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Des films pour clore l'été

  • Bravo : Le Poirier sauvage (Nuri Bilge Ceylan), Burning (Lee Chang-Dong)
  • Bien : BlacKKKlansman (Spike Lee), De chaque instant (Nicolas Philibert), The Guilty (Gustav Möller), Silent voice (Naoko Yamada)
  • Pas mal : Une valse dans les allées (Thomas Stuber), Une pluie sans fin (Dong Yue), Guy (Alex Lutz), Au poste ! (Quentin Dupieux), Under the Silver Lake (David Robert Mitchell)
  • Bof : Hôtel Artemis (Drew Pearce)

LE POIRIER SAUVAGE (Nuri Bilge Ceylan, 8 aou) LLLL
De retour, après la fin de ses études supérieures, dans son village natal, dans les Dardanelles, non loin du site archéologique de Troie, Dinan rêve de devenir écrivain, tout en passant le concours d'instituteur pour assurer ses arrières. Il a déjà écrit un essai, et met toute l'énergie nécessaire à rassembler l'argent pour être publié, alors que son père Idriss, instituteur, est montré du doigt pour avoir accumulé des dettes de jeu... Nuri Bilge Ceylan signe une nouvelle fresque de trois heures qui, au premier abord, semble moins caractéristique de son style, mais se révèle assez impressionnant d'amplitude et de profondeur. Le matériau du film est intime, romanesque, tout en interrogeant courageusement certains aspects de la société turque. Une nouvelle fois le cinéaste livre un film passionnant bien que le personnage principal masculin ne fasse rien pour être sympathique (il a l'ardeur mais aussi l'arrogance de sa jeunesse). Dans des images d'automne parfois superbes, l'oeuvre est plus bavarde qu'à l'accoutumée, mais chez lui les dialogues ne signifient pas un cinéma figé, au contraire la mise en scène en fait constamment un film en mouvement (y compris dans ces scènes là, voir par exemple la discussion avec les deux imams). Reparti bredouille de Cannes (projeté le dernier jour du festival, alors que le jury était déjà fatigué), le nouveau film de Nuri Bilge Ceylan mérite une attention soutenue et patiente, les spectateurs qui s'y adonneront en seront largement récompensés.

BURNING (Lee Chang-Dong, 29 aou) LLLL
Jong-su est un jeune homme réservé, presque apathique. Il est livreur à temps partiel, en attendant mieux : il admire Faulkner et désire être écrivain. Par hasard, il rencontre Hae-mi, une jeune fille qui a grandi dans le même village que lui. Ils apprennent à se connaître intimement. Puis elle part quelques semaines en Afrique, lui laissant le soin de nourrir son chat fantomatique (il ne pointe pas le bout d'une oreille). Lorsqu'elle revient, elle lui présente Ben, un jeune homme aussi riche que mystérieux et plein d'assurance, qu'elle a rencontré là-bas. C'est le début d'une étrange relation à trois, avant une nouvelle disparition... Le cinéaste de Poetry revient avec un film languissant, plus difficile d'accès mais splendide, librement inspiré d'une nouvelle de Mirakami. Il invite à dépasser ce qu'on voit à l'écran, de manière explicite lorsque Hae-mi épluche et fait mine de manger une mandarine invisible. On peut voir dans les liens entre le fils de fermier et le nanti intouchable et manipulateur un rapport de classe, mais aussi une rivalité amoureuse ou une paradoxale attirance. Si l'on ne reste pas au seuil, le film envoûte par sa profondeur secrète, et devient un des grands films de l'année, reparti injustement bredouille du festival de Cannes.

BLACKKKLANSMAN (Spike Lee, 22 aou) LLL
Ron Stallworth est un jeune inspecteur de police noir, qui cherche à progresser au sein de l'unité de Colorado Springs. Aprés avoir réussi une mission de surveillance, il profite d'une petite annonce de recrutement pour infiltrer le Ku Klux Klan. Il téléphone lui-même à l'organisation pour la "suprématie blanche", mais est doublé lors des rencontres physiques par Flip Zimmerman, un collègue blanc... mais juif. L'histoire est adaptée d'un réel fait divers daté de la fin des années 1970, et permet à Spike Lee de réaliser un film souvent drôle mais qui tient diablement bien la route, où l'on croise une militante du Black Power inspirée d'Angela Davis, et où l'on assiste à une projection redoutable de Naissance d'une nation, le classique de D.W. Griffith... Le film se conclut par des images des manifestations d'extrême droite de Charlottesville, en 2017, mais il n'y a aucune lourdeur dans le retour à la réalité contemporaine. Un des grands films américains de l'année, récompensé à raison par le jury du festival de Cannes (un Grand-prix qui n'est critiquable que parce que d'autres grands films ont été écartés).

DE CHAQUE INSTANT (Nicolas Philibert, 29 aou) LLL
En homologue français du grand documentariste Frederick Wiseman, Nicolas Philibert continue de radiographier des lieux singuliers de la société française, sans commentaires mais avec une acuité remarquable. Après La Maison de la radio, il s'intéresse à la scolarité d'élèves (filles ou garçons) d'une école d'infirmières. Le documentaire est découpé en trois parties : l'apprentissage au sein de l'école, pour acquérir à la fois la dextérité technique et des compétences plus relationnelles, puis les stages en immersion dans le monde hospitalier réel (qui permet de faire rentrer indirectement les conséquences des politiques néolibérales à l'intérieur du film), puis enfin les confidences, parfois poignantes, des étudiant-e-s lors de leur retour d'expérience. Loin de toute mode, Nicolas Philibert continue d'interroger ce qui nous fait humain, et saisit des fragments d'universel puisque nous avons tou-te-s été plus ou moins confronté-e-s à la maladie et au milieu médical.

THE GUILTY (Gustav Möller, 18 juil) LLL
Une femme, victime d'un kidnapping, contacte les urgences de la police. Mais la conversation est interrompue brutalement. Le policier qui a reçu l'appel, d'astreinte dans le call center, ne peut faire évoluer la situation qu'avec l'aide de son intuition et de son téléphone... Le premier long métrage de Gustav Möller est une démonstration, celle qu'un thriller efficace ne tient pas forcément à la solidité de son scénario, qui une fois le puzzle achevé peut paraître... téléphoné, mais plutôt à la force de sa mise en scène. Il montre de manière radicale l'importance des hors-champs pour faire monter la tension : en ne quittant pas les semelles de l'opérateur, il ne narre l'action qu'à travers la bande-son qui à elle seule crée de l'espace. Un exercice de style réussi et prometteur.

SILENT VOICE (Naoko Yamada, 22 aou) LLL
Shoko, une jeune fille sourde, est brimée par certains de ses camarades de classe, emmenés par le populaire Ishida. Mais lorsqu'elle finit par changer d'établissement, Ishida est à son tour montré du doigt. On le retrouve quelques années plus tard, isolé, rongé par le remords, et désireux de retrouver Shoko et d'obtenir son pardon... Adapté d'un manga de Yoshitoki Oima, ce long métrage d'animation arrive à toucher juste et sans cliché sur le double sujet du handicap et du harcèlement, grâce à une approche très (trop ?) poussée de la psychologie, et avec une certaine finesse de trait, malgré un ou deux excès mélodramatiques.

UNE VALSE DANS LES ALLEES (Thomas Stuber, 15 aou) LL
Christian, un homme réservé, intègre l'équipe de manutentionnaires d'un supermarché allemand. Il croise le sourire triste de Marion. Celle-ci va tenter de mieux connaître le "bleu". Dès les premiers plan sur le grand magasin avec en fond sonore des valses de Strauss (qui justifie le titre choisi par les distributeurs français), on se dit qu'on va assister à un film singulier. Alors oui les personnages sont très attachants, il est vrai que Christian et Marion ont des interprètes en vogue dans le cinéma allemand, respectivement Franz Rogowski (Transit) et Sandra Hüller (Toni Erdmann). Mais ce joli petit film fait (trop) profil bas, que ce soit sur la forme (la mise en scène) ou sur le fond (regard compassionnel mais peu engagé).

UNE PLUIE SANS FIN (Dong Yue, 25 juil) LL
Dans le sud de la Chine, des meurtres sont commis sur des jeunes femmes. Alors que la police piétine, Yu Guowei, un chef de la sécurité d'une vieille usine, va mener sa propre enquête, qui va tourner à l'obsession, faisant courir des dangers à des personnes proches.... Le premier film de Dong Yue est ambitieux, plaçant son (faux ?) thriller dans un sous-texte politique (l'action se passe en 1997, à quelques mois de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine). On le suit avec intérêt. Mais sa stylisation manque de nuances (par exemple un abus de scènes sous la pluie), et l'ensemble fait un peu trop penser à Memories of murder, de Bong Joon-Ho, qui, avec sa maîtrise des ruptures de ton, était d'une toute autre ampleur.

GUY (Alex Lutz, 29 aou) LL
Ex-crooner à succès dans les années 70-80, Guy Jamet publie un nouvel album et entame une ultime tournée. Un documentaire est tourné par un jeune réalisateur, qui serait le fils illégitime de Guy, d'après les dernières confidences de sa mère récemment décédée... Alex Lutz a réussi à créer un personnage imaginaire mais parfaitement crédible. La performance transformiste fonctionne, mais les images d'archives sont les séquences les plus drôles (avec la complicité de Marina Hands et Elodie Bouchez). L'humour vachard et la mélancolie pourront séduire (par exemple le public qui avait fêté Quand j'étais chanteur de Xavier Giannoli), à condition que la ringardise des chansons, créées pour le film, quelque part entre Cloclo et Herbert Léonard, ne soit pas trop rédhibitoire.

AU POSTE ! (Quentin Dupieux, 4 juil) LL
C'est un huis-clos, entre Fugain (Grégoire Ludig), un type qui a trouvé un homme baignant dans son sang en bas de chez lui, et le commissaire Buron (Benoît Poelvoorde), chargé de l'interrogatoire qui va durer toute la nuit. Mais bien sûr ce point de départ est surtout le prétexte à une nouvelle fantaisie absurde de Quentin Dupieux, qui tourne en France après plusieurs films réalisés en indépendant aux Etats-Unis. C'est parfois drôle, certaines scènes rappelant le cinéma de Bertrand Blier (et sa conception du discours indirect). Malheureusement, comme souvent chez Dupieux, ça tourne assez court (à l'exception du génial Rubber). Côté interprétation, on remarquera le contre-emploi réjouissant et décalé de Anaïs Demoustier en blonde frisée ponctuant ses phrases d'un machinal "C'est pour ça"...

UNDER THE SILVER LAKE (David Robert Mitchell, 8 aou) LL
Un jeune trentenaire désoeuvré, menacé d'expulsion, enquête sur la disparition soudaine de sa voisine, dont il venait de tomber sous le charme... C'est le début d'une fantasmagorie cinéphile, jouant à plein du fait que l'action est située à Los Angeles. Le film multiplie les références : la suprématie de l'atmosphère sur l'intrigue rappelle Le Grand sommeil (Hawks), le voyeurisme du personnage principal évoque Fenêtre sur cour (Hitchcock), et la vision désenchantée d'Hollywood tente de ranimer la flamme de Mulholland Drive (Lynch). Las, le résultat n'est pas désagréable, mais un peu dénué d'une personnalité propre (les deux premiers films de David Robert Mitchell étaient plus singuliers), et le film s'oublie très vite...

HÔTEL ARTEMIS (Drew Pearce, 25 juil) L
Nous sommes en 2028 à Los Angeles. Des émeutes éclatent suite à la privatisation de l'eau. Pendant ce temps, l'hôtel Artemis abrite en réalité un hôpital secret où viennent se faire soigner des criminels en toute discrétion. Il y a des règles internes strictes, mais certains pensionnaires s'en affranchiraient volontiers... Le regretté Wes Craven en aurait peut-être fait un film réjouissant, mais ici la platitude des dialogues n'a d'égale que la médiocrité de la mise en scène. Même Jodie Foster, dans le rôle de la directrice de l'établissement et infirmière en chef, peine à convaincre.

Version imprimable | Films de 2018 | Le Mardi 18/09/2018 | 0 commentaires




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