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Des films de l'automne 2015

  • Bien : Une histoire de fou (Robert Guédiguian), Avril et le monde truqué (Christian Desmares, Franck Ekinci), Belles familles (Jean-Paul Rappeneau), L'Image manquante (Rithy Panh), Notre petite soeur (Hirokazu Kore-eda), Mia madre (Nanni Moretti), Au-delà des montagnes (Jia Zhang-ke), Qui a tué Ali Ziri ? (Luc Decaster)
  • Pas mal : This is not a love story (Alfonso Gomez-Rejon), Les Suffragettes (Sarah Gavron), Les Chansons ques mes frères m'ont apprises (Chloé Zhao), Je suis à vous tout de suite (Baya Kasmi), The Lobster (Yorgos Lanthimos), L'Etage du dessous (Radu Muntean)
  • Bof : Les Anarchistes (Elie Wajeman), Dheepan (Jacques Audiard), Par accident (Camille Fontaine), Queen of earth (Alex Ross Perry)

UNE HISTOIRE DE FOU (Robert Guédiguian, 11 nov) LLL
A l'occasion du centenaire du génocide arménien, Robert Guédiguian réalise une grande fresque, qui commence en Allemagne en 1921 par l'assassinat de Talaat Pacha, ancien Premier ministre et ministre de l'intérieur Turc et l'un des principaux responsables du génocide. Puis par le procès de son meurtrier, Soghomon Tehlirian, qui deviendra une sorte de mythe pour plusieurs générations d'arméniens. Après ce prologue en noir et blanc, l'essentiel du film se déroule au début des années 80, autour d'Aram, un jeune lycéen marseillais d'origine arménienne, qui se radicalise et va participer à un attentat à Paris dans lequel un autre jeune, Gilles, au mauvais endroit au mauvais moment, va être grièvement blessé. Au bout d'un moment, celui-ci va tenter de comprendre... La mise en scène de Guédiguian, qui n'a aucune complaisance pour la lutte armée mais tente lui aussi de comprendre les différents protagonistes, est très précise. Le film est très incarné (belles interprétations de Syrus Shahidi, Simon Abkarian, Ariane Ascaride, Grégoire Leprince-Ringuet, Razane Jammal), et le cinéaste fait confiance à ses spectateurs : ça fait du bien...

AVRIL ET LE MONDE TRUQUE (Christian Desmares, Franck Ekinci, 4 nov) LLL
Il s'agit d'une uchronie (un passé imaginaire) : nous sommes en 1941, sous le règne de Napoléon V, les deux guerres mondiales n'ont pas eu lieu, et les plus grands savants de la planète disparaissent mystérieusement depuis les années 1870, si bien que l'électricité et le moteur à explosion n'ont pas été inventés. La jeune Avril tente d'élucider la disparition de ses deux parents, et de trouver la formule du "sérum ultime" sur laquelle ils travaillaient. Un imaginaire débridé est donc au programme de ce réjouissant film d'animation, mais ce n'est pas tout : personnages et décors (engins rétro-futuristes compris) doivent tout à l'univers de Tardi, à l'origine de la "conception graphique" du projet. Les ressemblances avec les ambiances d'Adèle Blanc-Sec ou de Nestor Burma ne sont donc pas fortuites, mais l'animation a ses propres règles et atouts, comme la bande son : mention spéciale à Philippe Katerine qui prête sa voix au chat (parlant !) d'Avril.

BELLES FAMILLES (Jean-Paul Rappeneau, 14 oct) LLL
Un homme d'affaires installé en Chine (Mathieu Amalric) revient en France dans la ville (imaginaire) d'Ambray, afin de régler un litige complexe à propos de la vente de sa luxueuse maison d'enfance, après le décès de son père. Il va rencontrer une forte tête (Marine Vacht), la fille de la deuxième compagne (Karin Viard) de celui-ci... Le sujet de départ peut ne pas passionner, mais les films de Rappeneau ne sont pas des "pitchs" à illustrer. Le scénario est magnifique, mais non linéaire et non résumable : les logiques des différents personnages (et leurs évolutions) s'entrechoquent, ce qui finit par donner un joli tourbillon. Ce mouvement permanent, à l'opposé d'une agitation gratuite, est aussi le fruit d'un montage alerte, de savoureux faux raccords en malicieuses ellipses. Un film de divertissement mais d'un classicisme très élégant, par un cinéaste octogénaire très juvénile.

L'IMAGE MANQUANTE (Rithy Panh, 21 oct) LLL
Ce n'est pas le premier film de Rithy Panh consacré aux crimes contre l'humanité perpétrés par le régime de Pol Pot, mais c'est le premier où il ose l'autobiographie, lui qui était encore enfant quand il a été envoyé en camp de travail agraire et qu'il a perdu toute sa famille. Les images de cette période ayant disparues (à part quelques scènes de propagande, où l'on sent que quelque chose cloche, elles ne font pas du tout envie), il recourt à des figurines en terre cuite pour remplacer les images manquantes. Même si les images en soi ne sont pas insoutenables, elles font froid dans le dos. Le hiatus est saisissant entre les slogans révolutionnaires scandés au mégaphone et les multiples horreurs jusque dans des détails très concrets. Le contexte d'arrivée au pouvoir des Khmères rouges est brièvement évoqué (inégalités, milliers de tonnes de bombes larguées par les Etats-Unis etc), mais les motivations réelles des dignitaires du régime (la quête du cinéaste dans tous ses films) restent insondables.

NOTRE PETITE SOEUR (Hirokazu Kore-eda, 28 oct) LLL
Trois soeurs, jeunes adultes (la plus âgée approche la trentaine), vivent ensemble à Kamakura. C'est uniquement par devoir qu'elles se rendent à l'enterrement de leur père, qui les avait abandonnées une quinzaine d'années plus tôt. Elles font alors la connaissance de leur demi-soeur, Suzu, fille de la deuxième compagne de leur père, âgée de treize ans. Celle-ci ne tient pas plus que ça à sa belle-mère, la dernière compagne de son père, et accepte l'invitation de ses trois grandes demi-soeurs à rejoindre la maison familiale. Contrairement à ce qui a été parfois écrit, le film n'est jamais mièvre. Il n'élude aucune zone d'ombre, les rapports des grandes avec leur mère, avec qui elles étaient en froid, leurs expériences professionnelles et amoureuses. Mais le récit, adapté d'un roman graphique, est d'une grande délicatesse, sensible aux éléments naturels et au passage des saisons (les cerisiers en fleur), et la mise en scène de Hirokazu Kore-eda est comme à son habitude d'une grande élégance.

MIA MADRE (Nanni Moretti, 2 déc) LLL
Une cinéaste tourne un film social en faisant appel à un acteur américain qui surjoue tout le temps (John Turturro, dans un grand numéro comique). Parallèlement, elle doit s'occuper, avec son irréprochable frère, de sa mère en fin de vie et de sa fille adolescente. Cela fait beaucoup... Nanni Moretti croise des thèmes qu'il a déjà traités auparavant : un deuil familial (La Chambre du fils), la difficulté à faire des films engagés aujourd'hui en Italie (Le Caïman). Il y a beaucoup d'éléments très bien vus, et Marguerita Buy, qui avait déjà participé à ce dernier film, est formidable dans le rôle principal. Cela pourrait donc être un très grand Moretti si cette comédie dramatique n'avait pas quelques petits défauts : une forme très proprette, et curieusement une musique assez maladroite qui est souvent assez gênante, au risque de nous faire parfois sortir du film. Ce n'est heureusement que passager et nullement rédhibitoire.

AU-DELA DES MONTAGNES (Jia Zhang-Ke, 23 déc) LLL
Nous sommes en Chine dans une ville de province. La jeune Tao voit son coeur balancer entre deux amis d'enfance. Liang travaille dans une mine de charbon, tandis que le riche et ambitieux Zang est promis à un bel avenir. Le choix de Tao sera crucial pour le restant de sa vie et pour celle de son futur fils. Jia Zhang-ke propose un film romanesque qui s'étend sur trois périodes : 1999, 2014, 2025. Il ouvre ironiquement son nouvel opus par le morceau Go West des Pet Shop Boys. On n'est pas dépaysé, d'une part parce que ça pourrait prolonger son film précédent, A touch of sin, mais d'autre part parce que ça ne concerne pas que la Chine (en témoigne la dernière partie). Le film ne garde pas toujours la même intensité, mais entre mutations contemporaines du capitalisme et intrigues personnelles il trouve son chemin.

QUI A TUE ALI ZIRI ? (Luc Decaster, 7 oct) LLL
Juin 2009. Ali Ziri, un homme de 69 ans est arrêté par la police nationale après un contrôle routier à Argenteuil. Il meurt 2 jours plus tard. L'autopsie révèlera 27 hématomes sur le corps d'Ali, les témoins oculaires sont accablants, notamment sur l'utilisation du "pliage", une technique très dangereuse en raison du risque d'asphyxie. Pendant 5 ans, Luc Decaster, qui a tourné beaucoup de ses documentaires à Argenteuil (exception faite de Etat d'élue, portrait de Françoise Verchère, alors conseillère générale opposée à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes), va suivre la lutte du collectif "Vérité et justice pour Ali Ziri". Le film est tourné plutôt en plans-séquences, ce qui est appréciable pour les scènes de réunion où les interventions des uns et des autres ne sont pas hachées. Avec dignité, le documentaire s'interroge sur la justice française qui s'empresse d'acquitter à chaque fois que des policiers tuent.

THIS IS NOT A LOVE STORY (Alfonso Gomez-Rejon, 18 nov) LL
Greg, un adolescent en dernière année de lycée, est forcé par sa mère à rendre visite à une fille de son âge atteinte de leucémie. Cela va remettre en cause sa légère misanthropie... Ceci n'est pas plus un mélodrame larmoyant qu'une love story débordant de sentimentalité. Si le film n'élude pas des points de passage tristement obligés, il échappe à la banalité. Grâce à la personnalité des protagonistes : Greg est cinéphile, et un peu comme dans les films de Michel Gondry, réalise avec son meilleur pote des parodies de films de cinéastes "étrangers" (bonnes références : Werner Herzog, Michael Powell...). Dans des rôles casse-gueules, les jeunes interprètes (Thomas Mann, Olivia Cooke, RJ Cyler) assurent un max. Malgré des maladresses (peut-être un peu trop de vannes au début), ce teenage movie surprend dans ses meilleurs moments par une vraie maturité.

LES SUFFRAGETTES (Sarah Gavron, 18 nov) LL
Alors qu'elle n'est pas préparée à cela, une jeune ouvrière d'une blanchisserie britannique fait la connaissance d'un groupe de femmes qui mènent des actions de désobéissance civile (puisque pendant des décennies la méthode diplomatique n'a rien donné) pour obtenir le droit de vote. Elle deviendra elle-même une suffragette. Elle seront durement réprimées par les forces de l'ordre, ce qui les poussera à se radicaliser davantage. Visuellement, ce n'est pas un grand film, mais il y a des personnages intéressants : les suffragettes bien sûr (Carey Mulligan, qu'on retrouve avec plaisir, Helena Bonham Carter, Anne-Marie Duff), mais aussi une sorte de chef "antiterroriste" de l'époque (Brendan Gleeson en grande forme et tout en subtilité). Le film rappelle la dureté de toutes les luttes d'émancipation, hier comme aujourd'hui. En Grande-Bretagne, le premier droit de vote accordé aux femmes date de 1918, mais il faudra attendre 10 années supplémentaires pour qu'elles aient le même droit de vote que les hommes.

LES CHANSONS QUE MES FRERES M'ONT APPRISES (Chloé Zhao, 9 sep) LL
Le jeune Johnny, 18 ans, rêve de quitter la réserve indienne de Pine Ridge et de suivre une camarade de classe (qui part à la fac). Mais il hésite à abandonner sa petite soeur qui est très attachée à lui. Le film surprend d'abord par un style documentaire exacerbé : cela pourrait être une captation de la vie réelle de la communauté, entre traditions qui se meurent , alcoolisme qui s'installe, et vie qui continue malgré tout. A ne pas confondre avec le style naturaliste (comme par exemple La Loi du marché dernièrement, où chaque plan est le fruit d'un choix politique et esthétique). Ici c'est plus hésitant, et on a parfois l'impression de voler quelque chose aux interprètes dont les personnages ont parfois le même prénom que dans la vraie vie. Cependant, petit à petit, l'intrigue de fiction se met en place, et on oublie ces réserves pour trouver assez beau ce premier film de Chloé Zhao, réalisatrice chinoise installée aux Etats-Unis.

JE SUIS A VOUS TOUT DE SUITE (Baya Kasmi, 30 sep) LL
Premier film en tant que réalisatrice pour Baya Kasmi, la co-scénariste avec Michel Leclerc du Nom des gens il y a cinq ans. Le tandem est encore aux manettes du scénario, et essaie de garder la même liberté de ton pour aborder drôlement des sujets qui ne prêtent pas à rire. Leur héroïne est une jeune femme "trop gentille" (DRH, elle couche avec les employés après leur avoir annoncé leur licenciement) qui tient de ses deux parents : son père (Ramzy) "épicier social" et sa mère (Agnès Jaoui) "psy à domicile" (ils font beaucoup crédit). Il est question de rapports frère - soeur, d'intégrisme, d'abus sexuels... avec insolence mais aussi maladresse (il faut manier les clichés avec précaution). Heureusement, l'interprète principale, Vimala Pons (La Fille du 14 Juillet, Comme un avion) apporte son art du décalage subtil et est le meilleur atout du film.

THE LOBSTER (Yorgos Lanthimos, 28 oct) LL
Yorgos Lanthimos (Canine, Alps) aime créer des univers absurdes. Dans celui-ci, les célibataires sont arrêtés et confinés dans un hôtel de luxe où ils ont 45 jours pour trouver l'âme soeur (qui doit impérativement partager un signe particulier avec l'autre). A défaut, ils seront transformés dans l'animal de leur choix. Ce délai peut être prolongé en fonction du nombre de Solitaires (des résistants) qu'ils capturent lors de "chasses"... Mais ces résistants doivent suivre une règle tout aussi absurde : ne pas avoir de relation amoureuse ou sexuelle entre eux. Scénario intéressant sur le papier (mais qui apparaît assez arbitraire à l'écran), casting international (Colin Farrell, Rachel Weisz, Léa Seydoux, Ariane Labed) : Yorgos Lanthimos semble vouloir attirer l'attention d'un public plus large, mais pour l'instant il continue surtout de faire le malin.

L'ETAGE DU DESSOUS (Radu Muntean, 11 nov) LL
C'est l'été. En rentrant chez lui, Patrascu entend une dispute conjugale au 2è étage de son immeuble. Plus tard, le corps de sa voisine sera retrouvé : elle est morte. Il soupçonne un jeune voisin, mais ne dit rien à la police, notamment au sujet de la dispute... Cela pourrait être un thriller à double détente : ce voisin, qui s'immisce dans sa vie familiale, est-il coupable, et Patrascu va-t-il parler ? Le réalisateur préfère éviter la tension, et propose un film gris, où Patrascu est presque de tous les plans, au travail (un service d'immatriculations de véhicules où on ne comprend pas tout), en promenade avec son chien ou en famille chez lui avec sa femme et son fils adolescent. C'est un parti pris qui peut se défendre, et ne pas donner d'explications superflues est louable. Mais on ne sent jamais vraiment quel est le rapport de Radu Muntean à son personnage principal, ce qui ressemble à un excès de prudence. A moins que ce soit ça le rapport ?

LES ANARCHISTES (Elie Wajeman, 11 nov) L
Nous sommes en 1899. Un brigadier de police s'infiltre dans un groupe d'anarchistes. Il fait régulièrement des rapports à ses supérieurs hiérarchiques mais tombe amoureux de l'une des activistes. Il est bien question d'idées libertaires au tout début, mais peu d'exaltation par la suite (cela pourrait être des truands comme les autres). De même il y a quelques curieux anachronismes : syndicats trop mous, et "socialistes" qui ont une politique pour les plus riches quand ils arrivent au pouvoir. Mais le réalisateur n'en fait pas grand chose, et malgré le sujet et le casting (Tahar Rahim et Adèle Exarchopoulos en tête), l'ensemble manque de souffle.

DHEEPAN (Jacques Audiard, 26 aou) L
Un réfugié Tamoul fuit le Sri Lanka et trouve asile en France, avec sa fausse famille (une femme et un enfant), et atterrit dans une banlieue parisienne où sévit un trafic de drogue. Au départ du projet, Jacques Audiard disait vouloir s'inspirer de l'esprit des Lettres persanes de Montesquieu. Or ces réfugiés ne nous révèlent rien de la France, dont ils ne perçoivent pas grand chose. Le réalisateur ne fait en effet jamais appel à l'intelligence du spectateur, et multiplie les gros effets gratuits, à l'épate, et en prenant de façon désinvolte le risque de se prêter aux pires récupérations. Les seuls personnages qui existent vraiment sont cette fausse famille qui en devient plus ou moins une vraie, mais c'est à peine la moitié du film.

PAR ACCIDENT (Camille Fontaine, 14 oct) L
Un soir, Amra, jeune Algérienne en attente de régularisation, renverse un piéton. Elle est heureusement rapidement disculpée par Angélique, une jeune inconnue qui s'avèrera assez étrange et sans gêne... Dans le rôle de cette dernière, Emilie Dequenne, à peine sortie de Pas son genre, semble s'amuser beaucoup. Dans le rôle d'Amra, Hafsia Herzi joue le sentiment de culpabilité d'une façon monochrome. Plus intéressant est le personnage de son compagnon (Mounir Margoum). Malheureusement, il y a tant de maladresse à tous les étages que l'accident (cinématographique) semble inévitable.

QUEEN OF EARTH (Alex Ross Perry, 9 sep) L
Une jeune femme se fait plaquer, et se réfugie pendant une semaine auprès de sa meilleure amie, dans une maison de vacances au bord d'un lac. Un an auparavant, les rôles étaient un peu inversés... Deuil amoureux et fragilité d'une amitié sont les deux ingrédients de fond de ce film, qui se voudrait déstabilisant, et qui n'est qu'instable. Dans le rôle principal, l'excellente Elisabeth Moss surjoue parfois inexpliquablement (dès la première scène), comme dans un chantage à la performance. Malgré quelques coquetteries de mise en scène ici ou là, sur un sujet équivalent mieux vaut revoir un solide et rigoureux Bergman que de s'infliger un tel film.

Version imprimable | Films de 2015 | Le Lundi 30/11/2015 | 0 commentaires




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