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Des films pour commencer le printemps 2025

  • Bravo : The Brutalist (Brady Corbet)
  • Bien : Berlin, été 42 (Andreas Dresen), Lumière, l'aventure continue ! (Thierry Frémaux), Black dog (Hu Guan), Ce n'est qu'un au revoir (Guillaume Brac), L'Attachement (Carine Tardieu), Un parfait inconnu (James Mangold), Becoming Led Zeppelin (Bernard MacMahon), A bicyclette ! (Mathias Mlekuz), Young hearts (Anthony Schatteman), Mickey 17 (Bong Joon-ho), Mikado (Baya Kasmi)
  • Pas mal : Fanon (Jean-Claude Barny), Bonjour l'asile (Judith Davis), A real pain (Jesse Eisenberg), Au pays de nos frères (Aliresa Ghasemi, Raha Amirfazli), The Insider (Steven Soderbergh)
  • Bof : Yôkai, le monde des esprits (Eric Khoo), Vermiglio (Maura Delpero)

THE BRUTALIST (Brady Corbet, 12 fév) LLLL
Le brutalisme est un courant architectural, certains spécialistes indiquent que les constructions imaginées par le personnage principal ne s'y ancrent pas vraiment. L'essentiel n'est pas là, puisque le terme n'est jamais prononcé dans le film. Il se pourrait que le titre soit tout simplement un jeu de mot qui renvoie aux brutalités rencontrées. Je redoutais une grande fresque ostentatoire et froide, heureusement il n'en est rien. C'est un film ambitieux, c'est vrai, mais à la hauteur de ses ambitions. Sa profondeur provient à la fois de la forme (une mise en scène inspirée et digne des plus grands), du fond (une sorte de biopic d'un personnage fictif, un architecte juif hongrois rescapé des camps et qui s'installe aux Etats-Unis), mais aussi de l'interprétation : Adrien Brody impressionne dans un rôle qui prend en quelque sorte la suite de celui qu'il incarnait dans Le Pianiste, mais aussi Felicity Jones dans le rôle de son épouse et Guy Pearce dans celui de son mécène. Une histoire inventée qui résonne de manière féconde avec l'Histoire réelle.

BERLIN, ETE 42 (Andreas Dresen, 12 mar) LLL
Le film raconte l'histoire d'un groupe de résistants communistes allemands qui passera à la postérité sous le nom de l'Orchestre rouge. Mais c'est aussi l'histoire d'amour qui unit deux de ses membres, Hans et Hilde (formidable Liv Lisa Fries). On ne quittera pas d'une semelle cette dernière. Le montage n'arrête pas de faire des va-et-vient, de telle sorte que le récit est reconstitué de manière sensible et non pas chronologique. Le style n'est pas mélodramatique mais plutôt naturaliste, et les personnages de l'autre côté ne sont pas forcément montrés comme des monstres ou des méchants d'opérette, ce qui rend d'autant plus effrayantes les structures du totalitarisme. Andreas Dresen est un cinéaste parfois inégal, mais il est ici à son meilleur.

LUMIERE, L'AVENTURE CONTINUE ! (Thierry Frémaux, 19 mar) LLL
Huit ans après Lumière ! L'aventure commence, Thierry Frémaux nous offre une nouvelle anthologie de films de Louis Lumière ou de ses opérateurs, logiquement intitulée Lumière, l'aventure continue ! Si les oeuvres les plus connues faisaient partie du premier opus, on découvre ici 120 nouvelles "vues", accompagnées par la musique de Gabriel Fauré (contemporaine de l'époque des tournages) et les commentaires, judicieux mais parfois un peu trop présents, du président de l'Institut Lumière. Magnifiquement restaurées, ces scènes nous montrent à quel point, mis à part le montage (elles duraient une cinquantaine de secondes), toute la grammaire du cinéma était déjà là, de la composition des plans aux premiers mouvements de caméra (travellings...). L'expérience régénère notre regard.


BLACK DOG (Hu Guan, 5 mar) LLL
Réalisateur de divertissements spectaculaires qui ont connu de gros succès au box-office chinois (mais non distribués en France), Hu Guan nous livre un film d'une toute autre teneur : on y suit Lang, un ancien motard récemment sorti de prison en liberté conditionnelle, qui retrouve sa ville natale, Chixia, en bordure du très cinégénique désert de Gobi. On est à la veille des JO de 2008, et les autorités locales veulent se débarrasser des chiens errants, l'un d'entre eux étant suspecté d'être enragé. Avec des séquences magistralement filmées, le film semble convoquer autant le classicisme hollywoodien (Le Vent de Victor Sjöstrom, Paris, Texas de Wim Wenders), que l'enregistrement des mutations contemporaines chinoises par Jia Zhangke (qui interprète ici un chef de clan) ou encore White God du hongrois Kornel Munduczo pour intégrer des personnages canins comme personnages à part entière qui font avancer le récit.

CE N'EST QU'UN AU REVOIR (Guillaume Brac, 2 avr) LLL
Divisé en chapitres portant chacun le nom de la protagoniste principale, ce documentaire suit des élèves de l'internat d'un lycée de Die, à la fin de leur Terminale, qui se demandent si leurs amitiés lycéennes vont survivre à leur éparpillement dans l'enseignement supérieur (et à la suite de leurs vies), d'où le titre. Mais le film enregistre plus que cela : outre les amitiés, palpables dans leurs discussions à l'intérieur comme dans les baignades à l'extérieur, on entend aussi des réflexions philosophiques, les premiers engagements, des confidences plus intimes livrées en voix off. Guillaume Brac se tient à juste distance et construit de beaux portraits d'une jeunesse à laquelle on doit un avenir. La séance est complétée par le moyen métrage Un pincement au coeur, tourné auparavant et dans le même état d'esprit avec des lycéennes plus jeunes (en Seconde) à Hénin-Beaumont.

L'ATTACHEMENT (Carine Tardieu, 19 fév) LLL
Depuis son premier long métrage, Carine Tardieu s'est fait une spécialité des drames ponctués d'humour. C'est encore le cas ici avec l'histoire d'Eliott, cet enfant de 5 ans qui perd sa mère lorsque celle-ci met au monde sa petite soeur Lucille. De manière élégante, les sauts dans le temps sont indiqués par les âges successifs de la nouvelle venue. Sandra, la voisine célibataire à laquelle Eliott avait été confié lors de l'accouchement problématique, se fait malgré elle une place dans la vie de cette famille. Le style est classique, mais le film emporte le morceau par un soin des détails qui évitent les clichés, par des dialogues savoureux car ils disent beaucoup sans jamais être des discours, et par des interprètes au diapason (Pio Marmaï, Valeria Bruni Tedeschi, Vimala Pons).

UN PARFAIT INCONNU (James Mangold, 29 jan) LLL
Evocation des cinq premières années de carrière, entre 1961 et 1965, de Bob Dylan, sorti de nulle part (d'où le titre). Pour une fois, j'ai trouvé convaincante l'interprétation de Timothée Chalamet (Monica Barbaro est également excellente en Joan Baez). Les comédiens (dont Edward Norton en mentor folk) ont réenregistré avec leurs propre voix les morceaux, ce qui donne de la fluidité à l'ensemble. Du fait de ce répertoire, on évite les musiques conventionnelles qui banalisent les biopics ordinaires. Surtout, les sous-titres permettent de toucher du doigt la poésie des paroles de Dylan, mais aussi le contenu engagé de certaines chansons, par exemple lors de la crise des missiles de Cuba en octobre 1962.

BECOMING LED ZEPPELIN (Bernard MacMahon, 26 fév) LLL
Sorti sur les écrans français une semaine après Brian Jones et les Rolling Stones (de Nick Broomfield), ce nouveau documentaire britannique sur un groupe de légende me semble bien plus réussi. Il ne s'agit pas là d'une différence de goût musical entre ces deux groupes, mais de la manière dont le film est conçu. Contrairement à celui sur l'étoile cachée des Stones, qui faisait intervenir beaucoup de proches de l'époque, pour raconter surtout des histoires personnelles, ce film-ci n'interroge que les membres encore vivants du groupe (Jimmy Page, Robert Plante, John Paul Jones). Comme il s'agit d'un récit autorisé, il n'est question que de ce qui a trait à la musique, et les extraits enregistrés lors des tournées sont plus longs, de telle sorte qu'on appréhende mieux les spécificités de leur travail (disons à la base une structure de blues, déconstruite pour introduire des improvisations puissantes).

A BICYCLETTE ! (Mathias Mlekuz, 26 fév) LLL
Mathias Mlekuz, le réalisateur, doit surmonter la perte de son fils Youri, à l'âge de 28 ans. Il décide de refaire le voyage à vélo accompli par ce dernier en 2018, de l'Atlantique (La Rochelle) à la Mer noire (Istanbul). Il embarque dans son projet son ami comédien Philippe Rebbot, qui lui suggère d'en faire un film. Le résultat est un fragile équilibre entre documentaire et (auto)fiction. Il oscille entre humour pudique voire burlesque assumé (en partie en hommage à Youri, qui était clown) et des séquences traduisant des considérations plus profondes (amitié, relations aux proches par-delà leur départ...), sans jamais exercer de chantage à l'émotion. Une attachante échappée belle.

YOUNG HEARTS (Anthony Schatteman, 19 fév) LLL
C'est un récit d'apprentissage entre deux collégiens, d'un côté Elias (Lou Goossens), sociable (il "est avec" une fille de son âge), fils d'un chanteur de charme local, de l'autre côté Alexander (Marius De Saeger), venu emménager en cours d'année en face de chez lui et désormais dans la même classe. Sans vraiment s'en rendre compte, ils vont s'ouvrir l'un à l'autre... Si le thème n'est pas particulièrement nouveau, le film gagne ses galons par la douceur avec laquelle il accompagne ses personnages (les légers accompagnements musicaux sont d'ailleurs superfétatoires), dans un univers presque utopique où la société et les adultes permettent à la jeunesse de grandir et aimer librement.

MICKEY 17 (Bong Joon-ho, 5 mar) LLL
Dans un futur dystopique, Mickey Barnes, criblé de dettes, se fait embaucher comme "remplaçable" dans une mission spatiale colonisatrice : il s'agit littéralement de se tuer à la tâche dans des missions périlleuses. S'il est tué, son corps et son cerveau sont immédiatement réimprimés... Dans la première partie, Bong Joon-ho distille suffisamment d'informations pour expliquer et rendre plausible l'intrigue. Il en profite également pour injecter dans sa science-fiction une ironie satirique assez dévastatrice (le réalisateur aime le mélange des genres, ce qui faisait déjà tout le sel de The Host). Bong Joon-ho est donc parvenu à garder sa personnalité en rejoignant Hollywood, même si le film s'étire et se banalise un peu dans son dernier tiers.

MIKADO (Baya Kasmi, 9 avr) LLL
L'humour est certes encore présent : la réalisatrice et coscénariste Baya Kasmi avait jusqu'à présent (co)écrit des comédies pour Michel Leclerc (Le Nom des gens) ou pour elle-même (Je suis à vous tout de suite). Mais, malgré un casting rompu à la fantaisie (Félix Moati, Vimala Pons, Ramzy Bedia), le sujet du film, qu'on découvre petit à petit, est plus grave que son amorce (une famille un peu bohème qui sillonne les routes avec leur van en plein été). Avec une délicatesse croissante, elle aborde différents thèmes, des enfances compliquées aux effets à l'âge adulte, sans appuyer le déterminisme ni juger les personnages. Belles prestations des jeunes Patience Muchenbach et Saül Benchetrit.

FANON (Jean-Claude Barny, 2 avr) LL
Il s'agit d'un biopic commençant au moment où le psychiatre martiniquais Frantz Fanon arrive en Algérie, en 1953, et prend son poste à l'hôpital de Blida, accompagné de son épouse Josie. Le film est reçu avec beaucoup de condescendance par la critique, un peu comme le Lumumba de Raoul Peck (réalisateur depuis reconnu, en particulier pour ses documentaires). C'est vrai que parfois la musique gêne un peu, mais le didactisme permet de faire comprendre l'origine de la pensée critique de Frantz Fanon sur le colonialisme. En exergue du film, la citation suivante : "Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir". Bien qu'historique, il jette une lumière aiguisée (et souvent absente des médias dominants) sur les tragédies contemporaines.

BONJOUR L'ASILE (Judith Davis, 26 fév) LL
Après Tout ce qu'il me reste de la révolution, la comédienne Judith Davis nous livre un second film en tant que réalisatrice, dans lequel elle s'attribue le rôle de Jeanne, une travailleuse sociale qui rend visite à son amie Elisa (Claire Dumas, très bien également), qui s'est installée avec sa famille à la campagne, non loin d'un château devenu foyer, tiers-lieu convoité par un promoteur pour en faire une résidence touristique de luxe. Ce qu'il y a de bien, c'est que l'autrice ne s'excuse jamais d'un regard toujours aussi radical sur la société. La limite de ce joyeux foutraque, c'est que l'abondance des thématiques (sociales, psychiques, féministes, écologiques) peut donner une impression de trop plein à la limite du superficiel. Le résultat est néanmoins assez sympathique, et gonflé.

A REAL PAIN (Jesse Eisenberg, 26 fév) LL
Deux cousins juifs américains profitent d'un voyage touristique mais mémoriel pour découvrir en Pologne la maison de leur grand-mère récemment décédée. On savait Jesse Eisenberg acteur brillant (Cafe Society par exemple). C'est aussi un bon auteur. L'idée de ce voyage organisé sur les lieux de la Shoah donne lieu à un humour d'équilibriste qui frôle parfois la limite de l'acceptable. Le groupe est accueillant : un rescapé non juif du génocide rwandais y participe. Mais en dépit de son lourd sujet, le film repose surtout sur une classique opposition entre les caractères des deux cousins (qui valut à Kieran Culkin l'Oscar du second rôle).

AU PAYS DE NOS FRERES (Aliresa Ghasemi, Raha Amirfazli, 2 avr) LL
Le film suit sur plusieurs décennies et plusieurs générations le destin d'une famille de réfugiés afghans en Iran. C'est un assemblage de trois segments, tournés chacun comme s'il s'agissait d'un court métrage (moins soumis à la censure préalable, même astuce que Rasoulof pour Le Diable n'existe pas). Le scénario fonce parfois dans le plus tragique, mais, dans un style plutôt naturaliste, le film donne à voir les rapports de domination ou de mise à l'écart (certains plans sont découpés de telle sorte à isoler certaines de ces personnes). Intéressant, bien que de facture plus modeste que les plus grands films iraniens actuels.

THE INSIDER (Steven Soderbergh, 12 mar) LL
De retour au cinéma, Steven Soderbergh est toujours aussi éclectique. Il y a à boire et à manger dans sa filmographie, même au sens propre : la meilleure séquence de ce film est une scène de repas. L'histoire tourne autour de deux espions qui sont aussi mari et femme. Le premier a reçu la mission de surveiller la seconde, soupçonnée d'être une taupe... Le divertissement se suit sans déplaisir, mais sans passion (comment s'intéresser à des personnages qui mentent tout le temps ?). Le résultat est loin d'égaler le sommet d'ironie qu'était L'Affaire Cicéron de Joseph Leo Mankiewicz, avec Danielle Darrieux et James Mason (et son fameux rire final).

YÔKAI, LE MONDE DES ESPRITS (Eric Khoo, 26 fév) L
Claire Emery (Catherine Deneuve), une chanteuse qui a eu son heure de gloire dans les années 1960, donne un concert au Japon. Yuzo, un de ses plus grands fans, vient de disparaître, et son fils Hayato, venu chez son père pour préparer les funérailles, trouve des places pour le concert et y assiste... Le film est censé prendre un tour fantastique, avec la présence de personnages récemment décédés. Si le spectateur n'y met pas beaucoup de bonne volonté, le film décevra inévitablement, même pas sauvé par les quelques chansons écrites et composées pour l'occasion par la talentueuse Jeanne Cherhal.

VERMIGLIO (Maura Delpero, 19 mar) L
L'histoire se passe dans un village reculé des montagnes d'Italie du Nord. Vers la fin de la Seconde guerre mondiale, un déserteur y arrive, et va bouleverser la vie des habitants, dont les filles de l'instituteur. Malheureusement, pour les spectatrices et spectateurs, de bouleversement il n'y a point. On est loin de Théorème (d'ailleurs pas mon Pasolini préféré). Maura Delpero vient du documentaire, mais son incursion dans la fiction historique, trop dépourvue d'un vrai regard, peine à convaincre.

Version imprimable | Films de 2025 | Le Dimanche 13/04/2025 | 0 commentaires




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