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Des films pour la rentrée

  • Bien : Les Enfants des autres (Rebecca Zlotowski), Leïla et ses frères (Saeed Roustaee), Les Cinq diables (Léa Mysius), Revoir Paris (Alice Winocour), Rodéo (Lola Quivoron)
  • Pas mal : Tout le monde aime Jeanne (Céline Deveaux), L'Ombre de Goya par Jean-Claude Carrière (José Luis Lopez-Linares), Juste sous vos yeux (Hong Sang-soo), Coup de théâtre (Tom George), Elvis (Baz Luhrmann), Là où chantent les écrevisses (Olivia Newman)
  • Bof : Trois mille ans à t'attendre (George Miller), Avec amour et acharnement (Claire Denis), La Dérive des continents (au sud) (Lionel Baier), Feu follet (Joao Pedro Rodrigues)

LES ENFANTS DES AUTRES (Rebecca Zlotowski, 21 sep) LLL
Au début, on s'inquiète un peu. Certes, Rebecca Zlotowski a toujours soigné ses mises en scène (Grand central, ou le pas assez reconnu Planetarium), mais avec une attitude assez franc-tireuse. Là, on sent qu'elle veut adopter une position plus centrale, avec une grammaire cinématographique très classique, de même que ses références musicales (Julien Clerc, Yves Simon). Mais cette nouvelle centralité n'est nullement une démagogie, elle s'en sert pour raconter une histoire simple d'une femme quadragénaire qui s'inquiète de ne pas avoir fait d'enfants, et qui va s'attacher à Leïla, la fillette de son compagnon (un homme divorcé). Le savoir-faire de la cinéaste, d'inspiration assez truffaldienne ici, est mis au service d'un point de vue assez inédit sur cette situation, et au-delà (l'excellent titre ne renvoie pas uniquement à Leïla). Pour jouer une partition si subtile, il fallait un stradivarius, et c'est Virginie Efira, qui donne devant la caméra de Zlotowski une sensualité et une palette d'émotions complexes assez extraordinaire. Après Revoir Paris et Les Enfants des autres, on ne voit pas comment le César de la meilleure actrice pourrait lui échapper.

LEÏLA ET SES FRERES (Saeed Roustaee, 24 aou) LLL
Leïla est la seule femme de la fratrie. C'est aussi la seule à avoir un emploi stable. Elle propose à ses frères un plan pour les sortir de la misère : acheter un futur local commercial à l'emplacement des toilettes actuelles d'une galerie marchande. Mais la mise de départ est élevée, et ils ont besoin de l'aide de leurs parents. Or le père a très envie de recevoir des honneurs en devenant le "parrain" de la famille élargie, ce qui nécessite de financer un cadeau de mariage pour le mariage du fils d'un cousin... Les dernières réalisations d'Asghar Farhadi ont pu décevoir par leurs coups de théâtre un peu forcés qui les animent. Saeed Roustaee, après le succès de La Loi de Téhéran, confirme son talent, avec une fresque plus subtile qui prend le temps de construire des personnages complexes. Les intrigues familiales peuvent se voir comme une métonymie de la société, écartelée entre traditions réactionnaires (auxquelles sont attachés les aînés) et mirages capitalistes (comment s'enrichir quand on n'a pas de capital initial ?). Courageux, à l'heure où le régime n'hésite pas à emprisonner des cinéastes accomplis (Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof).

LES CINQ DIABLES (Léa Mysius, 31 aou) LLL
Le titre renvoie peut-être aux cinq personnages principaux du film, mais fait sans doute également écho aux cinq sens. C'est l'odorat qui est au coeur de cette histoire : une petite fille qui a l'odorat particulièrement développé conserve dans des bocaux des odeurs diverses dont celle de sa mère. En s'imprégnant de l'odeur de cette dernière, elle pénètre ses souvenirs, et va découvrir l'histoire maternelle précédant sa naissance. On n'en dira pas davantage, le scénario frisant avec les paradoxes temporels se prêtant aux découvertes. Il y a de nombreuses pistes, pas toutes abouties, mais cela témoigne d'une certaine ambition, qui se retrouve également dans la mise en scène, particulièrement talentueuse pour filmer... les quatre éléments. Côté interprétation, on retrouve Adèle Exarchopoulos dans un de ses meilleurs rôles, ainsi que Moustapha Mbengue (découvert dans Amin de Philippe Faucon).

REVOIR PARIS (Alice Winocour, 7 sep) LLL
Pas pressée de rentrer chez elle, Mia s'arrête un instant dans une grande brasserie parisienne, en attendant la fin d'un orage. Ce lieu sera le théâtre d'un attentat. Le film est fictionnel, mais inspiré de l'expérience du frère de la réalisatrice, présent au Bataclan le soir du 13 novembre 2015. Ce qu'il réussit de mieux, c'est de montrer les mémoires traumatiques des victimes : en se regroupant, en croisant leurs souvenirs respectifs, certains détails remontent à la surface. L'autre aspect réussi, c'est le gouffre qui peut se creuser entre les victimes et leurs proches qui n'ont pas vécu cette expérience. Au fur et à mesure, le film devient de plus en plus choral, tout en restant centré principalement sur Mia, incarnée par une Virginie Efira au sommet de son art, qui endosse son personnage pleinement, sans jamais en faire trop. Alice Winocour change de registre à chaque film, mais s'en tire avec les honneurs.

RODEO (Lola Quivoron, 7 sep) LLL
Julia est une jeune fille fada de moto. Elle rencontre un vendeur d'occasion, et, sous prétexte d'essayer l'engin, se fait la belle avec. Elle rejoint un groupe de motards, et fait avec eux du cross bitume (rodéo en deux roues), sur un morceau de route désaffectée. Julia tente de s'intégrer dans ce milieu très masculin, et prend part également aux trafics qui lient cette bande, orchestrés par un caïd depuis sa cellule de prison... Dès le départ, le film s'ancre dans une sorte de no man's land ni rural ni urbain, et peu représenté sur grand écran. Et même si la performance de Julie Ledru est assez impressionnante dans la peau de l'héroïne, c'est en fait tous les aspects de ce premier long métrage qui transpirent de cinéma par toutes les pores. Et ça fait du bien, en dépit d'une fin qui appartient à un autre registre et arrive sans crier gare.

TOUT LE MONDE AIME JEANNE (Céline Devaux, 7 sep) LL
Jeanne est une inventrice, mais sa dernière création tombe à l'eau, littéralement. Comme elle était caution personnelle, elle se retrouve au bord de la faillite, et doit se résoudre à vendre l'appartement situé à Lisbonne appartenant à sa mère, disparue un an plus tôt. Au cours du voyage et du séjour, elle retrouve un ancien camarade de classe pas très net... Même si le fond n'est pas drôle, on pourra qualifier ce premier long-métrage de comédie psychologique, écrin sur mesure pour les jeux de Blanche Gardin et Laurent Lafitte. Le supplément d'âme est apporté par les séquences dessinées par Céline Devaux elle-même (illustratrice en plus d'être scénariste et réalisatrice), qui rendent compte avec une certaine acidité des dialogues intérieurs de son héroïne. Le procédé pêche un peu par son systématisme, mais le film demeure attachant.

L'OMBRE DE GOYA PAR JEAN-CLAUDE CARRIERE (José Luis Lopez-Linares, 21 sep) LL
On accompagne Jean-Claude Carrière, modèle d'érudition et formidable conteur, dans son dernier voyage en Espagne, sur les traces de Goya, peintre du XVIIIè siècle. L'oeuvre du peintre est vaste et variée, et l'excellent guide qu'est Carrière peut s'interroger sur certains détails d'un tableau ou d'un dessin, mais aussi sur l'influence du maître dans tous les domaines artistiques. Il revient ainsi sur sa longue collaboration avec Luis Bunuel, originaire de la même région. Le réalisateur du documentaire José Luis Lopez-Linares a néanmoins du mal dans le montage de son film, trop hésitant, comme s'il ne savait pas quelles pistes privilégier.

JUSTE SOUS VOS YEUX (Hong Sang-soo, 21 sep) LL
Après de longues années d'absence, une actrice rentre en Corée du Sud, et accepte un rendez-vous avec un réalisateur. Quelle attitude va-t-elle adopter ? Elle ne vit plus qu'au présent... On retrouve tout ce qui fait le style du cinéaste prolifique : tournage à une seule caméra (privilégiant les zooms avant et arrière aux découpages et gros plans classiques), discussions alcoolisées entre intellectuel(le)s... Certains de ses films sont squelettiques, d'autres sont beaucoup plus profonds. Celui-ci a un sujet sérieux (un secret qu'on devine sans peine), qui méritait peut-être mieux que le traitement minimaliste de Hong Sang-soo, même si les comédiens s'en sortent bien (la fabuleuse Lee Hye-young et l'habitué Kwon Hae-hyo).

COUP DE THEATRE (Tom George, 14 sep) LL
C'est un whodunit : une intrigue dont le seul intérêt est de découvrir l'identité du coupable d'un crime. On est donc proche du théâtre filmé, surtout que le premier long métrage de Tom George joue d'emblée la mise en abyme, en situant l'action dans le Londres des années 1950 dans un théâtre où se joue une pièce... d'Agatha Christie. La bonne idée du film, c'est la jeune adjointe de l'enquêteur (Saoirse Ronan) : elle est cinéphile, aime les mises en scènes, mais tire des conclusions trop hâtives... Hormis cette petite fibre comique, le reste est plutôt plaisant, mais très attendu.

ELVIS (Baz Luhrmann, 22 juin) LL
Un biopic sur la vie et l'oeuvre d'Elvis Presley, vues par son producteur, un "salaud" qui n'est pas accablé par le film, puisqu'interprété par le "gentil" Tom Hanks. Le fond est intéressant, en situant l'origine de la vocation du chanteur dans un quartier noir à l'heure de la ségrégation. Mais, sur la forme, Baz Luhrmann est davantage dans l'abondance bling-bling que dans la sobriété (au sens non dévoyé du terme), et le surlignage permanent dessert le film, à l'exception d'une utilisation parfois judicieuse du split screen dans certaines scènes de concert. Austin Butler livre une interprétation parfois candide de la star, loin de son image rebelle, mais raccord avec cette histoire d'emprise.

LA OU CHANTENT LES ECREVISSES (Olivia Newman, 17 aou) LL
Kya est la fille d'un homme violent, que sa mère et ses frères et soeurs ont fini par fuir. Un jour, il déserte lui aussi la maison. Kya grandit ainsi en enfant sauvage dans les marais de Caroline du Nord, dans les années 50 et 60, avant qu'elle devienne la coupable toute désignée d'un meurtre... L'histoire, tirée d'un roman à succès de Delia Owens, est passionnante. Elle maintient à elle-seule un intérêt à ce film qui, par ailleurs, est tellement lisse et platement illustratif que cela finit par en devenir gênant...

TROIS MILLE ANS A T'ATTENDRE (George Miller, 24 aou) L
En voyage à Istanbul, une experte en "narratologie" acquiert une antiquité, de laquelle s'échappe bientôt un djinn. Celui-ci lui narre ses aventures (sentimentales), notamment avec de mortelles humaines... Cela pourrait être un formidable divertissement sur le pouvoir des mythes. George Miller a eu beaucoup de moyens, et les effets spéciaux sont techniquement réussis. Le résultat, adapté d'une nouvelle de A.S. Byatt, donne néanmoins l'impression d'un gâchis, d'un survol (trois mille ans réduits à moins de deux heures). Et le personnage intéressant interprété par l'impeccable Tilda Swinton n'est pas creusé. Comme si le cinéma de Miller n'arrivait pas à la cheville de la littérature pour restituer la magie et les réflexions promises...

AVEC AMOUR ET ACHARNEMENT (Claire Denis, 31 aou) L
Sara (Juliette Binoche) et Jean (Vincent Lindon)  forment un couple épanoui, jusqu'à ce que François (Grégoire Colin), ancien associé de Jean et ancien compagnon de Sara, ne réapparaisse dans leur vie... Deuxième adaptation de Christine Angot par Claire Denis, après le surprenant et très réussi Un beau soleil intérieur (2017). Le film a reçu l'Ours d'argent de la meilleure réalisation au festival de Berlin. Pourtant, et de façon inhabituelle chez la cinéaste, l'essentiel passe par les dialogues (y compris le passé des protagonistes). Les images semblent impuissantes à traduire les émotions a priori complexes des personnages : on regrette l'époque de la fructueuse collaboration de Claire Denis avec la chef opératrice Agnès Godard. En revanche, la partition musicale des Tinderticks reste remarquable.

LA DERIVE DES CONTINENTS (AU SUD)
(Lionel Baier, 24 aou) L
Une fonctionnaire de l'Union européenne (Isabelle Carré) participe à la préparation d'une visite surprise de Macron et Merkel dans un camp de réfugiés en Sicile. De façon fortuite, elle rencontre son fils (Théodore Pellerin), qu'elle a abandonné, ainsi que son mari, lorsqu'elle a découvert qu'elle était lesbienne. Après l'excellent Les Grandes ondes (à l'ouest), qui plongeait Michel Vuillermoz et Valérie Donzelli au coeur de la révolution des oeillets au Portugal, Lionel Baier poursuit son tour européen. Mais ce nouveau film est une grosse déception. On sent qu'il veut traiter à la fois des rapports Nord/Sud (l'hypocrisie de l'Union européenne et du règlement de Dublin) et des rapports mère/fils, sans oublier le couple franco-allemand (une sorte de vaudeville entre anciennes amantes). Mais sa maladresse générale n'a d'égale que sa superficialité.

FEU FOLLET (Joao Pedro Rodrigues, 14 sep) L
Le générique annonce une "fantaisie musicale". Les ingrédients embrassent plusieurs thèmes : le réchauffement climatique, le genre, le post-colonialisme. Le résultat, qui se voudrait peut-être radicale chic, est à la fois court (1h07) et interminable : après un début prometteur (un Portugal contemporain mais imaginaire, encore monarchique mais frappé par de grands incendies), le film se délite et déploie une imagerie qui se veut choc, mais sans aucune profondeur. C'est moins catastrophique que le "Don Juan" de Serge Bozon, mais ça n'embrasera pas les cinéphiles.

Version imprimable | Films de 2022 | Le Samedi 01/10/2022 | 0 commentaires




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