S'identifier

Des films de la rentrée 2025

  • Bien : Nino (Pauline Loquès), Sirât (Oliver Laxe), Put your soul on your hand and walk (Sepideh Farsi), En première ligne (Petra Volpine), Lumière pâle sur les collines (Kei Ishikawa), La Petite dernière (Hafsia Herzi), Chroniques d'Haïfa (Scandar Copti), La Femme qui en savait trop (Nader Saeivar), Classe moyenne (Antony Cordier)
  • Pas mal : Un simple accident (Jafar Panahi), Nos jours sauvages (Vasilis Kekato), Connemara (Alex Lutz), Renoir (Chie Hawakawa), Meteors (Hubert Charuel, Claude Le Pape), Oui (Nadav Lapid), La Femme la plus riche du monde (Thierry Klifa), L'Intérêt d'Adam (Laura Wandel), Nouvelle vague (Richard Linklater), Une bataille après l'autre (Paul Thomas Anderson)
  • Bof : Soundtrack to a Coup d'Etat (Johan Grimonprez)

NINO (Pauline Loquès, 17 sep) LLL
Sans y avoir été préparé, Nino apprend qu'il est atteint d'un cancer, et qu'il doit commencer un traitement trois jours plus tard. Son vingt-neuvième anniversaire tombe dans l'intervalle. Un concours de circonstances l'amène également à passer ces quelques jours hors de chez lui... Sur le papier, il aurait pu s'agir d'un drame banal, mais, pour son premier long métrage, Pauline Loquès nous offre un petit miracle cinématographique. Certains commentaires ont pensé à Cléo de 5 à 7 (autre histoire d'inquiétude médicale sur un temps resserré). Mais la réalisatrice, au lieu de s'inspirer de l'inimitable, nous propose autre chose : un très beau portrait de jeune homme (Théodore Pellerin), à travers une suite de scènes inattendues. On en apprend sur lui au même rythme qu'il en apprend sur lui-même, au fil de ses interactions avec les autres. On sent la cinéaste pleine de tendresse pour tous les personnages, et cette absence rare de cynisme donne son cachet à ce coup d'essai, non dénué d'humour, extrêmement prometteur.

SIRÂT (Oliver Laxe, 10 sep) LLL
Au coeur du désert marocain, Luis, accompagné de son jeune fils Esteban, rejoint une rave party, dans l'espoir de retrouver sa fille aînée qui a disparu quelques mois plus tôt. Puis ils suivent un noyau dur de raveurs vers un autre rassemblement clandestin, alors que la radio informe de la militarisation croissante du monde... Le film est donc une épopée sensorielle, entre le son des musiques électroniques et les paysages arides des montagnes et des pistes périlleuses. Un périple à la Werner Herzog (Aguirre, la colère de Dieu et Fitzcarraldo), mais avec également des coups de théâtre inouïs. Un film choc, mais dont le sens n'est pas très explicite. Peut-être une ode à des liens de solidarité solides à l'écart des puissants, malgré les menaces de chaos, en recherchant la dignité du présent plutôt qu'un vague flottement sans grâce (pour paraphraser une talentueuse autrice écosocialiste).

PUT YOUR SOUL ON YOUR HAND AND WALK (Sepideh Farsi, 24 sep) LLL
Documentaire qui a enfin fait bouger (un peu) les lignes au sein du gratin du cinéma mondial, grâce à sa sélection dans la section parallèle de l'Acid au Festival de Cannes, et dont la principale protagoniste, la photographe palestinienne Fatima (Fatem) Hassona a été assassinée avant l'ouverture cannoise. L'essentiel du film est constitué de conversations en visio entre la réalisatrice iranienne exilée de longue date en France et la jeune femme, qui malgré son courageux sourire porte une voix palestinienne forte (celle qui est proscrite de nos médias mainstream totalement biaisés), mais également par les photographies qu'elle a prises elle-même et qui témoigne de ce que Israël veut effacer. Certains des aspects relatés sont d'autant plus crédibles qu'ils ont aussi été montrés dans des courts-métrages de l'œuvre collective From Ground Zero sortie discrètement en début d'année.

EN PREMIERE LIGNE (Petra Volpine, 27 aou) LLL
Il y a presque unité de lieu et d'action dans cette fiction qui suit 24 heures de la journée d'une infirmière dans un hôpital de la Suisse alémanique. Le film traite des difficultés quotidiennes rencontrées dans cette structure en sous-effectif chronique, résultat quasi universel des politiques néolibérales. Mais il ne fait pas qu'illustrer ce sujet de société. C'est d'une part un portrait de femme singulière, peut-être parce qu'elle est incarnée par la grande actrice allemande Leonie Benesch, bien que dans l'humilité de sa fonction. Et d'autre part une sorte de film choral, parce que chaque patient.e porte sa propre part de fiction. Dramatisée en crescendo, cette chronique hospitalière, presque un genre en soi, se hisse un peu au-dessus des autres, et restera dans nos mémoires.

LUMIERE PÂLE SUR LES COLLINES (Kei Ishikawa, 15 oct) LLL
Adaptation du premier roman d'un futur prix Nobel de littérature (Kazuo Ishiguro), le récit est fragmenté entre deux périodes de la vie d'une même femme, Etsuko, d'une part en 1952 à Nagasaki, d'autre part en 1982 lorsque, dans la campagne britannique où elle est installée, elle reçoit la visite de sa fille, qui a des velléités d'écriture sur la jeunesse de sa mère. Non seulement le romanesque naît des scènes qui nous sont présentées dans les deux époques, la première surtout, avec l'importance du contexte historique. Mais aussi des trous, de ce qui n'est pas montré ni même dit, sauf à demi mot, de ce qui s'est passé dans l'intervalle... C'est aussi un film sur la complexité de la mémoire. Après A man, Kei Ishikawa confirme également qu'il aime les puzzles, mystérieux malgré leur écrin de lumière, dans lequel certaines pièces ne s'emboîtent pas exactement...

LA PETITE DERNIERE (Hafsia Herzi, 22 oct) LLL
La petite dernière en question, c'est Fatima, une jeune fille de 17 ans, bonne élève qui va partir en fac de philosophie à Paris. Croyante musulmane, elle se découvre lesbienne. En adaptant le roman de Fatima Daas, Hafsia Herzi, dont c'est le troisième long métrage en tant que réalisatrice, semble faire preuve d'une audace tranquille (qui serait doublement "communautariste" selon la pensée-étiquette d'un éphémère premier ministre français). Pourtant, aucune provocation dans ce film, qui ne s'appuie pas sur des rebondissements scénaristiques marqués, mais plutôt sur de longues séquences, certes parfois découpées en champ-contrechamp, mais qui laissent le temps aux personnages de vivre, de se comprendre, sans suivre forcément une ligne toute tracée. Pour le rôle-titre, Nadia Melliti a obtenu à Cannes un prix d'interprétation féminine mérité.

CHRONIQUES D'HAÏFA (Scandar Copti, 3 sep) LLL
Le film semble suivre au départ la vie sentimentale compliquée de deux jeunes adultes d'une famille palestinienne de Haïfa. Rami, le frère, apprend la grossesse de sa petite amie juive, et essaie de la convaincre d'avorter. Fifi, la soeur étudiante, a eu un accident de la route et souhaite dissimuler son dossier médical. Et la situation financière de leur père n'est pas florissante. Scandar Copti suggère les superstructures auxquelles sont confrontés les personnages : racisme systémique de certaines institutions sionistes (une scène révèle l'enrôlement des enfants dès la maternelle, comme le montraient déjà certains documentaires d'Avi Mograbi), structures patriarcales de part et d'autre, intériorisées par les mères. Mais il le fait avec beaucoup de finesse : le montage nous propose de revoir certaines scènes, déjà vues, sous un autre angle qui leur donne une signification nouvelle, ou supplémentaire.

LA FEMME QUI EN SAVAIT TROP
(Nader Saeivar, 27 aou) LLL
Coécrit avec Jafar Panahi, et un peu comme Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof, le film témoigne du fonctionnement de la société iranienne et de ses institutions en observant ce qui se passe dans les rapports intrafamiliaux entre Tarlan, une professeur de danse à la retraite, son fils emprisonné après la faillite de son commerce, ou Zara sa fille adoptive qui semble battue par son mari, un homme proche du pouvoir. Le titre suggère un suspense à la Hitchcock mais, malgré les faux-semblants, on comprend rapidement ce qu'il en est du crime au coeur de l'intrigue. L'un des intérêts du film réside dans le fait de montrer que le mouvement "Femme, vie, liberté" atteint toutes les générations. Et la séquence finale, grâce à la mise en scène, atteint une belle puissance métaphorique.

CLASSE MOYENNE (Antony Cordier, 24 sep) LLL
Antony Cordier semble changer de type d'humour à chaque nouveau projet, même si la satire sociale semble y prendre plus de place. Gaspard au mariage était une comédie décalée sur l'entrée dans l'âge adulte, la série Ovni(s), bien que fantastique, infusait de l'ironie dans la reconstitution historique. Ici, le titre est une sorte d'antiphrase : plusieurs décennies de politiques néolibérales ont mis à mal la fiction d'une moyennisation de la société. Le film s'inscrit un peu dans la lignée de Parasite : dans un même lieu (une résidence secondaire avec piscine) cohabitent un couple de grands bourgeois (un avocat d'affaires, une actrice en recherche d'une seconde carrière), et le couple de gardiens chargés d'entretenir la propriété toute l'année. L'humour est cinglant (y compris à travers le langage), même si le mordant attendu manque un peu de profondeur pour prétendre au vrai brûlot politique.

UN SIMPLE ACCIDENT (Jafar Panahi, 1er oct) LL
Jafar Panahi a reçu à Cannes la Palme d'or. Celle-ci semble récompenser l'ensemble des dernières oeuvres du cinéaste, tournées clandestinement, mais avec une audace et une malice folles. Ce miracle fonctionne toutefois moins dans ce nouvel opus, qui raconte l'histoire d'un ancien prisonnier politique qui croit reconnaître son tortionnaire. Il arrive à le capturer, et s'en va voir d'autres anciens prisonniers pour qu'ils confirment l'identité de cet homme, et discuter de ce qu'ils vont en faire. Pendant l'essentiel du film, l'ensemble des enjeux semble pris en charge par des dialogues trop didactiques, presque schématiques par rapport aux personnages hâtivement définis. L'ultime scène en rehausse néanmoins l'intérêt, qui justement ne passe plus par la parole mais par un travail sonore qui fait sens.

NOS JOURS SAUVAGES (Vasilis Kekato, 8 oct) LL
Dans la Grèce en crise d'après les politiques de la Troïka, Chloé revend à la sauvette, avec une copine, du maquillage volé. Cela ne plaît pas à son frère policier. Elle quitte le domicile familial, et tombe sur d'autres jeunes qui suivent une voie de traverse. Ils sillonnent le pays à bord de leur van, dans lequel ils lavent le linge de villageois dans la dèche. Leur esprit de solidarité et la nécessité de subvenir à leurs propres besoins les poussent à pratiquer d'autres activités la nuit venue... Le film prend donc la forme d'un road-movie dans les marges, moins halluciné que Sirât, avec des pleins et des déliés. La troupe est attachante, homogène, que l'on découvre par les yeux de Chloé (Daphné Patakia, en grande forme). 

CONNEMARA (Alex Lutz, 10 sep) LL
Nouvelle tentative d'adaptation d'un roman de Nicolas Mathieu, après Leurs enfants après eux par les frères Boukherma. L'histoire d'Hélène, une cadre qui revient dans ses Vosges natales après un épuisement professionnel, et qui renoue avec Christophe, un amour de jeunesse et ancienne gloire de l'équipe de hockey d'Epinal. Il y a des maladresses, comme ce final en forme de clip au montage hyper-cut et désuet, d'autant plus qu'avec un peu trop d'ellipses la situation semble arriver comme un cheveu sur la soupe. Les séquences les plus réussies sont celles qui montrent la vie professionnelle d'Hélène, qui captent comme dans Corporate de Nicolas Silhol la toxicité de l'économie contemporaine, même si moins frontalement. Avec un jeu qui semble exprimer plein de contradictions dans une même scène ou un même plan, Mélanie Thierry enrichit le film en lui apportant beaucoup de nuances.

RENOIR (Chie Hayakawa, 10 sep) LL
Au milieu des années 1980, on suit Fuji, une fille de onze ans, dont on apprend par petites touches successives que son père est gravement malade et hospitalisé, et sa mère souvent absente. D'inspiration plus ou moins autobiographique, le film procède délicatement, par esquisses, et par le truchement du regard de sa jeune héroïne (Yui Suzuki, extraordinaire). Mais ce choix a son revers : peu de progression dramatique, direction artistique assez monochrome. Résultat estimable, mais sur un sujet relativement proche, on peut préférer Eté 93, magnifique coup d'essai de la cinéaste espagnole Carla Simon.

METEORS (Hubert Charuel, Claude Le Pape, 8 oct) LL
Huit ans après le mémorable Petit paysan, Hubert Charuel revient avec ce nouveau long métrage, coréalisé par Claude Le Pape. Sur le papier, il aborde de nombreuses thématiques : la débrouille dans des territoires délaissés par un modèle économique qui préfère développer les métropoles régionales, le travail saisonnier dans l'industrie nucléaire... Or ces thèmes sont très peu investis par le film, qui n'en fait rien de saillant. Paradoxalement, l'enjeu réside davantage dans une relation, atemporelle mais singulière, d'amitié entre deux jeunes hommes, de trajectoires dissemblables (Paul Kircher et la révélation Idir Azougli). 

OUI (Nadav Lapid, 17 sep) LL
Un musicien et une danseuse, couple d'artistes israéliens en crise, sont prêts à lécher des dignitaires du régime pour gagner leur vie. Un jour, il est confié au premier une mission : composer un nouvel hymne national, de vengeance après les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023. Dans ses interviews, Nadav Lapid, en contradiction avec certains biais occidentaux, explique que la société israélienne est malade et ne reviendra pas à la raison de l'intérieur. Dommage que, dans son film, cette acceptation du génocide soit prise en charge par des personnages caricaturaux, plutôt qu'en montrant que ce sont les institutions sionistes qui façonnent la population ainsi, dans une logique séculaire d'effacement de la Palestine et des Palestiniens. 

LA FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE (Thierry Klifa, 29 oct) LL
Un photographe bonimenteur tente de tirer profit de la relation amicale qu'il noue avec la femme la plus riche du monde... Dans une vie antérieure, Thierry Klifa a été rédacteur au magazine Studio, qui accordait beaucoup de place aux films d'acteurs. Celui-ci en est un, et on peut trouver assez réjouissant le pas de deux entre Isabelle Huppert et Laurent Lafitte. Vu le sujet, on s'attend à une comédie satirique, or c'est là que le long métrage peut décevoir : cette production bien installée semble dépourvue de points de vue de mise en scène, ou simplement d'une observation sociale qui irait un peu au-delà de l'exotisme de personnages totalement hors sol.

L'INTERÊT D'ADAM (Laura Wandel, 17 sep) LL
Un petit garçon de 4 ans est hospitalisé pour des fractures qui seraient dues à un problème de malnutrition. L'hôpital entre en conflit avec la mère qui refuse que son enfant ingère ce qui ne viendrait pas d'elle. Lucy, l'infirmière chef du service, tente d'arbitrer dans l'intérêt de l'enfant. Avec une caméra portée qui suit parfois de dos les protagonistes, le deuxième long métrage de Laura Wandel semble lorgner vers les frères Dardenne (ancienne manière), mais sans la précision ni la richesse de leurs hors champ. Le film est concis (1h13), mais aussi très sec : il peine à suggérer autre chose que ce qu'on voit à l'écran. Léa Drucker et Anamaria Vartolomei défendent leurs personnages avec intensité.

NOUVELLE VAGUE (Richard Linklater, 8 oct) LL
Auteur de projets atypiques (Boyhood), Richard Linklater reconstitue le tournage d'A bout de souffle, le premier long métrage culte de Jean-Luc Godard. Les étudiants en cinéma comme les passionnés plus mûrs auront la joie de croiser d'autres figures des Cahiers du cinéma de l'époque, et des collaborateurs qui ont marqué l'histoire de cet art : le chef opérateur Raoul Coutard, le cinéphile à tout faire Pierre Rissient... Le paradoxe réside dans le fait que la manière de Linklater est beaucoup trop sage par rapport à son objet d'étude. Avec des interprètes pas tous convaincants, il nous livre un film parfois savoureux, mais globalement trop illustratif. 

UNE BATAILLE APRES L'AUTRE (Paul Thomas Anderson, 24 sep) LL
Un père de famille, autrefois engagé dans l'action directe, et désormais rangé, est à nouveau traqué. Il doit protéger sa fille et alerter son ancien réseau... Ce n'est pas parce que l'on voit des (anciens) activistes à l'écran que le film arrive à être politique. Les maladresses du personnage principal (Di Caprio), trop porté sur la fumette, sont pathétiques et n'incitent pas forcément à la résistance. Et le danger des forces de l'ordre établi capitaliste et autoritaire semble atténué également par des côtés ridicules. Dépourvu de vrai point de vue, le long métrage ne semble mû que par la volonté de mixer de façon improbable A bout de course de Lumet, et The Big Lebowski des Coen. Surnage l'interprétation de la jeune Chase Infiniti, un tempérament à suivre.

SOUNDTRACK TO A COUP D'ETAT (Johan Grimonprez, 1er oct) L
Sur le papier, ce documentaire sur l'assassinat de Patrice Lumumba, peu après l'indépendance de la République du Congo, entendait traiter son sujet par un angle original, en s'intéressant notamment à la façon dont Louis Armstrong et d'autres musiciens de jazz furent envoyés en Afrique, pendant que les intérêts économiques des puissances coloniales  étaient discrètement préservés. Mais ce n'est qu'une petite partie du film, dont le gros problème vient de sa réalisation sous forme de collage de bribes d'archives pas toujours sourcées. Au final, la fiction Lumumba, réalisée par Raoul Peck, bien que didactique, était plus convaincante.

Version imprimable | Films de 2025 | Le Samedi 01/11/2025 | 0 commentaires




Archives par mois


Liens cinéphiles


Il n'y a pas que le ciné dans la vie

Des liens citoyens