- Bravo : La Chambre d'à côté (Pedro Almodovar)
- Bien : Bird (Andrea Arnold), Julie se tait (Leonardo Van Dijl), Je suis toujours là (Walter Salles), Mémoires d'un escargot (Adam Elliot)
- Pas mal : Le Quatrième mur (David Oelhoffen), Un ours dans le Jura (Franck Dubosc), Le Dossier Maldoror (Fabrice Du Welz)
- Bof : Les Feux sauvages (Jia Zhang-ke)
LA CHAMBRE D'A COTE (Pedro Almodovar, 8 jan) LLLL
Il y a six ans, Pedro Almodovar livrait Douleur et gloire, un film-somme d'inspiration en partie autobiographique, et dans lequel on retrouvait la quintessence de son style. Ici, il livre plutôt un film testamentaire, notamment de par son sujet, en interrogeant le rapport à la mort de ses deux personnages principaux, une reportrice de guerre frappée par un cancer agressif, et son amie écrivaine à succès qui vient d'écrire un livre à la teneur vitaliste. Le cinéaste s'inscrit depuis longtemps dans un héritage d'un certain cinéma classique hollywoodien, Douglas Sirk en particulier, donc la langue anglaise semble couler de source. Par contre, s'il y a toujours un travail sur les couleurs, elles ne sont pas saturées comme à l'habitude. Au lieu de reproduire ce qu'on attend de lui, Almodovar invente une forme plus sobre en apparence, et adaptée aux enjeux, qu'il traite d'ailleurs avec nuances, loin du manichéisme bien intentionné mais maladroit de Mar Adentro de son compatriote Amenabar. On retrouve bien sûr cette précision dans les interprétations de Tilda Swinton et Julianne Moore. Loin de rechercher la satisfaction immédiate, esthétique ou émotionnelle, ce nouveau sommet dans la filmographie du maître espagnol, qui déjoue les attentes, trouve sa grandeur avec des qualités beaucoup plus souterraines, qu'accompagne idéalement la musique d'Alberto Iglesias.
BIRD (Andrea Arnold, 1er jan) LLL
Il s'agit du quatrième film de la cinéaste Andrea Arnold à avoir été sélectionné en compétition officielle à Cannes. Contrairement aux trois autres, il n'a pas eu de prix, ce qui est paradoxal alors qu'il s'agit probablement de son meilleur. Curieusement, à tête reposée, on pourrait retrouver des motifs de ses précédentes réalisations : une adolescente défavorisée (elle est élevée par un père immature qui l'a eu trop tôt), mais douée d'une forte personnalité (comme dans Fish Tank), une utilisation non conventionnelle de musiques pas trop mainstream (comme dans American honey). Mais au cours de la projection, on a pourtant l'impression de redécouvrir son univers, grâce à une mise en scène dans laquelle les contraires (le naturalisme d'un côté, des touches de poésie presque surnaturelles d'un autre, celui du rôle titre) s'additionnent avec une grâce inédite, au lieu de s'annuler...
JULIE SE TAIT (Leonardo Van Dijl, 29 jan) LLL
Pratiquante intensive du tennis, Julie est très douée, aspire à devenir professionnelle, mais est encore lycéenne. Un jour, son entraîneur est suspendu soudainement... Les scènes tennistiques bénéficient à plein de l'expérience de son interprète principale Tessa Van den Broeck, jeune tenniswoman professionnelle dans la vraie vie. La mise en scène de ce premier long métrage est remarquable, avec des plans-séquences admirablement composés, aptes à travailler le hors-champ comme les non-dits. La musique originale, composition de vocalises assez étranges signées Caroline Shaw, est utilisée de façon parcimonieuse mais à bon escient, et contribue à l'atmosphère de ce suspense psychologique mâtiné de notes de critique sociale.
JE SUIS TOUJOURS LA (Walter Salles, 15 jan) LLL
La dictature militaire brésilienne évoquée à travers le destin de la famille Paiva, nombreuse, joyeuse et heureuse jusqu'à l'arrestation du père, ancien député travailliste. Eunice, la mère, formidablement incarnée par Fernanda Torres, qui se tenait jusque là à l'écart de la politique, va devoir résister au régime en place. Le récit est construit de façon très chronologique. On a ainsi d'abord le temps de s'immerger dans le quotidien de cette famille, avant qu'elle ne soit rattrapée par la réalité de la situation politique. Dans les meilleurs moments, on pense à Kleber Mendonça Filho, autre grand réalisateur brésilien contemporain (Aquarius). On pourra cependant regretter les conventions de l'épilogue final, après un ultime saut dans le temps...
MEMOIRES D'UN ESCARGOT (Adam Elliot, 15 jan) LLL
Prévenons d'emblée, ce second long métrage d'animation de Adam Elliot n'est pas à destination des enfants, et son personnage principal n'est pas un animal, comme le titre semble l'indiquer, mais un être humain. En l'occurrence il s'agit d'une jeune femme devenue orpheline beaucoup trop tôt, et placée de surcroît dans une autre famille d'accueil que son frère jumeau... Sur le papier, il y a pas mal de sordide dans cette histoire, mais le tournage en stop motion, avec des personnages plus expressifs que des interprètes en chair et en os, donne du relief, et même un certain humour à l'ensemble. Au détour d'une séquence, on remarquera également une mise en abyme, ce qui est devenu assez courant dans le cinéma en live mais est inhabituel dans le domaine de l'animation. Une jolie réussite qui concrétise les espoirs du prometteur Mary et Max, il y a plus de quinze ans.
LE QUATRIEME MUR (David Oelhoffen, 15 jan) LL
Pour respecter la volonté d'un vieil ami souffrant, le français Georges se rend au Liban pour mettre en scène Antigone avec des comédiens et comédiennes issus des différentes communautés. Nous sommes en 1982... Il ne s'agit pas ici d'un film qui mettrait au clair la chaîne des responsabilités qui ont abouti au massacre des camps de Sabra et Chatila (ce point est travaillé par Valse avec Bachir d'Ari Folman, original par son angle comme par le traitement esthétique). Mais plutôt d'une adaptation du roman éponyme du grand reporter Sorj Chalandon, dans lequel de bonnes volontés se retrouvent sous les bombardements, et dans un conflit qu'ils n'ont pas provoqué. Si le film se veut un choc, la violence ne me semble pas filmée de façon complaisante. On a rarement vu Laurent Lafitte dans un film aussi grave. La comédienne libanaise Manal Issa, découverte dans Peur de rien de la cinéaste Danielle Arbid, confirme l'excellence de son talent.
UN OURS DANS LE JURA (Franck Dubosc, 1er jan) LL
Il faut accepter cette prémisse heureusement improbable : en voulant éviter un ours sur la route, un conducteur tue accidentellement deux personnes en possession d'une grosse somme d'argent... Après beaucoup d'années d'un humour un peu au ras des pâquerettes, Franck Dubosc change de registre, et s'offre une comédie macabre dans la neige. Surprise : si la mise en scène n'égale pas celle des frères Coen (on pense bien sûr à Fargo), le film trouve un vrai style. La crédibilité vient moins d'un scénario certes astucieux mais avec ses invraisemblances que d'une interprétation homogène de personnages plus ou moins amoraux, avec des partenaires comme Laure Calamy (impayable, quoique) ou Benoît Poelvoorde (gendarme plus perspicace qu'il n'en a l'air).
LE DOSSIER MALDOROR (Fabrice Du Welz, 15 jan) LL
Librement inspiré de l'affaire Dutroux. Le nom des personnages a été modifié, et le personnage principal de gendarme hanté par la disparition non résolue de plusieurs fillettes (Anthony Bajon) est fictif. Le film a le mérite de mettre en lumière la guerre des services, peu connue de ce côté-ci des Ardennes, existant à l'époque entre la gendarmerie, la police judiciaire et la police locale, qui ne partagent pas leurs informations. Le titre ne ment pas, il s'agit d'un film dossier. Un peu comme dans Voyage au bout de l'enfer, une longue séance de mariage dans le premier tiers donne la mesure du bonheur et de la perte à venir. La suite du long métrage est malheureusement filmée d'une façon qui frise parfois la complaisance avec la violence.
LES FEUX SAUVAGES (Jia Zhang-ke, 8 jan) L
Jia Zhang-ke a puisé dans les images tournées à l'occasion de ses longs métrages précédents pour tenter de construire une nouvelle fiction, en y ajoutant une coda qui se passe pendant la crise du Covid-19. Il y a bien des récurrences parmi les interprètes, mais cela ne crée pas forcément de nouveaux personnages intéressants. En enregistrant la mutation du pays (comme Richard Linklater filmait dans Boyhood le vieillissement de ses personnages), le seul intérêt du film reste son aspect documentaire, avec l'actrice Zhao Tao qui en serait un témoin muet.
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