- Bravo : Les Passagers de la nuit (Mikhaël Hers), Contes du hasard et autres fantaisies (Ryusuke Hamaguchi)
- Bien : En corps (Cédric Klapisch), Hit the road (Panah Panahi), A Chiara (Jonas Carpignano), Coupez ! (Michel Hazanavicius), Miss Marx (Susanna Nicchiarelli)
- Pas mal : Murina (Antoneta Alamat Kusijanovic), La Colline où rugissent les lionnes (Luana Bajrami), Libertad (Clara Roquet), Il Buco (Michelangelo Frammartino)
- Bof : Nitram (Justin Kurzel)
LES PASSAGERS DE LA NUIT (Mikhaël Hers, 4 mai) LLLL
On suit quelques années de la vie d'une famille, plus précisément d'une mère devenue célibataire et de ses deux grands enfants ados, ses rencontres lorsqu'elle tente une reprise professionnelle... Si on se passionne par ce qui arrive aux personnages, c'est moins par la qualité du scénario en tant que tel que par la qualité d'écriture de ces personnages : Charlotte Gainsbourg a-t-elle déjà eu un rôle aussi beau ? Ses partenaires sont également bien servis : entre autres Thibault Vinçon et Didier Sandre (habitués du cinéaste), mais aussi Emmanuelle Béart et Noée Abita. La reconstitution des années 1980 est d'autant plus réussie qu'elle n'est pas ostentatoire et pointilleuse, mais plutôt pointilliste, ce qui change tout : ce sont des détails, des objets qui font revivre des éléments des rapports humains de l'époque. Et quelques réminiscences radiophoniques ou cinématographiques (la comète Pascale Ogier, notamment dans Les Nuits de la pleine lune). Mikhaël Hers croit encore au cinéma, et s'il livre un film largement au-dessus des productions audiovisuelles ordinaires, c'est parce qu'il demeure un styliste rare : le grain de l'image est unique, comme s'il s'agissait d'images pastel à la Sempé, mais avec des couleurs chaudes au diapason des ondes qui circulent d'un personnage à l'autre...
CONTES DU HASARD ET AUTRES FANTAISIES (Ryusuke Hamaguchi, 6 avr) LLLL
Le film est distribué en France sous un titre aux accents rohmériens. Il regroupe en réalité trois histoires d'une quarantaine de minutes chacune, et c'est un peu une surprise, dans la mesure où Ruysuke Hamaguchi a vraiment explosé avec des narrations longues : les cinq heures totales de Senses, les trois heures magistrales de Drive my car (oeuvre pourtant inspirée d'une nouvelle de Murakami). Chaque histoire prend néanmoins une tournure inattendue, qu'on se gardera de révéler, même si le cinéma d'Hamaguchi ne repose pas sur le suspense. Si les dialogues sont essentiels, et impeccablement interprétés, la réussite du film repose également sur l'évidence de la mise en scène : chaque cadre met d'emblée dans l'ambiance singulière de chaque séquence, et la caméra est toujours au bon endroit et au bon moment. Dit comme cela, c'est presque paradoxal, dans la mesure où les différents récits imaginent des personnages, surtout féminins, qui peinent, justement, à l'être, au bon endroit et au bon moment. Même s'il ne s'appuie pas sur un grand récit unique, Hamaguchi confirme néanmoins sa virtuosité.
EN CORPS (Cédric Klapisch, 30 mar) LLL
Un historien engagé pourrait ironiser sur la base sociologique des personnages qu'on croise dans l'oeuvre de Klapisch : à quelques exceptions près (Ma part du gâteau), ce sont très majoritairement des urbains avec un capital culturel élevé. Ce qui n'empêche pas le réalisateur d'observer avec finesse les liens qui se construisent entre les personnages. Evacuons un autre point, le scénario : dans sa trame générale, le film est assez simple, voir simpliste, et téléphoné. Et pourtant on y croit. Le paradoxe n'est qu'apparent : l'effort n'a pas été mis sur la narration (qui frôle parfois le prêchi prêcha développement personnel), mais sur l'exécution. L'histoire de cette danseuse classique qui, après une double blessure (physique et amoureuse), doit renoncer à sa passion et réinventer sa vie est rendue très attachante par l'interprétation homogène (Marion Barbeau est la meilleure figure débutante chez Klapisch depuis Garance Clavel dans Chacun cherche son chat, mais il y a tous ses partenaires), par des détails qui font mouche, par des instants plus gratuits (la danse dans le vent face à la mer) et par le soin apporté à la direction artistique, à commencer par les chorégraphies. Au final, malgré mes craintes, un des meilleurs films du réalisateur.
HIT THE ROAD (Panah Panahi, 27 avr) LLL
Ils sont quatre dans la voiture, qui sillonne l'Iran en direction de la frontière turque. Le fils aîné, qui est au volant, semble tourmenté, sa mère, assise à côté de lui, n'arrive pas à cacher son inquiétude non plus. A l'arrière, son jeune frère est un moulin à parole, tandis que son père, la jambe dans le plâtre, fait preuve d'une plus grande apparente placidité. Quel est le but de ce périple, au bout duquel le conducteur se séparera de sa famille ? L'un des mérites du film est de ne pas nous l'exposer d'emblée : contrairement aux scénarios de plus en plus surécrits d'Asghar Farhadi, il travaille davantage la suggestion (néanmoins éloquente). Le genre du road movie est assez courante dans le cinéma iranien d'auteur (Kiarostami, Panahi père). Pour son premier long métrage, Panah Panahi s'inscrit dans cette filiation, tout en distillant quelques scènes d'une remarquable invention, et réussit à se faire un prénom.
A CHIARA (Jonas Carpignano, 13 avr) LLL
Le film commence par une fête d'anniversaire, relativement opulente, pour les 18 ans de l'aînée de la famille. Mais c'est Chiara, sa jeune soeur de 15 ans, qui va concentrer toute l'attention du cinéaste. Le début est une plongée, un peu longuette, en immersion dans cette famille, mais tout bascule, au moment où le père est soudainement contraint de prendre la fuite. Pourquoi ? Chiara va mener l'enquête à sa façon, et progressivement découvrir certaines des activités de son géniteur. De chronique, le film devient plus proche du thriller. Jonas Carpignano renouvelle le regard cinématographique sur la mafia (calabraise), en adoptant le point de vue original d'une adolescente (formidable Swamy Rotolo), jusqu'ici tenue à l'écart, et dont les proches constituent à la fois un cocon et un piège.
COUPEZ ! (Michel Hazanavicius, 18 mai) LLL
C'est d'abord l'histoire d'un tournage de film de zombie, qu'on devine fauché. Pour faire mieux jouer ses interprètes, le réalisateur déclenche une malédiction qui fait venir de vrais zombies sur le tournage. Mais ce qui est donné pour vrai semble encore (plus) faux. Normal, mais on ne vous en dira pas plus, sinon de rester malgré une première demi-heure apparemment mauvaise. Car tout ce qui n'est pas bon dans ce prologue a une explication (désopilante). C'est tout l'enjeu de la dernière partie du film, qui tient un peu de la Nuit américaine pour série Z, ou d'un Ed Wood bien de chez nous mais adapté d'une oeuvre japonaise (cela a son importance), et qui se révèle aussi hilarante qu'attachante. Après quelques errements (dont un Redoutable qui porte bien son nom), Michel Hazanavicius redevient convaincant.
MISS MARX (Susanna Nicchiarelli, 4 mai) LLL
Il y a quelques années, la biographie par Raoul Peck des jeunes années de Karl Marx s'était révélée un poil académique (Le Jeune Karl Marx). Le nouveau film de Susanna Nicchiarelli, centré sur Eleanor Marx, dite Tussy, la plus jeune fille du théoricien, se révèle plus original, sur la forme comme sur le fond. L'héroïne, qu'on découvre à la mort de son père, veut prolonger les combats de ce dernier, rassembler ses derniers écrits (avec l'aide d'Engels !). Outre le soutien à la classe ouvrière, elle se bat également contre le travail des enfants, et pour inclure une dimension féministe au combat socialiste. Sa vie conjugale, avec un dramaturge déjà marié et dépensier, est plus compliquée, ce qui traduit les difficultés à conjuguer vie intime et idéal politique. La bande son, avec des morceaux rocks musclés anachroniques, fait échapper le film à un trop grand classicisme. On regrettera juste le regard sévère porté sur un Paul Lafargue montré comme ayant abandonné la lutte.
MURINA (Antoneta Alamat Kusijanovic, 20 avr) LL
Murina n'est pas le prénom de l'héroïne principale, Julija (Gracija Filipovic, formidable), mais évoque les murènes, de redoutables prédateurs marins qu'elle traque avec son père. Pour son premier long métrage, co-produit par Martin Scorsese, Antoneta Alamat Kusijanovic livre une sorte de huis clos familial sur une île croate paradisiaque. Julija a 17 ans, obéit à un père très autoritaire et parfois irascible (la mère s'est fait une raison), mais bien sûr elle cherche à se libérer de ses filets, notamment lorsque va débarquer un ancien associé et rival amoureux du père. On sent l'intention de lorgner vers la fable, mais ce coup d'essai est plutôt convaincant.
LA COLINNE OU RUGISSENT LES LIONNES (Luana Bajrami, 27 avr) LL
Un été dans un village du Kosovo. Trois jeunes filles inséparables se languissent, certaines rêvent de partir pour poursuivre leurs études. Elles trouvent refuge dans une maison abandonnée, et essaient d'étancher leur soif de liberté. Ce sont elles que la jeune réalisatrice Luana Bajrami, qui jouait notamment la servante dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, réussit le mieux. Elle se réserve aussi le rôle secondaire d'une jeune femme installée en France revenue au pays pour les vacances. Le film, qui lorgne autant vers Foxfire de Laurent Cantet que de Mustang de Deniz Gamze Ergüven, n'est pas complètement abouti, mais il arrive à trouver sa voie.
LIBERTAD (Clara Roquet, 6 avr) LL
Chronique estivale entre deux adolescentes. L'une, Nora, est d'origine bourgeoise et passe ses vacances chez sa grand mère. L'autre, Libertad, vient d'arriver de Colombie et est la fille de la bonne à tout faire de la maison. Elles n'ont pas tout à fait le même âge ni le même caractère, et Nora va apprendre beaucoup de sa nouvelle amie. Le film prend vite une tournure sociale. L'exercice de style de Clara Roquet tient la route sans grande originalité, en acclimatant en Espagne la veine de certains films brésiliens récents (Une seconde mère, Trois étés).
IL BUCO (Michelangelo Frammartino, 4 mai) LL
Italie, au début des années 1960. La télévision glorifie la construction du plus haut gratte-ciel du pays. Pendant ce temps, dans l'arrière-pays calabrais, un groupe de spéléologues explore un gouffre d'une profondeur insoupçonnable. La grande stabilité de l'image, due au grand chef opérateur Renato Berta, relève d'un certain exploit, compte tenu de l'exiguïté des lieux. Malgré cela, le film, qui se veut contemplatif, saisit la vie collective (aucun personnage ne se détache), mais peine à rendre justice au spectacle naturel découvert par l'expédition.
NITRAM (Justin Kurzel, 11 mai) L
Dès le départ, on sent que ça ne tourne pas très rond dans la tête de Martin, surnommé Nitram (parce qu'il aime un peu trop jouer avec des pétards ?), entre retard mental et dépression (bipolaire). Il habite toujours chez ses parents, mais se lie d'amitié avec une vieille voisine pleine aux as. Deux solitudes qui s'unissent contre le reste du monde, dans une marginalité friquée. Mais, très vite, on sent que ça ne suffira pas, et on perçoit assez vite dans quelle direction le film va aller, sans génie ni nuances, malgré les efforts (récompensés à Cannes en 2021) de Caleb Landry Jones dans le rôle titre.
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