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Suite des films de 2021

  • Bien : Compartiment n°6 (Juho Kuosmanen), Aline (Valérie Lemercier), First cow (Kelly Reichardt), Illusions perdues (Xavier Giannoli)
  • Pas mal : La Fracture (Catherine Corsini), Tre piani (Nanni Moretti)
  • Bof : Les Olympiades (Jacques Audiard)

COMPARTIMENT N°6 (Juho Kuosmanen, 3 nov) LLL
Sur le papier, l'argument est mince : c'est l'histoire d'une rencontre imprévue, dans un train qui traverse la Russie vers le milieu des années 1990 (les téléphones portables n'étaient pas encore largement diffusés). Elle est amoureuse d'une femme, mais part sans elle, en jeune archéologue, découvrir les pétroglyphes de Mourmansk. Lui est un jeune homme russe qui descend au même endroit, mais pour travailler dans une mine. Mais, à l'écran, cette rencontre prend une ampleur inattendue, mais pas dès le départ : les personnages ne sont pas glamour comme d'autres rencontres de voyage ( genre Winslet et Di Caprio dans Titanic, ou Murray et Johansson dans Lost in translation). Yuriy Borisov est d'ailleurs au bord de la caricature, mais sans jamais y tomber. Mais il se passe toujours quelque chose sur le visage de Seidi Haarla, que la caméra scrute sans voyeurisme. Si ces deux personnages a priori éloignés mettent du temps avant de communiquer vraiment, la mise en scène de Juho Kuosmanen est d'emblée à l'écoute, trouvant la bonne distance et la juste durée des plans pour apporter de la grâce à l'ensemble. "Petit" film, mais grande réussite.

ALINE (Valérie Lemercier, 10 nov) LLL
L'histoire d'une chanteuse issue d'un milieu populaire et qui va devenir une diva de la variété internationale, jusqu'à évoluer dans une absurde prison dorée... Le personnage s'appelle Aline Dieu, mais on peut bien sûr penser à une personnalité bien réelle, "trésor national" au Québec. Jadis, Robert Charlebois avait évoqué les paradoxes de la vie de star populaire dans une poignante chanson, Ordinaire. Celle-ci pourrait servir de fil rouge à cet étonnant long métrage. Mais, n'empêche, Valérie Lemercier est, elle, assez extraordinaire, justement. Le grand budget dont elle a disposé ne sclérose pas sa mise en scène. Dans le genre si normé du biopic, elle ose des scènes pleines d'invention, subtilement décalées (au sens non dévoyé du terme : par leur extravagance, certaines scènes font d'une certaine façon un pas de côté par rapport aux conventions). C'est une sorte de paradoxe, alors que la deuxième partie de carrière de l'idole est fait de shows calibrés à l'américaine. Le film ose évoquer son enfance ou son histoire d'amour avec une sorte de pygmalion sans tomber dans la caricature. Ni hagiographie, ni satire, Valérie Lemercier trouve un ton qui n'appartient qu'à elle. Respectant l'intelligence et la sensibilité des spectateurs et spectatrices, elle fait preuve de nuances, mais des nuances flamboyantes...

FIRST COW (Kelly Reichardt, 20 oct) LLL
Il y a deux siècles, dans un coin perdu de l'Oregon, Otis, un cuisinier (surnommé Cookie) et King-Lu, venu de Chine, se rencontrent alors qu'ils projettent de faire fortune dans le Nouveau Monde. Ils en viennent à se lancer dans la vente de beignets au miel, concoctés à partir du lait, tiré en douce de la première vache de la région, appartenant à un riche négociant... Le film est éminemment politique, montrant la logique capitaliste à ses débuts (jusqu'à faire acheter à un client quelque chose qu'il possède déjà, en quelque sorte). Mais la cinéaste n'accable pas les deux compères, qui n'ont rien des notables héritiers de l'accumulation primitive pré-capitaliste (liée à l'esclavage puis la colonisation). On peut même voir le film comme une grande histoire d'amitié entre les deux filous. De même la traite nocturne de la vache est montrée comme une relation de respect, voire de tendresse entre l'homme et l'animal. Formellement, le film est une épure. La musique est discrète, parcimonieuse. Ce qui intéresse Kelly Reichardt, c'est le concret, des sons, des gestes, dans une mise en scène dépouillée qui magnifie les extérieurs et la lumière naturelle. Un des plus beaux films de la cinéaste, trop discrètement distribué dans les salles françaises, qui l'ont sorti tardivement, plus d'un an et demi après sa sélection au festival de Berlin, juste avant la crise sanitaire...

ILLUSIONS PERDUES (Xavier Giannoli, 20 oct) LLL
Le roman fleuve de Balzac comportait trois parties. C'est essentiellement la deuxième qu'a choisi d'adapter Xavier Giannoli. L'histoire d'un jeune homme qui écrit des poèmes, et monte à Paris en espérant se faire éditer. En attendant, il accepte un emploi de journaliste littéraire... Ce qui frappe d'emblée, c'est l'audace, l'insolence de Balzac, qui livre un quasi-pamphlet du monde de la presse de l'époque, partagé entre partisans d'un pouvoir fort (royalistes) et avant-garde d'opposition libérale (y compris au sens économique du terme, tout s'y achète, les contrats l'emportent sur les convictions). Le récit est saturé d'ironie derrière chaque personnage, chaque dialogue. Du pain béni pour les interprètes (dont Jean-François Stévenin, dans un dernier rôle savoureux), qui s'y donnent à coeur joie. Devant sans doute gérer un budget important, Xavier Giannoli semble moins radical dans sa mise en scène, qui vise davantage la bonne copie consensuelle et élégante (même si dans ce matériau se glisse des éléments qui pourraient renvoyer également... au monde d'aujourd'hui).

LA FRACTURE (Catherine Corsini, 27 oct) LL
C'est le premier film qui traite de manière frontale et réaliste le mouvement des Gilets Jaunes et sa répression (Effacer l'historique l'évoquait aussi, mais dans un style de comédie satirique). Dans un hôpital parisien débordé se retrouvent plusieurs personnages, notamment une bourgeoise de gauche égocentrique (Valeria Bruni Tedeschi, aussi bonne que dans ses propres réalisations) qui s'est cassé le bras en courant derrière sa compagne (Marina Foïs), qui vient de la quitter, et un transporteur routier (Pio Marmaï) venu à Paris et blessé par la répression policière de la manifestation. Politiquement, le film est d'une grande pertinence (aucune politique de gauche ne se fera contre ou sans les classes populaires). Cinématographiquement, il est un peu plus laborieux, même si le scénario arrive à rendre prenante la seconde moitié du film.

TRE PIANI (Nanni Moretti, 10 nov) LL
Trois étapes, à cinq années d'intervalles, dans la vie des habitants d'un immeuble affectés par un drame : un jeune conducteur ivre tue accidentellement une piétonne avant que le véhicule s'encastre dans un appartement. Une fillette y logeant est confiée à des voisins âgés, dont un homme qui perd la mémoire et qui va être soupçonné de bien pire par le père de l'enfant, qui à son tour doit faire face à d'autres accusations. Pendant ce temps, le père magistrat du chauffard veut couper les ponts avec son fils, et une jeune femme qui partait accoucher le jour de l'accident se retrouve souvent seule, son mari étant toujours en déplacement professionnel... Le matériau est romanesque, les interprètes sont irréprochables (dont les excellentes Margherita Buy et Alba Rohrwacher). Les personnages masculins sont froids et assez désespérants dans leurs réactions, et cela contamine un peu trop la mise en scène un peu terne de Moretti, alors que ça aurait pu être un vrai sujet...

LES OLYMPIADES (Jacques Audiard, 3 nov) L
Le titre renvoie à un quartier du XIIIè arrondissement de Paris, où se croisent des jeunes gens. Malgré la diversité affichée, ils font tous partie d'une petite bourgeoisie plus ou moins intellectuelle, plus ou moins précarisée. Après deux films décevants (Dheepan et Les Frères Sisters), Jacques Audiard allait-il arriver à se renouveler ? En tout cas, j'ai peiné à m'intéresser aux coucheries de ces personnages, bien qu'ils soient agréables à regarder, dans un écrin noir et blanc qui se veut chic...

Version imprimable | Films de 2020-2021 | Le Jeudi 18/11/2021 | 0 commentaires




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