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Les films de tout début 2015

  • Bravo : Phoenix (Christian Petzold), L'Enquête (Vincent Garenq)
  • Bien : Amour fou (Jessica Hausner), Le Prix à payer (Harold Crooks), Queen and country (John Boorman), Les Règles du jeu (Claudine Bories, Patrice Chagnard), Les Nouveaux sauvages (Damian Szifron), Hope (Boris Lojkine)
  • Pas mal : Snow therapy (Ruben Östlund), Foxcatcher (Bennett Miller), L'Affaire SK1 (Frédéric Tellier), Vincent n'a pas d'écailles (Thomas Salvador), Les Merveilles (Alice Rohrwacher), Spartacus et Cassandra (Ioanis Nuguet), Discount (Louis-Julien Petit), Captives (Atom Egoyan)
  • Bof : Valentin Valentin (Pascal Thomas), Kertu (Ilmar Raag)

PHOENIX (Christian Petzold, 28 jan) LLLL
La Seconde Guerre mondiale vient de se terminer. Nelly, survivante d'Auschwitz, seule rescapée de sa famille juive, est de retour dans un Berlin encore en ruines. Grièvement défigurée, elle choisit, contre l'avis du chirurgien, une reconstruction au plus près de son ancien visage. Elle tente de retrouver son mari, qui la croit morte. Il ne la reconnaît pas, mais lui propose un étrange marché... Le film a le grand mérite d'évoquer une période tabou pour les allemands et peu traitée au cinéma. Peut-on revivre et aimer après l'horreur des camps ? Retrouver une vie sociale y compris au milieu de traîtres ? Pour leur nouvelle collaboration, le cinéaste Christian Petzold et l'actrice Nina Hoss, magistrale, livrent un film spectral impressionnant, sans jamais se laisser dépasser par les grandes questions qu'il pose. L'évolution de la relation entre les deux anciens époux (Ronad Zehrfeld est lui aussi excellent dans un rôle difficile) est un véritable crescendo. Christian Petzold sait terminer son film : la dernière scène est implacable, et inoubliable.

L'ENQUÊTE (Vincent Garenq, 11 fév) LLLL
Enfin de l'audace ! Le film saisit avec clarté les enjeux des deux affaires Clearstream : 1) l'enquête initiale du journaliste Denis Robert sur la chambre de compensation luxembourgeoise, ses comptes non publiés, ses mystérieuses pannes informatiques, ses capacités de dissimulation nécessaires au "back office" de la finance internationale, et 2) l'affaire d'Etat quelques années plus tard à partir de listings falsifiés, sur fond de rivalités Villepin/Sarkozy et Thomson/EADS... Juridiquement inattaquable, le film expose les faits, ose utiliser les vrais noms et dresser un tableau édifiant des 25 dernières années (à commencer par l'affaire de la vente des frégates à Taïwan). Formellement, c'est un thriller exceptionnel, cent coudées au-dessus de La French ou L'Affaire SK1 par son ampleur, qui lorgne plutôt vers Révélations de Michael Mann (Révélations est également le titre du premier bouquin de Denis Robert sur Clearstream), avec un excellent Gilles Lellouche, pour une fois dans la peau d'un type avec une conscience, mais également Charles Berling et Laurent Capelluto, formidables respectivement en Renaud Van Ruymbeke et Imad Lahoud...

AMOUR FOU (Jessica Hausner, 4 fév) LLL
Berlin, dans la haute société du 19è siècle. Le jeune poète tragique Heinrich souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l'amour : il tente de convaincre, en vain, sa cousine Marie de décider ensemble leur suicide. Henriette, une jeune mariée qu'Heinrich avait également approchée, semble soudainement tentée par la proposition lorsqu'elle apprend qu'elle est atteinte d'une maladie incurable... En s'inspirant librement du suicide du poète Heinrich von Kleist, la cinéaste Jessica Hausner livre une oeuvre à la mise en scène très stylisée (plans fixes, images d'une beauté étrange et inhabituelle) qui renforce le sentiment d'une noblesse éloignée de la vraie vie. Excellente interprétation ad hoc. Un film paradoxalement lumineux.

LE PRIX A PAYER
(Harold Crooks, 4 fév) LLL
Sur la forme, ce documentaire canadien est une succession d'interviews croisées d'acteurs ou observateurs, judicieusement choisis, du système. Quel système ? Le monde "offshore", celui des paradis fiscaux, et des multinationales et établissements financiers qui en profitent en "évitant" l'impôt. La conséquence, c'est le démantèlement de l'Etat-providence, l'explosion des inégalités et l'affaiblissement (ou le contournement) de la démocratie. Face à cela, il faut apprendre à conjuguer souveraineté nationale et coopération internationale (la concurrence fiscale attaque l'une et l'autre) : une Europe vraiment politique ferait coopérer étroitement les administrations fiscales des Etats membres, voire établirait un impôt sur les sociétés commun avec les mêmes règles de calcul. Quant à la taxe "Robin des Bois", elle dissuaderait les détentions de titres très courtes et spéculatives, à l'heure du trading haute fréquence...

QUEEN AND COUNTRY (John Boorman, 7 jan) LLL
D'inspiration largement autobiographique, le dernier film de John Boorman raconte la jeunesse d'un futur cinéaste. On est en 1952, Bill a 18 ans, et part au service militaire, alors que le Royaume-Uni est engagé dans la guerre en Corée. Et si la meilleure résurrection de l'esprit "Charlie" de la grande époque était ici ? A l'heure où le concours de celui qui a le plus grand patriotisme fait rage, parfois même du bon côté de l'échiquier politique, le cinéaste ose une comédie jamais caricaturale mais qui raconte bien l'absurdité du monde militaire (ses réglements, son organisation pyramidale, sa négation des consciences individuelles), mais aussi les premiers pas amoureux du jeune homme. Une mise en scène alerte, toujours élégante, et un bain de jouvence rafraîchissant.

LES REGLES DU JEU (Claudine Bories, Patrice Chagnard, 7 jan) LLL
Dans ce nouveau documentaire, Claudine Bories et Patrice Chagnard (Les Arrivants) plantent leurs caméras chez Ingeus, un cabinet de placement du nord de la France, établissement privé, mais subventionné par l'Etat pour s'occuper des jeunes les moins diplômés (on en suit quatre ou cinq). Les employés d'Ingeus font un vrai boulot social pour apprendre à prendre rendez-vous, simuler des entretiens d'embauche... et formater les candidats à "l'employabilité". De manière souterraine, le film suggère beaucoup sur la dureté et le degré d'exploitation du monde du travail aujourd'hui (comme A côté le formidable documentaire de Stéphane Mercurio disait beaucoup sur la prison sans jamais entrer dans les murs) voire plus généralement sur la tyrannie des premières impressions et les vexations qui vont avec, dans notre société où tout se vend.

LES NOUVEAUX SAUVAGES (Damian Szifron, 14 jan) LLL
Cette comédie argentine est composée d'une demi-douzaine de sketchs indépendants les uns des autres. Pas de personnages récurrents par exemple, mais les segments ne sont pas sans liens : chacun a sa logique propre, ce qui fait que l'intérêt est préservé jusqu'au bout, mais des points communs apparaissent. Le point de départ est souvent une injustice ou une humiliation (en tout cas vécue comme telle). Le côté optimiste réside dans le fait que les personnes qui subissent le rapport de force initial ne se résignent pas et se révoltent. Souvent avec maladresse, d'où un petit côté trash, mais on est plus proche des provocs d'Almodovar (qui a coproduit le film) que des vengeances ultraviolentes et manichéennes à la Tarentino.

HOPE
(Boris Lojkine, 28 jan) LLL
Hope ne veut pas dire seulement espoir en anglais. C'est aussi le prénom d'une jeune Nigeriane, qui va rencontrer Leonard, un Camerounais, tous deux candidats à l'émigration vers l'Europe. La première fiction de Boris Lojkine raconte leur long périple avant d'atteindre les honteuses forteresses du Vieux Continent... On y voit en particulier les ghettos communautaires implantés dans les grands points de passage, avec ses clans mafieux, la faim, la prostitution. Porté par ses deux formidables interprètes, Endurance Newton et Justin Wang, un film à mi-chemin entre le documentaire et l'épopée. 

SNOW THERAPY (Ruben Östlund, 28 jan) LL
Sorti en Suède sous le titre français Force majeure, il est distribué chez nous sous le titre anglophone Snow therapy... La force majeure, c'est une avalanche déclenchée intentionnellement dans une station de ski pour dégager une piste. Mais, plus forte que prévue, elle atteint un resto d'altitude où un couple très aisé déjeune avec ses deux enfants. Instinctivement, le père court se réfugier sans s'occuper de sa famille. D'où la nécessité d'une "thérapie" de couple... Le film est grinçant, mais étire sa bonne idée de départ. Mais le trouble vient aussi du décor : la nuit dans cette station d'hiver, marquée par des engins qui parcourent la montagne pour entretenir les pistes, est montrée avec une certaine étrangeté...

FOXCATCHER (Bennett Miller, 21 jan) LL
Médaillés olympiques en lutte aux Jeux de 1984, deux frères sont abordés trois ans plus tard par un héritier de la famille Dupont de Nemours, qui veut les prendre sous son aile. Tiré d'un fait divers réel, le scénario échappe aux clichés du film sportif. On se doute que derrière la grande fortune se cache des abîmes, et que cela risque de ne pas bien finir. Le film capte quelque chose de la période reaganienne et tend à la grande forme (il a été généreusement récompensé d'un prix de la mise en scène à Cannes, alors que Sils Maria, Deux jours, une nuit ou Timbuktu sont rentrés bredouilles). Mais l'auteur de l'excellent Truman Capote peine ici à transcender son sujet. Et les postiches imposés aux interprètes n'aident pas forcément.

L'AFFAIRE SK1 (Frédéric Tellier, 7 jan) LL
SK1 signifie Serial Killer n°1 : le film reconstitue la traque du tueur de l'est parisien il y a une vingtaine d'années (c'est-à-dire à une époque lointaine en matière d'équipement informatique...). Efficace, il n'affiche aucun temps mort, ce qui peut aussi constituer une limite (pas de scène où l'on peut mijoter...). Raphaël Personnaz est plus consistant que dans Une nouvelle amie, et Olivier Gourmet est fidèle à lui-même. La traque du tueur en série est entremêlée avec des séquences du procès final, où l'avocate de Guy Georges (Nathalie Baye), rappellera que  les faits monstrueux restent néanmoins l'oeuvre d'un être humain (pas d'un monstre), ce que montrera in fine l'excellente interprétation d'Adama Niane.

VINCENT N'A PAS D'ECAILLES (Thomas Salvador, 18 fév) LL
Vincent, un homme jeune assez banal, cache un secret : au contact de l'eau, il devient surpuissant... Le premier long métrage de Thomas Salvador n'est pas pour autant un film de super-héros, son personnage principal n'ayant pas d'égo de justicier du monde. Il lorgne vers le nouveau cinéma français : la petite amie de Vincent est incarnée par Vimala Pons, héroïne de La Fille du 14 Juillet et parfaite dans cet univers décalé. Délicieuse est "la plus longue caresse du monde"... Dommage que l'entrée en matière du film soit si laborieuse. Heureusement le film fonctionne bien dans sa deuxième partie, et est un premier essai prometteur.

LES MERVEILLES (Alice Rohrwacher, 11 fév) LL
Gelsomina a 16 ans et est l'aînée d'une famille de 4 soeurs vivant dans une maison isolée de la campagne italienne. Leurs parents ont choisi de vivre à l'écart de la société, tout en travaillant dans l'apiculture. Cet été-là, ce noyau familial va rencontrer deux éléments extérieurs : d'une part Martin, un gamin allemand de 14 ans, délinquant en période de probation, et d'autre part le tournage aux alentours des "Pays des Merveilles", un jeu télévisé kitsch, entre Intervilles et télé-réalité, dans lequel s'affrontent et sont folklorisées des familles de producteurs agricoles soi-disant sélectionnées pour la qualité de leurs produits. Mais ce sont surtout Gelsomina et son rugueux père qui intéressent la cinéaste, dans ce film singulier qui n'impressionne pas outre-mesure mais convainc à la longue...

SPARTACUS ET CASSANDRA (Ioanis Nuguet, 11 fév) LL
Spartacus et Cassandra sont des enfants (frère et soeur). Avec ce documentaire filmé à leur hauteur, on suit les épreuves auxquelles ils sont confrontés : la misère de leurs conditions de vie (ils sont Roms), les stigmatisations venues de l'extérieur, auxquelles se rajoutent des problèmes familiaux. Mais une jeune et mystérieuse trapéziste multiplie les démarches pour tenter de les aider... Les documentaires centrés sur une famille en particulier, ça existe et il y en a de très bons. Mais ici, le statut des images, pas toujours très clair, le choix narratif de lorgner vers le conte, la voix off des deux gamins trop bien écrite, amenuisent parfois l'ensemble.

DISCOUNT (Louis-Julien Petit, 21 jan) LL
Une demi-douzaine d'employé-e-s de la grande distribution, menacés par l'arrivée des caisses automatiques et déjà surexploités (chronométrage des passages en caisse, des pauses pipi etc), décide de se révolter et d'organiser une épicerie solidaire sauvage à partir d'invendus de la grande surface... Le premier film de Louis-Julien semble hésitant et courir plusieurs lièvres à la fois : une comédie sociale à l'anglaise, une comédie dramatique française plus mainstream, le tout entre réalisme social et invraisemblances... Mais le propos est sympathique et la direction d'acteurs maîtrisée : tous les interprètes sont convaincants, à commencer par l'incontournable Corinne Masiero.

CAPTIVES (Atom Egoyan, 7 jan) LL
L'histoire d'une fille de 17 ans, aux mains d'un curieux prédateur (Kevin Durand l'interprète de façon trop irréelle) depuis plus de 8 ans, qui donne des signes de vie. Cela va remettre en mouvement son père (Ryan Reynolds), séparé depuis le drame, et une enquêtrice pas indemne (Rosario Dawson)... Formellement, avec sa construction en puzzle alambiqué mêlant passé et présent, sa réflexion sur le voyeurisme, sa prédilection pour les paysages enneigés, Atom Egoyan rassemble des ingrédients de certains de ses meilleurs films (Des beaux lendemains), sans totalement convaincre. Comme si cette sophistication se doublait d'une certaine superficialité.

VALENTIN VALENTIN (Pascal Thomas, 7 jan) L
Valentin (Vincent Rottiers), jeune homme un peu rêveur, apprécié des filles de son âge comme d'une ardente femme (mal) mariée (Marie Gillain), a été tué. Par qui ? C'est la question-prétexte du nouveau film de Pascal Thomas, comme dans ses adaptations d'Agatha Christie. Beaucoup de personnages sympas à voir (la distribution est impressionnante)... et c'est tout. Le dilettantisme du cinéaste, qui a donné beaucoup de charme à des films comme Mercredi, folle journée ou Le Grand appartement, est ici tellement poussé qu'au bout d'une heure on s'en fiche complètement. Interminable et bâclé.

KERTU (Ilmar Raag, 4 fév) L
Sur une petite île, une jeune femme un peu simplette s'éprend d'un ivrogne très malade, malgré l'intolérance de la petite communauté repliée sur elle-même. Une histoire pleine de bons sentiments, pourquoi pas, mais le film est confondant de naïveté, de prévisibilité, de mièvrerie et de lourdeurs démonstratives. Rempli de clichés du film pour festival au mauvais sens du terme (et néanmoins prix du public à l'Arras Film Festival 2013).

Version imprimable | Films de 2015 | Le Lundi 23/02/2015 | 0 commentaires




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