé des protagonistes). Les images semblent impuissantes à traduire les émotions a priori complexes des personnages : on regrette l'époque de la fructueuse collaboration de Claire Denis avec la chef opératrice Agnès Godard. En revanche, la partition musicale des Tinderticks reste remarquable.
LA DERIVE DES CONTINENTS (AU SUD) (Lionel Baier, 24 aou) L
Une fonctionnaire de l'Union européenne (Isabelle Carré) participe à la préparation d'une visite surprise de Macron et Merkel dans un camp de réfugiés en Sicile. De façon fortuite, elle rencontre son fils (Théodore Pellerin), qu'elle a abandonné, ainsi que son mari, lorsqu'elle a découvert qu'elle était lesbienne. Après l'excellent Les Grandes ondes (à l'ouest), qui plongeait Michel Vuillermoz et Valérie Donzelli au coeur de la révolution des oeillets au Portugal, Lionel Baier poursuit son tour européen. Mais ce nouveau film est une grosse déception. On sent qu'il veut traiter à la fois des rapports Nord/Sud (l'hypocrisie de l'Union européenne et du règlement de Dublin) et des rapports mère/fils, sans oublier le couple franco-allemand (une sorte de vaudeville entre anciennes amantes). Mais sa maladresse générale n'a d'égale que sa superficialité.
FEU FOLLET (Joao Pedro Rodrigues, 14 sep) L
Le générique annonce une "fantaisie musicale". Les ingrédients embrassent plusieurs thèmes : le réchauffement climatique, le genre, le post-colonialisme. Le résultat, qui se voudrait peut-être radicale chic, est à la fois court (1h07) et interminable : après un début prometteur (un Portugal contemporain mais imaginaire, encore monarchique mais frappé par de grands incendies), le film se délite et déploie une imagerie qui se veut choc, mais sans aucune profondeur. C'est moins catastrophique que le "Don Juan" de Serge Bozon, mais ça n'embrasera pas les cinéphiles.
- Bien : Vesper chronicles (Kristina Buozyte, Bruno Samper), As bestas (Rodrigo Sorogoyen), La Nuit du 12 (Dominik Moll), Ennio (Giuseppe Tornatore), Limbo (Ben Sharrock), Incroyable mais vrai (Quentin Dupieux), Rifkin's festival (Woody Allen)
- Pas mal : Nope (Jordan Peele), Decision to leave (Park Chan-wook), Marcel ! (Jasmine Trinca), Petite fleur (Santiago Mitre), Frère et soeur (Arnaud Desplechin), Men (Alex Garland)
- Bof : Dédales (Bogdan George Apetri)
- Hélas : Don Juan (Serge Bozon)
VESPER CHRONICLES (Kristina Buozyte, Bruno Samper, 17 aou) LLL
Les années passant, après les films catastrophes ont succédé les films post-apocalyptiques. Celui-ci, coréalisé par la réalisatrice Kristina Buozyte ( Vanishing waves, 2013), en est un des plus beaux représentants. Le point de départ pourrait sembler banale : une catastrophe écologique a anéanti une grande partie de l'humanité et du monde vivant ; restent une poignée de riches bunkerisés dans des Citadelles fermées au plus grand nombre, condamné à errer ou à survivre ; Vesper, une jeune fille pauvre, n'a pas renoncé à une vie meilleure. Cette dystopie surprend agréablement, d'abord par la richesse de son univers (au fur et à mesure des informations distillées par le récit, on révise petit à petit nos perceptions). Ensuite par l'impressionnant travail artistique : visuellement le film est très ambitieux et très abouti, sans céder au formatage qu'ont parfois ses homologues hollywoodiens...
AS BESTAS (Rodrigo Sorogoyen, 20 juil) LLL
Les films de Rodrigo Sorogoyen ( Que Dios nos perdone, El Reino, Madre) ont des intrigues très charpentées, qu'il vaut mieux ne pas trop éventer. Disons ici que l'histoire tourne autour d'un couple de français installé depuis quelques années dans un petit village de Galice. Instruits, ils tentent de pratiquer une agriculture plus écologique. Mais un conflit va éclater avec leurs voisins... L'excellent scénario divise le long métrage en plusieurs parties, mais la grande réussite du film tient peut-être plus fondamentalement encore à d'autres éléments : à l'intensité de la tension qui court dès le départ, à une très grande direction d'acteurs (Luis Zahera est inquiétant à souhait, face auquel Denis Ménochet puis Marina Foïs donnent leur pleine mesure, sans oublier les quelques scènes dévolues à Marie Colomb...).
LA NUIT DU 12 (Dominik Moll, 13 juil) LLL
Un carton introductif nous explique qu'il s'agit d'une affaire non résolue, de celles qui hantent pendant toute leur carrière certains enquêteurs. Ce polar, sur une jeune fille assassinée la nuit, ne se conclura pas par la résolution de l'enquête. Et pourtant Dominik Moll arrive à nous intéresser à son développement, mais aussi à d'autres aspects : sur la réalité matérielle de la police judiciaire, sur la violence genrée à l'intérieur de la société etc. Le cinéma de Dominik Moll ( Harry, un ami qui vous veut du bien) retrouve enfin une certaine densité, un certain humour également...
ENNIO (Giuseppe Tornatore, 6 juil) LLL
Ce documentaire n'est absolument pas révolutionnaire dans sa forme, mais est un vibrant hommage à Ennio Morricone, l'un des compositeurs de musique de films les plus visionnaires et célébrés de l'histoire du cinéma. Avec bien sûr des extraits de films, l'hommage de Giuseppe Tornatore au compositeur de son film Cinema Paradiso est constitué d'entretiens avec le maestro lui-même effectués de son vivant, mais aussi avec ses homologues, et quantité de réalisateurs internationaux, de toutes les tendances du cinéma mondial (Argento, Bellocchio, Stone, Tarantino etc). Il y a bien sûr ses collaborations avec Sergio Leone, mais aussi le générique facétieux de Des oiseaux petits et gros de Pasolini, ou l'hymne Here's to you créé avec Joan Baez pour Sacco et Vanzetti...
LIMBO (Ben Sharrock, 4 mai) LLL
Le film se déroule dans une île écossaise, dans laquelle un groupe d'immigrés doivent attendre le résultat de leur demande d'asile. Il suit plus particulièrement Omar (Amir El-Masry), un réfugié syrien, joueur d'oud, dont les parents ont déménagé en Turquie et le frère est resté combattre dans son pays. L'histoire aurait pu donner lieu à un drame implacable. Ben Sharrock a préféré un autre ton, qui autorise l'humour un peu surréaliste (avec notamment Sidse Babett Knudsen qui dispense des cours improbables sur la langue anglaise, les démarches pour trouver un emploi ou la façon de danser avec des autochtones). Sans dépolitiser ou édulcorer le propos (il y a, évidemment, des éléments dramatiques), il lorgne vers le conte, parfois proche du pince-sans-rire à la Kaurismaki, mais toujours digne.
INCROYABLE MAIS VRAI (Quentin Dupieux, 15 juin) LLL
Quentin Dupieux vieillit plutôt bien. Le point de départ est une nouvelle fois absurde. Deux couples d'amis (mais l'un des hommes est le supérieur de l'autre) ont chacun un élément extraordinaire qu'ils hésitent à avouer à l'autre. On n'éventera pas l'effet de surprise ici, mais ces deux particularités (au sein d'une maison récemment achetée, ou un dernier cri technologique) renferment une promesse de changer la vie, ou plus prosaïquement de repousser certaines limites humaines. Quentin Dupieux sait exploiter au maximum son idée de départ, même si le film ne dure qu'1h14 (et ne gagnerait pas à être plus long), et en tire une sorte de conte moral assez savoureux.
RIFKIN'S FESTIVAL (Woody Allen, 13 juil) LLL
Un homme mûr (Wallace Shawn), homme de lettres et de cinéma qui aurait voulu devenir écrivain, est traîné par sa femme attachée de presse au festival de San Sebastian. Le film tourné par un jeune protégé de son épouse lui tombe des yeux, par sa prétention (mais nous n'en verrons rien). Fatigué, il cède à des rêves, dans lesquels lui et ses proches remplacent les protagonistes de scènes iconiques de l'histoire du cinéma. Un peu hypocondriaque, il consulte... Le dernier film en date de Woody Allen a été précédé d'une réputation désastreuse assez injustifiée. Ni un chef-d'oeuvre, ni un vrai ratage (comme To Rome with love, seul exemple à ce jour), il s'agit d'une comédie de la maturité, très cinéphile, qui se révèlera assez savoureuse à tous les amoureux du septième art et de son histoire.
NOPE (Jordan Peele, 10 aou) LL
Après la mort mystérieuse de leur père, OJ et sa soeur Emerald gèrent l'élevage familial de chevaux (destinés pour certains à l'industrie cinématographique). Mais une menace plane dans les nuages au-dessus du ranch, OJ et Emerald s'en rendent compte et espèrent en tirer des images et la gloire qui va avec. Le scénario est donc contemporain, mais un peu alambiqué, et cette force extra-terrestre peut sembler plus abstraite et théorique que chez Spielberg ( Rencontres du troisième type) ou Villeneuve ( Premier contact). Mais, visuellement, le film est assez réussi et joue sur ce que l'on voit, sur ce que l'on croit avoir vu...
DECISION TO LEAVE (Park Chan-wook, 29 juin) LL
Un homme meurt, en tombant d'un piton rocheux. Un policier blasé suspecte sa jeune veuve... et se laisse subjuguer par elle. On n'en dira pas plus. C'est un film en plusieurs temps. Il a reçu le prix de la mise en scène à Cannes. Effectivement, il y a une certaine sophistication (par exemple l'enquêteur observe une scène aux jumelles et se retrouve projeté à l'intérieur du lieu observé), mais celle-ci peut nuire à la crédibilité du récit. C'est lorsque ces coquetteries s'estompent que celui-ci avance, de façon plus souterraine. Ces réserves mises à part, la dernière séquence est assez inattendue et impressionnante dans sa construction.
MARCEL ! (Jasmine Trinca, 27 juil) LL
La talentueuse actrice Jasmine Trinca, pilier du cinéma transalpin depuis sa découverte par Nanni Moretti ( La Chambre du fils), passe à la réalisation, et offre à sa consoeur Alba Rorhwacher, toujours épatante, le rôle d'une artiste de rue, qui semble délaisser sa fille (Maayane Conti), et offrir plus d'affection à son partenaire Marcel, un chien qui va pourtant se faire la malle... Sans avoir l'air d'y toucher, c'est un petit univers qui se déploie et finit par convaincre. On notera également les jolis cameos de Valentina Cervi et Valeria Golino.
PETITE FLEUR (Santiago Mitre, 8 juin) LL
Après El Presidente, l'Argentin Santiago Mitre confirme son goût pour les situations limites. Il raconte l'histoire de José (Daniel Hendler), un illustrateur argentin, qui s'installe en Auvergne avec Lucie, son épouse française et Antonietta, leur fille encore bébé. Licencié, il devient père au foyer tandis que Lucie décroche un emploi très prenant. Tous les jeudis il rend visite à Jean-Claude, un voisin provocateur, la visite virant toujours au macabre, au son de Petite Fleur de Sidney Bechet, avant de passer une excellente soirée avec son épouse... Pendant ce temps, son épouse fréquente un thérapeute spécial. La fable prend le risque de paraître vaine par ses outrances, mais s'appuie sur un casting très relevé : Vimala Pons, Melvil Poupaud, Sergi Lopez, et même Françoise Lebrun (qui irradie également La Maman et la putain, le chef d'oeuvre maudit de Jean Eustache qui retrouve enfin le chemin des salles après des décennies d'invisibilité).
FRERE ET SOEUR (Arnaud Desplechin, 20 mai) LL
Le frère et la soeur du titre sont obligés de se retrouver au chevet de leurs parents, gravement blessés après un terrible accident. Ce qui ne va pas de soi, car ils se vouent depuis des lustres une haine tenace. Savent-ils encore pourquoi ? Après la purge Tromperie, Arnaud Desplechin tente de revenir à une étude d'une famille et de ses ressorts psychologiques, ingrédients de base de ses plus grandes réussites (notamment Rois et reine et Un conte de Noël). Même s'il y a moins de fulgurances dans le récit et la mise en scène, le film se tient bien, formellement. Sur le fond, les rapports entre les deux personnages principaux, même s'ils sont bien interprétés (Melvil Poupaud et Marion Cotillard), peinent à convaincre complètement, comme s'ils découlaient de l'arbitraire des scénaristes...
MEN (Alex Garland, 8 juin) LL
Une jeune femme se met au vert pour surmonter un traumatisme (la mort de son mari, qu'elle était en train de quitter). Mais dans le petit village où elle a loué une maison pour deux semaines, elle se heurte à une certaine hostilité d'hommes qui ont des traits communs (et sont tous interprétés par Rory Kinnear) même s'ils sont aussi éloignés a priori qu'un exhibitionniste et un pasteur... Il y a de l'idée dans ce film post-MeToo, et la musique fait habilement monter l'angoisse. Dommage qu'un certain nombre de scènes peinent à convaincre (l'horreur demande pourtant un minimum de vraisemblance). Il faut attendre un épilogue fantastique très épicé pour que le film raccroche les wagons...
DEDALES (Bogdan George Apetri, 20 juil) L
Une jeune novice quitte en douce le couvent pour aller à un rendez-vous important. Il va lui arriver malheur, et un policier peu à cheval sur les méthodes va enquêter... Pas de surprise dans ce film, que ne sauve pas une mise en scène assez ostentatoire (un long plan-séquence à 360°) et une double fin assez peu convaincante.
DON JUAN (Serge Bozon, 23 mai) 0
Tahar Rahim joue un comédien qui interprète Don Juan, et est lui-même parfois un peu lourd avec les femmes, qui ont toutes le visage de celle qui lui résiste (Virginie Efira). De temps en temps, les personnages se mettent à chanter... Sur le papier, pourquoi pas. Mais le résultat à l'écran ne fonctionne pas du tout, donnant le spectacle d'un film très vain et très snob.
- Bravo : Les Passagers de la nuit (Mikhaël Hers), Contes du hasard et autres fantaisies (Ryusuke Hamaguchi)
- Bien : En corps (Cédric Klapisch), Hit the road (Panah Panahi), A Chiara (Jonas Carpignano), Coupez ! (Michel Hazanavicius), Miss Marx (Susanna Nicchiarelli)
- Pas mal : Murina (Antoneta Alamat Kusijanovic), La Colline où rugissent les lionnes (Luana Bajrami), Libertad (Clara Roquet), Il Buco (Michelangelo Frammartino)
- Bof : Nitram (Justin Kurzel)
LES PASSAGERS DE LA NUIT (Mikhaël Hers, 4 mai) LLLL
On suit quelques années de la vie d'une famille, plus précisément d'une mère devenue célibataire et de ses deux grands enfants ados, ses rencontres lorsqu'elle tente une reprise professionnelle... Si on se passionne par ce qui arrive aux personnages, c'est moins par la qualité du scénario en tant que tel que par la qualité d'écriture de ces personnages : Charlotte Gainsbourg a-t-elle déjà eu un rôle aussi beau ? Ses partenaires sont également bien servis : entre autres Thibault Vinçon et Didier Sandre (habitués du cinéaste), mais aussi Emmanuelle Béart et Noée Abita. La reconstitution des années 1980 est d'autant plus réussie qu'elle n'est pas ostentatoire et pointilleuse, mais plutôt pointilliste, ce qui change tout : ce sont des détails, des objets qui font revivre des éléments des rapports humains de l'époque. Et quelques réminiscences radiophoniques ou cinématographiques (la comète Pascale Ogier, notamment dans Les Nuits de la pleine lune). Mikhaël Hers croit encore au cinéma, et s'il livre un film largement au-dessus des productions audiovisuelles ordinaires, c'est parce qu'il demeure un styliste rare : le grain de l'image est unique, comme s'il s'agissait d'images pastel à la Sempé, mais avec des couleurs chaudes au diapason des ondes qui circulent d'un personnage à l'autre...
CONTES DU HASARD ET AUTRES FANTAISIES (Ryusuke Hamaguchi, 6 avr) LLLL
Le film est distribué en France sous un titre aux accents rohmériens. Il regroupe en réalité trois histoires d'une quarantaine de minutes chacune, et c'est un peu une surprise, dans la mesure où Ruysuke Hamaguchi a vraiment explosé avec des narrations longues : les cinq heures totales de Senses, les trois heures magistrales de Drive my car (oeuvre pourtant inspirée d'une nouvelle de Murakami). Chaque histoire prend néanmoins une tournure inattendue, qu'on se gardera de révéler, même si le cinéma d'Hamaguchi ne repose pas sur le suspense. Si les dialogues sont essentiels, et impeccablement interprétés, la réussite du film repose également sur l'évidence de la mise en scène : chaque cadre met d'emblée dans l'ambiance singulière de chaque séquence, et la caméra est toujours au bon endroit et au bon moment. Dit comme cela, c'est presque paradoxal, dans la mesure où les différents récits imaginent des personnages, surtout féminins, qui peinent, justement, à l'être, au bon endroit et au bon moment. Même s'il ne s'appuie pas sur un grand récit unique, Hamaguchi confirme néanmoins sa virtuosité.
EN CORPS (Cédric Klapisch, 30 mar) LLL
Un historien engagé pourrait ironiser sur la base sociologique des personnages qu'on croise dans l'oeuvre de Klapisch : à quelques exceptions près ( Ma part du gâteau), ce sont très majoritairement des urbains avec un capital culturel élevé. Ce qui n'empêche pas le réalisateur d'observer avec finesse les liens qui se construisent entre les personnages. Evacuons un autre point, le scénario : dans sa trame générale, le film est assez simple, voir simpliste, et téléphoné. Et pourtant on y croit. Le paradoxe n'est qu'apparent : l'effort n'a pas été mis sur la narration (qui frôle parfois le prêchi prêcha développement personnel), mais sur l'exécution. L'histoire de cette danseuse classique qui, après une double blessure (physique et amoureuse), doit renoncer à sa passion et réinventer sa vie est rendue très attachante par l'interprétation homogène (Marion Barbeau est la meilleure figure débutante chez Klapisch depuis Garance Clavel dans Chacun cherche son chat, mais il y a tous ses partenaires), par des détails qui font mouche, par des instants plus gratuits (la danse dans le vent face à la mer) et par le soin apporté à la direction artistique, à commencer par les chorégraphies. Au final, malgré mes craintes, un des meilleurs films du réalisateur.
HIT THE ROAD (Panah Panahi, 27 avr) LLL
Ils sont quatre dans la voiture, qui sillonne l'Iran en direction de la frontière turque. Le fils aîné, qui est au volant, semble tourmenté, sa mère, assise à côté de lui, n'arrive pas à cacher son inquiétude non plus. A l'arrière, son jeune frère est un moulin à parole, tandis que son père, la jambe dans le plâtre, fait preuve d'une plus grande apparente placidité. Quel est le but de ce périple, au bout duquel le conducteur se séparera de sa famille ? L'un des mérites du film est de ne pas nous l'exposer d'emblée : contrairement aux scénarios de plus en plus surécrits d'Asghar Farhadi, il travaille davantage la suggestion (néanmoins éloquente). Le genre du road movie est assez courante dans le cinéma iranien d'auteur (Kiarostami, Panahi père). Pour son premier long métrage, Panah Panahi s'inscrit dans cette filiation, tout en distillant quelques scènes d'une remarquable invention, et réussit à se faire un prénom.
A CHIARA (Jonas Carpignano, 13 avr) LLL
Le film commence par une fête d'anniversaire, relativement opulente, pour les 18 ans de l'aînée de la famille. Mais c'est Chiara, sa jeune soeur de 15 ans, qui va concentrer toute l'attention du cinéaste. Le début est une plongée, un peu longuette, en immersion dans cette famille, mais tout bascule, au moment où le père est soudainement contraint de prendre la fuite. Pourquoi ? Chiara va mener l'enquête à sa façon, et progressivement découvrir certaines des activités de son géniteur. De chronique, le film devient plus proche du thriller. Jonas Carpignano renouvelle le regard cinématographique sur la mafia (calabraise), en adoptant le point de vue original d'une adolescente (formidable Swamy Rotolo), jusqu'ici tenue à l'écart, et dont les proches constituent à la fois un cocon et un piège.
COUPEZ ! (Michel Hazanavicius, 18 mai) LLL
C'est d'abord l'histoire d'un tournage de film de zombie, qu'on devine fauché. Pour faire mieux jouer ses interprètes, le réalisateur déclenche une malédiction qui fait venir de vrais zombies sur le tournage. Mais ce qui est donné pour vrai semble encore (plus) faux. Normal, mais on ne vous en dira pas plus, sinon de rester malgré une première demi-heure apparemment mauvaise. Car tout ce qui n'est pas bon dans ce prologue a une explication (désopilante). C'est tout l'enjeu de la dernière partie du film, qui tient un peu de la Nuit américaine pour série Z, ou d'un Ed Wood bien de chez nous mais adapté d'une oeuvre japonaise (cela a son importance), et qui se révèle aussi hilarante qu'attachante. Après quelques errements (dont un Redoutable qui porte bien son nom), Michel Hazanavicius redevient convaincant.
MISS MARX (Susanna Nicchiarelli, 4 mai) LLL
Il y a quelques années, la biographie par Raoul Peck des jeunes années de Karl Marx s'était révélée un poil académique ( Le Jeune Karl Marx). Le nouveau film de Susanna Nicchiarelli, centré sur Eleanor Marx, dite Tussy, la plus jeune fille du théoricien, se révèle plus original, sur la forme comme sur le fond. L'héroïne, qu'on découvre à la mort de son père, veut prolonger les combats de ce dernier, rassembler ses derniers écrits (avec l'aide d'Engels !). Outre le soutien à la classe ouvrière, elle se bat également contre le travail des enfants, et pour inclure une dimension féministe au combat socialiste. Sa vie conjugale, avec un dramaturge déjà marié et dépensier, est plus compliquée, ce qui traduit les difficultés à conjuguer vie intime et idéal politique. La bande son, avec des morceaux rocks musclés anachroniques, fait échapper le film à un trop grand classicisme. On regrettera juste le regard sévère porté sur un Paul Lafargue montré comme ayant abandonné la lutte.
MURINA (Antoneta Alamat Kusijanovic, 20 avr) LL
Murina n'est pas le prénom de l'héroïne principale, Julija (Gracija Filipovic, formidable), mais évoque les murènes, de redoutables prédateurs marins qu'elle traque avec son père. Pour son premier long métrage, co-produit par Martin Scorsese, Antoneta Alamat Kusijanovic livre une sorte de huis clos familial sur une île croate paradisiaque. Julija a 17 ans, obéit à un père très autoritaire et parfois irascible (la mère s'est fait une raison), mais bien sûr elle cherche à se libérer de ses filets, notamment lorsque va débarquer un ancien associé et rival amoureux du père. On sent l'intention de lorgner vers la fable, mais ce coup d'essai est plutôt convaincant.
LA COLINNE OU RUGISSENT LES LIONNES (Luana Bajrami, 27 avr) LL
Un été dans un village du Kosovo. Trois jeunes filles inséparables se languissent, certaines rêvent de partir pour poursuivre leurs études. Elles trouvent refuge dans une maison abandonnée, et essaient d'étancher leur soif de liberté. Ce sont elles que la jeune réalisatrice Luana Bajrami, qui jouait notamment la servante dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, réussit le mieux. Elle se réserve aussi le rôle secondaire d'une jeune femme installée en France revenue au pays pour les vacances. Le film, qui lorgne autant vers Foxfire de Laurent Cantet que de Mustang de Deniz Gamze Ergüven, n'est pas complètement abouti, mais il arrive à trouver sa voie.
LIBERTAD (Clara Roquet, 6 avr) LL
Chronique estivale entre deux adolescentes. L'une, Nora, est d'origine bourgeoise et passe ses vacances chez sa grand mère. L'autre, Libertad, vient d'arriver de Colombie et est la fille de la bonne à tout faire de la maison. Elles n'ont pas tout à fait le même âge ni le même caractère, et Nora va apprendre beaucoup de sa nouvelle amie. Le film prend vite une tournure sociale. L'exercice de style de Clara Roquet tient la route sans grande originalité, en acclimatant en Espagne la veine de certains films brésiliens récents ( Une seconde mère, Trois étés).
IL BUCO (Michelangelo Frammartino, 4 mai) LL
Italie, au début des années 1960. La télévision glorifie la construction du plus haut gratte-ciel du pays. Pendant ce temps, dans l'arrière-pays calabrais, un groupe de spéléologues explore un gouffre d'une profondeur insoupçonnable. La grande stabilité de l'image, due au grand chef opérateur Renato Berta, relève d'un certain exploit, compte tenu de l'exiguïté des lieux. Malgré cela, le film, qui se veut contemplatif, saisit la vie collective (aucun personnage ne se détache), mais peine à rendre justice au spectacle naturel découvert par l'expédition.
NITRAM (Justin Kurzel, 11 mai) L
Dès le départ, on sent que ça ne tourne pas très rond dans la tête de Martin, surnommé Nitram (parce qu'il aime un peu trop jouer avec des pétards ?), entre retard mental et dépression (bipolaire). Il habite toujours chez ses parents, mais se lie d'amitié avec une vieille voisine pleine aux as. Deux solitudes qui s'unissent contre le reste du monde, dans une marginalité friquée. Mais, très vite, on sent que ça ne suffira pas, et on perçoit assez vite dans quelle direction le film va aller, sans génie ni nuances, malgré les efforts (récompensés à Cannes en 2021) de Caleb Landry Jones dans le rôle titre.
- Bien : Les Poings desserrés (Kira Kovalenko), L'Histoire de ma femme (Ildiko Enyedi), Les Graines que l'on sème (Nathan Nicholovitch), Goliath (Frédéric Tellier), Ali & Ava (Clio Barnard)
- Pas mal : A demain mon amour (Basile Carré-Agostini), De nos frères blessés (Hélier Cisterne), Michael Cimino, un mirage américain (Jean-Batiste Thoret), Rien à foutre (Emmanuel Marre, Julie Lecoustre), Maigret (Patrice Leconte), The Innocents (Eskil Vogt)
- Bof : After blue (paradis sale) (Bertrand Mandico), Azuro (Matthieu Rozé)
LES POINGS DESSERRES (Kira Kovalenko, 23 fév) LLL
Ada (Milana Agouzarova, extraordinaire) est une jeune fille résidant dans une petite ville d'Ossétie du Nord, en Russie. Elle vit avec son père, sujet régulièrement à des crampes qui le paralysent, et avec son petit frère, un ado qui vient malgré tout dormir avec elle la nuit. Elle-même ne va pas très bien, aurait besoin d'être "réparée", et essaie d'échapper à la surveillance de son père, qui a confisqué ses papiers pour l'empêcher de quitter le nid. Son frère aîné, qui était parti vivre à Rostov, vient les rejoindre quelques jours, et pourrait être un point d'appui. Il s'agit d'une sorte de film d'amour familial et surtout fraternel, mais qui ne psychologise rien : tout passe par les gestes, les corps, et bien sûr la gravité de ce que l'on apprend petit à petit. La mise en scène est au diapason, avec des plans-séquences tendus et maîtrisés. Kira Kovalenko s'offre toutefois une transgression esthétique dans le dernier mouvement du film, mais toujours en phase avec son héroïne.
L'HISTOIRE DE MA FEMME (Ildiko Enyedi, 16 mar) LLL
Hors de toute mode, le film a décontenancé les festivaliers et le jury cannois. Il est pourtant admirable. Le film a beau être en costumes, il n'est jamais académique. Cette dissection d'un couple n'est jamais le commentaire de l'époque à laquelle l'histoire se situe : on devine juste qu'elle se déroule au XXè siècle, à distance relative des conflits mondiaux. C'est l'histoire d'un capitaine de navires marchands qui décide un jour d'épouser la première venue, littéralement. Il tombe sur une Parisienne mondaine réceptive à cet inattendu, et qui a les traits de Léa Seydoux. Un début artificiel pour une histoire qui ne l'est pas, et qui nous captive de manière feuilletonesque. Comme l'indique le titre, le récit se place du côté du vécu de l'homme, mais mis en scène par une femme, la cinéaste Ildiko Enyedi (dont on avait beaucoup aimé Corps et âme). De ce fait, nous échappons au "male gaze", et les regards échangés par les personnages suscitent un trouble constant. La virtuosité du chef opérateur fait le reste, avec des couleurs chaudes réservées aux visages des protagonistes, comme une porte d'entrée pour déchiffrer leurs émois intérieurs.
LES GRAINES QUE L'ON SEME (Nathan Nicholovitch, 23 fév) LLL
Comme dans la réalité, une lycéenne a été placée en garde à vue, après avoir tagué "Macron démission !". Ses camarades bloquent le lycée, mais Chiara ne sortira pas vivante du commissariat : c'est l'aspect fictionnel mais hélas vraisemblable du troisième film de Nathan Nicholovitch, qu'il a co-écrit avec des élèves de 1ère L - option cinéma du lycée Romain Rolland d'Ivry-sur-Seine. Au cimetière, "Les gens qui doutent" d'Anne Sylvestre fait office d'ode à la liberté de Chiara, celle qui ne voulait pas "rester dans l'enclos" et qui en a perdu la vie. Le film se nourrit des introspections des jeunes : leur travail de deuil, leurs interrogations sur la liberté d'expression, systématiquement bafouée lorsque la parole est progressiste, par les néolibéraux au pouvoir (comme si entre ces derniers et l'extrême droite, il n'y avait plus qu'une différence de degré dans l'autoritarisme et le mépris de classe ou de race). Sans être à thèse, car il est kaléidoscopique et composite, le film rend hommage à celles et ceux qui à toutes époques se lèvent contre les injustices de leurs temps.
GOLIATH (Frédéric Tellier, 9 mar) LLL
Le projet du film semble à première vue tristement banal, consistant en un thriller écologique sur le modèle du très bon Dark waters de Todd Haynes. Il s'agit du combat de victimes d'un pesticide (la Tetrazine) contre Phytosanis, la firme qui le produit. Les noms sont inventés, mais pas les situations... Gilles Lellouche reprend un peu l'emploi qu'il avait occupé dans L'Enquête de Vincent Garenq, en justicier face à un adversaire bien plus puissant que lui. Mais l'intérêt et la particularité du film résident justement de l'autre côté, en se focalisant sur les activités de deux lobbystes d'autant plus redoutables qu'ils ne sont pas caricaturaux, interprétés par Pierre Niney et Laurent Stocker, qui maîtrisent bien mieux que les simples citoyens les codes du pouvoir : leurs éléments de langage sont parfois repris, à la virgule près, dans les ministères ou au Parlement européen (*).
ALI & AVA (Clio Barnard, 2 mar) LLL
Ali est un musicien (amateur ?) qui continue de vivre sous le même toit que sa femme, encore étudiante, qu'il n'aime plus. Ava, assistante scolaire, est veuve depuis un an et élève seule ses enfants, voire même ses petits enfants. Tous les deux vivent à Bradford, une petite ville populaire du Yorkshire, au nord de l'Angleterre. Le film raconte leur rencontre, leur instinct de solidarité immédiate et leur progressif apprivoisement mutuel, malgré des différences culturelles, sur lesquelles la cinéaste n'appuie jamais (à l'exception anecdotique de leurs goûts musicaux). Le titre évoque Tous les autres s'appellent Ali de Rainer Werner Fassbinder, mais les scènes lorgnent davantage vers l'univers de Mike Leigh. La réalisatrice n'abuse pas d'effet de style rentre-dedans, et laisse Claire Rushbrook et Adeel Akhtar instiller chez leurs personnages une palette d'une grande humanité, sans sensiblerie, tout en faisant face à leurs entourages respectifs.
A DEMAIN MON AMOUR (Basile Carré-Agostini, 9 mar) LL
Ce documentaire suit Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, un couple de sociologues qui a étudié pendant des décennies la grande bourgeoisie. Quiconque a eu le plaisir de les rencontrer, dans des débats ou conférences, sera touché par le film, qui s'attarde sur la complicité quotidienne qui les unit. Ce lien d'affection et de complémentarité leur sert de refuge, alors qu'ils se sont confrontés, en première ligne, au mépris de classe et à la violence sociale exercée subrepticement (inconsciemment ?) par les plus riches, qui constituent une classe en soi, dorlotée par les politiques néolibérales de droite ou du PS (et ses satellites). Le film risque par contre de laisser les néophytes sur leur faim, en documentant davantage leur activisme politique (depuis leur retraite en 2007) que leurs recherches sociologiques.
DE NOS FRERES BLESSES (Hélier Cisterne, 23 mar) LL
Adapté du roman éponyme de Joseph Andras, le film raconte l'histoire de Fernand Iveton, un jeune communiste installé à Alger qui ne supporte plus le sort réservé aux "indigènes" algériens. Lorsque le Parti communiste est interdit dans la colonie française, il se rapproche du FLN, et pose une bombe dans l'usine où il travaille, programmée pour exploser en dehors des heures d'ouverture. Mais la bombe est désamorcée et Fernand arrêté. Bousculant toute chronologie, le film se nourrit du procès qui s'ensuit, mais aussi, par réminiscences, de la rencontre de Fernand avec sa femme à Paris, une mère isolée ayant fui la dictature polonaise, de leur drôle de couple, de leur prise de conscience anti-colonialiste. Le film est très honnête (belles interprétations de Vincent Lacoste et Vicky Krieps), mais de par sa sobriété ne transcende jamais son sujet.
MICHAEL CIMINO, UN MIRAGE AMERICAIN (Jean-Baptiste Thoret, 19 jan) LL
Les trois premiers quarts d'heure de ce documentaire sont les meilleurs, où l'on rencontre des habitant.e.s de Mingo (Ohio) où a été tournée une partie de Voyage au bout de l'enfer. Ils assurent que le film a été fidèle à la vie de leur communauté. Y est distillée une discrète analogie entre un passé ouvrier qui n'est plus et un cinéaste dont la carrière a été écourtée. Le reste du documentaire est une évocation plus classique de l'oeuvre du cinéaste, interviewant des professionnels (James Toback, Oliver Stone, John Savage...). Ma vision de Voyage au bout de l'enfer est corroborée par l'un des intervenants (ce n'est pas un film contre les vietnamiens, les scènes de roulette russe sont une abstraction de l'expérience guerrière). L'évocation de La Porte du paradis est décevante, vu uniquement comme un gouffre financier et un échec public, alors que la puissance du montage final du film en fait le second chef d'oeuvre, certes maudit, du cinéaste.
RIEN A FOUTRE (Emmanuel Marre, Julie Lecoustre, 2 mar) LL
Ce premier long métrage belge dessine le portrait d'une hôtesse de l'air. On y perçoit les conditions de travail et l'absurdité du système, entre diktat des apparences et pression autour de leurs performances commerciales à bord. Mais on n'est pas chez Stéphane Brizé, et aucune conscience politique ne pointe à l'horizon (une discussion avec des syndicalistes tourne court). Le portrait se veut générationnel, mais montre une frange de la jeunesse éloignée de tout combat. La résignation et le défaitisme sont les meilleurs pièges dans lesquels les néolibéraux nous enferment, et c'est presque aussi glaçant que les conditions objectives elles-mêmes. Bien qu'Adèle Exarchopoulos interprète son personnage avec éclat (son meilleur rôle depuis La Vie d'Adèle), le film est donc tout sauf euphorisant.
MAIGRET (Patrice Leconte, 23 fév) LL
Maigret revient sur grand écran près de soixante ans après sa dernière apparition (sous les traits de Jean Gabin dans plusieurs films, dont Maigret et l'affaire Saint Fiacre par Jean Delannoy en 1959, vu il y a quelques années au festival d'Arras). L'intrigue est d'ailleurs située dans la France d'après-guerre et porte sur une jeune fille assassinée et non identifiée... Le polar, au rythme nonchalant, baigne dans une lumière froide propre au mystère et au trouble. Le célèbre commissaire est interprété par Gérard Depardieu, mais on a parfois l'impression que c'est l'inverse : que c'est Maigret qui s'amuse à ressembler à l'acteur ! Patrice Leconte renoue avec une réalisation de bonne facture, mais sans impressionner.
THE INNOCENTS (Ekil Vogt, 9 fév) LL
Quatre enfants se découvrent des pouvoirs (télékinésie, télépathie). Que vont-ils en faire ? La note moyenne que j'ai attribuée au second long métrage d'Ekil Vogt, scénariste renommé, notamment pour Joachim Trier, est trompeuse : le film n'est pas tiède, mais me laisse partagé. D'un côté, et en prenant du recul, le récit, qui tient du conte cruel, fonctionne, et peut réanimer certaines terreurs enfantines, comme dans les meilleures oeuvres horrifiques. De l'autre côté, l'absence de limite des enfants (surtout l'un d'entre eux), due à leur "innocence" (ils ne perçoivent pas immédiatement le bien et le mal), est montrée par le biais d'une mise en scène complaisante jusqu'au malaise.
AFTER BLUE (PARADIS SALE) (Bertrand Mandico, 16 fév) L
Quatre ans après Les Garçons sauvages (mémorable), Bertrand Mandico revient avec une nouvelle fantasmagorie. On atterrit sur une planète où n'ont survécu parmi les êtres humains que des femmes. L'une d'entre elles, meurtrière, sème la terreur... Si on est sidéré par l'imagination du scénario, on n'est pas forcément obligé d'être convaincu par cette radicalité ostentatoire avec moult fumigènes qui pourrait ressembler à un long clip des années 80, certes organique mais assez vain, et où l'ennemie numéro un se nomme Kate Bush (désolé l'artiste). Les maquillages et autres effets visuels peuvent néanmoins fasciner (avec une méconnaissable Vimala Pons).
AZURO (Matthieu Rozé, 30 mar) L
Des amis passent leurs vacances d'été ensemble sur la côte italienne, par temps caniculaire. Ils font la connaissance d'un homme, et de son hors-bord rutilant... Une adaptation peu convaincante de Marguerite Duras, dans laquelle le cinéma lui-même semble avoir pris des vacances : gâchis de bons interprètes (Valérie Donzelli, Florence Loiret-Caille, Yannick Choirat), une musique sirupeuse qui semble exhumée des années 1980, et des filtres de couleur artificiels et aux intentions trop lourdement symboliques.
(*) Pour ne pas en reprendre pour 5 ans, il va falloir se mobiliser, y compris électoralement, en votant "efficace" pour une écologie populaire qui tranche avec la fausse alternative entre impasse néolibérale et danger fasciste.
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Il n'y a pas que le ciné dans la vie
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