- Bravo : Le Diable n'existe pas (Mohammad Rasoulof)
- Bien : L'Evénement (Audrey Diwan), West Side story (Steven Spielberg), Memoria (Apichatpong Weerasethakul), Madres paralelas (Pedro Almodovar), La Pièce rapportée (Antonin Peretjatko), The Card counter (Paul Schrader)
- Pas mal : Chère Léa (Jérôme Bonnell), Les Magnétiques (Vincent Maël Cardona), La Fièvre de Petrov (Kirill Serebrennikov), Ziyara (Simone Bitton), Les Amants sacrifiés (Kiyoshi Kurosawa), Dune (Denis Villeneuve), Madeleine Collins (Antoine Barraud)
- Bof : Affamés (Scott Cooper), Un héros (Asghar Farhadi), Tromperie (Arnaud Desplechin)
LE DIABLE N'EXISTE PAS (Mohammad Rasoulof, 1er déc) LLLL
Ce n'est pas un, mais quatre récits que nous raconte Mohammad Rasoulof dans son nouvel opus (Ours d'or à Berlin en 2020). Ils ne s'entremêlent pas, et peuvent se voir indépendamment les uns des autres, mais ils ont des rapports entre eux, et l'ordre dans lequel ils nous sont présentés ne doit rien au hasard. Ce sont des contes moraux, dont on ne dévoilera pas ici les tenants et les aboutissants, car le cinéaste nous propose un cinéma beaucoup plus narratif que contemplatif (bien que des plans soient de toute beauté, ce qui est remarquable pour un film tourné dans la semi-clandestinité). En fil rouge, le film critique l'usage de la peine de mort en Iran. La grande originalité, par rapport à de précédents réquisitoires (de La Dernière marche de Tim Robbins à La Voie de la justice de Destin Daniel Cretton), tient dans le fait qu'il s'intéresse non pas aux condamnés à mort, mais aux personnes chargées de les tuer (qui peuvent être par exemple des appelés effectuant leur service militaire). De ce fait, l'intérêt des histoires qui nous sont proposées ici réside moins dans le suspens (bien qu'il y ait des chutes qui peuvent être surprenantes bien que logiques) que dans la réflexion humaniste que ces récits font sédimenter en nous.
L'EVENEMENT (Audrey Diwan, 24 nov) LLL
Annie Ernaux bénéficie enfin d'une adaptation solide de l'un de ses récits. Nous sommes en France au début des années 1960, et Anne est une prometteuse étudiante en lettres issue d'un milieu modeste. Elle tombe enceinte, et n'a le choix qu'entre garder l'enfant (au risque d'abandonner sa vocation littéraire) ou avorter clandestinement à ses risques et périls, compte tenu de la législation de l'époque. Pour son deuxième long métrage, Audrey Diwan fait un choix stylistique fort : dans un format 4/3, elle multiplie les plans serrés sur son héroïne. Par ce dispositif, elle donne ainsi à percevoir l'étau qui se referme sur Anne, et déjoue également l'écueil des reconstitutions historiques trop léchées. Anamaria Vartolomei endosse le rôle avec abnégation mais sans ostentation, et peut s'appuyer sur de solides seconds rôles utiles à l'ancrage sociologique du récit (Luana Bajrami, Sandrine Bonnaire, Kacey Mottet Klein). Le film a touché le jury du festival de Venise, qui lui a attribué le Lion d'or (devançant les nouveaux films d'Almodovar ou de Jane Campion).
WEST SIDE STORY (Steven Spielberg, 8 déc) LLL
Au départ, on se demande quel est l'intérêt de revisiter cette comédie musicale déjà adaptée au grand écran par Robert Wise en 1961. Le livret est le même, et l'hommage est respectueux, que ce soit dans la mise en images qui ranime le Technicolor de l'époque, ou dans les brillantes chorégraphies de Justin Peck, très inspirées de celles de Jerome Robbins dans la première version, mais en les transposant parfois encore davantage en extérieur. Et puis on se rend compte que Spielberg apporte un nouveau regard. Comme dans ses réalisations les plus adultes, il y ajoute plus de noirceur, voire un peu de politique : le théâtre des affrontements entre le gang des Jets et celui des Sharks est un quartier qui se gentrifie, avec des immeubles en ruine qui seront remplacés par des nouveaux logements pour une population plus aisée. Le thème du racisme semble également plus développé, et le destin des personnages en sort d'autant plus poignant. Au final, cette version n'efface pas l'originale, mais en propose une nouvelle lecture qu'on aurait bien tort de bouder.
MEMORIA (Apichatpong Weerasethakul, 17 nov) LLL
On entre dans ce nouveau film d'Apichatpong Weerasethakul avec une certaine appréhension. L'écosystème fragile de son univers allait-il survivre au déplacement de la Thaïlande à la Colombie, et à l'emploi de stars internationales du cinéma d'auteur (Tilda Swinton, Jeanne Balibar) ? Le point de départ est de plus assez casse-gueule : l'héroïne entend par moments une détonation mystérieuse. Elle est apparemment la seule à les percevoir (enfin presque, puisque les spectateurs aussi). Elle mène son enquête singulière (sur un son !), qui intrigue malgré (en fait grâce à) la lenteur délibérée des plans. Et force est de constater que le cinéaste arrive une nouvelle fois à nous hypnotiser, à nous embarquer par une étrangeté inimitable, jusqu'à une dernière partie qui justifie le titre, recelant de surprenantes réminiscences mémorielles. Une expérience sensorielle à tenter.
MADRES PARALELAS (Pedro Almodovar, 1er déc) LLL
Pour la première fois depuis La Mauvaise éducation, Pedro Almodovar évoque les heures sombres de l'histoire espagnole (en ouverture et conclusion de ce film), tout en se concentrant sur autre chose, les destins liés de deux femmes d'âges différents qui accouchent le même jour. La force de la narration n'est pas de ménager des coups de théâtre (certains se voient d'assez loin), mais de croiser des enjeux de nature diverse. On peut s'interroger, à froid, sur le traitement de certains éléments. Ou s'étonner de l'importance qu'accorde Almodovar au lien biologique dans la filiation, ou du fait que les deux familles ont des employées de maison qu'elles ne traitent pas très bien (le film le dénonce-t-il ?). Mais, à chaud, et c'est l'atout du film, on est de bout en bout captivé par les personnages et leurs interprètes. En particulier, Penelope Cruz n'est jamais aussi bien que sous la direction du cinéaste, sans compter le talent de la nouvelle venue, Milena Smit, ainsi qu'un personnage masculin nuancé (Israel Elejalde).
LA PIECE RAPPORTEE (Antonin Peretjatko, 1er déc) LLL
S'il est un peu plus court en bouche que ses deux prédécesseurs (La Fille du 14 Juillet, La Loi de la jungle), le troisième long métrage d'Antonin Peretjatko confirme son goût pour la comédie satirique et des choix esthétiques tranchés. Il reprend les codes du vaudeville, qu'il revivifie d'une certaine acuité politique, en mettant en scène une famille de grands bourgeois parisiens, à la fortune (forcément) très mal acquise. Chaque scène est poussée vers l'outrance, loin de tout naturalisme, tout en restant crédible. Le cinéaste délaisse sa famille d'acteurs (Vimala Pons, Vincent Macaigne) pour en créer une nouvelle : Josiane Balasko, mère à la perversité redoutable, qui fait suivre sa belle-fille roturière, auparavant guichetière du métro (Anaïs Demoustier, qui feint très bien la naïveté), et, dans le rôle du vieux garçon qui se marie sur le tard, un Philippe Katerine à contre-emploi, dont la perruque et les accents de la haute sont irrésistibles.
THE CARD COUNTER (Paul Schrader, 29 déc) LLL
Lors de son séjour en prison militaire (peine relative à sa participation à des actes de torture ou d'humiliation dans les geôles d'Abou Ghraïb), William Tell (Oscar Isaac) a appris à compter et mémoriser les cartes. Une fois la liberté recouvrée, il écume les casinos des Etats-Unis, et utilise ce talent à son profit (notamment au blackjack). Il se contente de gains "modestes" (qui le font quand même vivre sans souci) pour rester discret. Il est contacté par un jeune homme qui sollicite son aide pour une quête personnelle : son père a également servi à Abou Ghraïb, et s'est suicidé, alors que leurs formateurs n'ont jamais été inquiétés... Tell rencontre également une femme qui s'intéresse aux jeux de carte et qui voudrait le sponsoriser... Le scénario brode plusieurs motifs disparates, mais le brio et la relative sobriété de la mise en scène de Schrader (qui affectionne Pickpocket de Bresson) font tenir l'ensemble plus qu'honorablement.
CHERE LEA (Jérome Bonnell, 15 déc) LL
Le début du film est assez déconcertant et explique peut-être son échec commercial : il semble que les plans n'ont pas la même densité qu'habituellement chez Jérôme Bonnell (du Chignon d'Olga jusqu'au Temps de l'aventure). On se sent presque de trop dans un univers un peu trop bourgeois, au sens courant plus que marxiste du terme (le personnage principal, Jonas, est associé d'une boîte dans l'immobilier ; séparé de sa femme, il vit mal sa rupture avec une jeune chanteuse lyrique, mais se donne le temps de lui écrire une lettre). Et puis, imperceptiblement, la glace se fend. Est-ce la réussite de l'unique scène avec l'ex-femme de Jonas, où Léa Drucker est épatante ? Par la suite, on a l'impression que la mise en scène retrouve ses marques, que les personnages, bien servis par Grégory Montel, Anaïs Demoustier, Grégory Gadebois et Nadège Beausson-Diagne, sont bien regardés. Un peu comme les Désaxés de John Huston, le film a des défauts, mais sait se rendre attachant, jusqu'à surprendre par la subtilité de la petite musique une nouvelle fois distillée par le cinéaste...
LES MAGNETIQUES (Vincent Maël Cardona, 17 nov) LL
Au début des années 1980, dans une ville de province, deux frères s'occupent d'une émission musicale sur une radio libre. Le grand frère extraverti tient le micro, mais c'est à son cadet, beaucoup plus réservé, que le film va s'intéresser, notamment lorsqu'il devient secrètement amoureux de la copine de son aîné... Le film commence par l'élection de François Mitterrand, mais la demi-douzaine de jeunes scénaristes, qui n'étaient pas nés à l'époque, n'en fait pratiquement rien. D'autres aspects du film, le service militaire par exemple, témoignent d'une même prudence. On suit néanmoins avec un certain plaisir l'émancipation du héros, qui se révèle doué pour les mixages sonores d'avant le numérique. De jolies scènes, et bien sûr une bande son de choix, relèvent l'intérêt de ce premier long métrage sympathique et un peu convenu.
LA FIEVRE DE PETROV (Kirill Serebrennikov, 1er déc) LL
On découvre Petrov grippé, dans un transport en commun. Rejoignant un (faux ?) ami conducteur de corbillard, il se soigne à coup d'alcool et d'aspirine périmée, avant de rejoindre sa femme et son fils, qu'il contamine. Le film est un long trip, hallucinatoire, qui oscille entre un quotidien assez glauque, de doux souvenirs et des fantasmes qui peuvent être violents. On passe des uns aux autres presque sans crier gare, à quelques signes près (des lunettes que la femme de Petrov enlève et remet). Une dernière partie plus posée, relatant le passé d'une jeune fille (lorsque Petrov était enfant), tournée dans un somptueux noir et blanc (qui rappelle Leto, le précédent film de Serebrennikov, une épure), apporte un nouvel éclairage à certaines scènes vues précédemment, dépassant la rage primaire et légitime du cinéaste persécuté par le régime de Poutine.
ZIYARA (Simone Bitton, 1er déc) LL
Simone Bitton part au Maroc à la rencontre des gardiens des sanctuaires juifs et synagogues du pays. Le titre du film renvoie aux saints que musulmans et juifs ont célébré conjointement, avant le départ de ces derniers. Les témoignages de ces musulmans qui tiennent à entretenir la mémoire de leurs voisins d'une autre religion que la leur sont touchants. Dans le dernier tiers du film, on apprend par des universitaires que l'exode des juifs serait lié au contexte de la guerre des Six jours. On comprend alors mieux pourquoi Simone Bitton, juive d'origine marocaine, a si bien critiqué les politiques sionistes et coloniales d'Israël dans ses précédents documentaires de cinéma (Mur, Rachel), de facture plus rigoureuse.
LES AMANTS SACRIFIES (Kiyoshi Kurosawa, 8 déc) LL
Au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, un grand entrepreneur continue de commercer avec des hommes d'affaires internationaux. Au point de trahir son pays ? Doit-il mettre sa femme au courant de ses activités ? Quel est le sens du devoir de chacun ? Patriotisme, humanisme, relation de couple... Il y a des choses intéressantes dans le scénario écrit par Ruysuke Hamaguchi, le cinéaste de Drive my car (chef d'oeuvre de l'année) qui fut un ancien élève de Kiyoshi Kurosawa. Malheureusement, on a parfois du mal à y croire, notamment à cause d'une mise en scène atone et d'une curieuse lumière un peu trop monochrome.
DUNE (Denis Villeneuve, 15 sep) LL
Nous sommes en l'an 10191. La vraie gauche n'a toujours pas gagné, et on surexploite les planètes à qui mieux mieux. L'Empereur décide de décharger les Harkonnen, trop brutaux avec le peuple autochtone des Fremen, de la récolte de l'Epice, et confie la mission à la famille des Atréides, des exploiteurs plus gentils (et blancs de peau, c'est bien Houellebecq qui a écrit le roman ? en tout cas c'est le même code couleur). Le jeune héritier des Atréides pourrait bien être l'Elu attendu par les croyances des Fremen. Plus discutable qu'Avatar de James Cameron au niveau idéologique, le film se laisse voir : prévoir peut-être des boules Quiès (selon votre sensibilité musicale), mais l'image est un peu délestée des laideurs pixellisées qui encombrent généralement ce genre de superproduction.
MADELEINE COLLINS (Antoine Barraud, 22 déc) LL
Petite déception devant le nouveau film d'Antoine Barraud, dont j'avais beaucoup aimé Le Dos rouge. On est content de revoir devant la caméra Nathalie Boutefeu, pour quelques scènes. Le prologue, assez lynchien, montre une femme ayant un malaise dans une boutique de luxe. Puis, tout en restant dans le même milieu, c'est une autre femme que l'on ne quitte plus d'une semelle par la suite. Celle-ci mène une double vie, entre deux hommes et deux descendances. Si l'on mettait à plat l'histoire, elle serait assez logique. Mais, curieusement, la mise en scène sophistiquée la rend parfois totalement invraisemblable. De ce point de vue, c'est un peu le contraire d'Hitchcock, même si Virginie Efira, qui fait ici un festival, campe une héroïne que n'aurait pas reniée le maître...
AFFAMES (Scott Cooper, 17 nov) L
Scott Cooper est un réalisateur un peu touche à tout, et propose ici deux films en un : un film psychologique, et un film horrifique, avec un vrai monstre. Les protagonistes sont un jeune enfant qui ne va pas bien, et son institutrice, qui a dû affronter un père abusif dans son enfance. Malheureusement, l'hybridation tentée (avec Guillermo Del Toro à la production) ne fonctionne pas : les scènes psychologiques classiques ne sont pas en cause, mais le reste peine à convaincre, comme une juxtaposition un peu artificielle.
UN HEROS (Asghar Farhadi, 15 déc) L
Rahim, emprisonné pour dette non payée, va voir ses proches pendant une permission. Il se retrouve en possession d'un sac perdu contenant de l'or, et préfère le restituer à sa propriétaire plutôt que de s'en servir pour rembourser sa dette. Le geste est médiatisé, et les réseaux sociaux s'en emparent. Mais gare aux petits arrangements avec la vérité qui vont se payer cash, tels les révolvers dans les films noirs qu'on voit apparaître un instant, puis réapparaître à un moment critique. Le scénario est implacable, mais c'est justement ça le problème : on a l'impression de voir une idée plus qu'un film. Les personnages semblent n'exister que pour se prêter à une mécanique sadique qui asphyxie tout : personnages, spectateurs, comme si la vie et l'ambiguïté avaient (définitivement ?) déserté le cinéma de Farhadi...
TROMPERIE (Arnaud Desplechin, 29 déc) L
Adapté de Philip Roth, le film est censé nous intéresser à diverses relations extra-conjugales de l'écrivain américain renommé, notamment lors d'une résidence à Londres. Même si on peut reconnaître ici ou là quelques éléments pouvant rappeler l'univers de Desplechin, le film est surtout une catastrophe. On n'y croît pas à cause de la langue (le français au lieu de l'anglais), du casting (Denis Podalydès, pour une fois peu convaincant, on se raccroche à Emmanuelle Devos et Anouk Grinberg, personnages trop secondaires), de l'artificialité de la plupart des dialogues (dont certains sont censés montrer le travail d'écriture), du regard presque misogyne porté sur l'ensemble des personnages féminins, qui ne semblent exister que pour agrémenter la vie du personnage principal masculin...
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