- Bien : Demain (Cyril Dion et Mélanie Laurent), Capitaine Thomas Sankara (Christophe Cupelin), Le Grand jeu (Nicolas Pariser), Béliers (Grimur Hakonarson), Ex Machina (Alex Garland), 21 nuits avec Pattie (Arnaud et Jean-Marie Larrieu), Le Pont des espions (Steven Spielberg), La Vie très privée de monsieur Sim (Michel Leclerc)
- Pas mal : L'Etreinte du serpent (Ciro Guerra), Phantom boy (Alain Gagnol, Jean-Loup Felicioli), Chant d'hiver (Otar Iosseliani), Casa grande (Fellipe Barbosa), Le Réveil de la force (J.J. Abrams), Back home (Joachim Trier), Inherent vice (Paul Thomas Anderson), La Peau de Bax (Alex Van Warmerdam)
- Bof : L'Hermine (Christian Vincent)
DEMAIN (Cyril Dion, Mélanie Laurent, 2 déc) LLL
Encore un documentaire écolo, sorti opportunément à quelques jours de la Cop 21 ? Oui, mais celui-ci est beaucoup plus intéressant que les exercices convenus (et dépolitisés) à la YAB. Ici, le constat est assez vite expédié, et l'essentiel est consacré à de nombreuses pistes. Bien sûr chacune d'entre elles mériterait d'être davantage problématisée ou contextualisée (de quoi faire l'objet d'un film pour chacune), mais c'est la démarche globale du film qui convainc. Il est décliné en 5 chapitres : agriculture, énergie, économie, démocratie, et éducation, et il montre bien que tout est lié, et que l'écologie conséquente est donc politique. Et en effet les pistes exposées dans ce documentaire qui brasse large (permaculture, scénario Négawatt, villes en transition, monnaies locales, pratiques de démocratie active, pédagogies qui favorisent l'anti-conformisme et l'inclusion sociale etc) sont opposées au capitalisme (même "vert"), au desiderata des multinationales comme à l'avachissement des démocraties.
CAPITAINE THOMAS SANKARA (Christophe Cupelin, 25 nov) LLL
Un documentaire de très bonne facture sur Thomas Sankara, président du Burkina Faso de 1983 à son assassinat en 1987, dans des circonstances non totalement élucidées (le film l'aborde à la toute fin mais ne s'y attarde pas) qui ont amené son ancien bras droit Blaise Compaoré pour un long règne jusqu'en 2014. Auparavant, le film tisse un portrait passionnant d'un dirigeant anticonformiste, révolutionnaire et visionnaire d'une gauche sociale, anticolonialiste (c'est peu de dire qu'il n'était pas soutenu par la France de Mitterrand ni par les dirigeants françafricains), féministe et écologiste (toutes choses dont on aurait besoin ici en France, à ceci près que les questions ne se posent pas de la même façon dans un pays riche et impérialiste comme la France et dans un pays pauvre et dominé comme le Burkina Faso ["pays des hommes intègres"], nouveau nom attribué à son pays par Sankara, abandonnant le nom colonial de Haute-Volta).
LE GRAND JEU (Nicolas Pariser, 16 déc) LLL
Un écrivain en panne d'inspiration (Melvil Poupaud) rencontre à une fête un mystérieux personnage (André Dussolier), un homme de l'ombre de la République, qui lui propose contre une somme rondelette d'écrire un essai-ode à l'insurrection. De renouer avec ses idéaux de jeunesse, que matérialisent son ex-femme (Sophie Cattani) ou une jeune amie de celle-ci (Clémence Poésy), retirée dans un groupe expérimentant un mode de vie alternatif à la campagne (rappelant le groupe de Tarnac). Même si dans le détail tout n'est pas toujours convaincant, Nicolas Pariser vise haut pour son premier long métrage, trouvant une veine peu usitée dans le cinéma français, quelque part entre Triple Agent d'Eric Rohmer et L'Exercice de l'Etat de Pierre Schoeller. Les interprètes du quatuor principal sont épatants, et certains de leurs dialogues, formidablement écrits, dépassent de loin l'enjeu du film.
BELIERS (Grimur Hakonarson, 9 déc) LLL
Dans une vallée isolée d'Islande, deux frères brouillés depuis 40 ans (ils ne s'adressent plus la parole) vivent à moins de 100 m l'un de l'autre et élèvent des moutons. Lors d'un concours agricole, ils trustent les deux premières places. C'est là que la tremblante du mouton pointe le bout de son nez... Cela aurait pu être un petit film, mais c'est mieux que cela, dans le sens où il donne plus que ce qu'on attend de lui, surtout dans la deuxième moitié. La mise en scène n'est pas si convenue, sait ménager quelques pointes d'humour, notamment visuel (comme politesse du drame), et utiliser au mieux les paysages hivernaux islandais. Quant à l'interprétation, elle est remplie d'humanité et d'amour des bêtes. Un prix "Un certain regard" à Cannes, qu'on pourrait recommander aux stratèges de certaines ONG animalistes qui refusent tout dialogue avec des syndicats paysans de gauche (comme la Confédération paysanne en France).
EX MACHINA (Alex Garland, 3 juin) LLL
Caleb, un jeune informaticien, est choisi pour rejoindre son patron, Nathan, le PDG d'un puissant moteur de recherche, dans un centre de recherche isolé du reste du monde. Nathan a fabriqué une intelligence artificielle logée dans un superbe corps féminin. Caleb doit tester ce robot sexué pour savoir si elle a une véritable conscience ou si elle simule seulement l'intelligence. Voici donc un film de science-fiction singulier, qui n'abuse pas des effets spéciaux (il y en a, mais ils servent tous l'histoire). L'atmosphère est très travaillée, le design des décors aussi (c'est un huis clos), et même si on est parfois un peu en avance sur le héros le scénario est malin et pose des questions loin d'être convenues et même passionnantes sur ce qu'est l'intelligence humaine et artificielle. Le dernier quart d'heure tranche un peu avec le reste, stylistiquement, mais c'est une fin assez logique et qui aboutit à un dernier plan assez beau.
21 NUITS AVEC PATTIE (Arnaud et Jean-Marie Larrieu, 25 nov) LLL
Une jeune femme arrive dans un village du Sud-Ouest pour régler les affaires courantes, après le décès de sa mère, une femme volage qu'elle a peu connue. Des événements étranges surviennent, tandis que l'atmosphère est assez grivoise... Dans les années 30, Lubitsch réussissait des films sexuellement évocateurs grâce à des dialogues remplis de double sens (mention spéciale à Une heure près de toi). Ici, le personnage interprété par Karin Viard évoque ses coucheries de manière très explicite, dès le début du film, ce qui donne le ton. Mais les frères Larrieu réussissent par d'autres moyens à trouver un style qui place ce film largement au-dessus de la plupart de leurs précédents. De manière indéfinissable, les idées loufoques du film (le cadavre qui disparaît, le sosie de Le Clézio...) passent comme une lettre à la poste.
LE PONT DES ESPIONS (Steven Spielberg, 2 déc) LLL
En 1957, en pleine Guerre froide, Donovan, un avocat, qui exerce surtout en droit des assurances, est appelé pour assurer la défense d'un espion soviétique arrêté sur le territoire américain. Il prend sa mission très à coeur pour essayer d'offrir un procès équitable à son client, ce qui lui vaut des coups de pression de la CIA et l'incrédulité de l'opinion publique. Dans le même temps, de jeunes pilotes de l'armée américaine sont formés à des avions high tech qui permettent l'espionnage aérien de leur ennemi... Certes, la Guerre froide a été maintes fois traitée au cinéma, mais grâce à la savoureuse maîtrise de la mise en scène (plus élégante, plus épurée que pour Lincoln), on est pris par ce thriller juridique (qui bascule dans autre chose). Le scénario, auquel ont collaboré les frères Coen, est moins manichéen qu'à l'accoutumée sur le sujet, en montrant que, même en période de paranoïa, le véritable patriotisme consisterait, comme le suggère Donovan, à défendre d'abord les droits humains constitutionnels plutôt que des décisions hâtives et/ou cyniques de la raison d'Etat.
LA VIE TRES PRIVEE DE MONSIEUR SIM (Michel Leclerc, 16 déc) LLL
Après plusieurs scénarios (très) originaux co-signés avec Baya Kasmi, Michel Leclerc (Le Nom des Gens, Télé Gaucho) s'essaye à une adaptation d'un roman de Jonathan Coe. Le personnage principal est dépressif et a perdu sa femme et son emploi. Commercial, il tente de se relancer en acceptant une mission de VRP pour vendre une nouvelle brosse à dents révolutionnaire. Le plus grand plaisir du film, c'est de retrouver Jean-Pierre Bacri, qu'on redécouvre. Le film se disperse un peu, propose des pistes pas toujours abouties, mais tient grâce à lui, pudique mais bateleur (notamment dans ses conversations professionnelles), ou touchant lorsqu'il parle à son GPS (qui a la voix mutine de Jeanne Cherhal). Au final un joli film sur les sorties de route intimes et une satire discrète de la société de consommation.
L'ETREINTE DU SERPENT (Ciro Guerra, 23 déc) LL
Karamakate, chaman amazonien, va servir de guide, à deux moments de sa vie, à deux explorateurs : un ethnologue allemand au début du 20è siècle, et un botaniste américain quarante ans plus tard. Les deux périples sont montrés en alternance. Ils visitent parfois les mêmes lieux, les mêmes méandres de l'Amazone, à la recherche de la même quête, une plante aux vertus curatives nommée yakruna. Rien n'est asséné dans ce film, qui s'étire parfois à l'excès mais invite à la méditation. La plus belle idée du film, c'est le noir et blanc, donnant une allure inédite à ces images, se délivrant ainsi de l'ombre des films de Werner Herzog (Aguirre, la colère de Dieu, Fitzcarraldo), malgré le sujet. Et oppose discrètement dans le rapport à la nature la spiritualité en voie de disparition de Karamate et les visions dominatrices des occidentaux et des missionnaires.
PHANTOM BOY (Alain Gagnol, Jean-Loup Felicioli, 14 oct) LL
Un garçon de 11 ans est gravement malade, mais il a un pouvoir secret : lorsqu'il dort, un double de lui-même, que nul ne peut voir ni entendre, s'échappe de lui-même et peut voler où bon lui semble au-dessus de la ville (New-York). Cette faculté sera mise à contribution lorsqu'à l'hôpital il rencontre un jeune policier blessé qui cherche à coincer un dangereux mégalomane à la gueule cassée qui cherche à s'emparer de la ville via un virus informatique. Le scénario est fait pour le jeune public sans forcément chercher à être crédible pour les grands, mais on peut néanmoins suivre ces péripéties sans déplaisir grâce à un graphisme assez réussi, et à quelques clins d'oeil cinéphiles : dans les derniers plans Manhattan est filmé comme chez Woody Allen.
CHANT D'HIVER (Otar Iosseliani, 25 nov) LL
Cela commence sous la Terreur, où ça guillotine sec. Cela se poursuit par des scènes sous la guerre en Géorgie, où l'on retrouve certains des interprètes de la séquence précédente, un peu comme dans Brigands, chapitre VII. Fausse piste : la plus grande partie du film se déroule à l'époque contemporaine, dans un Paris imaginaire. On y rencontre les personnages qu'on rencontre toujours chez ce cinéaste, des aristocrates déchus, des ivrognes, des concierges (excellent Rufus), des clodos, des voleuses à la sauvette, des jeunes maladroits, des vieux pas nés de la dernière pluie. Il y a aussi des portes secrètes au bord du trottoir. C'est très décousu, ce qui constitue une limite, mais aussi une garantie de non prévisibilité. Plaisant pour les amoureux de la poésie d'Otar, pour les autres il vaut mieux commencer par un autre film.
CASA GRANDE (Fellipe Barbosa, 3 juin) LL
Jean a 17 ans. Il habite avec ses parents et sa petite soeur dans une grande villa avec piscine, jacuzzi et personnel de maison (l'une des employées fait également office de confidente) dans un quartier riche de Rio. Il termine son lycée dans un établissement non mixte assez aisé qui prépare aux meilleures universités. Cela pourrait être un teen movie convenu en milieu huppé, mais Jean se rend compte que son père a visiblement fait des placements financiers douteux, et fait la connaissance d'une fille métisse de son âge venant d'un quartier beaucoup plus modeste. Le récit initiatique se double ainsi, plus ou moins adroitement et par intermittence, d'une prise de conscience des inégalités et du racisme dus à la grande bourgeoisie dont il est issu. Prometteur, même si sur un sujet voisin Une seconde mère a plus d'éclat.
LE REVEIL DE LA FORCE (J.J. Abrams, 16 déc) LL
A la fin des années 1990 j'ai vu L'Empire contre-attaque sur petit écran, et l'épouvantable La Menace fantôme sur grand écran, premier film de la "prélogie" (trilogie se passant avant la trilogie initiale) et une de mes pires expériences de cinéphile. J'ai révisé toute l'histoire de la saga avant de voir Le Réveil de la force, de J.J. Abrams (auteur du stylé Super 8). Cet épisode se regarde sans véritable déplaisir, les retrouvailles avec les vieillissants Han Solo et princesse Leia se passent bien. Il y a parfois de grosses facilités de scénario (qui ne se prend pas la tête), et le résultat manque parfois d'ampleur : l'empilement de combats, même spectaculaire, ne donne pas forcément à l'ensemble une dimension épique. En revanche, les nouveaux personnages sont réussis, à commencer par Rey (pour la première fois de la saga, le personnage principal est une femme), flanquée de Finn (déserteur du Premier Ordre [ex-Empire]), et de l'amusant mais indispensable droïde BB-8.
BACK HOME (Joachim Trier, 9 déc) LL
Une photographe de guerre réputée (Isabelle Huppert) perd la vie dans un accident de voiture. On suit la trace qu'elle a laissée chez son mari, ancien acteur devenu prof de lycée, et ses deux fils. L'aîné entre dans la vie d'adulte (il est prof de fac et découvre la paternité), le cadet entre au lycée. Trois beaux personnages masculins, incarnés par Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg et Devin Druid. Les deux premiers envisagent d'expliquer au troisième que sa mère s'est en fait suicidée... Est-ce le milieu aisé ? les lieux impersonnels (une ville occidentale mondialisée) ? un montage très fragmenté ? l'omniprésence de la psychologie plutôt que la vie concrète ? Toujours est-il que l'émotion n'arrive pas vraiment à s'installer, alors que le sujet est a priori universel. Les moments qui tournent autour de l'adolescent sont néanmoins très bien.
INHERENT VICE (Paul Thomas Anderson, 4 mar) LL
Los Angelos au début des années 1970. L'ex-petite amie d'un détective privé vient le voir pour lui demander d'empêcher un complot contre un richissime magnat de l'immobilier, son nouvel amant, dont la protection est assurée par des gros bras d'extrême droite. Mais ce n'est que le début d'un récit qui se perd en ramifications étonnantes. C'est un peu comme un pastiche du Grand sommeil de Hawks, revisité par The Big Lebowski des frères Coen. Le film est trop long, mais la vanité habituelle du cinéaste (qui plombe des films comme Punch-Drunk Love ou The Master) est atténuée par une goûteuse désinvolture apparente.
LA PEAU DE BAX (Alex Van Warmerdam, 18 nov) LL
Réveillé par ses deux fillettes qui lui souhaitent son anniversaire, Schneider doit néanmoins partir au boulot : une urgence. Tueur à gages (mais sa petite famille l'ignore), il doit éliminer Bax, qu'on lui présente comme un tueur d'enfants et qui vit isolé dans une petite maison près d'un marais. Mais son commanditaire, manipulateur, ne lui a pas tout dit. C'est un jeu de massacre, au sens propre comme au sens figuré, auquel on assiste, avec moults coups de théâtre. Alex Van Warmerdam est un solide cinéaste, en témoigne Les Habitants ou, récemment, Borgman. Mais ici, si l'exercice de style est soigné, il est aussi un peu vain, faute d'assurer un véritable intérêt au premier degré de la lecture.
L'HERMINE (Christian Vincent, 18 nov) L
A l'occasion d'un procès pour infanticide, le président de la Cour d'assises de Saint-Omer (Fabrice Luchini, prix d'interprétation à la Mostra de Venise), homme réputé sévère (favorisant les peines de prison à deux chiffres), retrouve parmi les jurés une femme (Sidse Babett Knudsen) qu'il a aimée quelques années auparavant, en secret... Le film a eu le prix du scénario à Venise. Le problème c'est qu'il développe deux histoires : celle du procès, et celle d'une possible histoire d'amour, mais qu'il ne s'intéresse vraiment ni à l'une, ni à l'autre, chacune servant de vague faire-valoir à l'autre. Même si l'on apprend quelques détails sur la justice française et que les interprètes ne sont pas mauvais, notamment les jurés (dont Corinne Masiero), le film ne décolle jamais vraiment.
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