- Bravo : Drive my car (Ryusuke Hamaguchi)
- Bien : Onoda (Arthur Harari), Les Sorcières d'Akelarre (Pablo Agüero), Le Sommet des dieux (Patrick Imbert), Les Sorcières de l'Orient (Julien Faraut), La Terre des hommes (Naël Marandin), Stillwater (Tom McCarthy), Louloute (Hubert Viel), Boîte noire (Yann Gozlan), Tout s'est bien passé (François Ozon)
- Pas mal : Serre moi fort (Mathieu Amalric), Rouge (Farid Bentoumi), Une fois que tu sais (Emmanuel Cappellin), True mothers (Naomi Kawase), Les Amours d'Anaïs (Charline Bourgeois-Tacquet), Tom Medina (Tony Gatlif)
- Bof : France (Bruno Dumont), Passion simple (Danielle Arbid)
DRIVE MY CAR (Ryusuke Hamaguchi, 18 aou) LLLL
Le film demande certes au spectateur de se rendre disponible pendant trois heures. Mais ce qu'il offre en retour est magnifique, et on a envie de le remercier pendant des heures après l'avoir vu. Ryusuke Hamaguchi a su concilier l'exigence narrative (prix du scénario à Cannes) et l'exigence de mise en forme que requiert le cinéma. Hamaguchi (ou Murakami ?) s'autorise, en particulier dans le dernier tiers, des coups de théâtre qui peuvent surprendre, à l'intérieur de la petite musique bouleversante qui s'élabore et nous atteint petit à petit. Mais il ne s'agit pas vraiment de coups de force scénaristiques dans le but de faire avancer son récit : Hamaguchi ne s'intéresse qu'aux répercussions intimes ou existentielles sur ses personnages (ainsi cela ne dénature pas sa démarche). Le prix de la mise en scène aurait tout aussi bien pu lui convenir : si on est attentif aux moindres détails, ce n'est pas uniquement le fait du côté romanesque, mais aussi par la qualité de regard du cinéaste. Il n'y a pas un seul plan de raté ou d'approximatif, on ressent toutes les scènes comme si elles avaient la durée idéale etc. Sans parler de la direction d'acteurs et de la puissance d'incarnation des interprètes... Drive my car suit le trajet (intérieur) de plusieurs personnages, mais pas comme une aventure, un parcours linéaire semé d'embûches. Ici, le passé s'invite et dialogue avec le présent, quand bien même le film n'a recours à aucun flash-back et respecte l'ordre chronologique du début à la fin. Aucune longueur malgré sa durée.Tant mieux, car il faut bien 3h pour en apprendre davantage sur les personnages sans les brusquer. Au niveau qualitatif, l'intimité qu'on noue avec eux est sans comparaison possible avec les films qui ne proposent à leurs spectateurs et spectatrices que de tenir la chandelle...Dans l'histoire du cinéma, les films "modernes" ont parfois été reliés au thème de l'incommunicabilité. Drive my car est encore travaillé par ça, mais ose peut-être aussi le contraire : d'une part, on continue à être relié aux personnes disparues, et d'autre part, au présent, on n'a pas besoin de parler la même langue pour parler le même langage...
ONODA (Arthur Harari, 21 juil) LLL
Tourné par un réalisateur français au Cambodge (l'intrigue se passe en réalité aux Philippines) avec des acteurs japonais, cette production atypique impressionne. Elle raconte l'histoire authentique de Onoda, un officier japonais formé par une unité spéciale (avec une éthique très différente de l'armée régulière), qui est envoyé en 1944 à Lubang, une île des Philippines, avec un commando. Attendant d'être relevé de sa mission par un supérieur, il se croit toujours en guerre, un quart de siècle après l'armistice. Il ne faut pas avoir peur de la durée du film (plus de 2h40), car on ne voit pas le temps passer. Arthur Harari réussit une fresque très inhabituelle dans le cinéma français, avec un sens de l'espace (qui peut faire penser autant à Werner Herzog que Terrence Malick) et un antihéros passionnant même si on le suit sans fascination (il n'a pas un charisme à la Klaus Kinski) ni sympathie.
LES SORCIERES D'AKELARRE (Pablo Agüero, 25 aou) LLL
L'action se passe au Pays basque, en 1609. De jeunes tisserandes sont brusquement arrêtées et accusées de sorcellerie, simplement parce qu'elles vivent dans un village de pêcheurs, abandonné une partie de l'année par les hommes, mais terre de mission pour l'Eglise catholique... Le film est tourné en Espagne par un réalisateur argentin, Pablo Agüero, mais est inspiré par la mission inquisitrice dans le Pays basque français du juge Pierre de Rosteguy de Lancre (à la demande d'Henri IV). La mise en scène est très relevée, avec des moments d'anthologie, et le film, historique mais qu'on regarde avec nos yeux d'aujourd'hui, peut faire écho à des questionnements contemporains (sur le stigmate de "sorcière" et la manière dont on peut le retourner).
LE SOMMET DES DIEUX (Patrick Imbert, 22 sep) LLL
On a peine à croire que ce film d'animation français est tiré d'un manga à succès de Jirô Taniguchi et Baku Yumemakura de plus de mille six cent pages, tant la fluidité narrative n'est jamais mise en défaut dans la réduction inévitable en un récit d'une heure et demie. Habu est un alpiniste solitaire (ses rares compagnons de cordée semblent l'encombrer), qui rêve d'inscrire son nom dans les annales de sa discipline. Après plusieurs revers marquants, il disparaît des radars. Une dizaine d'années plus tard, Fukumachi, reporter montagnard, croît l'apercevoir à Katmandou... Le film commence comme une enquête et se nourrit de nombreux flash-back. Puis peu à peu c'est surtout la quête de Habu que l'on accompagne, avec des séquences vertigineuses qui deviennent aussi un hommage à l'inhospitalière beauté des plus hautes montagnes.
LES SORCIERES DE L'ORIENT (Julien Faraut, 28 juil) LLL
Après L'Empire de la perfection, consacré à John McEnroe, Julien Faraut propos un nouveau documentaire sportif sortant à nouveau de l'ordinaire. Il s'intéresse à l'histoire très singulière d'une équipe féminine de volleyball, constituée d'ouvrières d'une usine textile, qui va devenir au début des années 1960 l'équipe nationale du Japon, et accumuler les victoires internationales (record jamais battu), jusqu'aux championnats du monde et aux Jeux olympiques de Tokyo. Si le film réunit certaines des protagonistes, il offre surtout des images d'archives impressionnantes, sur leurs entraînements notamment, que Julien Farault mêle de façon audacieuse à des extraits de manga inspirés par leur épopée, grâce à un sens du montage assez exceptionnel.
LA TERRE DES HOMMES (Naël Marandin, 25 aou) LLL
Constance veut sauver la ferme de son père de la faillite, en montant avec son fiancé un projet de reprise de l'exploitation, moins quantitatif mais plus qualitatif, éthique mais viable économiquement. Elle obtient le soutien d'un responsable syndical des exploitants, mais celui-ci abuse d'elle. Constance commence par encaisser en silence... Pour son deuxième long métrage, Naël Marandin réussit à tenir les deux thèmes de son drame (les difficultés paysannes dans le modèle agricole dominant, et les agressions et crimes sexuels), sans en sacrifier aucun, et en montrant comment ils s'entrelacent. Diane Rouxel n'est pas une star, mais une grande actrice qui nous fait comprendre la complexité des réactions de son personnage et de la notion de non consentement. Les mille nuances de son jeu constituent le grand atout du film, et compensent une musique un peu trop présente et à l'efficacité convenue.
STILLWATER (Tom McCarthy, 22 sep) LLL
Bill Baker, un ouvrier américain spécialisé dans les forages pétroliers, rend visite à sa fille, emprisonnée à Marseille pour le meurtre de sa petite amie qu'elle dit ne pas avoir commis. Le jugement étant déjà tombé, il décide de rester dans la ville et de mener sa propre enquête (forcément maladroite). Ne parlant pas français, une jeune femme rencontrée par hasard lui sert d'interprète. Il s'installe chez elle et sa ravissante gamine... Malgré sa trame scénaristique, le film n'est pas un polar tendu (comme l'était Spotlight, un précédent film du cinéaste), plutôt un drame qui prend le temps d'accompagner ses personnages attachants, qui s'apprivoisent malgré les différences culturelles qui ne sont pas niées. Belle interprétation d'ensemble, Matt Damon et Camille Cottin en tête.
LOULOUTE (Hubert Viel, 18 aou) LLL
Louise est une prof d'histoire au sommeil perturbé (elle peut s'endormir n'importe où). Dans ses rêves, elle redevient Louloute et navigue dans ses souvenirs d'enfance, dans les années 1980, dans la ferme familiale spécialisée dans l'élevage de vaches laitières. Louloute n'est pas encore adolescente mais, malgré des parents aimants qui cherchent à la protéger (Laure Calamy et Bruno Clairefond, plus que bien), elle comprend que son père est en difficulté, entre endettement croissant et cours du lait en baisse... Sans ostentation, la mise en scène rend très vivants les personnages (les enfants semblent naturels, sans surjouer), l'époque est finement restituée, et le grain de l'image (le film a visiblement été tourné en pellicule) n'y est pas pour rien.
BOÎTE NOIRE (Yann Gozlan, 8 sep) LLL
Après le crash d'un vol Dubai-Paris, un jeune acousticien du BEA (Pierre Niney) mène son enquête. Le son a ses mystères et son suspense : Brian De Palma en avait déjà tiré partie dans Blow out, avec un ingénieur du son de série B interprété par John Travolta. Ici, l'analyse de la boîte noire de l'appareil est un terrain d'investigation prenant, avant de virer dans la deuxième moitié du film en un thriller paranoïaque haletant. On se prend même à penser à Hitchcock, dans la façon dont la mise en scène nous emmène émotionnellement là où le cinéaste veut aller, alors même qu'à froid on pourrait s'interroger sur la vraisemblance de tel ou tel point du scénario.
TOUT S'EST BIEN PASSE (François Ozon, 22 sep) LLL
Après un AVC qui le laisse douloureusement handicapé, un vieil homme qui avait une personnalité excentrique, demande à l'une de ses deux filles de l'aider à mourir, car il ne veut plus vivre de cette façon là. Le film traite son sujet de manière juste au niveau politique ou éthique (sur le droit à mourir dans la dignité). Pour ce que j'en sais, il semble assez fidèle au roman autobiographique éponyme d'Emmanuèle Bernheim (qui avait déjà inspiré le très beau et très libre Être vivant et le savoir d'Alain Cavalier). Est-il également juste émotionnellement ? Le film se montre en tout cas extrêmement prudent, évite tout pathos, et est bien interprété (Sophie Marceau, Géraldine Pailhas, qui a une filmographie discrète mais remarquable depuis Le Garçu de Pialat...).
SERRE MOI FORT (Mathieu Amalric, 8 sep) LL
Une femme quitte sa famille nucléaire (son mari, sa fille et son fils). Elle ne donne pas de nouvelles. Mais, au bout d'un moment, on s'aperçoit qu'elle communique et interagit avec les scènes familiales auxquelles on assiste. Pendant un long moment, on ne comprend pas trop ce qu'on est en train de voir, il y a des pièces du puzzle assez dissonantes. Mais lorsqu'on saisit enfin l'enjeu réel du film, on se dit que, cette fois-ci, contrairement à Barbara où la post-modernité pouvait paraître forcée, ici la forme est indissociable du fond, qui aurait pu être lourd dans un traitement conventionnel. Et Amalric peut compter sur une interprète lumineuse fragile-solide, Vicky Krieps (Phantom thread, Bergman island).
ROUGE (Farid Bentoumi, 11 aou) LL
A travers le scandale des boues rouges, curieusement transposé dans les Alpes, le film montre bien les tensions qui peuvent exister entre les préoccupations sociales et écologiques si l'on reste dans le cadre capitaliste. On a donc besoin d'une écologie qui dépasse le capitalisme, par une planification démocratique, plutôt que d'une écologie qui fait des risettes au grand patronat. L'autre idée du film, c'est d'incarner le dilemme dans un conflit familial. C'est un peu moins convaincant, d'autant que le film n'a pas toujours les moyens de ses ambitions. Pourtant les interprètes sont irréprochables : Sami Bouajila (le père, ouvrier historique), Zita Hanrot (la fille, récemment embauchée et lanceuse d'alerte), et Céline Sallette (journaliste indépendante).
UNE FOIS QUE TU SAIS (Emmanuel Cappellin, 22 sep) LL
Le titre de ce documentaire renvoie à un questionnement sur la psychologie humaine, une fois que les personnes comprennent l'ampleur du risque d'effondrement que nous encourons. Il commence par abuser de musique plombante et de commentaires sentencieux, qui laissent craindre une position de surplomb. Il commence d'ailleurs par interroger des experts qui n'insistent pas toujours sur la nécessité de lier l'urgence écologique à l'urgence sociale et l'urgence démocratique. Heureusement, la suite infléchit un peu cette impression, avec Saleemul Huq et les séquences tournées au Bengladesh. Et, à la fin, le réalisateur participe à une action d'Extinction Rébellion beaucoup plus critique vis-à-vis du modèle économique. Il n'y aura pas de solution tant qu'on confie l'économie au bon vouloir d'actionnaires tout puissants dans des conseils d'administration qui agissent pour accumuler des profits immédiats. Vu l'urgence et l'ampleur de la tâche, il aurait peut-être fallu commencer par là...
TRUE MOTHERS (Naomi Kawase, 28 juil) LL
Depuis quelques années, le cinéma s'interroge sur la pluriparentalité : par exemple dans Lady Bird de Greta Gerwig (une intrigue secondaire du film), ou plus récemment dans Une histoire à soi, le passionnant documentaire d'Amandine Gay sur l'adoption internationale. C'est d'adoption interne au Japon dont il est question ici, à travers l'histoire de Hikari, une adolescente qui, à la demande de ses parents, a caché sa grossesse et a laissé son enfant, à sa naissance, à une association qui se charge de lui trouver des parents. Huit ans plus tard, Hikari cherche à rentrer en contact avec les parents adoptifs de son enfant, un couple aisé mais stérile. Naomi Kawase convainc dans l'aspect social voire documentaire de son approche, un peu moins dans la mise en scène (construction en flash-back, aspects mélodramatiques parfois appuyés).
LES AMOURS D'ANAÏS (Charline Bourgeois-Tacquet, 15 sep) LL
Anaïs (Anaïs Demoustier) est une jeune femme qui court tout le temps, et est toujours en retard. En cela elle ressemble à la Jeanne qu'interprétait Virginie Ledoyen dans Jeanne et le garçon formidable (qui reste haut perché dans mon panthéon personnel). Anaïs finit une thèse de littérature, rompt pour de bon avec un petit ami, cède aux avances d'un éditeur plus âgé (Denis Podalydès, autre point commun des deux films), avant de se passionner pour l'épouse écrivaine de ce dernier (Valéria Bruni Tedeschi)... Ce premier long métrage, situé dans un milieu bourgeois, carbure à une certaine légèreté. D'ailleurs, lorsque la réalisatrice tente d'incorporer des éléments plus graves, cela ne prend pas toujours. Avec également l'impression que le résultat est plus littéraire que cinématographique.
TOM MEDINA (Tony Gatlif, 4 aou) LL
L'histoire d'un jeune homme tumultueux qui est envoyé en "séjour de rupture" dans un mas de Camargue, sous l'autorité d'un gardian. Pendant un moment, on croit assister à une purge : les situations ont déjà été vues de nombreuses fois en mieux dans les précédents films de Gatlif. Malgré tout, il y a de belles scènes, au moment où on ne s'y attend plus. C'est un film brouillon, mais où la magie opère encore parfois. Grâce à l'interprétation de Slimane Dazi, formidable en éducateur miné par le chagrin. Grâce surtout à l'intensité de la musique, entre les décharges électriques de Karoline Rose Sun et des morceaux de flamenco déchirants.
FRANCE (Bruno Dumont, 25 aou) L
Au début, on y croit, à cette caricature de la médiocrité de certaines chaînes d'information en continu, avec sa présentatrice sans scrupule (Léa Seydoux) et son assistante dénuée de toute conscience morale (Blanche Gardin). Le film dénonce la culture du "buzz" et les reportages bidonnés. Sauf qu'aujourd'hui les chaînes d'information en continu, c'est souvent (il ne faut pas mettre sur le même plan France Infos et CNews) peu de reportages et beaucoup de discussions en plateaux, avec des consultants droitisés voire extrémistes et à la légitimité plus que douteuse. Bruno Dumont n'en parle pas, sa critique est datée et imprécise. Le scénario est agrémenté de rebondissements gratinés, et le film semble interminable.
PASSION SIMPLE (Danielle Arbid, 11 aou) L
L'irruption d'une passion amoureuse et charnelle, avec sa part d'inexpliquable, chez une femme de lettres, est un vrai sujet. Son traitement proposé par Danielle Arbid, réalisatrice pourtant talentueuse (Dans les champs de bataille, Peur de rien), n'arrive pas à convaincre. Le film n'arrive pas vraiment à faire ressentir les états émotionnels de son héroïne (malgré l'abnégation de Laetitia Dosch), et, malgré son caractère parfois cru, paraît bien théorique. On notera néanmoins une bande originale soignée (une adaptation anglaise de Ne me quitte pas, et une version féminine du I want you de Dylan, notamment).
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