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Des films pour continuer l'automne

  • Bien : Cold war (Pawel Pawlikowski), La Tendre indifférence du monde (Adilkhan Yerzhanov), Le Temps des forêts (François-Xavier Drouet), Amanda (Mikhaël Hers), En liberté ! (Pierre Salvadori), Le Grand bal (Laetitia Carton), L'Amour flou (Romane Bohringer, Philippe Rebbot), Le Procès contre Mandela et les autres (Nicolas Champeaux, Gilles Porte)
  • Pas mal : First man (Damien Chazelle), Yomeddine (A.B. Shawky), I feel good (Benoît Delépine, Gustave Kervern)
  • Bof : High life (Claire Denis)

COLD WAR (Pawel Pawlikowski, 24 oct) LLL
En Pologne, à la fin des années 1940, Wiktor, un pianiste et professeur de musique, est chargé de recruter des talents issus des classes populaires, afin de transfigurer les chants et danses folkloriques et en faire une vitrine qui glorifie le peuple. Il s'entiche rapidement de Zula, qui ne l'impressionne pas seulement par la justesse de sa voix, mais aussi par une personnalité très affirmée (irrésistible Joanna Kulig). S'ensuit pendant une quinzaine d'années une histoire d'amour contrariée (lorsqu'il a choisi l'exil, elle n'a pas pu ou voulu le suivre), avec ellipses et retrouvailles, sur le mode du "ni avec toi ni sans toi" doublé d'une autre impossibilité (ni à l'Est ni à l'Ouest et pas davantage en terrain neutre...). La forme, récompensée à Cannes par le prix de la mise en scène, est très travaillée, entre un noir et blanc somptueux, plus contrasté que celui de Ida, et une bande son riche en sessions musicales, chargée de sens et de ravissement pour les oreilles. Un grand film classique mais pas académique.

LA TENDRE INDIFFERENCE DU MONDE (Adilkhan Yerzhanov, 24 oct) LLL
Une mère criblée de dettes demande à sa fille Saltanat d'aller en ville rejoindre un oncle qu'elle ne connait pas mais qui propose de renflouer petit à petit la famille, à ses conditions. La jeune femme est accompagnée par son ami d'enfance Kuandyk, une douce brute qui veille (amoureusement) sur elle. Le film vient du Kazakhstan, mais ne fait pas dans le pittoresque pour autant. Au contraire, chaque plan frappe par la précision du cadre, ou de chaque détail : quelques gouttes de sang qui tombent sur une fleur, le rouge intense de la robe de l'héroïne, une poésie visuelle constante (belle scène d'évasion... au milieu d'un empilement de containers !). On pense parfois aux premiers films de Kaurismaki pour la mise en scène qui dit beaucoup avec peu (les règlements de compte sont réduits à leurs conséquences, la violence est souvent hors champ, ou nimbée d'humour burlesque) ou pour les personnages parfois esthètes, qui citent Stendhal... et Jean-Paul Belmondo ! Il y a bien une ou deux coquetteries (un plan filmé de façon gratuite derrière un aquarium), mais l'ensemble est réjouissant, et Yerzhanov un cinéaste à suivre.

LE TEMPS DES FORÊTS (François-Xavier Drouet, 12 sep) LLL
Si le climat, l'énergie ou l'alimentation sont des classiques des discours des écologistes insoumis ou modérés, et sont passés dans les préoccupations courantes de personnes assez éloignées de la politique, les enjeux liés à la forêt sont moins évoqués et moins connus (même s'il existe un livret thématique forêt lié au programme de la France insoumise). Et pourtant... Le documentaire de François-Xavier Drouet, de facture classique, vient combler ce manque, en faisant intervenir de multiples acteurs de la filière. Le territoire français ne souffre pas de déforestation, mais plutôt de "malforestation", c'est-à-dire d'une exploitation calquée sur le modèle de l'agriculture intensive (coupes rases par des engins surpuissants, dégradation des sols et de la biodiversité, monocultures de résineux, malaise social et suicides à l'ONF, demande croissante due à la mondialisation capitaliste etc). Pourtant des alternatives viables existent, à condition de s'éloigner de la logique de maximisation du profit immédiat.

AMANDA (Mikhaël Hers, 21 nov) LLL
David a 24 ans, et vit de plusieurs petits boulots : il est entre autres élagueur pour la mairie de Paris (il aime bien grimper aux arbres). Sa petite existence est remise en cause lorsque sa grande soeur, dont il était très proche, meurt brutalement dans un attentat. Il doit alors encaisser le choc, tout en prenant en charge Amanda, sa petite nièce de 7 ans... Comme dans ses deux premiers longs métrages (Memory lane, Ce sentiment de l'été), Mikhaël Hers filme la perte, les deuils à faire, ou plutôt les deuils qui nous font... Mais il le fait en reliant ces éléments personnels, qui font partie d'une intemporelle condition humaine, à une observation contemporaine de la marche du monde. C'est l'aspect intime qu'il réussit le mieux. Sa mise en scène reste d'une grande délicatesse. La lumière estivale et le grain si particulier de l'image permettent d'accompagner les personnages d'une enveloppe chaleureuse, mais aussi de la trace invisible de l'absente... Côté interprétation, Vincent Lacoste est à son meilleur.

EN LIBERTE ! (Pierre Salvadori, 31 oct) LLL
Yvonne, jeune inspectrice de police, découvre que son mari, le capitaine Santi, héros local tombé au combat, n'était pas le flic courageux et intègre qu'elle croyait mais un véritable ripou. Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d'Antoine, injustement incarcéré par Santi pendant huit longues années... Dans ce film très éloigné des comédies industrielles formatées, l'humour emprunte des registres si variés qu'on ne sait pas toujours d'où il va surgir ni quelles formes il va prendre : comique de répétition (la parodie de mauvais film d'action est pénible la première fois, mais est très drôle une fois qu'on a compris de quoi il s'agissait - le récit qu'Yvonne fait le soir à son fils des exploits de son père - et les variations à suivre), humour noir voire macabre, comique de situation ou à l'opposé très humain en exagérant les défauts ou caractères des personnages comme dans une comédie romantique ou à l'italienne. Mention spéciale aux comédiens, Adèle Haenel et Damien Bonnard en particulier.

LE GRAND BAL (Laetitia Carton, 31 oct) LLL
Le grand bal en question, c'est un festival d'une semaine qui a lieu chaque été à Gennetines, une commune rurale de l'Allier. Pendant la journée, on y apprend des danses traditionnelles françaises ou européennes, avant la mise en pratique dans les bals programmés le soir et tout une partie de la nuit. Comme dans son film précédent (J'irai vers toi avec les yeux d'un sourd), Laetitia Carton fait preuve d'une grande capacité d'immersion. Derrière la belle surface (des séquences de danse impressionnantes et/ou chaleureuses), on s'interroge : compte tenu du niveau affiché, cette manifestation, qui attire des personnes de tous les âges, est-elle élitiste ou inclusive ? Le documentaire pose aussi des questions essentielles : sur les rapports à soi, au groupe, à l'autre, au(x) corps, sur les rapports femmes/hommes. Il n'y a pas de musique préenregistrée, elle est jouée en direct par des musiciens absolument remarquables et d'une grande sensibilité. Un documentaire beau et inattendu.

L'AMOUR FLOU (Romane Bohringer, Philippe Rebbot, 10 oct) LLL
Après dix ans de vie commune, Romane et Philippe se séparent. Ils décident d'emménager dans deux appartements contigus, avec une pièce commune pour permettre aux enfants de passer facilement de chez papa à chez maman... Si la situation peut faire penser au beau drame social L'Economie du couple, le traitement est tout autre. Cette autofiction, puisque cette situation familiale est réelle, n'est pas non plus nombriliste : le ton est celui d'une comédie inventive, accueillante (on ne reste pas au seuil) et généreuse (on y convoque Reda Kateb pour un personnage secondaire fictif de fada des chiens, ou encore la députée Clémentine Autain dans son propre rôle, même si dans cette scène savoureuse elle semble moins à l'aise que dans les débats réels). Bref, une bonne surprise.

LE PROCES CONTRE MANDELA ET LES AUTRES (Nicolas Champeaux, Gilles Porte, 17 oct) LLL
En novembre 1963 s'ouvre à Pretoria le procès de neufs dirigeants d'une branche de l'ANC (dont Nelson Mandela), accusés d'actes de sabotage. Les prévenus vont en faire une tribune contre l'apartheid. Ils évitent la peine de mort mais, condamnés à perpétuité, vont rester un quart de siècle en prison. Il n'existe aucune image du procès, mais des centaines d'heures d'enregistrement audio. Ce documentaire interroge, en leur faisant écouter des extraits de ces archives historiques, les trois survivants, mais aussi Winnie Mandela ou le fils du procureur. Enfin, et ce n'est pas le moindre atout du film, la puissance des paroles et des discours est rehaussée par l'expressivité des croquis animés de l'illustrateur Oerd Van Cuijlenborg. Encore une fois, documentaire et animation peuvent faire bon ménage.

FIRST MAN (Damien Chazelle, 17 oct) LL
Un biopic de Neil Armstrong, le premier homme ayant marché sur la Lune. Ce qui frappe, c'est le relatif inconfort et la précarité des engins spatiaux, prompts à s'enflammer lorsqu'ils traversent l'atmosphère terrestre. L'autre aspect récurrent du film, c'est la relative froideur du héros, qui semble s'interdire l'accès à ses émotions depuis la mort de sa fille, emportée en bas âge par un cancer. Il y a aussi quelques séquences critiques par rapport aux dépenses faramineuses englouties par la conquête spatiale. Néanmoins, le film, s'il est plaisant (et n'est pas une glorification de la souffrance comme l'étaient les précédents films de Damien Chazelle), reste dans un registre assez convenu : s'il est moins sexiste que Gravity, il est aussi formellement beaucoup moins inspiré. Sidéral mais pas sidérant.

YOMEDDINE (A.B. Shawky, 21 nov) LL
Un lépreux quitte la léproserie où il avait été abandonné enfant, pour retrouver trace de sa famille. Un gamin orphelin, qui s'était attaché à lui, l'accompagne dans son périple... L'aspect réussi du film, c'est sa chaleur, son humanisme, qui nous rend immédiatement sympathique son personnage principal (un peu comme David Lynch l'avait fait dans Elephant man). Sa limite, c'est qu'avec son road movie sans aspérité mâtiné de feel good movie, ce premier long métrage semble cocher toutes les cases d'un world cinéma pittoresque rempli de bons sentiments (la mise en scène n'a jamais l'ampleur de celle de Central Do Brasil de Walter Salles, par exemple).

I FEEL GOOD (Benoît Delépine, Gustave Kervern, 26 sep) LL
C'est l'histoire d'un frère et d'une soeur qui ont eu la chance d'avoir des parents communistes. Tandis qu'elle (Yolande Moreau) anime une communauté Emmaüs, lui a mal tourné : croyant au discours dominant (il a pour idole Bill Gates et Bernard Tapie), il cherche l'idée qui fera de lui un millionnaire... Le personnage, interprété par Jean Dujardin, est un peu trop chargé pour être crédible, malgré des dialogues mordants ("faut que tu sortes de ta zone de confort", "je veux être dans le haut du panier de crabes", "le but du jeu c'est de faire bosser les autres"). Les deux cinéastes livrent un film sympathique, qui préfère les terriens aux jupiteriens, mais sans l'inventivité de leurs plus belles réussites (Louise-Michel, Le Grand soir).

HIGH LIFE (Claire Denis, 7 nov) L
Le début est intriguant : un cosmonaute est seul avec un bébé à l'intérieur d'un vaisseau spatial, sans apesanteur, avec une sorte de jardin au centre et tout un ensemble de dispositifs de recyclage. Par des retours en arrière, on va comprendre d'où vient cette situation inédite, et ce n'est pas triste : s'il était publié, le scénario original figurerait parmi les plus faibles romans de science-fiction. Un galimatias où il est question d'un équipage entièrement composé de criminels condamnés à perpétuité ou à mort, d'expériences de reproduction (médicalement très assistée) dans l'espace, d'une fumeuse mission à l'approche d'un trou noir... Claire Denis pratique en général un cinéma expérimental et charnel souvent stimulant. Mais ici, en dépit de quelques visions rappelant l'univers de Tarkovski, le ratage est à la hauteur de l'ambition.

Version imprimable | Films de 2018 | Le Samedi 17/11/2018 | 0 commentaires




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