- Bien : Amin (Philippe Faucon), Girl (Lukas Dhont), Leave no trace (Debra Granik), Nos batailles (Guillaume Senez), Libre (Michel Toesca), Chris the Swiss (Anja Kofmel), Mademoiselle de Joncquières (Emmanuel Mouret)
- Pas mal : Contes de juillet (Guillaume Brac), Un peuple et son roi (Pierre Schoeller), Invasion (Kiyoshi Kurosawa), Première année (Thomas Lilti), The House that Jack built (Lars Von Trier)
- Bof : Les Frères Sisters (Jacques Audiard)
Amin, venu du Sénégal pour travailler en France, a laissé au pays sa femme Aïcha et leurs trois enfants, qu'il ne voit qu'une ou deux fois par an. En France, toute sa vie est absorbée par son travail et il n'a pour seule compagnie que ses amis du foyer. Jusqu'au jour où il rencontre Gabrielle... Le cinéma de Philippe Faucon est de plus en plus ample (le succès public et critique de Fatima y a sans doute contribué). En racontant cette histoire de travailleurs immigrés, il a tourné à la fois au Sénégal et en France. Loin d'être une abstraction ou une statistique dans des débats hexagonaux frileux voire nauséabonds, les personnages y acquièrent une vraie épaisseur, de vraies aspirations et élans sentimentaux. Sans jamais tomber dans la démonstration, Philippe Faucon y aborde de nombreux sujets, dans une ligne claire (avec une superbe photographie) mais non didactique.
GIRL (Lukas Dhont, 10 oct) LLL
Lara a 15 ans. Elle a changé d'établissement scolaire, et voudrait devenir danseuse étoile. Mais son corps se plie difficilement à la discipline que requiert cette quête, d'autant plus que l'adolescente est née garçon... Voici un premier film très maîtrisé (lauréat de la Caméra d'or à Cannes), même si la route qu'il suit a déjà été balisée (par Billy Elliot et surtout Tomboy de Céline Sciamma). Pour arriver à ses fins, Laura suit un traitement hormonal qui lui permettra peut-être de subir l'opération, si importante à ses yeux, qui lui permettrait de faire coïncider son corps biologique avec l'identité de son intériorité. Lukas Dhont a choisi d'éviter les clichés : dans toutes ses épreuves, Lara peut s'appuyer sur le soutien indéfectible de son père (Arieh Worthalter, magnifique), d'autant plus qu'il n'y a pas de mère (l'élément féminin de la famille c'est bien elle). Enfin, le miracle du film, c'est d'avoir trouvé en Victor Polster un interprète incroyable, dans le sens où il est d'une maturité exceptionnelle dans ce rôle délicat alors même que sa puberté n'est pas terminée.
LEAVE NO TRACE (Debra Granik, 19 sep) LLL
Un père et sa fille adolescente, Tom, vivent clandestinement, de façon débrouillarde mais chichement, au fin fond d'un parc national de l'Oregon. Un jour, ils sont chassés de leur campement, et les services sociaux leur proposent un toit, un job pour le père, une vie "normale"... On ne comprend pas d'emblée les raisons qui ont poussé cet homme à adopter ce mode de vie : précarité, marginalité subie ou volontaire, rejet de la société de consommation (il indique à sa fille que quoi qu'il arrive ils garderont leur liberté de penser). On apprend petit à petit que c'est un ancien soldat. Pendant ce temps, sa fille semble s'épanouir autant au contact de la nature que dans celui avec autrui... Formellement, la cinéaste semble tirer partie des moindres situations concrètes, tout en abordant avec délicatesse des thématiques d'une grande richesse.
NOS BATAILLES (Guillaume Senez, 3 oct) LLL
Olivier est employé d'une plateforme de distribution et lutte, en tant que chef d'équipe et syndicaliste, pour améliorer au quotidien les conditions de travail de ses collègues. Un jour, sa femme Laura, vendeuse, sur laquelle il se reposait pour l'éducation de leurs deux enfants, quitte inopinément le foyer et disparaît. Du jour au lendemain, il lui faut donc tout assumer, entre ses responsabilités professionnelles et familiales. Si le deuxième long métrage de Guillaume Senez peut compter sur l'interprétation de Romain Duris dans un de ses meilleurs rôles, il ne sacrifie aucun personnage, de Laura (Lucie Debay) dans le prologue du film à la soeur comédienne et intermittente du spectacle (Laetitia Dosch), de la copine syndicaliste (Laure Calamy) à la mère (Dominique Valadié). Chaque scène, que ce soit dans le monde du travail ou au sein de la famille, fait mouche. Un beau travail naturaliste, dans le meilleur sens du terme.
LIBRE (Michel Toesca, 26 sep) LLL
Voici un documentaire certes militant mais pas politicien, autour de la figure de Cédric Herrou, qui cultive des oliviers et élève des poules dans la vallée de la Roya, dans un méandre de la frontière franco-italienne. On suit le combat de cet agriculteur qui aide les migrants pour le dépôt de demandes d'asile et la prise en charge des mineurs isolés. Il se met à la limite de la loi pour pallier la carence de l'Etat. Je retiens du documentaire que si être républicain signifie être attaché aux valeurs de la devise "Liberté, Egalité, Fraternité", alors Cédric Herrou l'est certainement davantage que la préfecture des Alpes maritimes, prise dans les injonctions contradictoires des lois successivement adoptées relatives à l'asile et l'immigration, de plus en plus sécuritaires dans le contexte français (et européen). Le conseil constitutionnel a cet été donné (en partie) raison à ces militants, en rappelant le principe de fraternité, inscrit dans la Constitution.
CHRIS THE SWISS (Anja Kofmel, 3 oct) LLL
La réalisatrice Anja Kofmel part enquêter sur son cousin plus âgé Christian Würtenberg, reporter de guerre assassiné en Croatie en janvier 1992. Qui était-il vraiment ? Un personnage multiple, agent secret, engagé par conviction dans une milice pro-croate internationale flirtant avec l'extrême droite, ou bien un journaliste infiltré ? Le film alterne séquences documentaires avec des témoins de l'époque, ainsi que de nombreuses séquences d'animation aux allures de cauchemars, pour évoquer le bourbier complexe que constitua la guerre civile, mais aussi les états d'âme de la réalisatrice et les traumas laissés dans sa famille par cet assassinat. Sur la forme, ce film hybride n'a pas la rigueur d'un Valse avec Bachir, mais il peut passionner précisément par ces tâtonnements...
MADEMOISELLE DE JONCQUIERES (Emmanuel Mouret, 12 sep) LLL
Madame de La Pommeraye, jeune veuve retirée du monde, cède à la cour d'un marquis à la réputation libertine. Lorsqu'elle découvre que celui-ci s'est lassé de cette relation, elle entérine leur rupture et décide de fomenter une vengeance... Le nouveau film d'Emmanuel Mouret marquera moins les mémoires cinéphiles que Les Dames du bois de Boulogne, précédente adaptation à l'écran de la nouvelle tirée du recueil Jacques le fataliste de Diderot. En effet, le style de Bresson, même sans être à son point culminant, faisait déjà toute la différence. Ici, l'adaptation est plus respectueuse, notamment en revenant à l'époque d'origine (le XVIIIè siècle) tout en ayant des résonances contemporaines. La qualité des dialogues introspectifs et la finesse de l'interprétation de Cécile de France et d'Edouard Baer font ressortir toutes les nuances des sentiments successifs.
CONTES DE JUILLET (Guillaume Brac, 25 juil) LL
Quelques semaines après son documentaire L'île au trésor, Guillaume Brac sort ce film, en réalité deux moyens métrages de fiction. La première partie, intitulée L'amie du dimanche, se passe d'ailleurs en grande partie sur la base de loisirs de Cergy-Pontoise qui était le lieu et le sujet du documentaire. La seconde partie, Hanne et la Fête nationale, est centrée sur une étudiante norvégienne qui s'apprête à quitter Paris pour la pause estivale. Dans les deux cas, elles se font aborder par des garçons, et tout ne se passe pas forcément très bien (on peut passer de la légèreté à la souffrance). Toute ressemblance avec l'univers d'Eric Rohmer (en particulier Conte d'été) est loin d'être fortuite. Même si la démarche est plus modeste, moins intellectualisée, la finesse de l'observation donne à l'ensemble un certain intérêt.
UN PEUPLE ET SON ROI (Pierre Schoeller, 26 sep) LL
Le film suscitait la curiosité : comment le réalisateur de L'Exercice de l'Etat (2011) allait-il aborder la Révolution française ? La réponse est contrastée. Ce qu'il réussit de mieux, c'est peut-être d'avoir créé comme fil rouge du film des figures du peuple de Paris (et des alentours), et de les avoir confié à une brochette d'excellents interprètes populaires (Adèle Haenel, Izia Higelin, Olivier Gourmet, Gaspard Ulliel). Pour autant, il n'en fait pas un feuilleton à la Vautrin (Le Cri du peuple), la narration n'est pas uniquement centrée sur eux, le film peut se voir également comme une suite de tableaux couvrant la période allant de la prise de la Bastille en 1789 à l'exécution du roi en 1793 (désolé pour le spoiler). Il n'évite pas complètement l'écueil du survol (on aurait aimé voir davantage Céline Sallette en chanteuse révolutionnaire). On notera que Denis Lavant interprète Marat comme s'il s'agissait d'une rockstar, alors que Louis Garrel est plus sobre en Robespierre.
INVASION (Kiyoshi Kurosawa, 5 sep) LL
Des extraterrestres préparent l'invasion de la Terre. Ils prennent forme humaine et volent des "concepts" aux êtres humains qu'ils rencontrent, qui deviennent mutilés de notions essentielles. Kiyoshi Kurosawa réalise une nouvelle adaptation de la pièce de Tomohiro Maekawa qu'il avait déjà lui-même adapté il y a moins d'un an (Avant que nous disparaissions). Cette sorte d'auto-remake abandonne le style pop (avec ruptures de ton tragi-comiques) de la première version. Il y a de jolies idées (le concept d'amour donne vraiment du fil à retordre à l'alien), et le film peut fonctionner pour qui n'a pas vu la version précédente, mais l'intérêt de cette variante reste néanmoins limité. Cependant, Invasion est également un montage raccourci d'une mini-série diffusée au Japon, ce qui peut expliquer que le film ne donne pas sur grand écran sa pleine mesure.
PREMIERE ANNEE (Thomas Lilti, 12 sep) LL
Suite à une dérogation, Antoine (Vincent Lacoste) entame sa troisième première année de médecine. Il a la vocation, et se lie d'amitié avec Benjamin (William Lebghil), un fils de médecin qui vient d'avoir son bac et souhaite reconquérir l'estime de son père. Le nouveau film du réalisateur-médecin Thomas Lilti (à qui l'on doit le beau Hippocrate) dénonce de façon juste le numerus clausus source d'un bachotage absurde, et s'appuie sur de bons interprètes. Mais il échoue à donner une forme véritablement cinématographique à un contenu assez répétitif. Mieux vaut (re)lire Les Trois médecins de Martin Winckler pour une approche enlevée, romanesque et critique de la formation des médecins.
THE HOUSE THAT JACK BUILT (Lars Von Trier, 17 oct) LL
C'est un film qui suit Jack (Matt Dillon, tout sauf lisse), un homme qui devient tueur en série, chaque crime devenant pour lui une sorte de création artistique... Dès les premières scènes, à l'humour sardonique, on reconnaît la sorte de malaise fécond et inconfortable, fécond parce qu'inconfortable, du style de Lars Von Trier. Jack est conçu d'emblée comme un double morbide du cinéaste qui s'amuse à entrecouper l'intrigue de digressions imparables sur l'histoire de l'art, y compris des images de ses propres films. Malheureusement, plus on avance dans le film, plus le sadisme prend de la place (quelques scènes sont difficilement soutenables), et le tout semble interminable et finalement assez gratuit. Lars Von Trier est un cinéaste toujours doué, mais la réussite à l'écran est plus aléatoire.
LES FRERES SISTERS (Jacques Audiard, 19 sep) L
Nous sommes en 1851, dans l'Oregon. Les Frères Sisters sont deux tueurs à gages. Ils sont missionnés par un mystérieux "Commodore" pour retrouver un détective chargé de suivre la trace d'un chercheur d'or visionnaire à plus d'un titre, et finir le boulot... La trame du film peut susciter de l'intérêt, même si elle n'est pas follement originale. Les deux frères ont en outre des caractères différents (le cadet est un meneur sans pitié, l'aîné est plus sensible). On trouvera aussi d'autres lectures, le problème étant qu'elles sont juste esquissées. Quant à la mise en scène, elle donne trop souvent l'impression d'une purge. Un deuxième film décevant d'Audiard après Dheepan.
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