- Bravo : Slow (Marija Kavtaradze), Valeur sentimentale (Joachim Trier)
- Bien : Miroirs n°3 (Christian Petzold), La Trilogie d'Oslo : Rêves (Dag Johan Haugerud), Mahjong (Edward Yang), Sorry, Baby (Eva Victor), Alpha (Julia Ducournau), En boucle (Junta Yamaguchi), Les Filles désir (Prïncia Car)
- Pas mal : La Trilogie d'Oslo : Désir (Dag Johan Haugerud), La Trilogie d'Oslo : Amour (Dag Johan Haugerud), 7 jours (Ali Samadi Ahadi), Jurassic World : Renaissance (Gareth Edwards), L'Epreuve du feu (Aurélien Peyre), Rapaces (Peter Dourountzis)
- Bof : Reflet dans un diamant mort (Hélène Cattet, Bruno Forzani)
SLOW (Marija Kavtaradze, 6 aou) LLLL
Elena, danseuse contemporaine très libre avec son corps, rencontre Dovydas, un interprète en langue des signes venu l'assister pour un atelier qu'elle anime pour des élèves sourds. Ils se plaisent tout de suite, apprennent à se connaître, puis Dovydas finit par révéler à Elena son asexualité... Le titre ne fait pas référence au style de danse pratiqué par l'héroïne, mais plus au rythme par lequel les personnages s'ouvrent à l'autre. Le film élargit ce qui nous est proposé habituellement au cinéma en matière de récits sentimentaux. Il le fait sans mièvrerie ni clichés, mais au contraire avec une approche pointilliste et concrète, une photographie magnifique, une mise en scène entièrement au service de ses personnages (et des jeux de regards de leurs interprètes), et qui n'exclut pas de très belles visions de cinéma, comme par exemple une scène dans un bar avec un miroir...
VALEUR SENTIMENTALE (Joachim Trier, 20 aou) LLLL
C'est l'histoire d'un père de famille longtemps absent (le grand Stellan Skarsgard, qui passe d'un Trier à l'autre !), cinéaste qui se veut sur le retour, et propose à l'aînée de ses deux filles, actrice de théâtre, le rôle principal de son nouveau film, ce qu'elle refuse. Plus tard, il rencontre une actrice américaine fan de son univers. La maison familiale est presque un personnage à part entière de cette sorte de sonate d'automne : dès le prologue, on visualise le passage secret à travers la haie utilisé par les deux soeurs dans leur jeunesse pour filer en douce... Les décors sont filmés avec un grand sens de l'espace. D'une manière générale, la mise en scène est remplie de détails qui font sens et aident à faire progresser le récit. Jusqu'à maintenant, les films précédents de Joachim Trier ne m'avaient guère touché, trop théoriques ou froids. Mais celui-ci atteint une profondeur remarquable, au diapason de l'intensité de ses interprètes (Renate Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas).
MIROIRS n°3 (Christian Petzold, 27 aou) LLL
Laura, étudiante en musique à Berlin, accompagne son compagnon en week-end à la campagne avec des amis. Mais elle se ravise et veut rentrer, son compagnon la ramène, mais ils ont un accident de voiture dont seule Laura réchappe. Elle souhaite rester chez Betty, qui l'a recueillie, plutôt qu'être placée en observation à l'hôpital. C'est le début d'un petit miracle de cinéma : le film est court (1h26), mais d'une grande amplitude par la façon dont il se déplie. Très inspirée, la mise en scène reste constamment dans le registre de la suggestion, aussi on craint une faiblesse, lorsque les choses pressenties sont dites explicitement. Mais c'est ce qui permet au film d'aller vers son dénouement. Avec l'aide de ses quatre interprètes principaux, Christian Petzold, sous une apparence mineure (adaptée à l'indicible), livre son film le plus réussi depuis qu'il collabore avec Paula Beer, toujours très convaincante.
LA TRILOGIE D'OSLO : RÊVES (Dag Johan Haugerud, 2 juil) LLL
La Trilogie d'Oslo est composée de trois films indépendants (un peu comme les Trois couleurs de Kieslowski), qu'on peut visionner dans l'ordre qu'on veut (ils sont d'ailleurs distribués en France dans l'ordre chronologique inverse de leurs réalisations). Les titres pourraient également être permutés : il y a des rêves dans Désir, du désir dans Amour, et un premier grand émoi amoureux dans Rêves, vécu par une adolescente envers sa prof de littérature qui se laisse approcher en dehors des cours. La jeune fille décrit cette relation dans un journal intime, qui émeut les générations précédentes (sa mère et sa grand-mère). Auréolé d'un Ours d'or à Berlin qui a l'air bien mérité, le film arrive à toucher au plus profond grâce à la qualité de l'écriture imputée à son héroïne, aux interprètes intenses mais jamais caricaturales, et à l'espace que le réalisateur laisse à ses personnages et aux spectateurs/spectatrices.
MAHJONG (Edward Yang, 16 juil) LLL
Le film surprendra peut-être les fans de Yi Yi, le chef d'oeuvre d'Edward Yang, tourné juste après celui-ci. Tous les deux traitent du Taipei contemporain (des années 1990). Mais autant les personnages principaux de Yi Yi sont emplis de sagesse, quel que soit leur âge, autant ceux de Mahjong évoluent dans l'univers nocturne, celui des escrocs, des hommes de main et des prostituées. L'arrivée d'une jeune française (Virginie Ledoyen) va bouleverser un peu ce petit monde, malgré la naïveté de ce regard extérieur (qui pourrait être aussi plus ou moins le nôtre). Ce qui est déjà là, c'est la fluidité de l'ensemble malgré la pluralité des fils narratifs, ainsi que la qualité de la composition des plans, y compris dans la profondeur de champ.
SORRY, BABY (Eva Victor, 23 juil) LLL
L'histoire pourrait presque être banale, celle d'un viol sur une doctorante commis par son directeur de thèse. Mais Eva Victor, dont c'est le premier long métrage, et dont elle interprète également le premier rôle, filme plutôt à côté. Par exemple, on ne voit pas l'acte criminel, on sent juste à la façon dont elle filme la lumière déclinante sur la maison de fonction du professeur, que l'étudiante reste bien au-delà de la durée normale du rendez-vous. C'est plus l'après qui l'intéresse, les relations que le personnage entretient avec sa meilleure amie, d'autres jeunes universitaires, les rencontres avec d'autres hommes. Le courage de continuer malgré ce qu'on ne peut partager. A cette fin, la mise en scène est à la fois précise et sobre.
ALPHA (Julia Ducournau, 20 aou) LLL
Alpha est une jeune fille de 13 ans, qui doit cohabiter à la maison avec un oncle toxicomane dont elle ne se souvenait pas, à l'heure où circule un virus encore inconnu qui rend progressivement de marbre (au sens propre) ses hôtes... C'est filmé comme de la science-fiction, mais pas forcément au futur (dans les décors, on voit une télé des années 1980). Cela pourrait d'ailleurs être une allégorie des premières années du Sida. En compétition officielle à Cannes, le film, un peu moins réussi que Titane (Palme d'or 2021), n'a pas eu de prix. C'est pourtant une expérience esthétique qui mérite d'être tentée, tant les images disent beaucoup plus que le scénario. Il est donc très stimulant, et, en dépit des apparences (auxquelles il faut se préparer), le cinéma de Julia Ducournau est rempli d'humanité.
EN BOUCLE (Junta Yamaguchi, 13 aou) LLL
On a déjà vu des films basés sur des boucles temporelles, qui font par ailleurs partie de la culture populaire nippone. Mais deux caractéristiques apportent une singularité à celui-ci. D'une part, ces boucles affectent tous les personnages, c'est à dire les résidents et personnels d'un hôtel à Kibune, à flanc de montagne. Ils subissent tous ces retours temporels (contrairement à Un jour sans fin qui affectait uniquement Bill Murray), tout en gardant une conscience continue (ils acquièrent une expérience des cycles précédents). D'autre part, les boucles ont une durée très courte, de deux minutes, ce qui complique toute velléité d'organisation. Cela donne à cette comédie insolite un caractère changeant : à chaque fois qu'une situation est suffisamment exploitée, le film prend un nouveau départ, et explore une autre direction...
LES FILLES DESIR (Princia Car, 16 juil) LLL
Fruit d'un long travail en atelier très collectif (les interprètes sont aussi dialoguistes du film), ce premier long métrage offre le portrait de groupe d'animateurs de quartiers (des garçons et une fille), perturbé par le retour dans la ville d'une vieille connaissance (l'ancienne copine d'Omar, le mentor du groupe) qui s'est prostituée dans l'intervalle. A la fois témoin du fonctionnement de groupe et des aspirations individuelles, le film tourne d'abord autour d'Omar, figure respectée des autres par sa pondération, fiancée à la plus jeune Yasmine (17 ans), et qui tente d'indiquer le "bien" et le "mal", conceptions mises à mal par le retour de Carmen. Le film évolue vers l'accompagnement par la réalisatrice des deux jeunes femmes, magnifiquement incarnées (Leïa Haïchour, Lou Anna Hamon), comme une réponse contemporaine au dualisme des personnages d'Eustache (La Maman et la putain).
LA TRILOGIE D'OSLO : DESIR (Dag Johan Haugerud, 16 juil) LL
Comme écrit précédemment, chacun des trois films peut se regarder indépendamment des deux autres, et les titres sont plus ou moins permutables : il y a ainsi des rêves dans Désir, celui récurrent pour un des personnages principaux où il se voit en David Bowie non binaire, alors que l'autre personnage, hétérosexuel marié, a vécu un écart imprévu avec un autre homme. Il faut s'accrocher au début, qui repose surtout sur les dialogues, l'incarnation vient petit à petit. Le bémol réside dans le fait que les deux personnages principaux sont censés être des travailleurs manuels (le réalisateur affirme être inclusif par rapport aux identités sociales), mais on ne voit rien de l'effet que ce travail pourrait avoir sur les corps. Comme si on restait dans une approche bien intentionnée mais abstraite, "sociale-démocrate", de ces catégories professionnelles pourtant concrètes.
LA TRILOGIE D'OSLO : AMOUR (Dag Johan Haugeurd, 9 juil) LL
Comme écrit précédemment, chacun des trois films peut se regarder indépendamment des deux autres, et les titres sont plus ou moins permutables : il y a du désir dans Amour. On a d'abord l'impression que ce film là pourrait être le plus beau des trois, avec des personnages qui ne se limitent pas à leurs relations personnelles. Et le transbordeur pourrait être une métaphore de ce qui circule entre les êtres. Cependant, ces relations semblent plus banales que dans les deux autres films. Et reste le cliché d'une histoire entre des personnages assez aisés financièrement et intellectuellement (une médecin, un architecte) pour prendre le temps et le pouls de leurs aspirations intimes, le tout sans égaler les sommets trouvés de longue date par Rohmer ou Allen.
7 JOURS (Ali Samadi Ahadi, 6 aou) LL
Militante des droits humains, Maryam bénéficie d'une semaine d'interruption de sa détention à Téhéran, pour raisons médicale, et va en profiter pour rejoindre clandestinement, via la frontière turque, son mari et ses deux enfants, exilés depuis des années. Elle compte bien retourner en prison à la date prévue, et continuer la lutte de l'intérieur du pays, mais sa famille voudrait l'en dissuader. Ecrit par le grand cinéaste Mohammad Rasoulof (Les Graines du figuier sauvage), le scénario développe ce dilemme qui tire profit de sa propre expérience. Vishka Asayesh a les épaules pour porter les désirs contradictoires et la détermination de son personnage. Dommage que la réalisation, très impersonnelle, et des dialogues banalement explicites, ont tendance à aplatir ces enjeux.
JURASSIC WORLD : RENAISSANCE (Gareth Edwards, 2 juil) LL
Je m'étais arrêté aux deux premiers volets, réalisés par Spielberg. A l'époque, la mise en scène donnait la priorité aux effets spéciaux numériques, avec un résultat global plutôt décevant par rapport aux qualités de conteur du célèbre cinéaste. Trente ans plus tard, les techniques actuelles sont suffisamment matures pour permettre aux réalisateurs de mieux travailler le reste. Le scénario de ce nouvel opus (le septième ?) joue astucieusement de la lassitude du public vis-à-vis des dinosaures, et propose un film d'aventures familial (qui intègre un niveau de lecture plus ironique voire cynique) digne du meilleur classicisme, sans tutoyer les sommets du genre, mais néanmoins respectueux de son public.
L'EPREUVE DU FEU (Aurélien Peyre, 13 aou) LL
Hugo emmène sa petite amie Queen, jeune esthéticienne assez extravagante, dans la maison de son oncle, sur une île de la côte Atlantique. Le jeune homme revoit des ami(e)s d'enfance, et leur présente Queen... Les personnages enfilent un peu trop systématiquement les mauvais choix, comme si l'éducation sentimentale se faisait uniquement par l'absurde. On peut y voir néanmoins un apprentissage de la cruauté des adultes. Plus réussie est la façon dont le film rend compte de la distance sociale et culturelle qui sépare la jeune femme (Anja Verderosa), sincèrement aimée par Hugo (Félix Lefevbvre), et les filles et fils de "bonne famille" qui la jaugent avec beaucoup de snobisme...
RAPACES (Peter Dourountzis, 2 juil) LL
Y'aurait-il une ambiguïté dans le titre ? Les "rapaces" désignent-ils les criminels (ici l'assassin d'une femme, probablement par misogynie) ou les journalistes spécialisés dans les faits divers crapoteux, et qui tentent de faire apparaître la vérité et faire arrêter le coupable ? L'impeccable Sami Bouajila campe un de ces journalistes, tout en essayant de protéger un tant soit peu sa propre fille (Mallaury Wanecque), stagiaire dans le même média. La mise en scène est d'abord juste fonctionnelle, voire complaisante, mais offre néanmoins, dans la deuxième partie, une belle séquence tendue dans un resto-route.
REFLET DANS UN DIAMANT MORT (Hélène Cattet, Bruno Forzani, 25 juin) L
Le duo formé par Hélène Cattet et Bruno Forzani se spécialise dans des hommages fétichistes très décalés et très cinéphiles à des films à la mise en scène très marquée, plutôt des films de genre (je recommande chaudement leur précédent long métrage, Laissez bronzer les cadavres). Ici le titre, proche d'un grand classique de John Huston (Reflets dans un oeil d'or), peut induire en erreur, car on est ici au croisement du film d'espionnage britannique à la James Bond et des "giallos" (polars sanglants) italiens des années 60-70. Le tout avec des allers-retours incessants entre les époques. Ce procédé annihile toute émotion, à part l'épuisement. Un résultat sans doute pas à la hauteur des ambitions.
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