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Mon Top 15 de 2015

1. Les Mille et une nuits, volume 1 : L'inquiet (Miguel Gomes, Portugal)
2. Phoenix (Christian Petzold, Allemagne)
3. L'Enquête (Vincent Garenq, France)
4. Crosswind (Martti Helde, Estonie)
5. Mustang (Deniz Gamze Ergüven, Turquie/France)
6. Cemetery of splendour (Apichatpong Weerasethakul, Thaïlande)
7. Taxi Téhéran (Jafar Panahi, Iran)
8. Amour fou (Jessica Hausner, Autriche)
9. Fatima (Philippe Faucon, France)
10. Comme un avion (Bruno Podalydès, France)
11. La Loi du marché (Stéphane Brizé, France)
12. Vice-Versa (Pete Docter, Ronnie Del Carmen, Etats-Unis)
13. L'Homme irrationnel (Woody Allen, Etats-Unis)
14. Une histoire de fou (Robert Guédiguian, France)
15. Avril et le monde truqué (Christian Desmares, Franck Ekinci, France)

Viennent ensuite (top 15 alternatif) : Le Labyrinthe du silence (Giulio Ricciarelli, Allemagne), Shaun le mouton (Mark Burton, Richard Starzack, Grande-Bretagne), Une seconde mère (Anna Muylaert, Brésil), Demain (Cyril Dion, Mélanie Laurent, France), Marguerite (Xavier Giannoli, France), Le Prix à payer (Harold Crooks, Canada), Citizenfour (Laura Poitras, Etats-Unis), Birdman (Alejandro Gonzalez Inarritu, Etats-Unis), Belles familles (Jean-Paul Rappeneau, France), Trois souvenirs de ma jeunesse (Arnaud Desplechin, France), Les Mille et une nuits, volume 2 : Le désolé (Miguel Gomes, Portugal), Journal d'une femme de chambre (Benoit Jacquot, France), Les Bêtises (Alice et Rose Philippon, France), L'Image manquante (Rithy Panh, Cambodge/France), Capitaine Thomas Sankara (Christophe Cupelin, Suisse) etc...
Version imprimable | Films de 2015 | Le Lundi 28/12/2015 | 0 commentaires
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Rattrapages et films de fin 2015

Article susceptible d'être complété...

  • Bien : Demain (Cyril Dion et Mélanie Laurent), Capitaine Thomas Sankara (Christophe Cupelin), Le Grand jeu (Nicolas Pariser), Béliers (Grimur Hakonarson), Ex Machina (Alex Garland), 21 nuits avec Pattie (Arnaud et Jean-Marie Larrieu), Le Pont des espions (Steven Spielberg), La Vie très privée de monsieur Sim (Michel Leclerc)
  • Pas mal : L'Etreinte du serpent (Ciro Guerra), Phantom boy (Alain Gagnol, Jean-Loup Felicioli), Chant d'hiver (Otar Iosseliani), Casa grande (Fellipe Barbosa), Le Réveil de la force (J.J. Abrams), Back home (Joachim Trier), Inherent vice (Paul Thomas Anderson), La Peau de Bax (Alex Van Warmerdam)
  • Bof : L'Hermine (Christian Vincent)

DEMAIN (Cyril Dion, Mélanie Laurent, 2 déc) LLL
Encore un documentaire écolo, sorti opportunément à quelques jours de la Cop 21 ? Oui, mais celui-ci est beaucoup plus intéressant que les exercices convenus (et dépolitisés) à la YAB. Ici, le constat est assez vite expédié, et l'essentiel est consacré à de nombreuses pistes. Bien sûr chacune d'entre elles mériterait d'être davantage problématisée ou contextualisée (de quoi faire l'objet d'un film pour chacune), mais c'est la démarche globale du film qui convainc. Il est décliné en 5 chapitres : agriculture, énergie, économie, démocratie, et éducation, et il montre bien que tout est lié, et que l'écologie conséquente est donc politique. Et en effet les pistes exposées dans ce documentaire qui brasse large (permaculture, scénario Négawatt, villes en transition, monnaies locales, pratiques de démocratie active, pédagogies qui favorisent l'anti-conformisme et l'inclusion sociale etc) sont opposées au capitalisme (même "vert"), au desiderata des multinationales comme à l'avachissement des démocraties.

CAPITAINE THOMAS SANKARA (Christophe Cupelin, 25 nov) LLL
Un documentaire de très bonne facture sur Thomas Sankara, président du Burkina Faso de 1983 à son assassinat en 1987, dans des circonstances non totalement élucidées (le film l'aborde à la toute fin mais ne s'y attarde pas) qui ont amené son ancien bras droit Blaise Compaoré pour un long règne jusqu'en 2014. Auparavant, le film tisse un portrait passionnant d'un dirigeant anticonformiste, révolutionnaire et visionnaire d'une gauche sociale, anticolonialiste (c'est peu de dire qu'il n'était pas soutenu par la France de Mitterrand ni par les dirigeants françafricains), féministe et écologiste (toutes choses dont on aurait besoin ici en France, à ceci près que les questions ne se posent pas de la même façon dans un pays riche et impérialiste comme la France et dans un pays pauvre et dominé comme le Burkina Faso ["pays des hommes intègres"], nouveau nom attribué à son pays par Sankara, abandonnant le nom colonial de Haute-Volta).

LE GRAND JEU (Nicolas Pariser, 16 déc) LLL
Un écrivain en panne d'inspiration (Melvil Poupaud) rencontre à une fête un mystérieux personnage (André Dussolier), un homme de l'ombre de la République, qui lui propose contre une somme rondelette d'écrire un essai-ode à l'insurrection. De renouer avec ses idéaux de jeunesse, que matérialisent son ex-femme (Sophie Cattani) ou une jeune amie de celle-ci (Clémence Poésy), retirée dans un groupe expérimentant un mode de vie alternatif à la campagne (rappelant le groupe de Tarnac). Même si dans le détail tout n'est pas toujours convaincant, Nicolas Pariser vise haut pour son premier long métrage, trouvant une veine peu usitée dans le cinéma français, quelque part entre Triple Agent d'Eric Rohmer et L'Exercice de l'Etat de Pierre Schoeller. Les interprètes du quatuor principal sont épatants, et certains de leurs dialogues, formidablement écrits, dépassent de loin l'enjeu du film.

BELIERS (Grimur Hakonarson, 9 déc) LLL
Dans une vallée isolée d'Islande, deux frères brouillés depuis 40 ans (ils ne s'adressent plus la parole) vivent à moins de 100 m l'un de l'autre et élèvent des moutons. Lors d'un concours agricole, ils trustent les deux premières places. C'est là que la tremblante du mouton pointe le bout de son nez... Cela aurait pu être un petit film, mais c'est mieux que cela, dans le sens où il donne plus que ce qu'on attend de lui, surtout dans la deuxième moitié. La mise en scène n'est pas si convenue, sait ménager quelques pointes d'humour, notamment visuel (comme politesse du drame), et utiliser au mieux les paysages hivernaux islandais. Quant à l'interprétation, elle est remplie d'humanité et d'amour des bêtes. Un prix "Un certain regard" à Cannes, qu'on pourrait recommander aux stratèges de certaines ONG animalistes qui refusent tout dialogue avec des syndicats paysans de gauche (comme la Confédération paysanne en France).

EX MACHINA (Alex Garland, 3 juin) LLL
Caleb, un jeune informaticien, est choisi pour rejoindre son patron, Nathan, le PDG d'un puissant moteur de recherche, dans un centre de recherche isolé du reste du monde. Nathan a fabriqué une intelligence artificielle logée dans un superbe corps féminin. Caleb doit tester ce robot sexué pour savoir si elle a une véritable conscience ou si elle simule seulement l'intelligence. Voici donc un film de science-fiction singulier, qui n'abuse pas des effets spéciaux (il y en a, mais ils servent tous l'histoire). L'atmosphère est très travaillée, le design des décors aussi (c'est un huis clos), et même si on est parfois un peu en avance sur le héros le scénario est malin et pose des questions loin d'être convenues et même passionnantes sur ce qu'est l'intelligence humaine et artificielle. Le dernier quart d'heure tranche un peu avec le reste, stylistiquement, mais c'est une fin assez logique et qui aboutit à un dernier plan assez beau.

21 NUITS AVEC PATTIE (Arnaud et Jean-Marie Larrieu, 25 nov) LLL
Une jeune femme arrive dans un village du Sud-Ouest pour régler les affaires courantes, après le décès de sa mère, une femme volage qu'elle a peu connue. Des événements étranges surviennent, tandis que l'atmosphère est assez grivoise... Dans les années 30, Lubitsch réussissait des films sexuellement évocateurs grâce à des dialogues remplis de double sens (mention spéciale à Une heure près de toi). Ici, le personnage interprété par Karin Viard évoque ses coucheries de manière très explicite, dès le début du film, ce qui donne le ton. Mais les frères Larrieu réussissent par d'autres moyens à trouver un style qui place ce film largement au-dessus de la plupart de leurs précédents. De manière indéfinissable, les idées loufoques du film (le cadavre qui disparaît, le sosie de Le Clézio...) passent comme une lettre à la poste.

LE PONT DES ESPIONS (Steven Spielberg, 2 déc) LLL
En 1957, en pleine Guerre froide, Donovan, un avocat, qui exerce surtout en droit des assurances, est appelé pour assurer la défense d'un espion soviétique arrêté sur le territoire américain. Il prend sa mission très à coeur pour essayer d'offrir un procès équitable à son client, ce qui lui vaut des coups de pression de la CIA et l'incrédulité de l'opinion publique. Dans le même temps, de jeunes pilotes de l'armée américaine sont formés à des avions high tech qui permettent l'espionnage aérien de leur ennemi... Certes, la Guerre froide a été maintes fois traitée au cinéma, mais grâce à la savoureuse maîtrise de la mise en scène (plus élégante, plus épurée que pour Lincoln), on est pris par ce thriller juridique (qui bascule dans autre chose). Le scénario, auquel ont collaboré les frères Coen, est moins manichéen qu'à l'accoutumée sur le sujet, en montrant que, même en période de paranoïa, le véritable patriotisme consisterait, comme le suggère Donovan, à défendre d'abord les droits humains constitutionnels plutôt que des décisions hâtives et/ou cyniques de la raison d'Etat.

LA VIE TRES PRIVEE DE MONSIEUR SIM (Michel Leclerc, 16 déc) LLL
Après plusieurs scénarios (très) originaux co-signés avec Baya Kasmi, Michel Leclerc (Le Nom des Gens, Télé Gaucho) s'essaye à une adaptation d'un roman de Jonathan Coe. Le personnage principal est dépressif et a perdu sa femme et son emploi. Commercial, il tente de se relancer en acceptant une mission de VRP pour vendre une nouvelle brosse à dents révolutionnaire. Le plus grand plaisir du film, c'est de retrouver Jean-Pierre Bacri, qu'on redécouvre. Le film se disperse un peu, propose des pistes pas toujours abouties, mais tient grâce à lui, pudique mais bateleur (notamment dans ses conversations professionnelles), ou touchant lorsqu'il parle à son GPS (qui a la voix mutine de Jeanne Cherhal). Au final un joli film sur les sorties de route intimes et une satire discrète de la société de consommation.

L'ETREINTE DU SERPENT (Ciro Guerra, 23 déc) LL
Karamakate, chaman amazonien, va servir de guide, à deux moments de sa vie, à deux explorateurs : un ethnologue allemand au début du 20è siècle, et un botaniste américain quarante ans plus tard. Les deux périples sont montrés en alternance. Ils visitent parfois les mêmes lieux, les mêmes méandres de l'Amazone, à la recherche de la même quête, une plante aux vertus curatives nommée yakruna. Rien n'est asséné dans ce film, qui s'étire parfois à l'excès mais invite à la méditation. La plus belle idée du film, c'est le noir et blanc, donnant une allure inédite à ces images, se délivrant ainsi de l'ombre des films de Werner Herzog (Aguirre, la colère de Dieu, Fitzcarraldo), malgré le sujet. Et oppose discrètement dans le rapport à la nature la spiritualité en voie de disparition de Karamate et les visions dominatrices des occidentaux et des missionnaires.

PHANTOM BOY (Alain Gagnol, Jean-Loup Felicioli, 14 oct) LL
Un garçon de 11 ans est gravement malade, mais il a un pouvoir secret : lorsqu'il dort, un double de lui-même, que nul ne peut voir ni entendre, s'échappe de lui-même et peut voler où bon lui semble au-dessus de la ville (New-York). Cette faculté sera mise à contribution lorsqu'à l'hôpital il rencontre un jeune policier blessé qui cherche à coincer un dangereux mégalomane à la gueule cassée qui cherche à s'emparer de la ville via un virus informatique. Le scénario est fait pour le jeune public sans forcément chercher à être crédible pour les grands, mais on peut néanmoins suivre ces péripéties sans déplaisir grâce à un graphisme assez réussi, et à quelques clins d'oeil cinéphiles : dans les derniers plans Manhattan est filmé comme chez Woody Allen.

CHANT D'HIVER (Otar Iosseliani, 25 nov) LL
Cela commence sous la Terreur, où ça guillotine sec. Cela se poursuit par des scènes sous la guerre en Géorgie, où l'on retrouve certains des interprètes de la séquence précédente, un peu comme dans Brigands, chapitre VII. Fausse piste : la plus grande partie du film se déroule à l'époque contemporaine, dans un Paris imaginaire. On y rencontre les personnages qu'on rencontre toujours chez ce cinéaste, des aristocrates déchus, des ivrognes, des concierges (excellent Rufus), des clodos, des voleuses à la sauvette, des jeunes maladroits, des vieux pas nés de la dernière pluie. Il y a aussi des portes secrètes au bord du trottoir. C'est très décousu, ce qui constitue une limite, mais aussi une garantie de non prévisibilité. Plaisant pour les amoureux de la poésie d'Otar, pour les autres il vaut mieux commencer par un autre film.

CASA GRANDE (Fellipe Barbosa, 3 juin) LL
Jean a 17 ans. Il habite avec ses parents et sa petite soeur dans une grande villa avec piscine, jacuzzi et personnel de maison (l'une des employées fait également office de confidente) dans un quartier riche de Rio. Il termine son lycée dans un établissement non mixte assez aisé qui prépare aux meilleures universités. Cela pourrait être un teen movie convenu en milieu huppé, mais Jean se rend compte que son père a visiblement fait des placements financiers douteux, et fait la connaissance d'une fille métisse de son âge venant d'un quartier beaucoup plus modeste. Le récit initiatique se double ainsi, plus ou moins adroitement et par intermittence, d'une prise de conscience des inégalités et du racisme dus à la grande bourgeoisie dont il est issu. Prometteur, même si sur un sujet voisin Une seconde mère a plus d'éclat.

LE REVEIL DE LA FORCE (J.J. Abrams, 16 déc) LL
A la fin des années 1990 j'ai vu L'Empire contre-attaque sur petit écran, et l'épouvantable La Menace fantôme sur grand écran, premier film de la "prélogie" (trilogie se passant avant la trilogie initiale) et une de mes pires expériences de cinéphile. J'ai révisé toute l'histoire de la saga avant de voir Le Réveil de la force, de J.J. Abrams (auteur du stylé Super 8). Cet épisode se regarde sans véritable déplaisir, les retrouvailles avec les vieillissants Han Solo et princesse Leia se passent bien. Il y a parfois de grosses facilités de scénario (qui ne se prend pas la tête), et le résultat manque parfois d'ampleur : l'empilement de combats, même spectaculaire, ne donne pas forcément à l'ensemble une dimension épique. En revanche, les nouveaux personnages sont réussis, à commencer par Rey (pour la première fois de la saga, le personnage principal est une femme), flanquée de Finn (déserteur du Premier Ordre [ex-Empire]), et de l'amusant mais indispensable droïde BB-8.

BACK HOME (Joachim Trier, 9 déc) LL
Une photographe de guerre réputée (Isabelle Huppert) perd la vie dans un accident de voiture. On suit la trace qu'elle a laissée chez son mari, ancien acteur devenu prof de lycée, et ses deux fils. L'aîné entre dans la vie d'adulte (il est prof de fac et découvre la paternité), le cadet entre au lycée. Trois beaux personnages masculins, incarnés par Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg et Devin Druid. Les deux premiers envisagent d'expliquer au troisième que sa mère s'est en fait suicidée... Est-ce le milieu aisé ? les lieux impersonnels (une ville occidentale mondialisée) ? un montage très fragmenté ? l'omniprésence de la psychologie plutôt que la vie concrète ? Toujours est-il que l'émotion n'arrive pas vraiment à s'installer, alors que le sujet est a priori universel. Les moments qui tournent autour de l'adolescent sont néanmoins très bien.

INHERENT VICE (Paul Thomas Anderson, 4 mar) LL
Los Angelos au début des années 1970. L'ex-petite amie d'un détective privé vient le voir pour lui demander d'empêcher un complot contre un richissime magnat de l'immobilier, son nouvel amant, dont la protection est assurée par des gros bras d'extrême droite. Mais ce n'est que le début d'un récit qui se perd en ramifications étonnantes. C'est un peu comme un pastiche du Grand sommeil de Hawks, revisité par The Big Lebowski des frères Coen. Le film est trop long, mais la vanité habituelle du cinéaste (qui plombe des films comme Punch-Drunk Love ou The Master) est atténuée par une goûteuse désinvolture apparente.

LA PEAU DE BAX (Alex Van Warmerdam, 18 nov) LL
Réveillé par ses deux fillettes qui lui souhaitent son anniversaire, Schneider doit néanmoins partir au boulot : une urgence. Tueur à gages (mais sa petite famille l'ignore), il doit éliminer Bax, qu'on lui présente comme un tueur d'enfants et qui vit isolé dans une petite maison près d'un marais. Mais son commanditaire, manipulateur, ne lui a pas tout dit. C'est un jeu de massacre, au sens propre comme au sens figuré, auquel on assiste, avec moults coups de théâtre. Alex Van Warmerdam est un solide cinéaste, en témoigne Les Habitants ou, récemment, Borgman. Mais ici, si l'exercice de style est soigné, il est aussi un peu vain, faute d'assurer un véritable intérêt au premier degré de la lecture.

L'HERMINE (Christian Vincent, 18 nov) L
A l'occasion d'un procès pour infanticide, le président de la Cour d'assises de Saint-Omer (Fabrice Luchini, prix d'interprétation à la Mostra de Venise), homme réputé sévère (favorisant les peines de prison à deux chiffres), retrouve parmi les jurés une femme (Sidse Babett Knudsen) qu'il a aimée quelques années auparavant, en secret... Le film a eu le prix du scénario à Venise. Le problème c'est qu'il développe deux histoires : celle du procès, et celle d'une possible histoire d'amour, mais qu'il ne s'intéresse vraiment ni à l'une, ni à l'autre, chacune servant de vague faire-valoir à l'autre. Même si l'on apprend quelques détails sur la justice française et que les interprètes ne sont pas mauvais, notamment les jurés (dont Corinne Masiero), le film ne décolle jamais vraiment.
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Des films de l'automne 2015

  • Bien : Une histoire de fou (Robert Guédiguian), Avril et le monde truqué (Christian Desmares, Franck Ekinci), Belles familles (Jean-Paul Rappeneau), L'Image manquante (Rithy Panh), Notre petite soeur (Hirokazu Kore-eda), Mia madre (Nanni Moretti), Au-delà des montagnes (Jia Zhang-ke), Qui a tué Ali Ziri ? (Luc Decaster)
  • Pas mal : This is not a love story (Alfonso Gomez-Rejon), Les Suffragettes (Sarah Gavron), Les Chansons ques mes frères m'ont apprises (Chloé Zhao), Je suis à vous tout de suite (Baya Kasmi), The Lobster (Yorgos Lanthimos), L'Etage du dessous (Radu Muntean)
  • Bof : Les Anarchistes (Elie Wajeman), Dheepan (Jacques Audiard), Par accident (Camille Fontaine), Queen of earth (Alex Ross Perry)

UNE HISTOIRE DE FOU (Robert Guédiguian, 11 nov) LLL
A l'occasion du centenaire du génocide arménien, Robert Guédiguian réalise une grande fresque, qui commence en Allemagne en 1921 par l'assassinat de Talaat Pacha, ancien Premier ministre et ministre de l'intérieur Turc et l'un des principaux responsables du génocide. Puis par le procès de son meurtrier, Soghomon Tehlirian, qui deviendra une sorte de mythe pour plusieurs générations d'arméniens. Après ce prologue en noir et blanc, l'essentiel du film se déroule au début des années 80, autour d'Aram, un jeune lycéen marseillais d'origine arménienne, qui se radicalise et va participer à un attentat à Paris dans lequel un autre jeune, Gilles, au mauvais endroit au mauvais moment, va être grièvement blessé. Au bout d'un moment, celui-ci va tenter de comprendre... La mise en scène de Guédiguian, qui n'a aucune complaisance pour la lutte armée mais tente lui aussi de comprendre les différents protagonistes, est très précise. Le film est très incarné (belles interprétations de Syrus Shahidi, Simon Abkarian, Ariane Ascaride, Grégoire Leprince-Ringuet, Razane Jammal), et le cinéaste fait confiance à ses spectateurs : ça fait du bien...

AVRIL ET LE MONDE TRUQUE (Christian Desmares, Franck Ekinci, 4 nov) LLL
Il s'agit d'une uchronie (un passé imaginaire) : nous sommes en 1941, sous le règne de Napoléon V, les deux guerres mondiales n'ont pas eu lieu, et les plus grands savants de la planète disparaissent mystérieusement depuis les années 1870, si bien que l'électricité et le moteur à explosion n'ont pas été inventés. La jeune Avril tente d'élucider la disparition de ses deux parents, et de trouver la formule du "sérum ultime" sur laquelle ils travaillaient. Un imaginaire débridé est donc au programme de ce réjouissant film d'animation, mais ce n'est pas tout : personnages et décors (engins rétro-futuristes compris) doivent tout à l'univers de Tardi, à l'origine de la "conception graphique" du projet. Les ressemblances avec les ambiances d'Adèle Blanc-Sec ou de Nestor Burma ne sont donc pas fortuites, mais l'animation a ses propres règles et atouts, comme la bande son : mention spéciale à Philippe Katerine qui prête sa voix au chat (parlant !) d'Avril.

BELLES FAMILLES (Jean-Paul Rappeneau, 14 oct) LLL
Un homme d'affaires installé en Chine (Mathieu Amalric) revient en France dans la ville (imaginaire) d'Ambray, afin de régler un litige complexe à propos de la vente de sa luxueuse maison d'enfance, après le décès de son père. Il va rencontrer une forte tête (Marine Vacht), la fille de la deuxième compagne (Karin Viard) de celui-ci... Le sujet de départ peut ne pas passionner, mais les films de Rappeneau ne sont pas des "pitchs" à illustrer. Le scénario est magnifique, mais non linéaire et non résumable : les logiques des différents personnages (et leurs évolutions) s'entrechoquent, ce qui finit par donner un joli tourbillon. Ce mouvement permanent, à l'opposé d'une agitation gratuite, est aussi le fruit d'un montage alerte, de savoureux faux raccords en malicieuses ellipses. Un film de divertissement mais d'un classicisme très élégant, par un cinéaste octogénaire très juvénile.

L'IMAGE MANQUANTE (Rithy Panh, 21 oct) LLL
Ce n'est pas le premier film de Rithy Panh consacré aux crimes contre l'humanité perpétrés par le régime de Pol Pot, mais c'est le premier où il ose l'autobiographie, lui qui était encore enfant quand il a été envoyé en camp de travail agraire et qu'il a perdu toute sa famille. Les images de cette période ayant disparues (à part quelques scènes de propagande, où l'on sent que quelque chose cloche, elles ne font pas du tout envie), il recourt à des figurines en terre cuite pour remplacer les images manquantes. Même si les images en soi ne sont pas insoutenables, elles font froid dans le dos. Le hiatus est saisissant entre les slogans révolutionnaires scandés au mégaphone et les multiples horreurs jusque dans des détails très concrets. Le contexte d'arrivée au pouvoir des Khmères rouges est brièvement évoqué (inégalités, milliers de tonnes de bombes larguées par les Etats-Unis etc), mais les motivations réelles des dignitaires du régime (la quête du cinéaste dans tous ses films) restent insondables.

NOTRE PETITE SOEUR (Hirokazu Kore-eda, 28 oct) LLL
Trois soeurs, jeunes adultes (la plus âgée approche la trentaine), vivent ensemble à Kamakura. C'est uniquement par devoir qu'elles se rendent à l'enterrement de leur père, qui les avait abandonnées une quinzaine d'années plus tôt. Elles font alors la connaissance de leur demi-soeur, Suzu, fille de la deuxième compagne de leur père, âgée de treize ans. Celle-ci ne tient pas plus que ça à sa belle-mère, la dernière compagne de son père, et accepte l'invitation de ses trois grandes demi-soeurs à rejoindre la maison familiale. Contrairement à ce qui a été parfois écrit, le film n'est jamais mièvre. Il n'élude aucune zone d'ombre, les rapports des grandes avec leur mère, avec qui elles étaient en froid, leurs expériences professionnelles et amoureuses. Mais le récit, adapté d'un roman graphique, est d'une grande délicatesse, sensible aux éléments naturels et au passage des saisons (les cerisiers en fleur), et la mise en scène de Hirokazu Kore-eda est comme à son habitude d'une grande élégance.

MIA MADRE (Nanni Moretti, 2 déc) LLL
Une cinéaste tourne un film social en faisant appel à un acteur américain qui surjoue tout le temps (John Turturro, dans un grand numéro comique). Parallèlement, elle doit s'occuper, avec son irréprochable frère, de sa mère en fin de vie et de sa fille adolescente. Cela fait beaucoup... Nanni Moretti croise des thèmes qu'il a déjà traités auparavant : un deuil familial (La Chambre du fils), la difficulté à faire des films engagés aujourd'hui en Italie (Le Caïman). Il y a beaucoup d'éléments très bien vus, et Marguerita Buy, qui avait déjà participé à ce dernier film, est formidable dans le rôle principal. Cela pourrait donc être un très grand Moretti si cette comédie dramatique n'avait pas quelques petits défauts : une forme très proprette, et curieusement une musique assez maladroite qui est souvent assez gênante, au risque de nous faire parfois sortir du film. Ce n'est heureusement que passager et nullement rédhibitoire.

AU-DELA DES MONTAGNES (Jia Zhang-Ke, 23 déc) LLL
Nous sommes en Chine dans une ville de province. La jeune Tao voit son coeur balancer entre deux amis d'enfance. Liang travaille dans une mine de charbon, tandis que le riche et ambitieux Zang est promis à un bel avenir. Le choix de Tao sera crucial pour le restant de sa vie et pour celle de son futur fils. Jia Zhang-ke propose un film romanesque qui s'étend sur trois périodes : 1999, 2014, 2025. Il ouvre ironiquement son nouvel opus par le morceau Go West des Pet Shop Boys. On n'est pas dépaysé, d'une part parce que ça pourrait prolonger son film précédent, A touch of sin, mais d'autre part parce que ça ne concerne pas que la Chine (en témoigne la dernière partie). Le film ne garde pas toujours la même intensité, mais entre mutations contemporaines du capitalisme et intrigues personnelles il trouve son chemin.

QUI A TUE ALI ZIRI ? (Luc Decaster, 7 oct) LLL
Juin 2009. Ali Ziri, un homme de 69 ans est arrêté par la police nationale après un contrôle routier à Argenteuil. Il meurt 2 jours plus tard. L'autopsie révèlera 27 hématomes sur le corps d'Ali, les témoins oculaires sont accablants, notamment sur l'utilisation du "pliage", une technique très dangereuse en raison du risque d'asphyxie. Pendant 5 ans, Luc Decaster, qui a tourné beaucoup de ses documentaires à Argenteuil (exception faite de Etat d'élue, portrait de Françoise Verchère, alors conseillère générale opposée à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes), va suivre la lutte du collectif "Vérité et justice pour Ali Ziri". Le film est tourné plutôt en plans-séquences, ce qui est appréciable pour les scènes de réunion où les interventions des uns et des autres ne sont pas hachées. Avec dignité, le documentaire s'interroge sur la justice française qui s'empresse d'acquitter à chaque fois que des policiers tuent.

THIS IS NOT A LOVE STORY (Alfonso Gomez-Rejon, 18 nov) LL
Greg, un adolescent en dernière année de lycée, est forcé par sa mère à rendre visite à une fille de son âge atteinte de leucémie. Cela va remettre en cause sa légère misanthropie... Ceci n'est pas plus un mélodrame larmoyant qu'une love story débordant de sentimentalité. Si le film n'élude pas des points de passage tristement obligés, il échappe à la banalité. Grâce à la personnalité des protagonistes : Greg est cinéphile, et un peu comme dans les films de Michel Gondry, réalise avec son meilleur pote des parodies de films de cinéastes "étrangers" (bonnes références : Werner Herzog, Michael Powell...). Dans des rôles casse-gueules, les jeunes interprètes (Thomas Mann, Olivia Cooke, RJ Cyler) assurent un max. Malgré des maladresses (peut-être un peu trop de vannes au début), ce teenage movie surprend dans ses meilleurs moments par une vraie maturité.

LES SUFFRAGETTES (Sarah Gavron, 18 nov) LL
Alors qu'elle n'est pas préparée à cela, une jeune ouvrière d'une blanchisserie britannique fait la connaissance d'un groupe de femmes qui mènent des actions de désobéissance civile (puisque pendant des décennies la méthode diplomatique n'a rien donné) pour obtenir le droit de vote. Elle deviendra elle-même une suffragette. Elle seront durement réprimées par les forces de l'ordre, ce qui les poussera à se radicaliser davantage. Visuellement, ce n'est pas un grand film, mais il y a des personnages intéressants : les suffragettes bien sûr (Carey Mulligan, qu'on retrouve avec plaisir, Helena Bonham Carter, Anne-Marie Duff), mais aussi une sorte de chef "antiterroriste" de l'époque (Brendan Gleeson en grande forme et tout en subtilité). Le film rappelle la dureté de toutes les luttes d'émancipation, hier comme aujourd'hui. En Grande-Bretagne, le premier droit de vote accordé aux femmes date de 1918, mais il faudra attendre 10 années supplémentaires pour qu'elles aient le même droit de vote que les hommes.

LES CHANSONS QUE MES FRERES M'ONT APPRISES (Chloé Zhao, 9 sep) LL
Le jeune Johnny, 18 ans, rêve de quitter la réserve indienne de Pine Ridge et de suivre une camarade de classe (qui part à la fac). Mais il hésite à abandonner sa petite soeur qui est très attachée à lui. Le film surprend d'abord par un style documentaire exacerbé : cela pourrait être une captation de la vie réelle de la communauté, entre traditions qui se meurent , alcoolisme qui s'installe, et vie qui continue malgré tout. A ne pas confondre avec le style naturaliste (comme par exemple La Loi du marché dernièrement, où chaque plan est le fruit d'un choix politique et esthétique). Ici c'est plus hésitant, et on a parfois l'impression de voler quelque chose aux interprètes dont les personnages ont parfois le même prénom que dans la vraie vie. Cependant, petit à petit, l'intrigue de fiction se met en place, et on oublie ces réserves pour trouver assez beau ce premier film de Chloé Zhao, réalisatrice chinoise installée aux Etats-Unis.

JE SUIS A VOUS TOUT DE SUITE (Baya Kasmi, 30 sep) LL
Premier film en tant que réalisatrice pour Baya Kasmi, la co-scénariste avec Michel Leclerc du Nom des gens il y a cinq ans. Le tandem est encore aux manettes du scénario, et essaie de garder la même liberté de ton pour aborder drôlement des sujets qui ne prêtent pas à rire. Leur héroïne est une jeune femme "trop gentille" (DRH, elle couche avec les employés après leur avoir annoncé leur licenciement) qui tient de ses deux parents : son père (Ramzy) "épicier social" et sa mère (Agnès Jaoui) "psy à domicile" (ils font beaucoup crédit). Il est question de rapports frère - soeur, d'intégrisme, d'abus sexuels... avec insolence mais aussi maladresse (il faut manier les clichés avec précaution). Heureusement, l'interprète principale, Vimala Pons (La Fille du 14 Juillet, Comme un avion) apporte son art du décalage subtil et est le meilleur atout du film.

THE LOBSTER (Yorgos Lanthimos, 28 oct) LL
Yorgos Lanthimos (Canine, Alps) aime créer des univers absurdes. Dans celui-ci, les célibataires sont arrêtés et confinés dans un hôtel de luxe où ils ont 45 jours pour trouver l'âme soeur (qui doit impérativement partager un signe particulier avec l'autre). A défaut, ils seront transformés dans l'animal de leur choix. Ce délai peut être prolongé en fonction du nombre de Solitaires (des résistants) qu'ils capturent lors de "chasses"... Mais ces résistants doivent suivre une règle tout aussi absurde : ne pas avoir de relation amoureuse ou sexuelle entre eux. Scénario intéressant sur le papier (mais qui apparaît assez arbitraire à l'écran), casting international (Colin Farrell, Rachel Weisz, Léa Seydoux, Ariane Labed) : Yorgos Lanthimos semble vouloir attirer l'attention d'un public plus large, mais pour l'instant il continue surtout de faire le malin.

L'ETAGE DU DESSOUS (Radu Muntean, 11 nov) LL
C'est l'été. En rentrant chez lui, Patrascu entend une dispute conjugale au 2è étage de son immeuble. Plus tard, le corps de sa voisine sera retrouvé : elle est morte. Il soupçonne un jeune voisin, mais ne dit rien à la police, notamment au sujet de la dispute... Cela pourrait être un thriller à double détente : ce voisin, qui s'immisce dans sa vie familiale, est-il coupable, et Patrascu va-t-il parler ? Le réalisateur préfère éviter la tension, et propose un film gris, où Patrascu est presque de tous les plans, au travail (un service d'immatriculations de véhicules où on ne comprend pas tout), en promenade avec son chien ou en famille chez lui avec sa femme et son fils adolescent. C'est un parti pris qui peut se défendre, et ne pas donner d'explications superflues est louable. Mais on ne sent jamais vraiment quel est le rapport de Radu Muntean à son personnage principal, ce qui ressemble à un excès de prudence. A moins que ce soit ça le rapport ?

LES ANARCHISTES (Elie Wajeman, 11 nov) L
Nous sommes en 1899. Un brigadier de police s'infiltre dans un groupe d'anarchistes. Il fait régulièrement des rapports à ses supérieurs hiérarchiques mais tombe amoureux de l'une des activistes. Il est bien question d'idées libertaires au tout début, mais peu d'exaltation par la suite (cela pourrait être des truands comme les autres). De même il y a quelques curieux anachronismes : syndicats trop mous, et "socialistes" qui ont une politique pour les plus riches quand ils arrivent au pouvoir. Mais le réalisateur n'en fait pas grand chose, et malgré le sujet et le casting (Tahar Rahim et Adèle Exarchopoulos en tête), l'ensemble manque de souffle.

DHEEPAN (Jacques Audiard, 26 aou) L
Un réfugié Tamoul fuit le Sri Lanka et trouve asile en France, avec sa fausse famille (une femme et un enfant), et atterrit dans une banlieue parisienne où sévit un trafic de drogue. Au départ du projet, Jacques Audiard disait vouloir s'inspirer de l'esprit des Lettres persanes de Montesquieu. Or ces réfugiés ne nous révèlent rien de la France, dont ils ne perçoivent pas grand chose. Le réalisateur ne fait en effet jamais appel à l'intelligence du spectateur, et multiplie les gros effets gratuits, à l'épate, et en prenant de façon désinvolte le risque de se prêter aux pires récupérations. Les seuls personnages qui existent vraiment sont cette fausse famille qui en devient plus ou moins une vraie, mais c'est à peine la moitié du film.

PAR ACCIDENT (Camille Fontaine, 14 oct) L
Un soir, Amra, jeune Algérienne en attente de régularisation, renverse un piéton. Elle est heureusement rapidement disculpée par Angélique, une jeune inconnue qui s'avèrera assez étrange et sans gêne... Dans le rôle de cette dernière, Emilie Dequenne, à peine sortie de Pas son genre, semble s'amuser beaucoup. Dans le rôle d'Amra, Hafsia Herzi joue le sentiment de culpabilité d'une façon monochrome. Plus intéressant est le personnage de son compagnon (Mounir Margoum). Malheureusement, il y a tant de maladresse à tous les étages que l'accident (cinématographique) semble inévitable.

QUEEN OF EARTH (Alex Ross Perry, 9 sep) L
Une jeune femme se fait plaquer, et se réfugie pendant une semaine auprès de sa meilleure amie, dans une maison de vacances au bord d'un lac. Un an auparavant, les rôles étaient un peu inversés... Deuil amoureux et fragilité d'une amitié sont les deux ingrédients de fond de ce film, qui se voudrait déstabilisant, et qui n'est qu'instable. Dans le rôle principal, l'excellente Elisabeth Moss surjoue parfois inexpliquablement (dès la première scène), comme dans un chantage à la performance. Malgré quelques coquetteries de mise en scène ici ou là, sur un sujet équivalent mieux vaut revoir un solide et rigoureux Bergman que de s'infliger un tel film.
Version imprimable | Films de 2015 | Le Lundi 30/11/2015 | 0 commentaires
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Suite des films de 2015 (survol)

  • Bravo : Les Mille et une nuits, volume 1 : L'inquiet (Miguel Gomes)
  • Bien : Cemetery of splendour (Apichatpong Weerasethakul), Fatima (Philippe Faucon), Vice Versa (Pete Docter, Ronaldo Del Carmen), L'Homme irrationnel (Woody Allen), Une seconde mère (Anna Muylaert), Marguerite (Xavier Giannoli), Les Mille et une nuits, volume 2 : Le désolé (Miguel Gomes), Les Bêtises (Rose et Alice Philippon), Vers l'autre rive (Kiyoshi Kurosawa), Love and mercy (Bill Pohlad), Amy (Asif Kapadia)
  • Pas mal : La Belle saison (Catherine Corsini), Je suis mort, mais j'ai des amis (Guillaume et Stéphane Malandrin), Fou d'amour (Philippe Ramos), Coup de chaud (Raphaël Jacoulot), The Program (Stephen Frears), La isla minima (Alberto Rodriguez), Daddy cool (Maya Forbes), Les Mille et une nuits, volume 3 : L'enchanté (Miguel Gomes), Miss Hokusai (Keiichi Hara), Mad Max : Fury road (George Miller), Les Deux amis (Louis Garrel)
  • Bof : Aferim ! (Radu Jude), Le Tout nouveau testament (Jaco Van Dormael)

LES MILLE ET UNE NUITS, VOLUME 1 : L'INQUIET (Miguel Gomes, 24 juin) LLLL
Dès le début, on est prévenu. On voit le réalisateur expliquer avoir envie de faire un film d'intervention sociale et filmer des histoires merveilleuses, proposer des fables intemporelles et être engagé dans le présent. Puis quelques instants plus tard, il s'enfuit... Pourtant les films sont bien là, et ce premier volet, très touffu, est une immense réussite ! Cela commence par deux mini-documentaires en montage alterné, l'un sur un exterminateur de guêpes qui menacent l'apiculture locale, l'autre sur des travailleurs de chantiers navals en lutte, sauf que les voix off sont interverties... On continue avec les agissements de la Troïka et du gouvernement portugais consentant évoqués sous forme d'un conte farcesque grivois sur l'impuissance. Les séquences suivantes du film et de ses deux suites sont inspirées par des faits divers recueillis par une équipe de journalistes. Dans ce premier volume, on aura notamment le procès d'un coq qui chante trop fort, et le bain des Magnifiques pour la nouvelle année, auxquels participent des chômeurs et chômeuses. La qualité et la dignité des témoignages recueillis montre la sincérité politique et sociale de Miguel Gomes et de son projet fou.

CEMETERY OF SPLENDOUR (Apichatpong Weerasethakul, 2 sep) LLL
Une curieuse maladie du sommeil atteint des soldats thaïlandais. Ils sont installés dans une école abandonnée transformée en hôpital improvisé. Jenjira, une femme mûre à la jambe endolorie, se porte volontaire pour veiller sur un jeune soldat qui ne reçoit aucune visite. Peut-être à cause de son sujet, le nouvel opus d'Apichatpong Weerasethakul (Palme d'or surprise en 2010 pour Oncle Boonmee) est arrivé sur nos écrans précédé d'une réputation de film soporifique. Il n'en est rien ! Il se passe toujours quelque chose sur l'écran. Le film est parfois hypnotique ou envoûtant, mais c'est le plus ouvert, accessible et scénarisé des films du cinéaste. Il a envie de faire entrer le spectateur dans son univers toujours aussi singulier. Sa puissance de suggestion est telle qu'une promenade en forêt se transforme en visite d'un palais royal, et on marche ! Le résultat est aussi évident à l'écran qu'il peut apparaître poussif sur le papier.

FATIMA (Philippe Faucon, 7 oct) LLL
J'avais déjà vu et apprécié des films de Philippe Faucon, mais avec Fatima le cinéaste change de catégorie. En première approche, c'est le portrait d'une femme de ménage maghrébine (Soria Zeroual, superbe) qui ne maîtrise pas bien le français mais élève seule (elle est séparée) ses deux filles adolescentes : l'une est au collège, l'autre en première année de médecine. Le film est assez court, mais très dense et épuré. Sans jamais appuyer le trait, tous les détails ont leur importance. Loin des grands discours, il montre au passage le racisme ordinaire tel qu'il est : pas seulement une mauvaise idée mais aussi un rapport social de domination (accès au logement, comportement d'une "patronne" etc...) qui s'ajoute à celui de la subordination à l'employeur. La dernière séquence est l'une des plus belles fins vues sur un écran cette année.

VICE VERSA (Pete Docter, Ronaldo Del Carmen, 17 juin) LLL
Suite à son déménagement dans une nouvelle ville, une fille de 11 ans tente de se faire aux bouleversements de son existence. Dans son cerveau, les cinq émotions primaires (Joie, Peur, Tristesse, Dégoût et Colère) tentent de faire face à la situation. Elles sont chacune représentées par un personnage, qui ont chacun leur couleur : il est plaisant que la Colère, celle qui est reliée au refus de l'injustice, soit rouge... Mais il y a des nuances : la Joie n'est pas toujours joyeuse, et peut même comprendre l'utilité de la Tristesse. Cette inventivité formelle permet d'accompagner la grande audace de ce nouveau Pixar : parler aux petits et aux grands d'une fille qui déprime. Mais aussi qui grandit (et c'est tout aussi émouvant...).

L'HOMME IRRATIONNEL (Woody Allen, 14 oct) LLL
Depuis une petite décennie Woody Allen est d'autant plus présent derrière la caméra qu'il ne joue presque plus devant. Sa maîtrise est un régal. Mais ce n'est pas le réalisme qui le travaille : cela semble être l'été toute l'année dans le campus de province que rejoint Abe, prof de philo aussi brillant que ventripotent et alcoolique. Et les contingences matérielles semblent être très éloignées des étudiants, des filles et fils à papa qui font du piano, du cheval, ou lisent tout Dostoïevski (pour Jill, la plus douée, qui tente de séduire Abe). Après Match point, c'est un nouveau basculement vers le crime dans la haute société. Mais cette fois-ci pas de critique sociale, mais une variation sardonique sur le vide de certaines existences et l'ironie du hasard. Joaquin Phoenix, Emma Stone et Parker Posey apportent de la chair aux propositions un rien théoriques de Woody...

UNE SECONDE MERE (Anna Muylaert, 24 juin) LLL
Domestique dans une riche famille de Sao Paulo, Val a du abandonner sa fille Jessica pour loger chez son employeur et se consacrer au fils de ses derniers auxquels elle est entièrement dévouée. L'irruption de Jessica, qu'elle n'a pas vu depuis plus de dix ans et qui va s'inscrire à l'université, va bouleverser l'ordre établi... Une comédie politique, qui entrelace avec beaucoup de finesse et d'ironie la cruauté des rapports de classe d'une part et la confrontation de deux générations de femmes d'autre part, à travers les retrouvailles entre la mère (jouée par Régina Casé, véritable star au Brésil) et la fille (excellente Camila Mardila). Une belle réussite qui ne parlera pas qu'aux spectateurs brésiliens...

MARGUERITE (Xavier Giannoli, 16 sep) LLL
Dans le Paris des années 20, une aristocrate passionnée d'opéra se rêve en diva, encouragée par son mari et ses amis... alors qu'elle chante horriblement faux (apparemment sans s'en apercevoir). Il est vrai qu'elle est la mécène de tout un tas de gens... A partir de ce canevas, Xavier Giannoli construit une drôle de comédie, grinçante et dramatique. En faisant exister tous ses personnages : ce n'est pas uniquement un véhicule pour Catherine Frot, impayable (assurément une des favorites pour les prochains César). On y croise aussi André Marcon dans le rôle ambigu du mari, le grand Michel Fau dans le rôle du professeur de chant, Christa Théret en jeune chanteuse d'avant-garde, Denis Mpunga en majordome (celui qui la respecte le plus), et Sylvain Dieuaide en journaliste anarchisant (on est dans l'après-guerre). Le film le plus réussi de Giannoli depuis Quand j'étais chanteur.

LES MILLE ET UNE NUITS, VOLUME 2 : LE DESOLE (Miguel Gomes, 29 juil) LLL
La gageure du tryptique de Miguel Gomes est de parler de la crise actuelle au Portugal et plus généralement en Europe en faisant contaminer sa narration par des éléments de conte et de merveilleux. Le projet ne cesse de se réinventer à chaque instant. Le sketch central est un procès, mais réalisé en plein air dans une agora. Mais petit à petit les choses se compliquent. Et peu à peu, derrière l'éventail des responsabilités de chacun c'est une responsabilité systémique (on pourrait dire celle du capitalisme) qui est mise en évidence. Le sketch suivant se niche dans une HLM avec des habitant-e-s plus ou moins laissé-e-s à leur sort. Mais le lien social est en quelque sorte assuré par un chien... et par son fantôme. Bref, c'est insolite, audacieux, et la formule fonctionne encore.

LES BÊTISES (Rose et Alice Philippon, 22 juil) LLL
François, trentenaire qui sait qu'il a été adopté, souhaite rencontrer sa mère biologique. Après s'être débrouillé pour connaître son adresse, il s'incruste chez elle à l'occasion d'une fête, en se faisant passer pour un serveur embauché en extra pour l'occasion... Pour leur premier long métrage, les soeurs Philippon tentent le genre de comédie le plus difficile (et indémodable, même s'il n'attire pas les foules) à réaliser : le burlesque. Un coup d'essai qui n'a rien à envier aux maîtres sur l'art du décalage et de l'inadaptation. Si le sujet peut faire penser à Blake Edwards (La Party), on peut tout aussi bien évoquer la french touch (Tati, Pierre Etaix). Un film rafraîchissant, qui bénéficie également de personnages attachants (l'émotion n'est jamais loin du gag) interprétés par Jérémie Elkaïm, Sara Gireaudeau ou Anne Alvaro...

VERS L'AUTRE RIVE (Kiyoshi Kurosawa, 30 sep) LLL
Après trois ans d'absence, Yusuke rend visite à Mizuki, sa compagne (en fait sa veuve) et entreprend avec elle un voyage au coeur du Japon, comme une tournée des adieux dans les lieux ou auprès de ceux qui ont compté pour lui indépendamment de sa femme. Un sujet en or (le roman de Kazumi Yumoto doit être superbe) pour le cinéaste de Kaïro et Shokuzai. Certaines scènes sont très belles. Comme chez Lars Von Trier dans Melancholia, il y a une utilisation inspirée, très lyrique, de la musique (mais ici c'est une composition originale, pas du Wagner) sur des images baignées d'une lumière singulière. L'onirisme est rendu par une mise en scène subtile, même si Kiyoshi Kurosawa a peut-être trop abusé de la gomme et pas assez appuyé visuellement pour troubler autant qu'on le souhaiterait.

LOVE AND MERCY (Bill Pohlad, 1er juil) LLL
Biopic de Brian Wilson, leader emblématique des Beach Boys, en deux époques (et deux interprètes : Paul Dano et John Cusack) : les années 1960, notamment à l'époque du mythique (et peu commercial) album Pet sounds, et le milieu des années 1980, où une de ses conquêtes va tenter de le sortir des griffes d'un thérapeute abusif. Fort heureusement, les deux époques s'interpénètrent et ne sont pas montrées chronologiquement. Pour autant, ce sont bien les années de jeunesse et d'effervescence artistique qui impressionnent le plus. L'émotion que l'on ressent à entendre jouer au piano God only knows (ou sa version non mystique Hang on to your ego) montre l'immense richesse mélodique et harmonique (accords déments) du génial compositeur.

AMY (Asif Kapadia, 8 juil) LLL
Documentaire sur la chanteuse Amy Winehouse disparue en 2011. Si on entend les proches en voix off, les images proviennent exclusivement d'archives, médiatiques ou tournées par les proches. La première partie intéressera les fans de musique, en mettant en évidence l'exigence artistique de la diva jazz/soul dès ses débuts, ainsi que des sessions d'enregistrement (avec incrustation des paroles émouvantes, écrites par elle-même d'après ses propres expériences de vie) de l'album Back to Black, celui avec lequel elle a explosé, dans tous les sens du terme. La seconde partie revient sur ses addictions, mais aussi sur les exigences du monde du spectacle (tournées à rallonge alors qu'elle préfère les studios), et surtout le monde infernal des médias, la médiocrité des talk-shows et émissions voyeuristes (parfois provoquées par des proches) qui seront un facteur aggravant de sa déchéance.

LA BELLE SAISON (Catherine Corsini, 19 aou) LL
Delphine, fille de paysans, débarque à Paris en 1971, et tombe amoureuse de Carole, militante féministe qui vit en couple avec Manuel... La première partie, reconstitution des actions militantes du MLF, est énergique et réussie. La seconde partie, rurale, comporte de belles scènes, avec un vrai lyrisme mais aussi quelques longueurs. Mais surtout procède par petites touches qui ne sont pas toujours bien choisies (maladroites, voire donnant une image un peu faussée de la campagne). Cécile de France impressionne, tandis que la chanteuse Izïa Higelin est une révélation de cinéma...

JE SUIS MORT, MAIS J'AI DES AMIS (Guillaume et Stéphane Malandrin, 22 juil) LL
Après la mort accidentelle de leur chanteur, un groupe de rockers belges et barbus s'obstine à partir en tournée aux Etats-Unis, avec ses cendres... et un militaire qui à la stupéfaction générale était son amant ! Un petit festival d'humour noir, rock n' roll et belge, certes inégal mais sympa. Si Bouli Lanners, Wim Willaert et Lyes Salem excellent dans les rôles principaux, chaperonnés par le trop rare Serge Riaboukine, on savoure aussi des personnages secondaires comme le "cinquième Beatles" ou encore un personnage antipathique surnommé "Florent Pagny"...

FOU D'AMOUR (Philippe Ramos, 16 sep) LL
Dans les années 50, un jeune curé (Melvil Poupaud, superbe) est amoureux du Christ et des femmes. Profitant à pleine dents de la vie terrestre et charnelle, il devient très populaire dans sa paroisse autour du village d'Uruffe : il s'improvise entraîneur de foot pour les gamins, ou même metteur en scène de théâtre. Jusqu'au jour où... La mise en scène sophistiquée, toujours très composée de Philippe Ramos (Adieu pays, Capitaine Achab...) fonctionne très bien dans la première partie, mais moins dans la seconde où elle met à distance, malgré nous, de la tension qui monte et du drame qui s'annonce.

COUP DE CHAUD (Raphaël Jacoulot, 12 aou) LL
Le précédent film de Raphaël Jacoulot, Avant l'aube, était un délicieux exercice de style chabrolien. Celui-ci est plus convenu formellement (c'est plutôt "ligne claire"). Le sujet est la fabrication d'un bouc émissaire, un été dans un village français, lorsque des événements malheureux apparaissent, tendant les relations entre agriculteurs rivaux (et conseillers municipaux). Un bon crescendo avec de très bons interprètes. Mention spéciale à Jean-Pierre Darroussin en maire du village, Carole Franck en agricultrice remontée et à Karim Leklou en jeune simple d'esprit devenu souffre-douleur.

THE PROGRAM (Stephen Frears, 16 sep) LL
Cinématographiquement le bon faiseur Stephen Frears fait le métier, sans plus, dans ce premier film de fiction consacré à Lance Armstrong. Il ne prend pas trop de risques, à sucer les roues scénaristiques du journaliste free lance (désolé) David Walsh, co-auteur (avec le français Pierre Ballester, journaliste français effacé de l'histoire) de plusieurs livres-enquêtes sur le cycliste américain. Les points de passage obligé y sont, mais le film ne réussit pas de grande échappée, et certaines scènes n'ont pas toujours la socquette légère. Sinon, au jeu des physionomies, l'acteur principal ressemble vraiment à L.A, mais Alberto Contador ou Christophe Bassons ont moins de chance (dans de courtes apparitions il est vrai). Un film honnête mais qui vise plutôt le milieu du classement.

LA ISLA MINIMA (Alberto Rodriguez, 15 juil) LL
Deux flics de Madrid débarquent en Andalousie, près du delta du Guadalquivir (ce qui donne quelques plans d'ensemble d'une beauté irréelle), pour enquêter sur la disparition de deux adolescentes. L'un est idéaliste, l'autre plus violent. Nous sommes au début des années 80, en plein dans la transition démocratique post-Franco. Cependant, le matériau historique est plus un décor qu'un moteur de la fiction, qui est surtout un bon polar (de plus).

DADDY COOL (Maya Forbes, 8 juil) LL
Années 1970 aux Etats-Unis. Cameron (Mark Ruffalo) est un père de famille bipolaire, parfois ingérable. Il se soigne pour reconquérir sa femme, partie terminer ses études, et tente d'assumer la garde de ses deux filles. Premier film autobiographique de Maya Forbes sur ses parents. Une chronique touchante sur ceux qui ne sont pas toujours dans les clous. Cela reste un petit film, mais prometteur.

LES MILLE ET UNE NUITS, VOLUME 3 : L'ENCHANTE (Miguel Gomes, 26 aou) LL
Troisième volet du tryptique de Miguel Gomes sur le Portugal en crise raconté par le détour d'un conte. Schéhérazade, voix très discrète dans les deux premiers volets, fait l'objet d'un vrai développement qui la matérialise enfin (superbe Crista Alfaiate). Par contre, la matière contemporaine de cet épisode, principalement l'élevage de pinsons en vue d'un concours de chant d'oiseaux, peut ne pas passionner. Comme si la formule ne fonctionnait plus à plein.

MISS HOKUSAI (Keiichi Hara, 2 sep) LL
L'héroïne qui donne à ce film d'animation son titre est la fille d'un peintre du XIXè siècle, reconnu dans tout le Japon. Mais elle est aussi douée que lui, et réalise même certaines commandes à sa place. C'est aussi elle qui s'occupe de sa petite soeur aveugle, à qui le maître ne rend jamais visite. Le sujet est très beau, mais la réalisation est assez profil bas. Dans un style plus anonyme que les oeuvres de Miyazaki, immédiatement reconnaissables, Keiichi Hara livre un film ni vraiment scolaire, ni vraiment inspiré.

MAD MAX : FURY ROAD (George Miller, 13 mai) LL
Quatrième volet de la saga de George Miller. J'ai rattrapé les deux premiers avant de voir celui-ci, et j'ai compris pourquoi les écologistes de toutes tendances voulaient "éviter un scénario à la Mad Max" : films pas désagréables naviguant entre autodérision nanarcique et message politique (dystopie sur fond de pénurie de pétrole). Fury Road est d'abord plus dur à avaler : le film se prend au sérieux, et l'esthétique de jeu vidéo est assez laide, éreintante. Pourtant, sur la durée, il tient la route (si j'ose dire), étoffe son message politique (anticapitaliste, écologiste, féministe), notamment à travers un nouveau personnage féminin appelé Furiosa (Charlize Theron, à son meilleur).

LES DEUX AMIS (Louis Garrel, 23 sep) LL
Clément (Vincent Macaigne) demande à son meilleur ami Abel (Louis Garrel) de l'aider à conquérir Mona (Golshifteh Farahani), qui sort avec lui, mais lui refuse toutes les soirées. En fait, elle doit rentrer en prison chaque soir. Louis Garrel en tant que réalisateur avait déjà sorti en salles un charmant moyen métrage sous influence (Petit tailleur). Ici, pour ce premier long métrage, on est d'abord gêné par le sujet qui semble trop grand pour lui, ou par Vincent Macaigne, pas aussi adroit que d'habitude dans son registre éternel d'écorché vif. Mais cela s'arrange dans la deuxième partie du film, lorsque les personnages prennent plus d'épaisseur.

AFERIM ! (Radu Jude, 5 aou) L
Plongeon dans la Roumanie du XIXè siècle, dans ce qui se veut un western roumain. Les intentions sont là, et bien sûr cette dénonciation du racisme veut résonner avec le contexte contemporain en Europe. Mais cinématographiquement, le résultat laisse à désirer : on ne sent pas une nécessité particulière du noir et blanc (qui ne semble pas apporter grand chose), et tout semble passer par d'incessants dialogues, comme si les images étaient impuissantes.

LE TOUT NOUVEAU TESTAMENT (Jaco Van Dormael, 2 sep) L
Au commencement Dieu créa Bruxelles. Et Dieu créa sa femme... Sur le papier, il y avait quelques idées prometteuses. Mais dès les premières séquences, malgré une sympathique apparition d'Adam (due à l'acteur burlesque Dominique Abel), on sent que le film va être assez laid voire catastrophique. Même la meilleure idée du film, celle des SMS qui annoncent à tout le monde la date de leur décès, n'est pas exploitée comme il faut. Quant à la fillette de Dieu (la petite soeur de JC), elle est d'une telle mièvrerie qu'elle ferait passer Amélie Poulain pour une dangereuse peste.
Version imprimable | Films de 2015 | Le Lundi 19/10/2015 | 0 commentaires
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Les films du printemps 2015

  • Bien : Mustang (Denis Gamze Ergüven), Taxi Téhéran (Jafar Panahi), Comme un avion (Bruno Podalydès), La Loi du marché (Stéphane Brizé), Le Labyrinthe du silence (Giulio Ricciarelli), Trois souvenirs de ma jeunesse (Arnaud Desplechin), Selma (Ava Duvernay), Le Dos rouge (Antoine Barraud), L'Astragale (Brigitte Sy), On est vivants (Carmen Castillo)
  • Pas mal : L'Ombre des femmes (Philippe Garrel), Les Châteaux de sable (Olivier Jahan), La Tête haute (Emmanuelle Bercot), Dark places (Gilles Paquet-Brenner)
  • Bof : Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence (Roy Andersson), Lost river (Ryan Gosling), L'Echappée belle (Emilie Cherpitel)

MUSTANG (Deniz Gamze Ergüven, 17 juin) LLL
C'est la fin de l'année scolaire. Cinq soeurs reviennent de l'école. Lale, la plus jeune (une douzaine d'années), pleure le déménagement de sa maîtresse à Istanbul, à un millier de km de là. Toutes chahutent avec les garçons : ils se baignent tout habillés et elles montent sur leurs épaules. Arrivées chez elle, elles sont punies par leur grand-mère qui les élève seule. Mais leur oncle, le méchant de la fable, interprété par Ayberk Pekcan (qui jouait un des employés de l'hôtel de Winter sleep), ne veut pas en rester là, et les confine dans la maison familiale en attendant que se nouent des mariages arrangés. Par les caractéristiques de cette famille, le film fait inévitablement penser à Virgin suicides de Sofia Coppola. Pourtant, le traitement est tout autre. En effet, le film est un tourbillon d'énergie bigger than life. Car elles résistent, grâce notamment aux initiatives de Lale (qui est aussi la narratrice de l'histoire) et vont chercher à s'évader, d'une manière ou d'une autre. Mémorable séquence du match de foot. Un premier film déjà très maîtrisé.

TAXI TEHERAN (Jafar Panahi, 8 avr) LLL
Un taxi sillonne les rues de Téhéran. Mais ce n'est pas un vrai taxi : au volant, on retrouve Jafar Panahi, et celui-ci, qui n'a plus le droit de tourner ni de quitter son pays depuis 2010, discute avec ses passagers et les filme avec une petite caméra posée sur son tableau de bord... Un dispositif formidable qui mime le documentaire, avec parfois une mise en abyme réjouissante. Dans cet escape confiné, le cinéaste recrée une société. Mais on y croise sa vraie nièce, ainsi que la militante des droits de l'homme Nasrin Sotoudeh. Le générique réduit à sa plus simple expression rappelle que le film n'a pas reçu de visa d'exploitation, mais c'est également une manière pour Panahi de protéger l'équipe qui l'a aidé à tourner ce film clandestinement. Aux cinéphiles (et critiques) du monde entier, il fait une fleur et rappelle que "tout film mérite d'être vu". Savoureusement insolent.

COMME UN AVION (Bruno Podalydès, 10 juin) LLL
Michel (Bruno Podalydès) est infographiste dans une petite entreprise improbable (le chef est un ami ou un membre de la famille, et il n'y a pas de pression des propriétaires du capital, c'est trop cool) mais rêve néanmoins d'évasion. Il est passionné d'aéronautique mais achète... un kayak. Avec l'assentiment de sa femme (Sandrine Kiberlain), et avec les conseils techniques du Manuel des castors juniors, c'est le grand départ, en solitaire. Il fait escale dans une guinguette où il fait connaissance de la patronne (Agnès Jaoui) et de la serveuse (Vimala Pons)... C'est une échappée belle, comme on en avait pas vu depuis Mademoiselle de Philippe Lioret ou Mercredi, folle journée de Pascal Thomas (les deux en 2001). Mais ce côté buissonnier n'empêche pas le film d'être très maîtrisé formellement : comme dans son opus précédent, l'utilisation de la musique est très savoureuse, et Agnès Jaoui n'a jamais été aussi bien filmée. Un film qui fait du bien.

LA LOI DU MARCHE (Stéphane Brizé, 19 mai) LLL
On peut diviser le film en deux parties. La première peut être vue comme un pendant du documentaire Les Règles du jeu de Claudine Bories et Patrice Chagnard : au-delà de la ressemblance des titres, une même vision du marché du travail vu par ceux qui en sont plus ou moins longtemps privés. La seconde partie voit Vincent Lindon accéder à un poste d'employé de sécurité dans un centre commercial, un peu comme Olivier Gourmet dans Jamais de la vie. Mais ce dernier était plombé par des dialogues scolaires explicatifs, alors que Brizé ose faire du cinéma. Les scènes sont souvent filmées en plan-séquence, mais un gros travail est fait sur le hors-champ, que ce soit des choses importantes qu'on entend sans voir, ou des ellipses importantes et émouvantes. Le film fait le constat que la répression, l'humiliation frappent toujours du côté de ceux qui n'ont que leurs revenus du travail pour vivre. Au côté de comédiens amateurs, Vincent Lindon est formidable (interprétation primée à Cannes).

LE LABYRINTHE DU SILENCE (Giulio Ricciarelli, 29 avr) LLL
En 1958, face au déni dont s'accommode la société allemande, un jeune procureur décide de traduire pour la première fois par la justice allemande d'anciens SS ayant servi à Auschwitz (dont il n'a pas beaucoup entendu parler). Le film se termine en décembre 1963 lorsque s'ouvre le procès de Francfort. Mais avant d'en arriver là, bien des épreuves attendent le jeune magistrat... C'est un film-dossier, d'un classicisme sans failles, mais aussi une sorte de thriller avec une mise en scène tendue (un poil trop appliquée peut-être), bien qu'on connaisse déjà la fin. Le film mêle personnages réels (le procureur général Fritz Bauer, qu'on ne croit tout d'abord pas favorable à la mise en lumière de la vérité, le journaliste intrépide Thomas Gnielka) et le personnage principal seul contre tous, formidablement interprété par Alexander Fehling, condensé de trois procureurs. Et pose des questions passionnantes.

TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE (Arnaud Desplechin, 20 mai) LLL
Le premier souvenir de Paul Dédalus est celui où à l'âge de 10 ans il déteste sa mère malade, qui décèdera assez vite. Bref épisode qui n'a pas vraiment le temps de prendre. Le deuxième est presque un récit de roman d'espionnage, entraîné par un camarade de classe lors d'un voyage scolaire. Comme pour La Sentinelle, ce n'est pas l'épisode le plus convaincant, malgré la présence altière de Dussolier. Le troisième souvenir, qui constitue au moins les 2/3 du film, c'est la relation amoureuse et tumultueuse entre Paul et Esther (les deux personnages centraux de Comment je me suis disputé quand ils auront la trentaine). Il y a à la fois de la rapidité et de la profondeur, du singulier (Quentin Dolmaire et Lou Roy-Lecollinet ne jouent pas de façon cliché) et de l'universel, et on retrouve la signature du Desplechin qu'on aime dans les décors (Roubaix...) comme dans les effets de mise en scène. Un beau retour en France après le mitigé Jimmy P.

SELMA (Ava Duvernay, 11 mar) LLL
Ce n'est pas un biopic sur Martin Luther King, mais le récit d'un épisode marquant de sa vie : en 1965, en Alabama, le jeune leader noir vient soutenir les manifestations pour les droits civiques des Noirs, et notamment un droit de vote effectif. Ava Duvernay, la réalisatrice, ne cède jamais à de lourds chantages émotionnels, contrairement à 12 years a slave (est-ce que 10 mn de torture font plus réfléchir que 1 mn ?). Formellement, le film est d'un pur classicisme. Mais il s'agit bien d'une reconstitution soignée du racisme de l'époque, et surtout d'une étude passionnante sur les formes militantes choisies et les stratégies à opposer à la dure répression. Excellentes interprétations, David Oyelowo en tête. 

LE DOS ROUGE (Antoine Barraud, 22 avr) LLL
Un cinéaste reconnu travaille à son prochain film. Il fait des recherches sur la monstruosité dans la peinture et s'adjoint l'aide d'une historienne de l'art fantasque. Parallèlement, une tache rouge grandit dans son dos... En apparence, cela a tout du film théorique ou snob. En réalité, c'est un film gourmand, passionnant, bourré de cinéma et d'audaces, intelligent sans manquer d'humour et d'autodérision. Il est savoureux de retrouver le cinéaste Bertrand Bonello (L'Apollonide, Saint Laurent) dans le rôle principal, mais c'est aussi l'occasion de revoir des actrices formidables devenues rares : Jeanne Balibar (puis Géraldine Pailhas), Nathalie Boutefeu...

L'ASTRAGALE (Brigitte Sy, 8 avr) LLL
Nouvelle adaptation (je n'ai pas vu la première, avec Marlène Jobert) du roman autobiographique d'Albertine Sarrazin. Celui-ci raconte l'évasion de cette jeune femme incarcérée pour hold up, qui se brise l'astragale (un os du pied), et est secourue par Julien (Reda Kateb, une nouvelle fois excellent), un malfrat de passage. L'immersion dans le milieu du banditisme (avec ses gueules) peut faire penser à Jean-Pierre Melville, tandis que le noir et blanc très travaillé n'a rien à envier aux meilleurs Garrel. Brigitte Sy offre à Leïla Bekhti, qui avait déjà flirté avec le polar (Mains armées), le grand rôle qui lui manquait, dans ce portrait de femme libre et insoumise.

ON EST VIVANTS (Carmen Castillo, 29 avr) LLL
Les mots de Daniel Bensaïd, proche de la réalisatrice et décédé en 2010, servent de fil (forcément) rouge à ce documentaire. La cinéaste chilienne, qui a connu l'effervescence des années 60-70 où le fond de l'air était rouge et où le grand soir était certain, part à la recherche des militants d'aujourd'hui, dont beaucoup de militantes, dans les nouveaux mouvements sociaux, en Amérique latine et en France. On y voit quelques archives rares, comme une interview du sous-commandant Marcos, au Chiapas. Mentions spéciales aux "Sans terre" du Brésil, qui ont pour horizon l'écosocialisme (seul mot en -isme revendiqué dans le film), aux artisans de la victoire de Cochabamba (bataille de l'eau) en Bolivie précédant celle (électorale) d'Evo Morales, fantastiques militantes du quartier Nord de Marseille qui montrent la dignité de militer, dans les (nombreuses) défaites comme dans les (plus rares) victoires...

L'OMBRE DES FEMMES (Philippe Garrel, 27 mai) LL
Le scénario, qui bénéficie de la collaboration de Caroline Deruas, Arlette Langmann et de Jean-Claude Carrière (qu'on ne présente plus), est très solide dans le constat implacable de l'inégalité entre hommes et femmes au niveau de l'acceptation ou non des infidélités (au sens discutable où ce terme est entendu habituellement, soit la non-exclusivité). Audacieux est aussi le changement de personnage-pivot du film, qui passe de Pierre (Stanislas Merhar) à Manon (Clotilde Courau). En revanche, le noir et blanc est beaucoup moins contrasté qu'à l'accoutumée (Les Amants réguliers, La Frontière de l'aube), la musique de Jean-Louis Aubert hésitante. Du coup, pour la première fois chez Garrel, ce qu'il nous raconte semble lui importer davantage que la manière dont il nous le raconte. Petite déception, relativement à l'attente suscitée.

LES CHÂTEAUX DE SABLE (Olivier Jahan, 1er avr) LL
Une trentenaire (Emma de Caunes, qu'on retrouve avec plaisir) vient de perdre son père (Alain Chamfort, très bien dans ses brèves apparitions), et hérite de sa maison en Bretagne. Elle s'y rend avec son ex-compagnon (Yannick Renier, avec autant de subtilité que dans Pauline et François) pour la vendre rapidement. Les quelques jours de cohabitation ravivent des souvenirs, des blessures, voire des tensions, mais pas seulement. Le réalisateur évite le film psychologique de plus, grâce à ses nuances mais aussi ses audaces, et un joli personnage d'agente immobilier gaffeuse (excellente Jeanne Rosa) qui rend le tout assez plaisant.

LA TÊTE HAUTE (Emmanuelle Bercot, 13 mai) LL
Dès l'âge de six ans, à cause de ses accès de violence, Malony est confronté à une juge pour enfants. On le suit surtout à l'adolescence, alors qu'il est placé dans un foyer. Le début du film laisse craindre le pire : on se croit dans les pires clichés (avec Sara Forestier affublée de fausses dents pour jouer une mère déboussolée voire démissionnaire) sans aucune idée de cinéma. Heureusement, au fur et à mesure, le film délaisse la plate illustration d'un sujet de société, pour tirer un portrait singulier qui a son intérêt propre, avec le déjà charismatique Rod Paradot, très loin des jeunes premiers, et ses interactions avec Catherine Deneuve et Diane Rouxel.

DARK PLACES (Gilles Paquet-Brenner, 8 avr) LL
Une femme hantée par le massacre de sa mère et de ses soeurs, quand elle était enfant, est poussée par des étudiants passionnés de faits divers sordides à reconsidérer son témoignage, qui avait jeté son frère en prison. Le scénario de ce polar de série est plutôt bien mené, et la mise en scène de Gilles Paquet-Brenner est à la fois efficace et totalement impersonnelle. Le véritable intérêt du film réside plutôt dans l'interprétation de Charlize Theron, jeune femme plutôt revêche avec ses douleurs rentrées et ses difficultés à se construire.

UN PIGEON PERCHE SUR UNE BRANCHE PHILOSOPHAIT SUR L'EXISTENCE (Roy Andersson, 29 avr) L
En 2007 j'avais beaucoup aimé Nous, les vivants, deuxième film d'une trilogie de Roy Andersson que ce film clôt. Au départ, on croit la magie encore au rendez-vous avec les trois premiers sketchs de rencontres avec la mort, filmés comme le reste du film en plan-séquence fixe très travaillé. Hélas, la promesse d'un grand rire sardonique à la Topor s'amenuise au fur et à mesure où les scènes s'accumulent. Malgré deux marchands ambulants de farces et attrapes qui font office de maigre fil rouge, on ne sent plus de critique sociale ou d'observation de la condition humaine, juste quelque chose de plus vain et plus aigre. Dommage.

LOST RIVER (Ryan Gosling, 8 avr) L
La ville de Detroit en décor et la crise des subprimes en point de départ de ce film à la lisière du fantastique. Pour son premier film en tant que réalisateur, Ryan Gosling lorgne vaguement du côté de David Lynch, sauf que le résultat n'est ni fait à ni faire. Mise à part une vision fugace d'un vélo dégringolant en flammes, le film est plutôt moche dans la forme comme dans le fond.

L'ECHAPPEE BELLE (Emilie Cherpitel, 17 juin) L
La bande-annonce est belle, le titre aussi. Hélas, c'est à peu près tout ce qu'il y a de réussi dans ce premier film. L'histoire d'un gamin de 11 ans qui s'échappe d'un orphelinat et rencontre une jeune femme fantasque de 35 ans sans enfant (elle a avorté quelques années auparavant). Le film essaye d'en faire une "belle" rencontre. Hélas le milieu grand bourgeois vaguement bohème de la jeune femme rend ça extrêmement pénible. On retrouve parfois ce qu'on aime habituellement dans le jeu de Clotilde Hesme, mais en moins marquante que dans de précédents rôles (Les Amants réguliers, Les Chansons d'amour, Angèle et Tony).
Version imprimable | Films de 2015 | Le Mercredi 24/06/2015 | 0 commentaires
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Les films de début 2015 (suite)

  • Bravo : Crosswind (Martti Helde)
  • Bien : Shaun le mouton (Mark Burton, Richard Starzak), Citizenfour (Laura Poitras), Birdman (Alejandro Gonzales Inarritu), Journal d'une femme de chambre (Benoit Jacquot), Anton Tchekhov 1890 (René Féret), A trois on y va (Jérôme Bonnell)
  • Pas mal : Réalité (Quentin Dupieux), Big eyes (Tim Burton), Une merveilleuse histoire du temps (James Marsh), Tu dors Nicole (Stéphane Lafleur)
  • Bof : Jamais de la vie (Pierre Jolivet)

CROSSWIND (Martti Helde, 11 mar) LLLL
En 1941, des dizaines de milliers d'Estoniens sont déportés en Sibérie, sur ordre de Staline. Hommes d'un côté, femmes et enfants de l'autre. C'est ce que choisit d'évoquer Martti Helde pour son premier film, à travers les lettres (fil rouge du récit) qu'Erna, conduite avec sa fillette dans un camp en pleine forêt, écrit pendant des années à son mari transporté ailleurs. Le parti pris esthétique est radical : passées les dix premières minutes (vie commune antérieure), les personnages sont figés (à peine un battement de cil ou du vent dans les vêtements), seule la caméra hyperstable (steadycam) se fraye un chemin à l'intérieur de ces tableaux hyper-expressifs, une trentaine en tout, qui rendent palpables les situations et la souffrance humaine engendrée, le tout dans un noir et blanc d'une rare profondeur. Il n'y a aucune gratuité esthétisante, pas de détail en trop, pas de morale assénée à la Haneke, mais de véritables effets de sidération et une puissance d'évocation sans aucune mesure. Une forme inouïe (qui restera sans doute un prototype), admirable techniquement comme émotionnellement.

SHAUN LE MOUTON (Mark Burton, Richard Starzak, 1er avr) LLL
La première et savoureuse apparition de Shaun le mouton était dans le troisième épisode de Wallace et Gromit, Rasé de près. Aujourd'hui, avec toute sa troupe, il a droit à son premier long métrage (après avoir eu droit à une série que je n'ai pas vue). Le premier plaisir est que ces moutons sont toujours aussi expressifs : merci aux studios Aardman d'avoir conservé pour l'essentiel l'animation en pâte d'argile (ce qui fait un tournage d'environ 2 secondes utiles par jour pour les mouvements compliqués). L'autre choix essentiel, c'est qu'il n'y a pas de dialogues, remplacés par des borborygmes... ou des bêlements bien sûr. L'histoire est difficile à résumer : disons que les animaux expulsent le fermier qui se retrouve malgré lui amnésique dans la grande ville, mais que les moutons vont essayer de retrouver. Toute nouvelle situation ou tout nouveau décor est source de gags d'un burlesque très travaillé. L'important n'est pas la vraisemblance mais la drôlerie. Ces moutons ont un remarquable sens du collectif (normal), mais aussi une capacité d'initiative et d'invention irrésistible.

CITIZENFOUR (Laura Poitras, 4 mar) LLL
Laura Poitras est une documentariste américaine qui a déjà été la cible du gouvernement de son pays. Elle est exilée à Berlin lorsqu'elle est contactée par un mystérieux Citizenfour. Celui-ci est en fait un cadre d'une entreprise sous-traitante de la NSA, la puissante agence de renseignement américaine. Intriguée par les infinies précautions prises par son contact, elle part le rencontrer à Hongkong en compagnie de Glenn Greenwald, journaliste au Gardian. L'homme au Rubik's cube (signe distinctif choisi) est un jeune homme aux allures d'étudiant. Plus tard il déclinera son identité : Edward Snowden. Ses révélations sont brûlantes sur l'ampleur de la surveillance illégale opérée par la NSA de toutes les communications privées, une menace pour la liberté et la démocratie partout dans le monde. La grande qualité de ce documentaire réside moins dans son caractère informatif (ses révélations ont déjà fait grand bruit en 2013) que dans l'émotion qui résulte du fait que tout cela est filmé de l'intérieur, et auraît pu être un film d'espionnage si cela avait été une fiction...

BIRDMAN (Alejandro Gonzales Inarritu, 25 fév) LLL
De la fin du générique initial jusqu'aux scènes de conclusion, il n'y a pas de plan de coupe. Il y a donc apparence de plan unique, mais il n'y a pas unité de temps (l'action se déroule sur plusieurs jours). L'impression donnée est donc moins celle d'un film tourné en une seule prise que celle d'une caméra omnisciente (qui fait penser à celle d'Altman pour The Last Show). On suit les coulisses des dernières répétitions d'une pièce de théâtre qui marque le retour de Riggan Thomson, autrefois acteur principal de films de super-héros (Birdman 1, 2 et 3), ce qui perturbe encore son esprit (excellente voix off tortueuse). Cette tentative ne sera pas une sinécure... Le film brasse des dualités réelles ou supposées : Broadway / Hollywood, art / argent, popularité / reconnaissance des pairs ou de la critique... Il est cynique mais jamais misanthrope, grâce à l'interprétation géniale de Michael Keaton, mais aussi à Edward Norton, Naomi Watts et surtout Emma Stone (très différente de chez Woody Allen). Belle BO percussive (dans tous les sens du terme).

JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE (Benoit Jacquot, 1er avr) LLL
Nouvelle adaptation du roman d'Octave Mirbeau, cinquante ans après celle de Luis Bunuel et Jean-Claude Carrière. L'intrigue est conservée : Célestine est une femme de chambre dans une maison bourgeoise de province où monsieur est obsédé et où madame est tyrannique... Mais l'esprit est différent du film de Bunuel, qui était ironique vis-à-vis de tous les personnages (mais pas de la même façon, certes). Ici le parti pris par Benoit Jacquot est clairement celui de Célestine : Léa Seydoux est presque de tous les plans, et quand elle n'y est pas, on voit la situation plutôt à travers ses yeux. Bunuel avait transposé l'action dans les années 30, Jacquot la resitue au début du XXè siècle. Et pourtant, son film, à la tonalité clairement sociale, donne l'impression d'être contemporain : Mme Lanlaire pourrait être l'un des petits ou grands chefs dans les bureaux d'aujourd'hui où il faut cracher de la productivité pour les actionnaires ou les bénéficiaires de crédits d'impôt...

ANTON TCHEKHOV 1890 (René Féret, 18 mar) LLL
Prévenons les puristes : tous les personnages sont russes mais ils parlent tous la langue de leurs interprètes et du réalisateur : le français. Mais la qualité littéraire des dialogues nécessitait peut-être de ne pas recourir à des sous-titres réducteurs. Le film est de toute façon fait avec les moyens du bord, mais heureusement, dans le cinéma de Féret, les moyens financiers sont inversement proportionnels à l'intensité des acteurs (ici Nicolas Giraud excellent dans le rôle titre mais aussi Lolita Chammah, Robinson Stévenin, Jacques Bonaffé, Jenna Thiam, Marie Féret...). Le film commence au moment où Anton Tchekhov, médecin et écrivain (sous pseudo) pour arrondir les fins de mois, est abordé par l'éditeur influent Souvorine. Il prend conscience de son talent et commence son oeuvre majeure sous son vrai nom. Son frère l'incite à se rendre sur l'île de Sakhaline pour témoigner du bagne effroyable qui y est installé... Le résultat est intimiste mais pas scolaire : le clan Féret a réussi son coup.

A TROIS ON Y VA (Jérôme Bonnell, 25 mar) LLL
Sixième film déjà pour l'excellent Jérôme Bonnell. Ici la forme est plus incertaine qu'à l'accoutumée, entre vaudeville, burlesque et sentimentalité truffaldienne, mais la direction d'acteurs est toujours remarquable. Charlotte et Micha ont entre 25 et 30 ans et sont très amoureux. Néanmoins sans le savoir chacun trompe l'autre avec la même personne, Mélodie, qui les aime tous les deux...  Le film est parfois inégal, mais avec de vraies trouvailles (le plan où les 3 sont à l'écran mais où seuls Mélodie voit les 2 autres, ou encore la répétition d'une même phrase "on s'en fout d'être adultes" par deux personnages différents). La dernière partie, plus profonde mais trop courte, est un cadeau pour le spectateur (avec une belle séquence en nuit américaine). Anaïs Demoustier et Félix Moati campent des personnages qui mentent avec honnêté (car fidèles à leurs sentiments), tandis que Sophie Verbeeck joue parfaitement une Charlotte beaucoup plus insondable...

REALITE (Quentin Dupieux, 18 fév) LL
C'est l'histoire d'un français (Alain Chabat) émigré aux Etats-Unis avec sa femme (Elodie Bouchez, qu'on retrouve avec plaisir). Elle est psychiatre, il est réalisateur d'une émission culinaire à la télé, et souhaite s'essayer au cinéma. Pour son premier long métrage, il trouve un producteur emballé, qui lui donne son accord à condition qu'il trouve le meilleur gémissement de douleur de l'histoire du cinéma. C'est aussi l'histoire d'une fillette prénommée Réalité qui trouve une cassette vidéo dans les entrailles d'un sanglier tué par son père chasseur... Plusieurs récits étranges avancent ainsi, avec leur propre logique, avant de s'enrouler les uns dans les autres dans un final décevant et irrésistible à la fois. Le film réconcilie avec l'auteur de l'excellent Rubber, qui après quelques longs-métrages moins rigoureux tente de se renouveler (en ne signant pas la musique de son film, par exemple, ce qui est presque mieux).

BIG EYES (Tim Burton, 18 mar) LL
Années 50, Margaret (Amy Adams) peint des portraits d'enfants tristes avec de gros yeux ronds exorbités. Ce n'est pas forcément de l'art, mais le sujet n'est pas là. Elle a un style, et lorsqu'elle rencontre son futur mari, Walter Keane, celui-ci va en deviner le potentiel. En as du marketing, il réussit à provoquer l'engouement du public et à l'exploiter commercialement (reproductions papier), mais avec une condition : il s'approprie l'oeuvre de son épouse. Elle accepte la mystification puis se révolte. Techniquement bien fait, le film est plaisant de bout en bout, mais dans une tonalité mainstream étonnante pour l'auteur de Mars attacks et Ed Wood. Et dans l'opposition trop schématique entre les deux époux, Christoph Waltz est malheureusement en roue libre.

UNE MERVEILLEUSE HISTOIRE DU TEMPS (James Marsch, 21 jan) LL
En 1993, Errol Morris réalisait Une brève histoire du temps, formidable documentaire qui suivait l'ouvrage éponyme de l'astrophysicien Stephen Hawking et tentait de vulgariser ses théories. Le biopic de James Marsch évoque le sujet mais est surtout l'histoire du corps qui a fait naître cette pensée, et de la bataille du savant contre la maladie (qui le cloue dans un fauteuil et le prive de l'usage de la parole), par son intelligence, son humour et le soutien sans faille de son entourage (épouse, infirmière...). La belle histoire n'est pas transcendée par la mise en scène (avec des dialogues parfois redondants avec les images), mais inversement le film sait éviter tout chantage à l'émotion. Bel investissement des interprètes principaux (Eddie Redmayne, Felicity Jones).

TU DORS NICOLE (Stéphane Lafleur, 18 mar) LL
Nicole est une jeune québecoise d'une vingtaine d'années. Ses parents s'absentent pour leurs vacances d'été et lui laissent la responsabilité de la maison. Une grande baraque avec piscine (on ne verra pas les mobilisations de la jeunesse québecoise en lutte dans ce film). Son grand frère musicien va lui aussi débarquer. Première carte bleue, premier job d'été (dans une association comparable à Emmaüs), première embrouille avec la meilleure copine... mais pas vraiment le premier film à traiter du sujet. Le réalisateur s'en tire néanmoins honnêtement avec un noir et blanc qui tranche avec les étés solaires des films d'Eric Rohmer (Pauline à la plage, Conte d'été) et une actrice garçon manqué prometteuse (Julianne Côté).

JAMAIS DE LA VIE (Pierre Jolivet, 8 avr) L
Un polar noir réalisé par Pierre Jolivet, un artisan du cinéma français qui en déjà réussi plus d'un (de Fred à Mains armées), a priori on prend. Sauf que le cinéma ne prend pas, lui : les dialogues sont lourdement explicatifs, on a déjà vu à peu près les mêmes images en mieux (Olivier Gourmet + parking de centre commercial = Terre battue). A sauver néanmoins la suggestion, qui revient deux fois, à un personnage de changer son patronyme pour retrouver un boulot, qui s'adresse tour à tour à un ex-leader syndical d'une boîte en lutte qui a fermé, et à un père de famille de banlieue parisienne issu de l'immigration. Tout est dit.
Version imprimable | Films de 2015 | Le Dimanche 05/04/2015 | 0 commentaires
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Les films de tout début 2015

  • Bravo : Phoenix (Christian Petzold), L'Enquête (Vincent Garenq)
  • Bien : Amour fou (Jessica Hausner), Le Prix à payer (Harold Crooks), Queen and country (John Boorman), Les Règles du jeu (Claudine Bories, Patrice Chagnard), Les Nouveaux sauvages (Damian Szifron), Hope (Boris Lojkine)
  • Pas mal : Snow therapy (Ruben Östlund), Foxcatcher (Bennett Miller), L'Affaire SK1 (Frédéric Tellier), Vincent n'a pas d'écailles (Thomas Salvador), Les Merveilles (Alice Rohrwacher), Spartacus et Cassandra (Ioanis Nuguet), Discount (Louis-Julien Petit), Captives (Atom Egoyan)
  • Bof : Valentin Valentin (Pascal Thomas), Kertu (Ilmar Raag)

PHOENIX (Christian Petzold, 28 jan) LLLL
La Seconde Guerre mondiale vient de se terminer. Nelly, survivante d'Auschwitz, seule rescapée de sa famille juive, est de retour dans un Berlin encore en ruines. Grièvement défigurée, elle choisit, contre l'avis du chirurgien, une reconstruction au plus près de son ancien visage. Elle tente de retrouver son mari, qui la croit morte. Il ne la reconnaît pas, mais lui propose un étrange marché... Le film a le grand mérite d'évoquer une période tabou pour les allemands et peu traitée au cinéma. Peut-on revivre et aimer après l'horreur des camps ? Retrouver une vie sociale y compris au milieu de traîtres ? Pour leur nouvelle collaboration, le cinéaste Christian Petzold et l'actrice Nina Hoss, magistrale, livrent un film spectral impressionnant, sans jamais se laisser dépasser par les grandes questions qu'il pose. L'évolution de la relation entre les deux anciens époux (Ronad Zehrfeld est lui aussi excellent dans un rôle difficile) est un véritable crescendo. Christian Petzold sait terminer son film : la dernière scène est implacable, et inoubliable.

L'ENQUÊTE (Vincent Garenq, 11 fév) LLLL
Enfin de l'audace ! Le film saisit avec clarté les enjeux des deux affaires Clearstream : 1) l'enquête initiale du journaliste Denis Robert sur la chambre de compensation luxembourgeoise, ses comptes non publiés, ses mystérieuses pannes informatiques, ses capacités de dissimulation nécessaires au "back office" de la finance internationale, et 2) l'affaire d'Etat quelques années plus tard à partir de listings falsifiés, sur fond de rivalités Villepin/Sarkozy et Thomson/EADS... Juridiquement inattaquable, le film expose les faits, ose utiliser les vrais noms et dresser un tableau édifiant des 25 dernières années (à commencer par l'affaire de la vente des frégates à Taïwan). Formellement, c'est un thriller exceptionnel, cent coudées au-dessus de La French ou L'Affaire SK1 par son ampleur, qui lorgne plutôt vers Révélations de Michael Mann (Révélations est également le titre du premier bouquin de Denis Robert sur Clearstream), avec un excellent Gilles Lellouche, pour une fois dans la peau d'un type avec une conscience, mais également Charles Berling et Laurent Capelluto, formidables respectivement en Renaud Van Ruymbeke et Imad Lahoud...

AMOUR FOU (Jessica Hausner, 4 fév) LLL
Berlin, dans la haute société du 19è siècle. Le jeune poète tragique Heinrich souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l'amour : il tente de convaincre, en vain, sa cousine Marie de décider ensemble leur suicide. Henriette, une jeune mariée qu'Heinrich avait également approchée, semble soudainement tentée par la proposition lorsqu'elle apprend qu'elle est atteinte d'une maladie incurable... En s'inspirant librement du suicide du poète Heinrich von Kleist, la cinéaste Jessica Hausner livre une oeuvre à la mise en scène très stylisée (plans fixes, images d'une beauté étrange et inhabituelle) qui renforce le sentiment d'une noblesse éloignée de la vraie vie. Excellente interprétation ad hoc. Un film paradoxalement lumineux.

LE PRIX A PAYER
(Harold Crooks, 4 fév) LLL
Sur la forme, ce documentaire canadien est une succession d'interviews croisées d'acteurs ou observateurs, judicieusement choisis, du système. Quel système ? Le monde "offshore", celui des paradis fiscaux, et des multinationales et établissements financiers qui en profitent en "évitant" l'impôt. La conséquence, c'est le démantèlement de l'Etat-providence, l'explosion des inégalités et l'affaiblissement (ou le contournement) de la démocratie. Face à cela, il faut apprendre à conjuguer souveraineté nationale et coopération internationale (la concurrence fiscale attaque l'une et l'autre) : une Europe vraiment politique ferait coopérer étroitement les administrations fiscales des Etats membres, voire établirait un impôt sur les sociétés commun avec les mêmes règles de calcul. Quant à la taxe "Robin des Bois", elle dissuaderait les détentions de titres très courtes et spéculatives, à l'heure du trading haute fréquence...

QUEEN AND COUNTRY (John Boorman, 7 jan) LLL
D'inspiration largement autobiographique, le dernier film de John Boorman raconte la jeunesse d'un futur cinéaste. On est en 1952, Bill a 18 ans, et part au service militaire, alors que le Royaume-Uni est engagé dans la guerre en Corée. Et si la meilleure résurrection de l'esprit "Charlie" de la grande époque était ici ? A l'heure où le concours de celui qui a le plus grand patriotisme fait rage, parfois même du bon côté de l'échiquier politique, le cinéaste ose une comédie jamais caricaturale mais qui raconte bien l'absurdité du monde militaire (ses réglements, son organisation pyramidale, sa négation des consciences individuelles), mais aussi les premiers pas amoureux du jeune homme. Une mise en scène alerte, toujours élégante, et un bain de jouvence rafraîchissant.

LES REGLES DU JEU (Claudine Bories, Patrice Chagnard, 7 jan) LLL
Dans ce nouveau documentaire, Claudine Bories et Patrice Chagnard (Les Arrivants) plantent leurs caméras chez Ingeus, un cabinet de placement du nord de la France, établissement privé, mais subventionné par l'Etat pour s'occuper des jeunes les moins diplômés (on en suit quatre ou cinq). Les employés d'Ingeus font un vrai boulot social pour apprendre à prendre rendez-vous, simuler des entretiens d'embauche... et formater les candidats à "l'employabilité". De manière souterraine, le film suggère beaucoup sur la dureté et le degré d'exploitation du monde du travail aujourd'hui (comme A côté le formidable documentaire de Stéphane Mercurio disait beaucoup sur la prison sans jamais entrer dans les murs) voire plus généralement sur la tyrannie des premières impressions et les vexations qui vont avec, dans notre société où tout se vend.

LES NOUVEAUX SAUVAGES (Damian Szifron, 14 jan) LLL
Cette comédie argentine est composée d'une demi-douzaine de sketchs indépendants les uns des autres. Pas de personnages récurrents par exemple, mais les segments ne sont pas sans liens : chacun a sa logique propre, ce qui fait que l'intérêt est préservé jusqu'au bout, mais des points communs apparaissent. Le point de départ est souvent une injustice ou une humiliation (en tout cas vécue comme telle). Le côté optimiste réside dans le fait que les personnes qui subissent le rapport de force initial ne se résignent pas et se révoltent. Souvent avec maladresse, d'où un petit côté trash, mais on est plus proche des provocs d'Almodovar (qui a coproduit le film) que des vengeances ultraviolentes et manichéennes à la Tarentino.

HOPE
(Boris Lojkine, 28 jan) LLL
Hope ne veut pas dire seulement espoir en anglais. C'est aussi le prénom d'une jeune Nigeriane, qui va rencontrer Leonard, un Camerounais, tous deux candidats à l'émigration vers l'Europe. La première fiction de Boris Lojkine raconte leur long périple avant d'atteindre les honteuses forteresses du Vieux Continent... On y voit en particulier les ghettos communautaires implantés dans les grands points de passage, avec ses clans mafieux, la faim, la prostitution. Porté par ses deux formidables interprètes, Endurance Newton et Justin Wang, un film à mi-chemin entre le documentaire et l'épopée. 

SNOW THERAPY (Ruben Östlund, 28 jan) LL
Sorti en Suède sous le titre français Force majeure, il est distribué chez nous sous le titre anglophone Snow therapy... La force majeure, c'est une avalanche déclenchée intentionnellement dans une station de ski pour dégager une piste. Mais, plus forte que prévue, elle atteint un resto d'altitude où un couple très aisé déjeune avec ses deux enfants. Instinctivement, le père court se réfugier sans s'occuper de sa famille. D'où la nécessité d'une "thérapie" de couple... Le film est grinçant, mais étire sa bonne idée de départ. Mais le trouble vient aussi du décor : la nuit dans cette station d'hiver, marquée par des engins qui parcourent la montagne pour entretenir les pistes, est montrée avec une certaine étrangeté...

FOXCATCHER (Bennett Miller, 21 jan) LL
Médaillés olympiques en lutte aux Jeux de 1984, deux frères sont abordés trois ans plus tard par un héritier de la famille Dupont de Nemours, qui veut les prendre sous son aile. Tiré d'un fait divers réel, le scénario échappe aux clichés du film sportif. On se doute que derrière la grande fortune se cache des abîmes, et que cela risque de ne pas bien finir. Le film capte quelque chose de la période reaganienne et tend à la grande forme (il a été généreusement récompensé d'un prix de la mise en scène à Cannes, alors que Sils Maria, Deux jours, une nuit ou Timbuktu sont rentrés bredouilles). Mais l'auteur de l'excellent Truman Capote peine ici à transcender son sujet. Et les postiches imposés aux interprètes n'aident pas forcément.

L'AFFAIRE SK1 (Frédéric Tellier, 7 jan) LL
SK1 signifie Serial Killer n°1 : le film reconstitue la traque du tueur de l'est parisien il y a une vingtaine d'années (c'est-à-dire à une époque lointaine en matière d'équipement informatique...). Efficace, il n'affiche aucun temps mort, ce qui peut aussi constituer une limite (pas de scène où l'on peut mijoter...). Raphaël Personnaz est plus consistant que dans Une nouvelle amie, et Olivier Gourmet est fidèle à lui-même. La traque du tueur en série est entremêlée avec des séquences du procès final, où l'avocate de Guy Georges (Nathalie Baye), rappellera que  les faits monstrueux restent néanmoins l'oeuvre d'un être humain (pas d'un monstre), ce que montrera in fine l'excellente interprétation d'Adama Niane.

VINCENT N'A PAS D'ECAILLES (Thomas Salvador, 18 fév) LL
Vincent, un homme jeune assez banal, cache un secret : au contact de l'eau, il devient surpuissant... Le premier long métrage de Thomas Salvador n'est pas pour autant un film de super-héros, son personnage principal n'ayant pas d'égo de justicier du monde. Il lorgne vers le nouveau cinéma français : la petite amie de Vincent est incarnée par Vimala Pons, héroïne de La Fille du 14 Juillet et parfaite dans cet univers décalé. Délicieuse est "la plus longue caresse du monde"... Dommage que l'entrée en matière du film soit si laborieuse. Heureusement le film fonctionne bien dans sa deuxième partie, et est un premier essai prometteur.

LES MERVEILLES (Alice Rohrwacher, 11 fév) LL
Gelsomina a 16 ans et est l'aînée d'une famille de 4 soeurs vivant dans une maison isolée de la campagne italienne. Leurs parents ont choisi de vivre à l'écart de la société, tout en travaillant dans l'apiculture. Cet été-là, ce noyau familial va rencontrer deux éléments extérieurs : d'une part Martin, un gamin allemand de 14 ans, délinquant en période de probation, et d'autre part le tournage aux alentours des "Pays des Merveilles", un jeu télévisé kitsch, entre Intervilles et télé-réalité, dans lequel s'affrontent et sont folklorisées des familles de producteurs agricoles soi-disant sélectionnées pour la qualité de leurs produits. Mais ce sont surtout Gelsomina et son rugueux père qui intéressent la cinéaste, dans ce film singulier qui n'impressionne pas outre-mesure mais convainc à la longue...

SPARTACUS ET CASSANDRA (Ioanis Nuguet, 11 fév) LL
Spartacus et Cassandra sont des enfants (frère et soeur). Avec ce documentaire filmé à leur hauteur, on suit les épreuves auxquelles ils sont confrontés : la misère de leurs conditions de vie (ils sont Roms), les stigmatisations venues de l'extérieur, auxquelles se rajoutent des problèmes familiaux. Mais une jeune et mystérieuse trapéziste multiplie les démarches pour tenter de les aider... Les documentaires centrés sur une famille en particulier, ça existe et il y en a de très bons. Mais ici, le statut des images, pas toujours très clair, le choix narratif de lorgner vers le conte, la voix off des deux gamins trop bien écrite, amenuisent parfois l'ensemble.

DISCOUNT (Louis-Julien Petit, 21 jan) LL
Une demi-douzaine d'employé-e-s de la grande distribution, menacés par l'arrivée des caisses automatiques et déjà surexploités (chronométrage des passages en caisse, des pauses pipi etc), décide de se révolter et d'organiser une épicerie solidaire sauvage à partir d'invendus de la grande surface... Le premier film de Louis-Julien semble hésitant et courir plusieurs lièvres à la fois : une comédie sociale à l'anglaise, une comédie dramatique française plus mainstream, le tout entre réalisme social et invraisemblances... Mais le propos est sympathique et la direction d'acteurs maîtrisée : tous les interprètes sont convaincants, à commencer par l'incontournable Corinne Masiero.

CAPTIVES (Atom Egoyan, 7 jan) LL
L'histoire d'une fille de 17 ans, aux mains d'un curieux prédateur (Kevin Durand l'interprète de façon trop irréelle) depuis plus de 8 ans, qui donne des signes de vie. Cela va remettre en mouvement son père (Ryan Reynolds), séparé depuis le drame, et une enquêtrice pas indemne (Rosario Dawson)... Formellement, avec sa construction en puzzle alambiqué mêlant passé et présent, sa réflexion sur le voyeurisme, sa prédilection pour les paysages enneigés, Atom Egoyan rassemble des ingrédients de certains de ses meilleurs films (Des beaux lendemains), sans totalement convaincre. Comme si cette sophistication se doublait d'une certaine superficialité.

VALENTIN VALENTIN (Pascal Thomas, 7 jan) L
Valentin (Vincent Rottiers), jeune homme un peu rêveur, apprécié des filles de son âge comme d'une ardente femme (mal) mariée (Marie Gillain), a été tué. Par qui ? C'est la question-prétexte du nouveau film de Pascal Thomas, comme dans ses adaptations d'Agatha Christie. Beaucoup de personnages sympas à voir (la distribution est impressionnante)... et c'est tout. Le dilettantisme du cinéaste, qui a donné beaucoup de charme à des films comme Mercredi, folle journée ou Le Grand appartement, est ici tellement poussé qu'au bout d'une heure on s'en fiche complètement. Interminable et bâclé.

KERTU (Ilmar Raag, 4 fév) L
Sur une petite île, une jeune femme un peu simplette s'éprend d'un ivrogne très malade, malgré l'intolérance de la petite communauté repliée sur elle-même. Une histoire pleine de bons sentiments, pourquoi pas, mais le film est confondant de naïveté, de prévisibilité, de mièvrerie et de lourdeurs démonstratives. Rempli de clichés du film pour festival au mauvais sens du terme (et néanmoins prix du public à l'Arras Film Festival 2013).
Version imprimable | Films de 2015 | Le Lundi 23/02/2015 | 0 commentaires
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