Les Graines du figuier sauvage (Mohammad Rasoulof, 18/09/2024) LLLL (n°1 Télérama)
Ce long métrage fait d'emblée événement, puisqu'il s'agit du dernier film réalisé clandestinement en Iran par Mohammad Rasoulof avant son exil. Il peut donc se prêter à des commentaires qui font fi de ses qualités cinématographiques, ce qui est très injuste, tant le film possède une force remarquable (ce qui était déjà le cas du Diable n'existe pas, Ours d'or en 2020). Iman, fonctionnaire, vient d'être nommé enquêteur au tribunal révolutionnaire. Il se veut intègre, mais doit accepter des ordres sans possibilité d'étudier les dossiers. Pendant ce temps, des émeutes éclatent. Pour assurer leur sécurité, Iman demande à sa femme et à ses deux filles d'être discrètes, tandis qu'on lui confie une arme de service. Les deux adolescentes suivent la révolte des femmes sur leurs téléphones... La première grande force du film réside dans le fait que la famille constitue une allégorie de la situation politique du pays entier, tout en constituant des personnages réalistes à part entière. La grandeur de la mise en scène accentue cette impression : si le film est d'abord un huis clos tendu dans l'appartement familial, il convoque ensuite des genres cinématographiques qu'on n'attendait pas forcément et qui lui donnent une ampleur peu commune. Un des meilleurs films de l'année, qui aurait dû recevoir à Cannes un prix bien plus élevé que l'accessit (prix spécial) créé pour l'occasion.
Los Delincuentes (Rodrigo Moreno, 27/03/2024) LLL (n°4 Télérama)
Moran, le trésorier d'une banque de Buenos Aires, s'arrange pour voler 650000 dollars à son travail. Il confie l'argent à un collègue, Roman. Le plan est le suivant : Moran se rend quelques jours plus tard, purge sa peine, et à la sortie de prison, les deux comparses récupèrent le magot, et n'auraient plus besoin de travailler. Le but du casse ne serait donc pas de faire fortune, mais de gagner du temps libre. Mais tout n'est pas si simple... Il ne faut pas avoir peur de la durée du film (environ 3h), scindé en deux parties, et qui mêle plusieurs genres. On se plonge avec délice dans le romanesque des situations et les caractères haut en couleur de tous les personnages. La plupart des interprètes sont inconnus chez nous, à part Laura Paredes qui joue la cadre des assurances qui conduit l'enquête interne à la banque, et qui était déjà au coeur des remarquables La Flor et Trenque Lauquen, du collectif El Pampero Cine (dont Rodrigo Moreno ne fait pas partie). Au fil de tous les développements, on découvre un film d'inspiration plutôt libertaire (mais au sens antilibéral du terme).
Miséricorde (Alain Guiraudie, 16/10/2024) LLL (n°2 Télérama)
Depuis Toulouse où il est installé, Jérémie se rend dans le village de son enfance pour aller à l'enterrement de son ancien patron boulanger. Il est hébergé par la veuve de ce dernier, et il y reste quelques jours... Il serait sacrilège de dire plus de l'intrigue. En effet, le film n'arrête pas de se réinventer en chemin. Et pourtant, pour ce faire, il n'use en rien de coups de théâtres scénaristiques spectaculaires (les fameux "twists"). Bien qu'on ne doute jamais d'être face à un nouveau Guiraudie, on y avance sans anticiper où est-ce qu'il va nous emmener. Cela tient en grande partie à sa mise en scène, non pas par des effets formalistes ostentatoires, mais au contraire par un travail virtuose de tous les instants mais en apparence invisible sur la lumière (y compris lorsqu'elle est faible dans certaines séquences nocturnes), les sons (aussi importants que les images pour restituer les paysages), et une certaine perversité amorale dans l'écriture des personnages. Le tout est une réjouissante parenthèse loin des conventions et à l'opposé des films trop programmatiques.
Les Fantômes (Jonathan Millet, 03/07/2024) LLL (n°3 Télérama)
Deux ans après avoir été relâché en plein désert de la prison de Saidnaya, on retrouve Hamid en 2016, en train de travailler sur un chantier. Mais il consacre son temps libre à retrouver la trace d'un de ses tortionnaires, dont il n'a qu'une photo floue. Il ne peut d'ailleurs pas s'en remettre à la seule vue, lui qui avait la tête emprisonnée dans un sac lors des sévices. Jonathan Millet, venu du documentaire, connaît bien son sujet, mais a choisi la fiction pour rendre compte du traumatisme d'Hamid. Il emprunte de surcroît la forme du film à suspense plutôt que de la chronique. La tension et le trouble sensoriel qui traversent peu à peu les séquences proviennent de l'interprétation puissante mais singulière d'Adam Bessa, de presque tous les plans, mais aussi et surtout du travail sonore, toute la bande son, qui ne se réduit pas à la musique originale, inspirée, de Yuksek.
Borgo (Stéphane Demoustier, 17/04/2024) LLL (n°14 Télérama)
De film en film, la manière de Stéphane Demoustier (Terre battue, La Fille au bracelet) prend de l'ampleur. Deux trames narratives sont ici montées en parallèle : d'un côté une enquête sur un probable règlement de comptes entre bandes rivales en Corse, de l'autre côté l'arrivée depuis le continent d'une surveillante au centre pénitentiaire de Borgo. Bien que l'atmosphère puisse faire penser à Un prophète de Jacques Audiard, le film n'en pâtit pas. La maîtrise formelle est indéniable tout en ne s'interdisant pas des surprises (une reprise d'un tube de Julien Clerc à l'intérieur d'une scène d'une belle intensité, par exemple). Et bien sûr, au centre de l'enchaînement des faits, il y a le jeu de Hafsia Herzi, tour à tour (ou parfois simultanément dans le même plan) lumineuse et opaque à souhait...
All we imagine as light (Payal Kapadia, 02/10/2024) LLL (n°12 Télérama)
Mumbai de nos jours. Prabha, dont le mari est parti travailler en Allemagne, est infirmière dans le même hôpital que la jeune Ana, sa colocataire, qui vit une relation en cachette avec un garçon musulman. Sur son lieu de travail, Prabha tente de soutenir également Parvaty, une femme veuve plus âgée et menacée d'expulsion... Une des grandes forces du film (Grand-Prix à Cannes), qui peut toutefois constituer aussi une limite, tient dans le fait qu'une seconde vision décuple son intérêt. La mise en scène est très travaillée et moderne, mais peut se comprendre avec retard : aucun détail n'est laissé au hasard, mais Payal Kapadia n'est pas une cinéaste démiurge qui dirige le regard. Par moments, et dès le prologue qui prend le pouls de la grande ville, on entend les voix de personnages qui à l'écran n'ouvrent pas leurs lèvres. Alors que dans la dernière partie, dans un village de bord de mer, un mystérieux personnage échoué finit par prononcer certaines paroles : on le voit bien parler, et pourtant, dans un subtil halo, il pourrait bien s'agir d'une projection mentale d'une des héroïnes...
Madame Hofmann (Sébastien Lifshitz, 10/04/2024) LLL (n°15 Télérama)
Sébastien Lifshitz, documentariste passionnant, dans son étude des questions de genre notamment (Les Invisibles, sorti en salle et césarisé, ou Petite fille, diffusé uniquement sur Arte), s'intéresse à un tout autre sujet ici, en réalisant le portrait de Sylvie Hofmann, une infirmière-cadre de l'hôpital Nord de Marseille, au moment où celle-ci s'apprête à partir en retraite, au bout de quarante années d'exercice. Sa forte personnalité ne cannibalise pas pour autant le film, qui à travers ce portrait se laisse traverser par des questionnements intimes (la rapport à la maladie, à la mort), par exemple mais pas uniquement dans les échanges entre Sylvie Hofmann et sa mère, mais aussi collectifs (avec les effets de la paupérisation de l'hôpital public). Sur la forme, la musique, composée avec soin par Grégoire Hetzel, prend une place inhabituelle chez le cinéaste.
Le Mal n'existe pas (Ruysuke Hamaguchi, 10/04/2024) LLL (n°13 Télérama)
Le projet d'installation d'un "glamping" (camping de luxe) est présenté au village pressenti pour l'accueillir, en lisière de forêt. Le film aurait pu jouer dans la catégorie devenue familière des ciné-tracts écolos, où une figure justicière honnête s'oppose aux intérêts puissants (dernièrement encore Les Algues vertes, de Pierre Jolivet). Hamaguchi livre un film aux personnages moins caricaturaux, mais qui expose néanmoins, à qui voudra bien le voir, l'antagonisme entre les logiques capitalistes et la défense des équilibres naturels et de la biodiversité. L'oeuvre n'a pas la densité des précédents opus du cinéaste, et en est assez éloignée dans la forme comme dans le fond. Mais le puissant épilogue, douloureux, inattendu (mais pas illogique), est d'une grande force cinématographique.
L'Histoire de Souleymane (Boris Lojkine, 09/10/2024) LLL (n°7 Télérama)
Le titre, d'une simplicité apparente, est plus équivoque qu'il n'y paraît. On suit trois jours de la vie quotidienne de Souleymane, arrivé de Guinée sans papiers, et qui prépare l'entretien qu'il doit passer avec l'Ofpra, tout en étant livreur à domicile pour une plateforme, grâce à un prête-nom qu'il doit rémunérer. La plus grande partie du film tient du dispositif : rester collé en permanence aux basques de son principal protagoniste (Abou Sangare, intense), lors de ses impressionnantes courses à vélo dans Paris, mais aussi dans ses interactions parfois douloureuses avec les autres personnages. La dernière partie est filmée différemment, dans un champ - contrechamp faussement simple là-aussi, puisqu'il permet le déploiement d'une parole longtemps différée, d'autant plus que Souleymane préférait servir au départ un autre récit. Au final, une alternative aux discours anti-humanistes des plateaux télé.
A son image (Thierry De Peretti, 04/09/2024) LLL (n°5 Télérama)
Même s'il dure un peu moins de deux heures, le nouveau film de Thierry De Peretti, adapté d'un roman de Jérôme Ferrari, tient de la fresque, en observant comment Antonia, une jeune photo-journaliste recrutée par Corse-Matin, va traverser les années 1980 et 1990 ponctuées par la violence politique. Un des intérêts de l'oeuvre est de corsifier le regard, en donnant accès à des points de vue peu présents ou peu développés en métropole. Il "n'excuse" rien, mais montre les tragédies endurées par les peuples voulant légitimement disposer d'eux-mêmes. La forme n'est pas forcément aussi ample que le fond, mais il y a du romanesque dans ce récit, à travers les amours et amitiés de la jeune femme (Clara-Maria Laredo, en tête d'un casting majoritairement corse).
Flow (Gints Zilbadolis, 30/10/2024) LLL (n°8 Télérama)
Un film d'animation qui se déroule après un déluge. Une poignée d'animaux tente de survivre à la montée des eaux, dont un chat, qu'on ne quittera pas, et qui devra apprendre à ne plus avoir peur de se mouiller. Aucun animal humain à l'horizon, les personnages ne parlent pas, ils miaulent, aboient etc... Peu d'anthropomorphisme dans leurs comportements, qui ont l'air plausibles au niveau éthologique. Cela rend très vivante l'histoire (car il y en a quand même une). On retient son souffle pour mieux entendre celui des animaux, à l'intérieur d'une belle création sonore. Visuellement, la réalisation privilégie des plans séquences qui auraient été virtuoses en prises de vue réelles. Le petit bémol, à mon goût, réside dans le graphisme 3D, qui cherche un peu trop le trompe-l'oeil (dans tout ce qui entoure les protagonistes), sans trouver un style propre, alors que Gintz Zilbalodis a participé à tous les postes de la production.
Emilia Pérez (Jacques Audiard, 21/08/2024) LL (n°11 Télérama)
Un narcotrafiquant mexicain engage une jeune avocate d'un cabinet (peu regardant sur les personnes qu'il défend) pour trouver les médecins qui l'aideront à changer de sexe... et peut-être de vie. Entièrement tourné en studio, le film témoigne d'une recherche esthétique à chaque plan, ou au moins chaque numéro. Car il s'agit d'une comédie musicale ! La principale réserve concerne les chansons (signées Camille et Clément Ducol) : s'il est de coutume dans ce genre cinématographique qu'elles traduisent l'état d'âme des protagonistes, ici elles semblent trop explicites, trop claires pour un film noir. Jacques Audiard fait néanmoins mieux que ses derniers films, et le prix collectif d'interprétation reçu à Cannes (Karla Sofia Gascon, Zoe Saldana, Selena Gomez et Adriana Paz) est mérité.
The Apprentice (Ali Abbasi, 09/10/2024) LL (n°10 Télérama)
L'origine du mal(e). Il ne s'agit pas ici d'une réflexion à la Hannah Arendt, mais du récit de la rencontre entre Donald Trump, alors magnat de l'immobilier dans l'entreprise alors dirigée par son père, et Roy Cohn, un avocat qui a commencé sa carrière auprès du sénateur McCarthy. Entre le milieu des années 70 et le milieu des années 80, ce dernier va lui enseigner ses trois "principes" : attaquer, tout nier en bloc, ne jamais reconnaître la défaite. Le scénario a été écrit par un journaliste politique, Gabriel Sherman. Dans ce rôle de mentor, Jeremy Strong aurait pu obtenir le prix d'interprétation à Cannes. Et pourtant l'écriture des personnages, présentés comme constamment inhumains, en manquant de finesse, risque de rater sa cible et d'être contreproductive.
Le Comte de Monte-Cristo (Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière, 26/06/2024) L (lecteurs jeunes Télérama)
Edmond Dantès, emprisonné après une accusation à tort de trahison, finit par s'évader, avec une soif de vengeance envers ses ennemis... Le scénario, adapté d'Alexandre Dumas, aurait dû captiver, mais le récit souffre d'une réalisation à la truelle. Le souffle recherché est éventé par des centaines de plans filmés au drone sur fond de musique pompière. Cet emploi de grands moyens n'arrive jamais à créer une grande mise en scène. Dommage.
La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer, 31/01/2024) 0 (n°9 Télérama)
Auschwitz comme si vous n'y étiez pas. L'horreur absolue réduite à un bruit de fond, et à quelques éléments épars ostensiblement montrés. A peine moins pire dans la maladresse que l'option inverse de la reconstitution calamiteuse des camps dans le biopic d'Olivier Dahan sur Simone Veil. Comme si la banalité du Mal désignait d'abord le micro-climat de la vie de famille d'un tortionnaire nazi, plutôt que le fait que beaucoup de personnes ont participé à engendrer ce Mal, même à un petit niveau (ce que montrait davantage La Passagère d'Andrzej Munk et Witold Lesiewicz, restauré l'an dernier et qui vient d'être disponible en DVD). La musique vocale concrète qui accompagne le générique final résume l'abjection du film : s'arroger le droit de faire un art prétendument conceptuel avec une telle réalité.
The Substance (Coralie Fargeat, 06/11/2024) (n°6 Télérama)
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