- Bien : Mandibules (Quentin Dupieux), Petite maman (Céline Sciamma), Hospitalité (Kôji Fukada)
- Pas mal : Balloon (Pema Tseden), Si le vent tombe (Nora Martirosyan), L'Etreinte (Ludovic Bergery), Playlist (Nine Antico), Des hommes (Lucas Belvaux)
- Bof : Nomadland (Chloé Zhao)
MANDIBULES (Quentin Dupieux, 19 mai 2021) LLL
Deux compères qui survivent de combines assez aléatoires découvrent, dans le coffre d'une voiture qu'ils se sont (drôlement) appropriée, une mouche géante. L'un des deux propose de l'apprivoiser et de la dresser pour lui faire faire tout ce qu'ils souhaitent... Le point de départ est absurde, et les personnages sont très décalés (les deux glandeurs bien sûr, mais aussi d'autres personnages rencontrés par la suite). Mais, contrairement à certains films précédents de Dupieux qui s'usaient en cours de route, ici la note est vaillamment tenue jusqu'au bout, la durée (1h17) n'étant pas excessive. Le réalisateur donne ses lettres de noblesse à la crétinerie, qui lui permet une belle créativité, à distance de l'auteurisme comme de la vulgarité des produits grand public. Dix ans après le cultissime Rubber, parodie de genre tournée aux Etats-Unis autour d'un pneu tueur, Quentin Dupieux fait, en langue française cette fois, à nouveau mouche.
PETITE MAMAN (Céline Sciamma, 2 juin 2021) LLL
Nelly, 8 ans, n'a pas eu le temps de dire au-revoir à sa grand-mère maternelle. Avec ses parents, elle se retrouve dans la maison de la défunte, qu'il va falloir vider. Sa mère retrouve ses cahiers d'écolière. Puis elle part, laissant seuls la fille et son père. Nelly joue seule avec un jokari, l'élastique casse. En cherchant la balle perdue, elle tombe sur sa maman, enfant, à l'âge de 8 ans... Même s'il y a des constantes, la cinéaste Céline Sciamma continue de se réinventer à chaque film. Après la grande forme, flamboyante, de son Portrait de la jeune fille en feu, elle livre un opus plus intimiste sur le deuil et les liens familiaux, sous forme de fable fantastique. Son minimalisme ne plaira pas forcément à tout le monde, mais c'est pourtant là son intérêt : elle arrive à recréer tout un imaginaire avec une très grande économie de moyens. Elle tire le meilleur parti de ses petites comédiennes (les jumelles Joséphine et Gabrielle Ganz), avec un souci du détail et une discrète profondeur.
HOSPITALITE (Kôji Fukada, 26 mai 2021) LLL
Malgré la situation d'embouteillage cinématographique qui accompagne la réouverture des salles, on peut encore rattraper des films inédits. Celui-ci date de 2010, et nous arrive après plusieurs films plus récents du réalisateur Kôji Fukada. Un petit imprimeur vit avec sa fille, sa nouvelle (et jeune) compagne, ainsi que sa soeur. L'atelier est au rez-de-chaussée, la partie maison au-dessus. Un jour, un homme, ancienne connaissance de la famille, lui rend visite, suite à une petite annonce (pour retrouver l'oiseau de compagnie de la fillette)... La cellule familiale va être bouleversée par l'arrivée de cet intrus, alors même que des voisins pétitionnent contre la menace que représenteraient les mendiants et les étrangers (l'imprimeur a signé la missive par conformisme, pour ne pas se faire remarquer). Le film est une satire du modèle familial ancestral, mais surtout des replis identitaires et xénophobes qui travaillent la société japonaise (et bien d'autres par les temps qui courent). Kôji Fukada reprendra un peu le même motif dans un de ses films suivants (Harmonium), mais en délaissant la satire politique pour un film de genre qui se voit davantage au premier degré.
BALLOON (Pema Tseden, 26 mai 2021) LL
Pema Tseden est un des rares cinéastes tibétains en activité (ou le seul ?) et avait fait l'objet d'une découverte au festival de La Rochelle en 2012. Quelques films ont été chichement distribués en France depuis. Balloon est tiré d'un recueil de nouvelles de Tseden lui-même, d'où son caractère plus narratif que Old dog (2011). Le film fait le portrait d'une famille d'éleveurs de béliers confrontée à la politique de contrôle des naissances imposée par le régime chinois. Le titre renvoie aussi bien à des préservatifs que des enfants utilisent comme ballons de baudruche qu'au ventre rond d'une femme enceinte. L'héroïne Drolkar (excellente Sonam Wangmo) va aussi devoir affronter les traditions, et notamment la croyance bouddhiste dans la réincarnation. La narration est un peu trop didactique, et semble privilégier le pittoresque au social, mais il est plaisant que la réouverture des salles obscures permette d'accéder à nouveau (dans de trop rares endroits) à ce genre de cinéma.
SI LE VENT TOMBE (Nora Martirosyan, 26 mai 2021) LL
Un premier long métrage de fiction, témoignage parfois proche du documentaire, et rattrapé depuis le tournage par la réalité, voici ce que propose Si le vent tombe. Nous sommes dans le Haut-Karabakh, en 2018. Un consultant français (Grégoire Colin) arrive dans un aéroport au milieu de nulle part, d'où aucun avion ne s'est jamais envolé. Il doit vérifier les normes de sécurité dans la perspective d'une ouverture prochaine. Il comprend rapidement que les enjeux dépassent son rapport technique : la mise en service aiderait le petit pays autoproclamé indépendant au début des années 1990 à être enfin reconnu par la communauté internationale, mais risquerait d'accroître la tension avec l'Azerbaïdjan, pays voisin hostile. Sans éviter un côté parfois illustratif (avec un petit garçon porteur d'eau), la réalisatrice arménienne arrive à rendre sensibles et concrètes des questions délicates (par exemple sur la notion, pas si intangible que ça, des frontières).
L'ETREINTE (Ludovic Bergery, 19 mai 2021) LL
Margaux est dans la cinquantaine, et vient de perdre son mari. Elle décide de donner un nouveau départ à sa vie, et pour ce faire de reprendre des études (de littérature allemande). Elle se rapproche d'un groupe d'étudiants, et se lie d'amitié avec l'un d'entre eux, homosexuel. L'enjeu du film est d'observer comment elle va réussir (ou pas) à revivre sur le plan personnel. Le scénario souffre parfois d'un trop grand schématisme : certaines séquences semblent regardées avec une grille de lecture réductrice qui semble n'envisager Margaux qu'à travers son âge, a fortiori lorsque le récit tourne autour du thème de la sexualité. L'atout du film, c'est Emmanuelle Béart. Comme elle a privilégié le théâtre pendant une dizaine d'années, comment allait-elle se faire à nouveau apprivoiser par la caméra ? Sur ce point, la réponse est positive, tant Ludovic Bergery multiplie sur elle les plans serrés et les gros plans, de façon assez convaincante (même si ce n'est pas du Bergman). C'est elle qui tient le film.
PLAYLIST (Nine Antico, 2 juin 2021) LL
Sophie est une jeune fille de 28 ans, à la recherche d'un travail stable qui lui plaise et d'un amour. Dessinant depuis toujours, elle quitte son petit boulot de serveuse pour un emploi de secrétaire relations presse dans une maison d'édition de bande dessinée... L'argument est assez banal, la mise en images moins. Tourné en noir et blanc, le premier film de Nine Antico, par ailleurs autrice de BD, réussit par moment de jolies vignettes, même si cela dépasse rarement le stade des bonnes petites idées. On savourera la bonne interprétation d'ensemble (Sara Forestier, Laetitia Dosch, Grégoire Colin), ainsi que les bonnes références musicales (Daniel Johnston).
DES HOMMES (Lucas Belvaux, 2 juin 2021) LL
Vu en avant-première juste avant la longue fermeture des salles, le film m'avait impressionné, mais cette impression s'est dissipée avec le temps. En le voyant une deuxième fois, je comprends pourquoi : Lucas Belvaux ne réussit pas vraiment à tirer des images cinématographiques du roman éponyme de Laurent Mauvigner. Sur le fond, le film fait plutôt du bien, dans un contexte où la moindre entorse au roman national est considérée aujourd'hui comme un danger supérieur aux idées parallèlement banalisées et dédiabolisées de la bête immonde. Un peu comme dans Voyage au bout de l'enfer (ou en tout cas dans la lecture que j'en fais), le film arrive à dénoncer l'absurdité du patriotisme de l'armée occupante qu'il confronte aux horreurs de la guerre et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Mais il échoue (là où peut-être le roman réussit) à tenir ensemble les deux époques (va-et-vient censé montrer la persistance des blessures) : la mise en scène est assez lourde, tout comme le recours systématique aux voix off pour appréhender l'intériorité des personnages. Avec une plus grande modestie apparente, La Trahison de Philippe Faucon (2006) était autrement plus convaincant, et René Vautier davantage encore, dès les années 70 (Avoir 20 ans dans les Aurès).
NOMADLAND (Chloé Zhao, 9 juin 2021) L
Les deux précédents longs-métrages, réussis, de Chloé Zhao, Les Chansons que mes frères m'ont apprises et The Rider, étaient en immersion dans une Amérique mal connue, avec des acteurs non professionnels qui recréaient un peu de leur propre histoire devant la caméra. En apparence, Chloé Zhao prolonge la démarche dans Nomadland, qui s'intéresse aux travailleurs nomades, mais l'introduction d'un personnage fictif, interprété par Frances McDormand, change la donne. D'une part, les personnages "réels" sont relégués au rang secondaire. Et, d'autre part, ce pas supplémentaire vers la fiction ne s'accompagne d'aucune prise de distance critique (ce qui permet de mettre d'accord Télérama et le Figaro) : les personnages sont montrés avec dignité (encore heureux), mais le fonctionnement de l'économie capitaliste qui a généré ces pratiques de survie (contrats courts et nomadisme) n'est jamais remis en cause. Pire : Amazon est montrée explicitement comme une entreprise qui paye une place de parking pour les travailleurs nomades (quelle générosité), mais le film n'aborde pas la question de son modèle économique ni des conditions de travail. Pourquoi changer le système, alors que les personnages semblent s'en satisfaire et apprécier les couchers de soleil sur des paysages magnifiques ? Cinéaste sincère des marges à ses débuts, Chloé Zhao a depuis rejoint le centre de l'industrie hollywoodienne (son prochain film sera un film de super-héros). Ce n'est pas si étonnant...
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