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Les films du printemps 2015

  • Bien : Mustang (Denis Gamze Ergüven), Taxi Téhéran (Jafar Panahi), Comme un avion (Bruno Podalydès), La Loi du marché (Stéphane Brizé), Le Labyrinthe du silence (Giulio Ricciarelli), Trois souvenirs de ma jeunesse (Arnaud Desplechin), Selma (Ava Duvernay), Le Dos rouge (Antoine Barraud), L'Astragale (Brigitte Sy), On est vivants (Carmen Castillo)
  • Pas mal : L'Ombre des femmes (Philippe Garrel), Les Châteaux de sable (Olivier Jahan), La Tête haute (Emmanuelle Bercot), Dark places (Gilles Paquet-Brenner)
  • Bof : Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence (Roy Andersson), Lost river (Ryan Gosling), L'Echappée belle (Emilie Cherpitel)

MUSTANG (Deniz Gamze Ergüven, 17 juin) LLL
C'est la fin de l'année scolaire. Cinq soeurs reviennent de l'école. Lale, la plus jeune (une douzaine d'années), pleure le déménagement de sa maîtresse à Istanbul, à un millier de km de là. Toutes chahutent avec les garçons : ils se baignent tout habillés et elles montent sur leurs épaules. Arrivées chez elle, elles sont punies par leur grand-mère qui les élève seule. Mais leur oncle, le méchant de la fable, interprété par Ayberk Pekcan (qui jouait un des employés de l'hôtel de Winter sleep), ne veut pas en rester là, et les confine dans la maison familiale en attendant que se nouent des mariages arrangés. Par les caractéristiques de cette famille, le film fait inévitablement penser à Virgin suicides de Sofia Coppola. Pourtant, le traitement est tout autre. En effet, le film est un tourbillon d'énergie bigger than life. Car elles résistent, grâce notamment aux initiatives de Lale (qui est aussi la narratrice de l'histoire) et vont chercher à s'évader, d'une manière ou d'une autre. Mémorable séquence du match de foot. Un premier film déjà très maîtrisé.

TAXI TEHERAN (Jafar Panahi, 8 avr) LLL
Un taxi sillonne les rues de Téhéran. Mais ce n'est pas un vrai taxi : au volant, on retrouve Jafar Panahi, et celui-ci, qui n'a plus le droit de tourner ni de quitter son pays depuis 2010, discute avec ses passagers et les filme avec une petite caméra posée sur son tableau de bord... Un dispositif formidable qui mime le documentaire, avec parfois une mise en abyme réjouissante. Dans cet escape confiné, le cinéaste recrée une société. Mais on y croise sa vraie nièce, ainsi que la militante des droits de l'homme Nasrin Sotoudeh. Le générique réduit à sa plus simple expression rappelle que le film n'a pas reçu de visa d'exploitation, mais c'est également une manière pour Panahi de protéger l'équipe qui l'a aidé à tourner ce film clandestinement. Aux cinéphiles (et critiques) du monde entier, il fait une fleur et rappelle que "tout film mérite d'être vu". Savoureusement insolent.

COMME UN AVION (Bruno Podalydès, 10 juin) LLL
Michel (Bruno Podalydès) est infographiste dans une petite entreprise improbable (le chef est un ami ou un membre de la famille, et il n'y a pas de pression des propriétaires du capital, c'est trop cool) mais rêve néanmoins d'évasion. Il est passionné d'aéronautique mais achète... un kayak. Avec l'assentiment de sa femme (Sandrine Kiberlain), et avec les conseils techniques du Manuel des castors juniors, c'est le grand départ, en solitaire. Il fait escale dans une guinguette où il fait connaissance de la patronne (Agnès Jaoui) et de la serveuse (Vimala Pons)... C'est une échappée belle, comme on en avait pas vu depuis Mademoiselle de Philippe Lioret ou Mercredi, folle journée de Pascal Thomas (les deux en 2001). Mais ce côté buissonnier n'empêche pas le film d'être très maîtrisé formellement : comme dans son opus précédent, l'utilisation de la musique est très savoureuse, et Agnès Jaoui n'a jamais été aussi bien filmée. Un film qui fait du bien.

LA LOI DU MARCHE (Stéphane Brizé, 19 mai) LLL
On peut diviser le film en deux parties. La première peut être vue comme un pendant du documentaire Les Règles du jeu de Claudine Bories et Patrice Chagnard : au-delà de la ressemblance des titres, une même vision du marché du travail vu par ceux qui en sont plus ou moins longtemps privés. La seconde partie voit Vincent Lindon accéder à un poste d'employé de sécurité dans un centre commercial, un peu comme Olivier Gourmet dans Jamais de la vie. Mais ce dernier était plombé par des dialogues scolaires explicatifs, alors que Brizé ose faire du cinéma. Les scènes sont souvent filmées en plan-séquence, mais un gros travail est fait sur le hors-champ, que ce soit des choses importantes qu'on entend sans voir, ou des ellipses importantes et émouvantes. Le film fait le constat que la répression, l'humiliation frappent toujours du côté de ceux qui n'ont que leurs revenus du travail pour vivre. Au côté de comédiens amateurs, Vincent Lindon est formidable (interprétation primée à Cannes).

LE LABYRINTHE DU SILENCE (Giulio Ricciarelli, 29 avr) LLL
En 1958, face au déni dont s'accommode la société allemande, un jeune procureur décide de traduire pour la première fois par la justice allemande d'anciens SS ayant servi à Auschwitz (dont il n'a pas beaucoup entendu parler). Le film se termine en décembre 1963 lorsque s'ouvre le procès de Francfort. Mais avant d'en arriver là, bien des épreuves attendent le jeune magistrat... C'est un film-dossier, d'un classicisme sans failles, mais aussi une sorte de thriller avec une mise en scène tendue (un poil trop appliquée peut-être), bien qu'on connaisse déjà la fin. Le film mêle personnages réels (le procureur général Fritz Bauer, qu'on ne croit tout d'abord pas favorable à la mise en lumière de la vérité, le journaliste intrépide Thomas Gnielka) et le personnage principal seul contre tous, formidablement interprété par Alexander Fehling, condensé de trois procureurs. Et pose des questions passionnantes.

TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE (Arnaud Desplechin, 20 mai) LLL
Le premier souvenir de Paul Dédalus est celui où à l'âge de 10 ans il déteste sa mère malade, qui décèdera assez vite. Bref épisode qui n'a pas vraiment le temps de prendre. Le deuxième est presque un récit de roman d'espionnage, entraîné par un camarade de classe lors d'un voyage scolaire. Comme pour La Sentinelle, ce n'est pas l'épisode le plus convaincant, malgré la présence altière de Dussolier. Le troisième souvenir, qui constitue au moins les 2/3 du film, c'est la relation amoureuse et tumultueuse entre Paul et Esther (les deux personnages centraux de Comment je me suis disputé quand ils auront la trentaine). Il y a à la fois de la rapidité et de la profondeur, du singulier (Quentin Dolmaire et Lou Roy-Lecollinet ne jouent pas de façon cliché) et de l'universel, et on retrouve la signature du Desplechin qu'on aime dans les décors (Roubaix...) comme dans les effets de mise en scène. Un beau retour en France après le mitigé Jimmy P.

SELMA (Ava Duvernay, 11 mar) LLL
Ce n'est pas un biopic sur Martin Luther King, mais le récit d'un épisode marquant de sa vie : en 1965, en Alabama, le jeune leader noir vient soutenir les manifestations pour les droits civiques des Noirs, et notamment un droit de vote effectif. Ava Duvernay, la réalisatrice, ne cède jamais à de lourds chantages émotionnels, contrairement à 12 years a slave (est-ce que 10 mn de torture font plus réfléchir que 1 mn ?). Formellement, le film est d'un pur classicisme. Mais il s'agit bien d'une reconstitution soignée du racisme de l'époque, et surtout d'une étude passionnante sur les formes militantes choisies et les stratégies à opposer à la dure répression. Excellentes interprétations, David Oyelowo en tête. 

LE DOS ROUGE (Antoine Barraud, 22 avr) LLL
Un cinéaste reconnu travaille à son prochain film. Il fait des recherches sur la monstruosité dans la peinture et s'adjoint l'aide d'une historienne de l'art fantasque. Parallèlement, une tache rouge grandit dans son dos... En apparence, cela a tout du film théorique ou snob. En réalité, c'est un film gourmand, passionnant, bourré de cinéma et d'audaces, intelligent sans manquer d'humour et d'autodérision. Il est savoureux de retrouver le cinéaste Bertrand Bonello (L'Apollonide, Saint Laurent) dans le rôle principal, mais c'est aussi l'occasion de revoir des actrices formidables devenues rares : Jeanne Balibar (puis Géraldine Pailhas), Nathalie Boutefeu...

L'ASTRAGALE (Brigitte Sy, 8 avr) LLL
Nouvelle adaptation (je n'ai pas vu la première, avec Marlène Jobert) du roman autobiographique d'Albertine Sarrazin. Celui-ci raconte l'évasion de cette jeune femme incarcérée pour hold up, qui se brise l'astragale (un os du pied), et est secourue par Julien (Reda Kateb, une nouvelle fois excellent), un malfrat de passage. L'immersion dans le milieu du banditisme (avec ses gueules) peut faire penser à Jean-Pierre Melville, tandis que le noir et blanc très travaillé n'a rien à envier aux meilleurs Garrel. Brigitte Sy offre à Leïla Bekhti, qui avait déjà flirté avec le polar (Mains armées), le grand rôle qui lui manquait, dans ce portrait de femme libre et insoumise.

ON EST VIVANTS (Carmen Castillo, 29 avr) LLL
Les mots de Daniel Bensaïd, proche de la réalisatrice et décédé en 2010, servent de fil (forcément) rouge à ce documentaire. La cinéaste chilienne, qui a connu l'effervescence des années 60-70 où le fond de l'air était rouge et où le grand soir était certain, part à la recherche des militants d'aujourd'hui, dont beaucoup de militantes, dans les nouveaux mouvements sociaux, en Amérique latine et en France. On y voit quelques archives rares, comme une interview du sous-commandant Marcos, au Chiapas. Mentions spéciales aux "Sans terre" du Brésil, qui ont pour horizon l'écosocialisme (seul mot en -isme revendiqué dans le film), aux artisans de la victoire de Cochabamba (bataille de l'eau) en Bolivie précédant celle (électorale) d'Evo Morales, fantastiques militantes du quartier Nord de Marseille qui montrent la dignité de militer, dans les (nombreuses) défaites comme dans les (plus rares) victoires...

L'OMBRE DES FEMMES (Philippe Garrel, 27 mai) LL
Le scénario, qui bénéficie de la collaboration de Caroline Deruas, Arlette Langmann et de Jean-Claude Carrière (qu'on ne présente plus), est très solide dans le constat implacable de l'inégalité entre hommes et femmes au niveau de l'acceptation ou non des infidélités (au sens discutable où ce terme est entendu habituellement, soit la non-exclusivité). Audacieux est aussi le changement de personnage-pivot du film, qui passe de Pierre (Stanislas Merhar) à Manon (Clotilde Courau). En revanche, le noir et blanc est beaucoup moins contrasté qu'à l'accoutumée (Les Amants réguliers, La Frontière de l'aube), la musique de Jean-Louis Aubert hésitante. Du coup, pour la première fois chez Garrel, ce qu'il nous raconte semble lui importer davantage que la manière dont il nous le raconte. Petite déception, relativement à l'attente suscitée.

LES CHÂTEAUX DE SABLE (Olivier Jahan, 1er avr) LL
Une trentenaire (Emma de Caunes, qu'on retrouve avec plaisir) vient de perdre son père (Alain Chamfort, très bien dans ses brèves apparitions), et hérite de sa maison en Bretagne. Elle s'y rend avec son ex-compagnon (Yannick Renier, avec autant de subtilité que dans Pauline et François) pour la vendre rapidement. Les quelques jours de cohabitation ravivent des souvenirs, des blessures, voire des tensions, mais pas seulement. Le réalisateur évite le film psychologique de plus, grâce à ses nuances mais aussi ses audaces, et un joli personnage d'agente immobilier gaffeuse (excellente Jeanne Rosa) qui rend le tout assez plaisant.

LA TÊTE HAUTE (Emmanuelle Bercot, 13 mai) LL
Dès l'âge de six ans, à cause de ses accès de violence, Malony est confronté à une juge pour enfants. On le suit surtout à l'adolescence, alors qu'il est placé dans un foyer. Le début du film laisse craindre le pire : on se croit dans les pires clichés (avec Sara Forestier affublée de fausses dents pour jouer une mère déboussolée voire démissionnaire) sans aucune idée de cinéma. Heureusement, au fur et à mesure, le film délaisse la plate illustration d'un sujet de société, pour tirer un portrait singulier qui a son intérêt propre, avec le déjà charismatique Rod Paradot, très loin des jeunes premiers, et ses interactions avec Catherine Deneuve et Diane Rouxel.

DARK PLACES (Gilles Paquet-Brenner, 8 avr) LL
Une femme hantée par le massacre de sa mère et de ses soeurs, quand elle était enfant, est poussée par des étudiants passionnés de faits divers sordides à reconsidérer son témoignage, qui avait jeté son frère en prison. Le scénario de ce polar de série est plutôt bien mené, et la mise en scène de Gilles Paquet-Brenner est à la fois efficace et totalement impersonnelle. Le véritable intérêt du film réside plutôt dans l'interprétation de Charlize Theron, jeune femme plutôt revêche avec ses douleurs rentrées et ses difficultés à se construire.

UN PIGEON PERCHE SUR UNE BRANCHE PHILOSOPHAIT SUR L'EXISTENCE (Roy Andersson, 29 avr) L
En 2007 j'avais beaucoup aimé Nous, les vivants, deuxième film d'une trilogie de Roy Andersson que ce film clôt. Au départ, on croit la magie encore au rendez-vous avec les trois premiers sketchs de rencontres avec la mort, filmés comme le reste du film en plan-séquence fixe très travaillé. Hélas, la promesse d'un grand rire sardonique à la Topor s'amenuise au fur et à mesure où les scènes s'accumulent. Malgré deux marchands ambulants de farces et attrapes qui font office de maigre fil rouge, on ne sent plus de critique sociale ou d'observation de la condition humaine, juste quelque chose de plus vain et plus aigre. Dommage.

LOST RIVER (Ryan Gosling, 8 avr) L
La ville de Detroit en décor et la crise des subprimes en point de départ de ce film à la lisière du fantastique. Pour son premier film en tant que réalisateur, Ryan Gosling lorgne vaguement du côté de David Lynch, sauf que le résultat n'est ni fait à ni faire. Mise à part une vision fugace d'un vélo dégringolant en flammes, le film est plutôt moche dans la forme comme dans le fond.

L'ECHAPPEE BELLE (Emilie Cherpitel, 17 juin) L
La bande-annonce est belle, le titre aussi. Hélas, c'est à peu près tout ce qu'il y a de réussi dans ce premier film. L'histoire d'un gamin de 11 ans qui s'échappe d'un orphelinat et rencontre une jeune femme fantasque de 35 ans sans enfant (elle a avorté quelques années auparavant). Le film essaye d'en faire une "belle" rencontre. Hélas le milieu grand bourgeois vaguement bohème de la jeune femme rend ça extrêmement pénible. On retrouve parfois ce qu'on aime habituellement dans le jeu de Clotilde Hesme, mais en moins marquante que dans de précédents rôles (Les Amants réguliers, Les Chansons d'amour, Angèle et Tony).

Version imprimable | Films de 2015 | Le Mercredi 24/06/2015 | 0 commentaires




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