- Bien : Tardes de soledad (Albert Serra), Ghostlight (Kelly O'Sullivan, Alex Thomson), La Chambre de Mariana (Emmanuel Finkiel), Jeunes mères (Jean-Pierre et Luc Dardenne), Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé (Bogdan Muresanu), Le Rendez-vous de l'été (Valentine Cadic), De la guerre froide à la guerre verte (Anna Recalde Miranda), Cloud (Kiyoshi Kurosawa), Un monde merveilleux (Giulio Callegari)
- Pas mal : Bergers (Sophie Deraspe), A normal family (Hur Jin-ho), L'amour c'est surcoté (Mourad Winter), Chime (Kiyoshi Kurosawa), Partir un jour (Amélie Bonnin), Ollie (Antoine Besse), La Venue de l'avenir (Cédric Klapisch)
- Bof : Le Mélange des genres (Michel Leclerc)
TARDES DE SOLEDAD (Albert Serra, 26 mar) LLL
Pour la première fois, le réalisateur jusqu'au-boutiste Albert Serra abandonne la fiction pour le documentaire. Il suit dans sa tournée espagnole le toréador star Andrès Roca Rey et ses équipiers, ceux qui placent les premières banderilles et rivalisent de compliments virilistes. Les extraits de corrida ne sont pas filmés comme un spectacle, en plan général : les caméras suivent en plans rapprochés et en gros plan le toréador et le taureau. De ce fait, les blessures infligées à l'animal sont impressionnantes (rappelons qu'il meurt pour de vrai), même si l'humain est aussi en danger, pendant que les réactions du public, qu'on entend mais qu'on ne voit pas, font froid dans le dos. Le film est-il de nature à changer le regard des aficionados ? En tout cas cette incursion dans le microcosme a une puissance esthétique comme politique impressionnante.
GHOSTLIGHT (Kelly O'Sullivan, Alex Thomson, 30 avr) LLL
Le film commence par la convocation au lycée des parents de Daisy, qui est renvoyée. Le père Dan, ouvrier de travaux publics, a lui aussi ses accès de colère et de chagrin, mais est invité par Rita, qui l'a observé dans la rue, à rejoindre un groupe qui s'avère une troupe de théâtre amateur. Si on devine assez rapidement la sorte d'épreuve que doit supporter cette famille, rien n'est donné d'emblée. L'écriture de Kelly O'Sullivan, autrice du scénario et coréalisatrice du film, a toute la pudeur qu'il faut. Et les interprètes sont au diapason de cette délicatesse, la particularité étant qu'ils ont les mêmes liens familiaux que leurs personnages (les rôles du père, de la mère et de la fille sont respectivement assurés par Keith Kupferer, Tara Mallen et Katherine Mallen Kupferer). Une belle production indépendante qui, elle aussi, n'est pas sans lien avec le travail théâtral des personnages qui donne lieu à des scènes attachantes et parfois inattendues.
LA CHAMBRE DE MARIANA (Emmanuel Finkiel, 23 avr) LLL
Ukraine 1942. Une mère juive confie son fils Hugo, 12 ans, à une amie, Mariana, prostituée dans une maison close. Cette dernière le cache aux yeux de tous en l'installant dans un placard de sa chambre. Les mois passent... Dans une grande partie du film, la réalité du monde extérieur n'est vue qu'à travers le champ de vision restreint de l'enfant, mais à ces observations se mêlent également des souvenirs de sa vie d'avant et des rêves concernant sa famille. Après une réussite majeure (La Douleur), Emmanuel Finkiel poursuit sa collaboration avec Mélanie Thierry, très convaincante dans un rôle de composition qui aurait pu être casse-gueule. Et continue d'aborder sans se répéter ni fausses notes ses thèmes de toujours : la Seconde guerre mondiale, l'antisémitisme du continent européen, les résistances...
JEUNES MERES (Jean-Pierre et Luc Dardenne, 23 mai) LLL
Contrairement aux commentaires blasés, le cinéma des frères Dardenne évolue régulièrement (abandon de la caméra portée systématique à partir du Silence de Lorna, premier rôle parfois confié à des stars populaires à partir du Gamin à vélo, maîtrise croissante du cadre et du hors champ...). Ici, c'est peut-être l'écriture qui est inhabituelle (scénario primé à Cannes), puisque les enjeux se dispersent dans quatre histoires différentes de jeunes filles, mères ou enceintes, qui se croisent dans une "maison maternelle", une structure d'accueil qui les accompagne face à leurs difficultés sociales, familiales et à leurs nouvelles responsabilités. Le récit choral permet des ellipses (chaque scène porte donc en elle davantage que ce qu'elle nous montre). Et bien que les Dardenne n'aient plus rien à prouver, ils semblent presque s'effacer, en mobilisant entièrement leur mise en scène au service de leurs personnages, et des jeunes comédiennes toutes épatantes.
CE NOUVEL AN QUI N'EST JAMAIS ARRIVE (Bogdan Muresanu, 30 avr) LLL
Le Nouvel an du titre renvoie aux festivités de la fin d'année 1989 préparées par le régime de Ceausescu, qui va tomber à quelques jours de Noël. Cet instant particulier de l'Histoire roumaine avait déjà inspiré un film remarqué, 12h08 à l'est de Bucarest, premier long métrage de Corneliu Porumboiu, avec un humour placide qui deviendrait une marque de fabrique. Ici, le ton semble d'abord plus dramatique : le film n'est pas centré sur les actes concrets de la dictature, mais plutôt sur les effets qu'elle induit dans les rapports humains (ou la solitude) d'une demi-douzaine de personnages. L'absurdité (par exemple l'innocence d'un enfant qui met en danger ses parents) donne lieu parfois à un humour très noir, et le film culmine dans un crescendo final impressionnant, même si la bande-son en fait à cet instant trop, avec l'utilisation ostentatoire du Boléro de Ravel...
LE RENDEZ-VOUS DE L'ETE (Valentine Cadic, 4 juin) LLL
Blandine, une jeune femme tout juste trentenaire, débarque de Normandie pour assister à Paris à une épreuve olympique de natation (elle est fan de la nageuse Béryl Gastaldello), mais également pour rendre visite à sa demi-soeur, dont elle n'a pas encore rencontré la fille. Petite gageure : le film a véritablement été tourné pendant les JO (un peu comme le premier film de Justine Triet, La Bataille de Solférino, l'avait vraiment été un soir d'élection). Il commence petit, fragile, mais au fil des scènes dictées par les contingences matérielles des protagonistes, les enjeux s'élargissent, se déplacent. Et surtout on a l'impression de faire connaissance avec des personnages qu'on a pas l'habitude de croiser au cinéma, grâce à la finesse de trait de Valentine Cadic (dont c'est le premier long métrage) et à l'interprétation insolite et magnifique de Blandine Madec dans le rôle principal. Une chronique douce-amère prometteuse.
DE LA GUERRE FROIDE A LA GUERRE VERTE (Anna Recalde Miranda, 26 mar) LLL
Un documentaire qui se veut plutôt enquête. Le point de départ, c'est la région du Paraguay limitrophe du Brésil et surnommée la "république du soja", à perte de vue culture intensive et berceau de l'agro-industrie mondiale. En revisitant le passé, la réalisatrice se confronte à d'autres enjeux liés aux dictatures d'extrême droite du continent sud-américain, à leurs liens géopolitiques avec l'opération Condor, qui visait à tuer dans l'oeuf toute implantation communiste en Amérique du Sud. Et avec l'aide de défenseurs des droits humains, elle dresse une sorte de continuité entre la répression et les assassinats ciblant des opposants politiques hier, et s'abattant sur des militants écologistes aujourd'hui. Le film prend le temps de cheminer, et d'établir les faits méthodiquement, sans emprunter de raccourcis...
CLOUD (Kiyoshi Kurosawa, 4 juin) LLL
Un jeune travailleur à l'usine arrondit ses fins de mois en faisant de la revente sur internet. Peu lui importe si les marchandises achetées en gros sont authentiques ou contrefaites. Après un gros bénéfice, il démissionne de son travail, et s'installe au vert avec sa copine dans une maison, près d'une forêt, qui lui sert également d'entrepôt. On se croirait d'abord dans une sorte de satire de la société de consommation, et du capitalisme qui fait miroiter de l'argent facile aux outsiders qui croient trouver le bon plan. Mais évidemment la menace rôde, on la guette dans chaque plan, chaque image, chaque son, et toute l'habileté de la mise en scène, d'une grande précision, est de nous mettre en tension, avant une dernière partie où on bascule encore dans un autre genre. Une réussite, moins gratuite que l'exercice de style Chime, sorti sur nos écrans une semaine plus tôt.
UN MONDE MERVEILLEUX (Giulio Callegari, 7 mai) LLL
Voilà un film qui tombe à pic, avec cette histoire d'un futur, malheureusement trop proche, dans lequel les robots sont devenus omniprésents dans la société, au grand dam de Max, une mère célibataire ancienne prof de français, rebelle et réfractaire à cette évolution. Elle est idéalement incarnée par Blanche Gardin, qui donne à ce premier long métrage un ton caustique bien trempé. L'un des ressorts comiques du film, satire grinçante de la technophilie, réside dans le fait que l'intelligence artificielle des androïdes prend tout au premier degré et ne comprend pas l'ironie des êtres humains. Une comédie à la fois burlesque et grinçante sur un avenir dystopique qu'on préfèrerait éviter...
BERGERS (Sophie Deraspe, 9 avr) LL
Afin de donner du sens à sa vie professionnelle, Mathyas quitte son emploi à Montréal pour tenter de devenir berger en Provence. Il se heurte à la dureté des tâches, même si les bergers rencontrés n'ont pas tous la même conception du métier. Il se lie surtout à Elise, fonctionnaire locale... Il y a quelques maladresses dans le film, notamment des dialogues parfois trop directs pour être crédibles. L'essentiel est ailleurs : dans les interprétations intenses mais nuancées de Félix-Antoine Duval et Solène Rigot (qu'on a plaisir à retrouver sur grand écran), et dans de belles scènes où les personnages doivent composer avec leurs bêtes et les éléments, en décor naturel...
A NORMAL FAMILY (Hur Jin-ho, 11 juin) LL
Deux frères, l'un chirurgien, l'autre avocat, dînent régulièrement ensemble avec leurs épouses respectives. Comment ces deux familles vont-elles réagir lorsque le fils de l'un et la fille de l'autre seront impliqués dans une affaire tragique ? Il pourrait s'agir d'un dilemme moral à l'instar des films de Cristian Mungiu. Mais on est ici dans un milieu très huppé qui veut garder son standing. Il s'agit donc plutôt d'un thriller psychologique, que la mise en scène, un peu trop au cordeau, tire davantage vers un regard amoral plutôt qu'explicitement ironique. Le film est bavard, mais les interprètes arrivent plutôt bien à construire leurs personnages au-delà des dialogues.
L'AMOUR C'EST SURCOTE (Mourad Winter, 23 avr) LL
Premier long métrage de Mourad Winter, qui adapte à l'écran son propre roman. Il s'agit d'une comédie romantique dans laquelle se rencontrent Anis, célibataire endurci qui se remet mal du deuil de son ami d'enfance Isma, et Madeleine, une jeune femme qui se laisse aborder... Le résultat est contrasté, surtout les dialogues, entre sincérité maladroite touchante et dérisions provocatrices forcées. Si certains rôles secondaires peinent à convaincre, Hakim Jemili et Laura Felpin emportent le morceau en donnant à leurs personnages une vraie personnalité.
CHIME (Kiyoshi Kurosawa, 28 mai) LL
Matsuoka est professeur de cuisine (mais cherche une place de chef dans un restaurant). L'un de ses élèves semble perturbé. Kiyoshi Kurosawa (Kaïro, Shokuzaï) revient ici à sa meilleure veine, l'angoisse mystérieuse qui peut se matérialiser à tout moment par un éclair de violence, inattendu bien qu'on le redoute. Le film ne dure que 46 minutes, et cet exercice de style procure un plaisir immédiat lors de la projection, grâce au travail sur le son en particulier, mais on peut aussi trouver in fine que la copie ainsi rendue est assez vaine (même s'il faudrait un peu le divulgâcher pour pouvoir argumenter).
PARTIR UN JOUR (Amélie Bonnin, 14 mai) LL
Une jeune restauratrice, qui vient de remporter un jeu culinaire télévisé, revient voir ses parents, également restaurateurs, et reprend contact avec un amour de jeunesse... Les dialogues sont parfois remplacés par des extraits de chansons populaires. L'ombre de On connaît la chanson de Resnais, un peu trop écrasante, plane sur le film, qui s'en distingue néanmoins, car il ne s'agit pas de play-back sur les versions originales, mais d'extraits recréés par les interprètes des personnages (dont Juliette Armanet). Curieux choix comme film d'ouverture du festival international de Cannes, tant ce sympathique coup d'essai est franco-français, et peine à dissimuler son origine d'idée de court-métrage étirée pour en faire un long...
OLLIE (Antoine Besse, 21 mai) LL
La bonne idée, c'est de transposer dans la campagne française le genre du film de skate, genre balisé par le cinéma américain (de 90's de Jonah Hill à Paranoïd Park de Gus Van Sant). Antoine Besse, dont c'est le premier long métrage, tente de produire des scènes plus insolites, qui tranchent avec ces modèles comme avec le cinéma français majoritaire, autour d'un jeune garçon de 13 ans, orphelin de mère, qui prend un plaisir grandissant à pratiquer le skate. La moins bonne idée, c'est le caractère caricatural donné à son mentor : dans ce rôle, Théo Christine livre une performance, mais on est loin de la subtilité qu'il déployait dans Vivre, mourir, renaître, le très beau film de Gaël Morel.
LA VENUE DE L'AVENIR (Cédric Klapisch, 22 mai) LL
Cédric Klapisch propose un montage alterné entre deux époques : d'une part, celle, contemporaine, de membres éloignés d'une même famille qui se retrouve à l'occasion de la découverte d'une maison ayant appartenu à leur aïeule commune, que la mairie voudrait racheter, et, d'autre part, celle de la dernière décennie du XIXè siècle (un moment charnière dans la vie de cette ancêtre). Le film se laisse voir sans arriver à la hauteur voulue. Ce n'est pas forcément le scénario qui pèche (il y a de bonnes observations entre deux invraisemblances), mais plutôt de personnages paresseusement dessinés (et interprétés par une brochette de fils/fille/frère de). Une direction artistique pas toujours convaincante paradoxalement, car le film se voudrait également une réflexion sur l'art et comment celui-ci est impacté ou non par l'irruption de nouvelles techniques.
LE MELANGE DES GENRES (Michel Leclerc, 16 avr) L
Une policière infiltre un groupe féministe, soupçonné d'avoir poussé une femme à tuer son mari pour ne plus avoir à supporter ses violences conjugales. Quelques scènes sont à sauver, qui donnent le ton recherché : une sorte d'autodérision, nécessaire pour respirer dans la sphère militante. Et Vincent Delerm reprend Doux de Goldman dans un décor très particulier. Malheureusement, le film est également plein de maladresses, ce qui n'est pas sans risques, à l'heure où ce sont les médias réactionnaires contre les combats pour l'égalité qui donnent le la dans la sphère médiatique, et non les petites télés associatives évoquées dans Télé Gaucho...
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