- Bravo : Crosswind (Martti Helde)
- Bien : Shaun le mouton (Mark Burton, Richard Starzak), Citizenfour (Laura Poitras), Birdman (Alejandro Gonzales Inarritu), Journal d'une femme de chambre (Benoit Jacquot), Anton Tchekhov 1890 (René Féret), A trois on y va (Jérôme Bonnell)
- Pas mal : Réalité (Quentin Dupieux), Big eyes (Tim Burton), Une merveilleuse histoire du temps (James Marsh), Tu dors Nicole (Stéphane Lafleur)
- Bof : Jamais de la vie (Pierre Jolivet)
CROSSWIND (Martti Helde, 11 mar) LLLL
En 1941, des dizaines de milliers d'Estoniens sont déportés en Sibérie, sur ordre de Staline. Hommes d'un côté, femmes et enfants de l'autre. C'est ce que choisit d'évoquer Martti Helde pour son premier film, à travers les lettres (fil rouge du récit) qu'Erna, conduite avec sa fillette dans un camp en pleine forêt, écrit pendant des années à son mari transporté ailleurs. Le parti pris esthétique est radical : passées les dix premières minutes (vie commune antérieure), les personnages sont figés (à peine un battement de cil ou du vent dans les vêtements), seule la caméra hyperstable (steadycam) se fraye un chemin à l'intérieur de ces tableaux hyper-expressifs, une trentaine en tout, qui rendent palpables les situations et la souffrance humaine engendrée, le tout dans un noir et blanc d'une rare profondeur. Il n'y a aucune gratuité esthétisante, pas de détail en trop, pas de morale assénée à la Haneke, mais de véritables effets de sidération et une puissance d'évocation sans aucune mesure. Une forme inouïe (qui restera sans doute un prototype), admirable techniquement comme émotionnellement.
SHAUN LE MOUTON (Mark Burton, Richard Starzak, 1er avr) LLL
La première et savoureuse apparition de Shaun le mouton était dans le troisième épisode de Wallace et Gromit, Rasé de près. Aujourd'hui, avec toute sa troupe, il a droit à son premier long métrage (après avoir eu droit à une série que je n'ai pas vue). Le premier plaisir est que ces moutons sont toujours aussi expressifs : merci aux studios Aardman d'avoir conservé pour l'essentiel l'animation en pâte d'argile (ce qui fait un tournage d'environ 2 secondes utiles par jour pour les mouvements compliqués). L'autre choix essentiel, c'est qu'il n'y a pas de dialogues, remplacés par des borborygmes... ou des bêlements bien sûr. L'histoire est difficile à résumer : disons que les animaux expulsent le fermier qui se retrouve malgré lui amnésique dans la grande ville, mais que les moutons vont essayer de retrouver. Toute nouvelle situation ou tout nouveau décor est source de gags d'un burlesque très travaillé. L'important n'est pas la vraisemblance mais la drôlerie. Ces moutons ont un remarquable sens du collectif (normal), mais aussi une capacité d'initiative et d'invention irrésistible.
CITIZENFOUR (Laura Poitras, 4 mar) LLL
Laura Poitras est une documentariste américaine qui a déjà été la cible du gouvernement de son pays. Elle est exilée à Berlin lorsqu'elle est contactée par un mystérieux Citizenfour. Celui-ci est en fait un cadre d'une entreprise sous-traitante de la NSA, la puissante agence de renseignement américaine. Intriguée par les infinies précautions prises par son contact, elle part le rencontrer à Hongkong en compagnie de Glenn Greenwald, journaliste au Gardian. L'homme au Rubik's cube (signe distinctif choisi) est un jeune homme aux allures d'étudiant. Plus tard il déclinera son identité : Edward Snowden. Ses révélations sont brûlantes sur l'ampleur de la surveillance illégale opérée par la NSA de toutes les communications privées, une menace pour la liberté et la démocratie partout dans le monde. La grande qualité de ce documentaire réside moins dans son caractère informatif (ses révélations ont déjà fait grand bruit en 2013) que dans l'émotion qui résulte du fait que tout cela est filmé de l'intérieur, et auraît pu être un film d'espionnage si cela avait été une fiction...
BIRDMAN (Alejandro Gonzales Inarritu, 25 fév) LLL
De la fin du générique initial jusqu'aux scènes de conclusion, il n'y a pas de plan de coupe. Il y a donc apparence de plan unique, mais il n'y a pas unité de temps (l'action se déroule sur plusieurs jours). L'impression donnée est donc moins celle d'un film tourné en une seule prise que celle d'une caméra omnisciente (qui fait penser à celle d'Altman pour The Last Show). On suit les coulisses des dernières répétitions d'une pièce de théâtre qui marque le retour de Riggan Thomson, autrefois acteur principal de films de super-héros (Birdman 1, 2 et 3), ce qui perturbe encore son esprit (excellente voix off tortueuse). Cette tentative ne sera pas une sinécure... Le film brasse des dualités réelles ou supposées : Broadway / Hollywood, art / argent, popularité / reconnaissance des pairs ou de la critique... Il est cynique mais jamais misanthrope, grâce à l'interprétation géniale de Michael Keaton, mais aussi à Edward Norton, Naomi Watts et surtout Emma Stone (très différente de chez Woody Allen). Belle BO percussive (dans tous les sens du terme).
JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE (Benoit Jacquot, 1er avr) LLL
Nouvelle adaptation du roman d'Octave Mirbeau, cinquante ans après celle de Luis Bunuel et Jean-Claude Carrière. L'intrigue est conservée : Célestine est une femme de chambre dans une maison bourgeoise de province où monsieur est obsédé et où madame est tyrannique... Mais l'esprit est différent du film de Bunuel, qui était ironique vis-à-vis de tous les personnages (mais pas de la même façon, certes). Ici le parti pris par Benoit Jacquot est clairement celui de Célestine : Léa Seydoux est presque de tous les plans, et quand elle n'y est pas, on voit la situation plutôt à travers ses yeux. Bunuel avait transposé l'action dans les années 30, Jacquot la resitue au début du XXè siècle. Et pourtant, son film, à la tonalité clairement sociale, donne l'impression d'être contemporain : Mme Lanlaire pourrait être l'un des petits ou grands chefs dans les bureaux d'aujourd'hui où il faut cracher de la productivité pour les actionnaires ou les bénéficiaires de crédits d'impôt...
ANTON TCHEKHOV 1890 (René Féret, 18 mar) LLL
Prévenons les puristes : tous les personnages sont russes mais ils parlent tous la langue de leurs interprètes et du réalisateur : le français. Mais la qualité littéraire des dialogues nécessitait peut-être de ne pas recourir à des sous-titres réducteurs. Le film est de toute façon fait avec les moyens du bord, mais heureusement, dans le cinéma de Féret, les moyens financiers sont inversement proportionnels à l'intensité des acteurs (ici Nicolas Giraud excellent dans le rôle titre mais aussi Lolita Chammah, Robinson Stévenin, Jacques Bonaffé, Jenna Thiam, Marie Féret...). Le film commence au moment où Anton Tchekhov, médecin et écrivain (sous pseudo) pour arrondir les fins de mois, est abordé par l'éditeur influent Souvorine. Il prend conscience de son talent et commence son oeuvre majeure sous son vrai nom. Son frère l'incite à se rendre sur l'île de Sakhaline pour témoigner du bagne effroyable qui y est installé... Le résultat est intimiste mais pas scolaire : le clan Féret a réussi son coup.
A TROIS ON Y VA (Jérôme Bonnell, 25 mar) LLL
Sixième film déjà pour l'excellent Jérôme Bonnell. Ici la forme est plus incertaine qu'à l'accoutumée, entre vaudeville, burlesque et sentimentalité truffaldienne, mais la direction d'acteurs est toujours remarquable. Charlotte et Micha ont entre 25 et 30 ans et sont très amoureux. Néanmoins sans le savoir chacun trompe l'autre avec la même personne, Mélodie, qui les aime tous les deux... Le film est parfois inégal, mais avec de vraies trouvailles (le plan où les 3 sont à l'écran mais où seuls Mélodie voit les 2 autres, ou encore la répétition d'une même phrase "on s'en fout d'être adultes" par deux personnages différents). La dernière partie, plus profonde mais trop courte, est un cadeau pour le spectateur (avec une belle séquence en nuit américaine). Anaïs Demoustier et Félix Moati campent des personnages qui mentent avec honnêté (car fidèles à leurs sentiments), tandis que Sophie Verbeeck joue parfaitement une Charlotte beaucoup plus insondable...
REALITE (Quentin Dupieux, 18 fév) LL
C'est l'histoire d'un français (Alain Chabat) émigré aux Etats-Unis avec sa femme (Elodie Bouchez, qu'on retrouve avec plaisir). Elle est psychiatre, il est réalisateur d'une émission culinaire à la télé, et souhaite s'essayer au cinéma. Pour son premier long métrage, il trouve un producteur emballé, qui lui donne son accord à condition qu'il trouve le meilleur gémissement de douleur de l'histoire du cinéma. C'est aussi l'histoire d'une fillette prénommée Réalité qui trouve une cassette vidéo dans les entrailles d'un sanglier tué par son père chasseur... Plusieurs récits étranges avancent ainsi, avec leur propre logique, avant de s'enrouler les uns dans les autres dans un final décevant et irrésistible à la fois. Le film réconcilie avec l'auteur de l'excellent Rubber, qui après quelques longs-métrages moins rigoureux tente de se renouveler (en ne signant pas la musique de son film, par exemple, ce qui est presque mieux).
BIG EYES (Tim Burton, 18 mar) LL
Années 50, Margaret (Amy Adams) peint des portraits d'enfants tristes avec de gros yeux ronds exorbités. Ce n'est pas forcément de l'art, mais le sujet n'est pas là. Elle a un style, et lorsqu'elle rencontre son futur mari, Walter Keane, celui-ci va en deviner le potentiel. En as du marketing, il réussit à provoquer l'engouement du public et à l'exploiter commercialement (reproductions papier), mais avec une condition : il s'approprie l'oeuvre de son épouse. Elle accepte la mystification puis se révolte. Techniquement bien fait, le film est plaisant de bout en bout, mais dans une tonalité mainstream étonnante pour l'auteur de Mars attacks et Ed Wood. Et dans l'opposition trop schématique entre les deux époux, Christoph Waltz est malheureusement en roue libre.
UNE MERVEILLEUSE HISTOIRE DU TEMPS (James Marsch, 21 jan) LL
En 1993, Errol Morris réalisait Une brève histoire du temps, formidable documentaire qui suivait l'ouvrage éponyme de l'astrophysicien Stephen Hawking et tentait de vulgariser ses théories. Le biopic de James Marsch évoque le sujet mais est surtout l'histoire du corps qui a fait naître cette pensée, et de la bataille du savant contre la maladie (qui le cloue dans un fauteuil et le prive de l'usage de la parole), par son intelligence, son humour et le soutien sans faille de son entourage (épouse, infirmière...). La belle histoire n'est pas transcendée par la mise en scène (avec des dialogues parfois redondants avec les images), mais inversement le film sait éviter tout chantage à l'émotion. Bel investissement des interprètes principaux (Eddie Redmayne, Felicity Jones).
TU DORS NICOLE (Stéphane Lafleur, 18 mar) LL
Nicole est une jeune québecoise d'une vingtaine d'années. Ses parents s'absentent pour leurs vacances d'été et lui laissent la responsabilité de la maison. Une grande baraque avec piscine (on ne verra pas les mobilisations de la jeunesse québecoise en lutte dans ce film). Son grand frère musicien va lui aussi débarquer. Première carte bleue, premier job d'été (dans une association comparable à Emmaüs), première embrouille avec la meilleure copine... mais pas vraiment le premier film à traiter du sujet. Le réalisateur s'en tire néanmoins honnêtement avec un noir et blanc qui tranche avec les étés solaires des films d'Eric Rohmer (Pauline à la plage, Conte d'été) et une actrice garçon manqué prometteuse (Julianne Côté).
JAMAIS DE LA VIE (Pierre Jolivet, 8 avr) L
Un polar noir réalisé par Pierre Jolivet, un artisan du cinéma français qui en déjà réussi plus d'un (de Fred à Mains armées), a priori on prend. Sauf que le cinéma ne prend pas, lui : les dialogues sont lourdement explicatifs, on a déjà vu à peu près les mêmes images en mieux (Olivier Gourmet + parking de centre commercial = Terre battue). A sauver néanmoins la suggestion, qui revient deux fois, à un personnage de changer son patronyme pour retrouver un boulot, qui s'adresse tour à tour à un ex-leader syndical d'une boîte en lutte qui a fermé, et à un père de famille de banlieue parisienne issu de l'immigration. Tout est dit.
Derniers commentaires
→ plus de commentaires