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Bilan sélectif 2014 d'un cinéphage

Actrices, Acteurs, Moments de cinéma, bilan à la Aurélien Férenczi

"Le vent se lève. Il faut tenter de vivre..." C'est par cette phrase de Paul Valéry que débutait l'année cinématographique 2014 (Le Vent se lève). Mais elle pourrait prendre une toute autre signification dans la vraie vie en janvier 2015...
Un bilan cinéma de 2014 en 10 performances d'actrices, 10 performances d'acteurs et 10 moments de cinéma...

10 performances d'actrices en 2014
(par ordre chronologique de sortie) :

Karin Viard dans Lulu femme nue (Solveig Anspach)
En 2013, Solveig Anspach avait sorti Queen of Montreuil, excellent film aussi libre que peu vu. Pour incarner la Lulu du titre, elle a fait appel à Karin Viard, 15 ans après leur première et mémorable collaboration (Haut les coeurs !). L'actrice populaire n'a pas toujours tourné des films à la hauteur de son talent. Mais, ici, elle excelle en mère de famille en recherche d'emploi, qui tout d'un coup, à l'occasion d'un déplacement en bord de mer, va faire un pas de côté, prendre les chemins de traverse et faire de belles rencontres...

Solène Rigot dans Tonnerre (Guillaume Brac)
Cette année on a d'abord remarqué Solène Rigot en fille adolescente de Karin Viard dans Lulu femme nue (cf plus haut), en pensant qu'elle avait l'âge du rôle. Et puis une semaine plus tard, par le hasard des sorties, surprise, on la découvre en petite amie du trentenaire Vincent Macaigne dans le beau Tonnerre, le premier long métrage de Guillaume Brac. Elle y apporte la fraîcheur apparente de son physique, mais qu'on ne s'y trompe pas, ce sont surtout ses voiles d'ombre et son intériorité, dans la joie comme la douleur, qui impressionnent le plus.

Paulina Garcia dans Gloria (Sebastian Campos Lelio)
Gloria est une femme divorcée de 58 ans, mère de deux grands enfants qui n'ont plus besoin d'elle. Elle fréquente les dancings de Santiago (du Chili), et y rencontre Roberto, un sexagénaire qui se dit décidé à se délester de son encombrante famille. Mais celui-ci n'est pas forcément plus fiable qu'un jeune homme pour s'engager... Chronique d'un amour tardif, certes, mais surtout portrait de femme : Paulina Garcia est de tous les plans (ou presque), et sa performance a été logiquement saluée ici ou là (Ours d'argent de la meilleure actrice au festival de Berlin 2013).

Brie Larson dans States of Grace (Destin Cretton)
Grace est éducatrice dans un foyer pour ados "difficiles". Avec ses acolytes, elle effectue son travail avec beaucoup de doigté. La mise en scène, très fluide, suit aussi bien l'évolution des enfants que la vie amoureuse de Grace avec son compagnon. Mais l'arrivée d'une adolescente meurtrie et moins sociable va renvoyer la jeune femme à un passé pas si lointain... Le film navigue avec intelligence entre rires, larmes, et "états de Grace". Mais le charisme de Brie Larson, dans le rôle de la jeune femme, est irrésistible.

Emilie Dequenne dans Pas son genre (Lucas Belvaux)
Clément (Loïc Corbery, excellent), prof de philo issu de la bourgeoisie parisienne, est muté à Arras. Lui qui pense qu'il n'y a rien au-delà du périphérique se morfond déjà. Jusqu'au jour où il rencontre Jennifer, une coiffeuse arrageoise, mère célibataire qui s'éclate au karaoké. Cela commence comme une comédie sur les classes sociales (Lucas Belvaux est l'auteur de La Raison du plus faible et de Rapt), mais aussi les différences de capital culturel. Puis cela prend un tour plus profond (et plus dramatique). Si le film est au-delà de tous les clichés, il le doit beaucoup à l'interprétation impressionnante d'Emilie Dequenne. Et la scène où elle interprète avec une curieuse intensité I will survive est inoubliable...

Marion Cotillard dans Deux jours, une nuit (Jean-Pierre et Luc Dardenne)
Une ouvrière a un week-end (deux jours et une nuit) pour convaincre ses collègues de ne pas toucher leurs primes afin qu'elle ne soit pas licenciée. Et oui ce ne sont jamais les actionnaires qui sont mis à contribution... Pour la deuxième fois consécutive, sans bouleverser leur univers, les frères Dardenne font appel à une star francophone : après Cécile De France (Le Gamin au vélo), Marion Cotillard. Sur le papier, une demi-douzaine de scènes répétitives. Mais c'est sans compter sur la mise en scène au scalpel des cinéastes (au meilleur de leur forme), mais aussi sur l'extrême précision de l'interprétation de Marion Cotillard, qui retrouve un rôle proche de ceux qu'on lui proposait avant d'être "mômifiée" (bien qu'éloigné de son train de vie actuel).

Juliette Binoche et Kristen Stewart dans Sils Maria (Olivier Assayas)
Juliette Binoche joue Maria Enders, une actrice révélée au théâtre à 18 ans, en incarnant Sigrid, une jeune fille ambitieuse qui poussera au suicide Helena, une femme mûre. Vingt ans plus tard, on propose à Maria de reprendre cette pièce, cette fois dans le rôle d'Helena... Maria accepte et répète son rôle avec sa jeune assistante, jouée par Kristen Stewart. La mise en scène est très fluide, très subtile aussi dans son trouble jeu de correspondance entre théâtre et réalité. Les deux comédiennes auraient pu (auraient dû) obtenir un prix d'interprétation à Cannes, finalement dévolu à Julianne Moore dans Maps to the stars...

Adèle Haenel dans Les Combattants (Thomas Cailley)
Dans L'Homme qu'on aimait trop, sorti également en 2014, Adèle Haenel joue une Agnès Leroux très sportive. Elle est encore plus athlétique dans Les Combattants, où elle joue une jeune fille obsédée par la survie. Titulaire d'un master en économie, son personnage semble prendre à la lettre les robinsonnades des raisonnements libéraux. Le film est constamment drôle et convoque plusieurs genres cinématographiques. Mais il flirte parfois dangereusement avec la superficialité. Alors que Adèle Haenel est éblouissante, constamment étonnante, et emporte tout sur son passage...

Ariane Labed dans Fidelio, l'Odyssée d'Alice (Lucie Borleteau)
Alice est marin et embarque comme mécano sur le Fidelio, un vieux cargo. Seule femme à bord, laissant son petit ami norvégien sur la terre ferme, elle découvre que le commandant (Melvil Poupaud) n'est autre que son premier amour... Alice a 30 ans, et sait s'affirmer face aux hommes, et avec eux. Dans son travail comme dans la conduite de sa sexualité. Le schéma d'une femme plongée dans un univers très masculin (et très humble et solidaire devant les machines) peut faire penser à Seuls les anges ont des ailes de Howard Hawks, mais qui serait filmé cette fois du côté féminin. L'actrice franco-grecque Ariane Labed est exceptionnelle dans le rôle, sensuelle, évidente, avec mille nuances dans chacune de ses attitudes et chacun de ses gestes.

Laure Calamy dans Zouzou (Blandine Lenoir)
Trois générations de femmes réunies un été dans une maison à la campagne. La grand mère veut annoncer à ses trois filles qu'elle a à nouveau un homme dans sa vie. Elles se rendent compte que, de son côté, Zouzou, 14 ans, a ses premières expériences amoureuses. Comment parler de sexualité en famille ? Les avis divergent. Mais Laure Calamy excelle en tante qui mime un clitoris. Ou qui, face à un macho, déclame magnifiquement une tirade directement inspirée d'un discours de Christine Delphy (les femmes sont des hommes japonais).

10 performances d'acteurs en 2014 (par ordre chronologique de sortie) :

Vincent Macaigne dans Tonnerre (Guillaume Brac)
Vincent Macaigne est une pièce maîtresse de tout un pan d'un jeune cinéma français. Mais jusqu'alors il s'ébrouait surtout dans le registre de la comédie (par exemple La Fille du 14 Juillet). Ici, il y a bien des instants assez drôles (en couple). Mais l'histoire de ce musicien trentenaire qui revient se poser provisoirement à Tonnerre chez son père (Bernard Ménez, autre élément issu de la comédie) est aussi dramatique, en prenant une tournure très inattendue. Comme sa jeune partenaire (Solène Rigot, voir plus haut), Vincent Macaigne étend son registre et inquiète.

Toni Servillo dans Viva la liberta ! (Roberto Ando)
Lors d'une campagne électorale nationale, Enrico Oliveri, candidat et secrétaire général du parti d'opposition (de gauche), ne décolle pas dans les sondages. Un jour ce vieux briscard prisonnier des routines de la politique professionnelle disparaît (fugue). Son équipe de campagne cherche une solution, et fait appel à Giovanni son frère jumeau, professeur excentrique sorti depuis peu de l'hôpital psychiatrique, pour le remplacer. Celui-ci accepte et redonne espoir au peuple de gauche en mettant de la poésie et du sensible dans ses interventions. Toni Servillo est évidemment génial dans le double rôle de Enrico/Giovanni. Loin du (faux) clown Beppe Grillo, il s'agit moins d'une personnification de la politique électoraliste que d'une réincarnation d'aspirations populaires à réveiller...

Michel Vuillermoz dans Les Grandes ondes (Lionel Baier)
Au mois d'avril 1974, deux journalistes de la Radio Suisse Romande sont envoyés au Portugal (pour célébrer avec condescendance les aides de la Suisse à ce pays). La jeune présentatrice ambitieuse (Valérie Donzelli) et le vieux briscard revenu de tout (Michel Vuillermoz), flanqués d'un vieux technicien et d'un jeune traducteur, se retrouvent par hasard en pleine Révolution des Oeillets. Certes Michel Vuillermoz hérite d'un rôle peu sympathique (le macho vaniteux old school), mais des fêlures vont apparaître, et son interprétation (comme celles de ces partenaires) devenir irrésistible...

Joaquin Phoenix dans Her (Spike Jonze)
Dans un futur (pas si lointain ?), Théodore, en instance de divorce, travaille pour le site belles-lettres-manuscrites.com en rédigeant pour ses clients de belles missives. A l'ancienne, car le numérique a tout envahi. Chez lui, il fait l'acquisition d'un nouvel ordinateur, commandable par la voix. Le système d'exploitation a celle, irrésistible, de Scarlett Johansson. D'ailleurs Théodore ne va pas lui résister... Bien sûr, il y a le savoir faire de Spike Jonze (Dans la peau de John Malkovich). Mais, en homme qui réussit à faire passer ses conversations avec une intelligence artificielle pour de grands moments de sensibilité, Joaquin Phoenix est excellent, et assez différent de ses rôles habituels.

Jacques Gamblin  dans De toutes nos forces (Nils Tavernier)
Malgré son sujet, le film évite tout dérapage larmoyant. Il raconte l'histoire d'un adolescent de 17 ans, en fauteuil roulant, qui rêve de faire l'Iron man en tandem avec son père. Celui-ci finit par accepter. Ce n'est pas une comédie, mais il y a de beaux moments d'humour. Pour éviter tout pathos, Nils Tavernier a fait appel à Jacques Gamblin pour le rôle du père. Tous les interprètes sont justes, mais Jacques Gamblin excelle dans un rôle à la fois très sportif (certaines scènes ne pouvant être truquées) et d'une très grande subtilité. Comme quoi les "grands" sujets ne font pas forcément de "tout petits" films...

Reda Kateb dans Hippocrate (Thomas Lilti) et Qui vive (Marianne Tardieu)
Dans Qui vive, le premier long métrage de Marianne Tardieu, Reda Kateb incarne un vigile de grand magasin qui tente le concours d'infirmier, ainsi qu'une aventure avec une éducatrice (Adèle Exarchopoulos, sorti de La Vie d'Adèle), mais rencontre des difficultés avec certains caïds du quartier. Les dépossédés se battent entre eux... Dans Hippocrate, il est déjà interne, vole au cours du film la vedette à Vincent Lacoste (en candide découvrant le milieu hospitalier), mais sans être forcément tiré d'affaire pour autant... Une présence et une gueule uniques et loin des jeunes premiers. L'acteur incontournable de 2014.

Gaspard Ulliel dans Saint Laurent (Bertrand Bonello)
C'est une gageure de faire comprendre à, disons, un cinéphile écosocialiste, que créer des modes vestimentaires est un acte de création à part entière. Le grand mérite de ce film est qu'il réussit presque à nous convaincre. C'est dû à la mise en scène très particulière de Bertrand Bonello, qui confirme le talent déployé dans L'Apollonide, son film féministe. Mais aussi et surtout à Gaspard Ulliel qui fait là son grand retour. Il a une vraie puissance d'incarnation pour le Saint Laurent période 66-76, ce qui rend assez superfétatoire le Saint Laurent plus âgé interprété par Helmut Berger (rien que ça).

Colin Firth dans Magic in the moonlight (Woody Allen)
Une légende tenace voudrait que dans les films de Woody Allen où il ne joue pas, l'acteur du personnage principal masculin joue à imiter le maître. Pourtant il y a beaucoup de contre-exemples (où s'incarnerait Woody Allen dans Match point, Vicky Cristina Barcelona ou Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu ?), et Colin Firth en est un, flambloyant. Jamais dans l'imitation, il excelle en Gérard Majax british des années 20, qui aime démasquer les charlatans qui profitent de la crédulité humaine, avant de rencontrer une charmante et surprenante medium (Emma Stone)... Le surnaturel n'existe pas pour Woody Allen, mais l'irrationnalité amoureuse si.

Alfred Molina et John Lithgow dans Love is strange (Ira Sachs)
L'un a plus de soixante ans, l'autre s'en approche. Après une trentaine ou quarantaine d'années de vie commune, ce couple d'hommes installé à New-York décide de se marier. Un aboutissement fêté avec leurs proches, mais aussi le début de leurs soucis, car le plus "jeune" perd illico son emploi de prof de musique dans une école privée confessionnelle. Ne pouvant plus payer leur logement, ils décident d'être temporairement hébergés par leurs familles ou amis, chacun de leur côté. Promiscuité gênante, manque de l'être aimé, regard sur les générations suivantes : les deux acteurs sont formidables et ont de très belles partitions à jouer...

David Gulpilil dans Charlie's country (Rolf De Heer)
Dans sa réserve, Charlie, un vieil aborigène d'Australie, devenu alcoolique, n'a même plus le droit de chasser. Après quelques heurts avec la police, il décide de retourner dans le bush... Acteur connu en Australie, David Gulpilil a co-écrit le scénario avec Rolf De Heer. Qui montre ce qui a été irrémédiablement perdu et ce qui subsiste néanmoins dans la culture aborigène d'aujourd'hui. Et le racisme latent (commun à toutes les sociétés post-coloniales). Un personnage fort auquel le comédien prête son teint buriné, ses boucles blanches et ses expressions tour à tour facétieuses, colériques ou mélancoliques.

10 (purs) moments de cinéma en 2014 (par ordre chronologique de sortie) :

Nymphomaniac, volume 2 (Lars Von Trier)
Après le monumental Melancholia, ce dyptique de Lars Von Trier est décevant. Surtout ce volume 2, avec des scènes difficilement pardonnables (alors que le volume 1 était réussi, intriguant). Lars Von Trier s'en tire avec les conversations de Charlotte Gainsbourg et Stellan Skarsgard, qui font office de critique à 2 voix (presque un choeur antique) du film incluse dans celui-ci. Et pourtant, malgré ce dispositif de distanciation, la découverte d'un arbre isolé au sommet d'un pic rocheux est une des plus belles scènes de cinéma vues en 2014. Une émotion au premier degré et une vision telles que sait encore en créer l'imprévisible cinéaste danois.

Le Sens de l'humour (Maryline Canto)
On adore Maryline Canto depuis les films qu'elle a tournés avec Manuel Poirier (Western, Les Femmes... ou les enfants d'abord). Mais elle tourne ici son premier long-métrage, où elle est devant et derrière la caméra. L'histoire d'une veuve dans la quarantaine, qui vit avec son fils de 10 ans. Son amant (Antoine Chappey) essaie de s'immiscer et de régulariser leur relation... Le film est sobre mais lumineux, acéré, en équilibre sur une ligne de crête. De l'humour il y en a, oui, mais dans des circonstances pas drôles : une scène de dispute dans un musée parvient à rendre compte en peu de temps de la vitalité mais aussi de la distance qui séparent les deux amants.

Il a plu sur le grand paysage (Jean-Jacques Andrien)
Jean-Jacques Andrien réalise l'un des plus beaux documentaires sur l'évolution contemporaine de l'agriculture. Formidable portraitiste, il fait entendre des agriculteurs pudiques mais loquaces sur l'évolution de leur métier (et leur attachement à celui-ci), la disparition des quotas laitiers en 2015, sur les négociations secrètes pour supprimer les droits de douanes (OMC, TAFTA). Mais il filme aussi formidablement les paysages : irrésistible plan d'une vache isolée qui semble perdue au milieu des rues enneigées...

Bird people (Pascale Ferran)
Cette année, les cinéastes aiment émanciper la jeune et talentueuse Anaïs Demoustier. Dans Une nouvelle vie, François Ozon lui ouvre de nouveaux horizons (avec Romain Duris). Et, dans Bird people, Pascale Ferran lui fait prendre son envol dans une deuxième partie audacieuse de toute beauté. La cinéaste tourne peu mais bien. En témoigne aussi l'introduction, séquence d'anthologie où la caméra zigzague dans le RER, scrutant chaque passager, comme enfermé dans une bulle égotiste, pendant que la bande son nous livre le texte de leur SMS (lu en voix off) ou la musique qu'ils écoutent...

Métamorphoses (Christophe Honoré)
Dans La Belle personne, Christophe Honoré transposait dans un lycée d'aujourd'hui La Princesse de Clèves, en filmant ses jeunes interprètes (Léa Seydoux, Louis Garrel) comme ayant une aura magique. Ici, il adapte Les Métamorphoses d'Ovide dans la France actuelle, en faisant passer Europe comme une lycéenne d'aujourd'hui, lorsqu'elle rencontre Jupiter. Comme dans Bird people (voir plus haut), la croyance dans la métamorphose ne vient pas d'effets spéciaux très sophistiqués (même si dans les deux cas il y en a), mais d'une science imparable du montage. Un film très organique qui ose tout.

Still the water (Naomi Kawase)
L'action se déroule sur l'île japonaise d'Amami. Un homme est retrouvé mort, nu sur la plage. Une fille et un garçon d'une quinzaine d'années, Kyôko et Kaito, tissent des liens de plus en plus proches, tandis que la mère de Kyôko agonise... Beaucoup de grands thèmes entrelacés dans le nouveau film de Naomi Kawase. Si l'accompagnement, en chansons, de la mère vers la mort est une séquence implacable, celles qui suivent sont plus dispensables, jusqu'à la scène finale, un cadeau où, dans une lumière aquatique éblouissante, Kaito trouve enfin le courage de se jeter à l'eau...

Mommy (Xavier Dolan)
Je ne suis pas sûr que le film soit tellement au-dessus des Amours imaginaires, réalisé en 2010 par Xavier Dolan, qui était déjà très bien mais n'avait pas suscité la même onde de choc. On dirait du Cassavetes pour les personnages féminins border line (j'aurais pu célébrer dans les performances de l'année les excellentes Anne Dorval en mère au langage fleuri et Suzanne Clément en institutrice dépressive devenu bègue). Mélangé avec des effets ostentatoires très voyants. Cela passe ou ça casse, suivant le cas, mais la scène où l'ado hyperactif, sur son skateboard, écarte les bras pour élargir son monde (et le format de l'image, passant du carré au rectangulaire) est assez irrésistible.

Le Paradis (Alain Cavalier)
Depuis une vingtaine d'années, Alain Cavalier a renoncé à tourner avec des acteurs professionnels. Mais il n'en a pas pour autant fini avec le cinéma. En témoigne ce formidable prototype qui mêle une sorte de journal intime filmé des trois dernières années (par exemple un bébé paon qui meurt sous ses yeux) et une sorte de re-création de récits mythologiques. Avec trois euros six sous, de simples jouets, une voix de conteur chaleureux et une incroyable inventivité dans la lumière et la disposition des objets, il évoque par exemple Ulysse et l'Odyssée. Un simple quartier de pastèque fait une barque vers l'au-delà. Il crée des scènes sensuelles voire érotiques avec le même procédé. Chapeau l'artiste !

Chante ton bac d'abord (David André)
6 copains et copines de 17 ans vivent et racontent leur dernière année de lycée (sauf un qui a redoublé) à Boulogne-sur-Mer. Leur envie de vivre pleinement, et, pour leurs parents, l'angoisse devant l'avenir. Mais David André ne se contente pas de les filmer : le documentaire est aussi une comédie musicale, avec des chansons très belles, à la Alex Beaupain (les textes sont co-écrits par chacun-e d'entre eux), et une précision dans les gestes et les prises de vue qui, au départ, provoquent le même ravissement que lors de la découverte de Jeanne et le garçon formidable. Cela reste sage, en apparence, même (et surtout) à l'approche du bac. Mais on s'attache à chacune des personnalités et on rêve d'une saison 2 (Chante tes partiels d'abord).

White God (Kornel Mundruczo)
Lili, une fille de 13 ans, arpente à vélo des rues de Budapest curieusement désertes. Puis elle voit surgir une meute de chiens qui vient vers elle. Comment en est-on arrivé là ? C'est ce que raconte la suite du film, assez flottant dans la première heure. Le père de Lili se sépare à contre coeur de son chien bâtard (une nouvelle loi contraint à abandonner les chiens de race impure à la fourrière, ou pire encore). La dernière demi-heure de ce conte politique (la révolte des chiens) est par contre du très grand cinéma, un immense morceau de bravoure. Et la dernière scène, très inattendue bien que logique, est inoubliable.

Enfin, pour finir, un petit clin d'oeil au billet de blog de Aurélien Férenczi (Télérama) : http://www.telerama.fr/cinema/mes-tops-cinema-2014-et-pas-que,121036.php

J'ai donc vu, en ciné-concert, 3 films du top 10 de... 1924 (Sherlock junior de Buster Keaton, Les Rapaces de Erich Von Stroheim, et Le Dernier des hommes de Friedrich Wilhelm Murnau). Pour ce qui est de 2014, en reprenant approximativement les catégories de Aurélien Férenczi, j'arrive au résultat suivant :

Carré d'as :
Sils Maria (Olivier Assayas)
Winter sleep (Nuri Bilge Ceylan)
Un film somme, dont le tout est supérieur aux multiples ingrédients pris séparément. L'histoire d'un homme aisé et très cultivé, ancien comédien qui tient un hôtel dans un site remarquable d'Anatolie. Il se croit humaniste, mais ne voit ni la souffrance sociale des villages avoisinants, ni le mal qu'il fait à des proches (épouse, soeur) qui finissent par lui dire dans des scènes de dialogues extrêmement intenses.
National Gallery (Frederick Wiseman)
2h45 qu'on ne voit pas passer. Le documentariste américain s'immerge dans le musée londonien, avec de nombreux centres d'intérêts : histoires de tableaux contées par des conférenciers très inspirés, observation des touristes, des petites mains employées par le musée, de conseils d'administration qui ont à faire face à des budgets d'austérité...
Deux jours, une nuit (Frères Dardenne)

Films d'auteur (à l'européenne ou pas) :
Les Grandes ondes (Lionel Baier)
Still the water (Naomi Kawase)
White God (Kornel Mundruczo)
Timbuktu (Abderrahmane Sissako)
Sissako raconte la prise du pouvoir par les djihadistes de la ville malienne en 2012-2013. Il n'en fait pas des monstres. Son regard, politique, est sans ambiguïté contre ces extrémistes, mais il les peint comme des personnes humaines, parfois écartelées entre leurs dogmes et leurs faiblesses. Entre parenthèses, tout le contraire de Whiplash, où Damien Chazelle porte un regard ambivalent sur l'instructeur de musique présenté comme d'un seul tenant.
Mommy (Xavier Dolan)

Le cinéma américain dans tous ses états :
Magic in the moonlight (Woody Allen)
Love is strange (Ira Sachs)
States of Grace (Destin Cretton)
Her (Spike Jonze)

Le cinéma français et sa puissance d'invention :
Le Paradis (Alain Cavalier)
Bird people (Pascal Ferran)
Tonnerre (Guillaume Brac)
Métamorphoses (Christophe Honoré)

Je rajoute une catégorie documentaire :
A ciel ouvert (Mariana Otero)
Un très beau documentaire sur le Courtil, une institution à la frontière franco-belge qui s'occupe d'enfants psychotiques. Entre théorie (un peu) et pratique (beaucoup), et avec la curiosité humaine et l'empathie dont Mariana Otero nous a déjà donné l'habitude.
Chante ton bac d'abord (David André)
Il a plu sur le grand paysage (Jean-Jacques Andrien)

Voilà, ça fait 20 (sur près d'une centaine de films vus cette année), et 6 points communs avec les préférences d'Aurélien Férenczi. Enfin, je signale, hors concours, deux films ouvertement militants qui n'ont pas bénéficié d'une sortie nationale officielle :

Ne vivons plus comme des esclaves (Yannis Youlountas)
Amen ton pèze, le retour (Maxime Pourbais)

Version imprimable | Ephémères | Le Dimanche 18/01/2015 | 0 commentaires




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