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D'autres films de l'automne 2022

  • Bien : Armageddon time (James Gray), Les Repentis (Iciar Bollain), Saint Omer (Alice Diop), Le Petit Nicolas (Amandine Fredon, Benjamin Massoubre), La Conspiration du Caire (Tarik Saleh), Plus que jamais (Emily Atef)
  • Pas mal : R.M.N. (Cristian Mungiu), X (Ti West)
  • Bof : Close (Lukas Dhont), Pacifiction (Albert Serra), Sans filtre (Ruben Östlund)

ARMAGEDDON TIME (James Gray, 9 nov) LLL
Après deux excursions dans d'autres territoires (The Lost city of Z, Ad Astra), James Gray revient à New York, et situe son film à l'aube des années 1980. Dans le collège public dans lequel il effectue sa rentrée, Paul Graff, 11 ans, rêveur et facilement dissipé, se lie d'amitié avec Johnny, le seul garçon noir de sa classe, assez turbulent lui aussi. Paul observe le racisme le plus banal, qu'a bien connu son grand père maternel, juif (formidable Anthony Hopkins), le membre de la famille dont il se sent le plus proche. Le racisme social aussi, lorsqu'il est obligé de rejoindre une institution privée, alors qu'à la télévision Ronald Reagan mène une campagne électorale bientôt victorieuse... James Gray livre un film d'une apparente simplicité, mais riche en éléments qu'il distille par petites touches, dans une atmosphère faussement feutrée, sans ostentation (en cela il diffère de l'entreprise démonstrative du dernier Mungiu), sans forcer le/la spectateur/trice à les voir. La mise en scène a également la forme de l'évidence, et n'a recourt à aucune grandiloquence. Lorsque le générique de fin apparaît, on regrette que ce film, l'un des plus beaux du cinéaste, ne se prolonge pas davantage...

LES REPENTIS (Iciar Bollain, 9 nov) LLL
En 2000, Juan Maria Jauregui, ex-gouverneur PSOE, est abattu par l'ETA. Des années plus tard, deux membres du commando, qui ont rompu au cours de leur emprisonnement avec l'organisation basque indépendantiste, vont avoir l'occasion de rencontrer la veuve de leur victime (par la suite, l'ETA finira par renoncer aux assassinats politiques). Iciar Bollain, dont j'avais beaucoup apprécié Même la pluie, met tout son talent de cinéaste au service de cette reconstitution d'une histoire récente. Sa mise en scène fait profil bas, presque invisible, mais cette sobriété est paradoxalement un atout, car elle permet de mettre en avant les moindres nuances du scénario et des dialogues (certes inspirés d'une réalité), les moindres hésitations et contradictions auxquelles sont confrontés les différents protagonistes. L'interprétation, très homogène (Bianca Portillo, Luis Tosar, Maria Cerezuela, Urko Olazabal), contribue à apporter de la dignité à l'ensemble, un refus du manichéisme comme du relativisme.

SAINT OMER (Alice Diop, 23 nov) LLL
Rama est une jeune universitaire et écrivaine, qui se rend à Saint Omer assister au procès de Laurence Coly, accusée d'avoir abandonné sa fille de 15 mois sur la plage de Berck un soir de marée montante, dans le but de la laisser se noyer (elle sera retrouvée sans vie le lendemain matin). Le premier long-métrage de fiction d'Alice Diop, qui vient du documentaire, part d'une histoire réelle, et des véritables minutes du procès. Un journaliste lui a reproché de ne montrer l'enfant que quelques secondes. C'est justement un choix artistique fort de ne pas montrer l'infanticide, la démarche consistant justement à laisser travailler en nous ce qui n'est pas forcément sur l'écran. Plus des 4/5 du film se passent dans la salle du tribunal. Contrairement à beaucoup de films de procès, ce lieu n'est pas ici un théâtre où rebondit le récit. Alice Diop, par ses cadres très rigoureux, en filme son aspect cérémonieux (par exemple le tirage au sort des jurés), mais quelque chose d'insondable rentre à l'intérieur. Si ce n'est nullement anodin que Rama et Laurence sont des femmes noires, par rapport aux épreuves sociales qu'elles et leurs familles doivent traverser, ces corps sont néanmoins aptes à porter en eux la condition humaine et féminine dans ce qu'elle a d'universel, jusque dans les recoins les plus indicibles de la nature humaine.

LE PETIT NICOLAS : QU'EST-CE QU'ON ATTEND POUR ÊTRE HEUREUX ? (Amandine Fredon, Benjamin Massoubre, 12 oct) LLL
L'originalité de ce film d'animation, récompensé du Cristal du meilleur long métrage au festival d'Annecy, tient essentiellement en deux caractéristiques. Sur le fond tout d'abord, il reproduit certaines histoires du petit Nicolas, mais fait aussi le récit de sa création par Sempé et Goscinny : le film peut donc aussi être vu comme un double biopic sur ces deux créateurs. Sur la forme ensuite, ces deux types de séquences sont réalisées en respectant le style graphique de Sempé, son épure (avec par exemple des personnages qui perdent de la couleur lorsqu'ils s'aventurent au bord du dessin). Dans les deux cas, fond et forme, c'est épatant, tout comme la fluidité avec laquelle on passe d'un niveau de lecture à un autre. Un petit ravissement pour tous les âges.

LA CONSPIRATION DU CAIRE (Tarik Saleh, 26 oct) LLL
Adam, fils d'un modeste pêcheur, obtient une bourse pour étudier à l'université Al-Azhar du Caire, haut lieu de l'islam sunnite. Le grand imam meurt subitement quelques jours après la rentrée, et se profile bientôt l'élection interne de son successeur. Adam est une proie idéale pour servir d'agent secret infiltrant malgré lui la tendance d'un candidat menaçant celui que le pouvoir politique égyptien voudrait voir élu... Logiquement primé à Cannes (ce qui n'est pas le cas de tous les prix décernés cette année), le scénario à tiroirs, à double ou triple détente, à la fois récit d'apprentissage (dans tous les sens du terme) et intrigue policière, est effectivement le premier atout de ce film sur ce plan très audacieux, la mise en scène et l'interprétation visant davantage l'efficacité maximale au service de la narration plutôt qu'une forme originale.

PLUS QUE JAMAIS (Emily Atef, 16 nov) LLL
Une femme encore jeune est atteinte d'une grave maladie respiratoire. Sa seule chance pourrait être une greffe, mais l'opération est risquée, et, au grand dam de son conjoint, elle préfère faire, par l'entremise d'un blogueur malade lui aussi, un ultime voyage en Norvège, et respirer une dernière fois le grand air. Au début du film, tourné en intérieur, la mise en scène, privilégiant les plans serrés, est proche du pléonasme, et nous ferait presque étouffer comme son héroïne. Mais Emily Atef sait rendre la deuxième partie lumineuse, pas seulement par les magnifiques paysages. Elle n'édulcore rien, et ne verse jamais dans le chantage lacrymal. Vicky Krieps, à la fois forte et fragile, livre une interprétation à la fois subtile et intense, comme à son habitude lorsqu'elle est bien dirigée (Phantom Thread, Bergman island). Et, en contrepoint, Gaspard Ulliel est très juste, dans hélas un de ses derniers rôles.

R.M.N. (Cristian Mungiu, 19 oct) LL
Matthias quitte son emploi en Allemagne, et revient dans son village d'enfance, en Transylvanie. Il tente de renouer avec son jeune fils, resté longtemps à la charge de sa mère, mais aussi avec Csilla, son ancienne maîtresse, une des cadres de la boulangerie industrielle implantée localement, mais qui va recruter des employés étrangers... R.M.N. est un acronyme signifiant IRM en roumain. Aucun des personnages principaux ne subira un tel examen. C'est bien la petite communauté dans son ensemble qui est examinée sous les moindres coutures par Cristian Mungiu, qui en fait presque une synecdoque (l'appréhension d'un tout par une partie) de la situation de l'Europe actuelle, et notamment de la montée de la xénophobie, quand s'en prendre aux étrangers nous est montré comme davantage à portée de main que de changer de système économique. Le film est donc dense (en témoigne la séquence d'une réunion de village), voire peut-être trop chargé : tout est un peu trop explicité, au risque que l'ensemble vire à la démonstration univoque.

X (Ti West, 2 nov) LL
Nous sommes dans les années 1970 aux Etats-Unis, et six jeunes gens louent une remise pour tourner un film érotique. Les vieux propriétaires ne l'entendent pas forcément de cette oreille. Un jeu de massacre va pouvoir commencer, la première victime étant l'apprenti réalisateur, qui avait l'ambition de réaliser une oeuvre exigeante artistiquement... Mia Goth interprète deux rôles opposés : une jeune femme qui rêve d'être star, et une femme très âgée encore traversée par des pulsions de vie et de mort. Le tout n'est pas déplaisant, même si on n'a pas forcément beaucoup peur, et que la réflexion "méta" ne va pas très loin (du moins jusqu'à une possible suite ?).

CLOSE (Lukas Dhont, 2 nov) L
Lukas Dhont avait impressionné dès son premier long-métrage, Girl. Il propose ici l'histoire d'une amitié quasi fusionnelle entre deux garçons d'une douzaine d'années, qui va être percutée par leur entrée au collège. L'un se lie plus facilement à ses nouveaux camarades, alors que l'autre est plus exclusif... Le début du film est assez prometteur, bien que l'amplitude visée ne soit jamais atteinte. C'est encore plus vrai dans sa deuxième partie, plus mélodramatique, qui ne dépasse que rarement le niveau téléfilm. Léa Drucker et surtout Emilie Dequenne, qui interprètent les mères, sont plutôt convaincantes, sans réussir à sauver totalement l'ensemble.

PACIFICTION (Albert Serra, 9 nov) L
Albert Serra et son acteur Benoît Magimel réussissent à créer un personnage singulier, celui d'un haut-commissaire de la République en Polynésie française. Tour à tour cynique, paternaliste, clientéliste, il doit rassurer la population, alors que circule la rumeur d'une reprise des essais nucléaires. Le tout en dessous de ciels rougeoyants ou baigné dans une lumière d'aquarium. La satire s'étire... Mais pourquoi une telle durée de 2h40 ? Pourquoi un style schizophrénique qui lorgne dans le même mouvement vers la démesure d'un Coppola et le minimalisme (proche de l'imposture) d'un Bozon ? Réponse peut-être lors d'une éventuelle deuxième vision du film, si elle est plus transcendante que la première...

SANS FILTRE (Ruben Östlund, 28 sep) L
Un couple de mannequins se voit offrir par leurs sponsors (ils sont influenceurs) une croisière sur un paquebot de luxe... Ruben Östlund a un petit talent pour étirer une séquence jusqu'à la faire déraper. Mais qu'en fait-il ? On espère pendant un temps une satire de la richesse mal acquise (avec notamment un couple de marchands d'armes), mais cet espoir va être vite annihilé. Le problème ne réside pas tellement dans une forme pas toujours ragoûtante (l'insistance sur le vomi), mais sur le fait que cette fausse provocation (ce n'est ni Le Charme discret de la bourgeoisie de Bunuel, ni Et vogue le navire de Fellini) finit par être du pain béni pour l'ordre établi. Östlund reçoit une deuxième Palme d'or, peut-être encore plus usurpée que la première.

Version imprimable | Films de 2022 | Le Mercredi 30/11/2022 | 0 commentaires




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