S'identifier

Des films pour terminer l'année

S'enrichira d'ici la fin des fêtes...

  • Bravo : Leto (Kirill Serebrennikov), Une affaire de famille (Hirokazu Kore-Eda)
  • Bien : Pupille (Jeanne Herry), Yéti & compagnie (Karey Kirkpatrick, Jason Reisig), Un amour impossible (Catherine Corsini), Miraï, ma petite soeur (Mamoru Hosoda), Marche ou crève (Margaux Bonhomme)
  • Pas mal : L'Homme fidèle (Louis Garrel), Mon cher enfant (Mohamed Ben Attia), Hard eight (Paul Thomas Anderson), Lola et ses frères (Jean-Paul Rouve), Bohemian Rhapsody (Bryan Singer), Premières solitudes (Claire Simon), Wildlife (Paul Dano), Les Chatouilles (Andréa Bescond, Eric Métayer), Astérix - Le secret de la potion magique (Alexandre Astier, Louis Clichy)
  • Bof : Le Grand bain (Gilles Lellouche), Spider-Man : New generation (Peter Ramsey, Bob Persichetti, Rodney Rothman)

LETO (Kirill Serebrennikov, 5 déc) LLLL
Un été au début des années 1980 à Leningrad. L'heure n'est pas encore à la Glasnost ou à la Perestroïka, mais un groupe de musiciens s'échangent de la main à la main des enregistrements de David Bowie et Lou Reed. C'est dans ce contexte qu'on suit les efforts de Mike Naumenko, l'un des artistes locaux les plus talentueux du moment, pour émerger : le rock n'est pas interdit en URSS, mais chaque morceau doit recevoir l'aval de certaines autorités. Mike est un peu plus âgé que les autres, il est marié à la belle Natacha (Irina Starshenbaum, dont les regards sont aussi un peu les nôtres) lorsqu'il rencontre le jeune Viktor Tsoï, en qui il décèle un véritable potentiel. Le film a, on le voit, quelques points communs avec Cold War (y compris dans le choix du noir et blanc), mais il s'en distingue toutefois. La mise en scène de Pawel Pawlikowski était toute en maîtrise et en ellipses maximales, alors que celle de Kirill Serebrennikov fait le choix de l'immersion totale dans une génération, à travers quelques figures (les deux musiciens vedettes ont réellement existé) qu'on suit à la trace dans leur quotidien et leurs désirs d'émancipation. Cela donne lieu notamment à des scènes d'envolées jubilatoires, qui se concluent par un personnage indiquant qu'elles n'ont jamais existé... Bref, la fièvre juvénile face aux freins de l'ordre établi. Dans l'état d'esprit, c'est donc un des films les plus punks de l'année.

UNE AFFAIRE DE FAMILLE (Hirokazu Kore-Eda, 12 déc) LLLL
Une petite fille, visiblement battue, traîne dans la rue, et est recueillie par une famille... La famille est le sujet de prédilection de Kore-Eda depuis une bonne douzaine d'années, ce qui a donné des films sensibles, parfois franchement réussis (Still walking), parfois mineurs (I wish). Mais ici, il n'y a pas beaucoup de liens du sang dans cette cellule chaleureuse qui fait cohabiter trois générations. L'éducation est elle-aussi très alternative : la fille aînée s'exhibe dans un peep-show, tandis que le fils pré-ado fait souvent les courses, parfois accompagné de son père, mais sans jamais passer à la caisse... Le scénario est formidable, car il procède par petites touches, loin de rails programmatiques tout faits, mais en plus il est exécuté avec une grande intelligence. Hirokazu Kore-Eda pratique ici un cinéma inspiré et méticuleux, presque bressonien (pas seulement pour les pickpockets, mais aussi pour tout un art de la métonymie, par exemple quelques oranges qui roulent par terre deviennent poignantes...), tout en abordant avec grâce des thématiques fortes, qu'elles soient existentielles (la mort, la sexualité) ou sociales (la survie dans la pauvreté, la toute-puissance du patronat, l'insuffisance des couvertures sociales). Un sommet assez transgressif dans la carrière du cinéaste, et une Palme d'or méritée (même si plusieurs films étaient du même niveau, dans une sélection de très haute tenue).

PUPILLE (Jeanne Herry, 5 déc) LLL
Pupille est le nom donné aux enfants nés sous X et confiés à leur naissance par leur mère biologique aux services d'adoption. Le film raconte en parallèle les trajets respectifs d'un de ces nourrissons et de la mère adoptante (Elodie Bouchez), mais avec des temporalités différentes (trois mois pour le premier et huit ans pour la seconde). Il montre toute la chaîne des intervenants, de l'assistance sociale (Clotilde Mollet) qui recueille les volontés de la mère biologique au tuteur provisoire (Gilles Lellouche) qui recueille provisoirement l'enfant pendant deux mois (délai de rétractation) puis pendant le temps que le comité (présidé par Miou-Miou, la mère de la cinéaste) attribue l'enfant à sa famille définitive. Le film est très instructif, sans être documentaire (il fait confiance en la fiction). Et il le fait sans dogmatisme idéologique : les services sociaux cherchent les meilleurs parents pour les enfants, et non l'inverse (ce qui peut être douloureux à entendre). Et il montre qu'être parent adoptif est plus exigeant qu'être parent de ses enfants biologiques, notamment parce qu'il faut créer avec retard le lien d'attachement, et que l'enfant aura le droit de faire des recherches sur ses origines.

YETI & COMPAGNIE (Karey Kirkpatrick, Jason Reisig, 17 oct) LLL
Je rattrape tardivement ce film d'animation qui se passe dans une communauté de yétis vivant en autarcie au sommet d'une montagne. Un chef spirituel affirme, pierres illustrées à l'appui, que les humains, les "petits pieds" (d'où le titre original Smallfoot), n'existent pas. Un petit groupe d'iconoclastes pensent le contraire... S'il peut se suivre dès l'âge de six ans, le film est doté d'un scénario très habile qui parlera à tous les âges, mélangeant avec une certaine grâce un humour immédiat, des allusions contemporaines (téléphones portables et vidéos virales côté humain) et des aspects hautement philosophiques (réflexions sur la coexistence entre espèces, mais aussi sur les fonctions des religions). Une très bonne surprise.

UN AMOUR IMPOSSIBLE (Catherine Corsini, 7 nov) LLL
Catherine Corsini a modifié certains prénoms, mais il s'agit bien d'une adaptation du roman éponyme de Christine Angot sur sa mère. L'histoire de Rachel, une jeune femme juive de milieu modeste qui tombe amoureuse de Pierre, un jeune homme séduisant, grand bourgeois pervers, qui ne manquera pas de l'humilier plus ou moins subtilement. De cette passion inégalement partagée naîtra une fille, Chantal. Pierre, qui s'est éloigné et a fait sa vie ailleurs, fera souffrir la mère et la fille... C'est une saga qui traverse plusieurs décennies, sans s'appesantir sur la reconstitution, présente mais pas insistante. Le film trouve un équilibre bien senti entre le destin bouleversant de la mère (Virginie Efira, impressionnante et très subtile dans un registre inattendu) et les mots tranchants en voix off de la fille (et future romancière). Le film, par son aspect social, peut aussi rappeler le travail d'Annie Ernaux, et est une des meilleures réussites de la réalisatrice.

MIRAÏ, MA PETITE SOEUR (Mamoru Hosoda, 26 déc) LLL
Kun est un petit garçon heureux, jusqu'à l'arrivée de sa petite soeur Miraï. Face à ce bébé qui monopolise l'attention de ses parents, il ressent de la jalousie (comme le chien de la famille a pu en ressentir à son arrivée). Mamoru Hosoda (Les Enfants loups, Ame & Youki) traite d'un sujet universel, mais en y apportant une touche fantastique dont il a le secret : Kun est régulièrement et temporairement propulsé dans le passé ou dans le futur, rencontrant des membres de sa famille à des âges divers (par exemple sa petite soeur à l'adolescence). Il va apprendre à s'adapter à la nouvelle situation, à grandir... ou à faire du vélo ! Visuellement, ce film d'animation est une grande réussite, car Mamoru Hosoda est un vrai cinéaste tout court qui sait composer des plans et prêter une grande attention à ses personnages...

MARCHE OU CREVE (Margaux Bonhomme, 5 déc) LLL
Elisa, adolescente fougueuse, passe l'un de ses derniers étés dans la maison familiale du Vercors où elle a grandi. Elle fait de l'escalade mais surtout elle s'occupe, avec son père mais en l'absence de sa mère, qui a quitté le foyer quelque temps auparavant, de sa soeur lourdement handicapée. La relation entre les deux soeurs est passionnelle mais aussi exclusive, laissant peu de place aux amoureux : la responsabilité n'est-elle pas écrasante pour une jeune fille qui rêve de voler de ses propres ailes et de poursuivre ses études ailleurs ? Ce premier film n'est jamais édifiant, il ne fait pas le malin mais trouve toujours les bonnes solutions. Globalement, l'interprétation est au diapason, et Diane Rouxel est en particulier excellente, bien qu'un peu âgée pour le rôle.

L'HOMME FIDELE (Louis Garrel, 26 déc) LL
Marianne quitte précipitamment Abel pour se marier avec Paul, dont elle est enceinte. Neuf ans plus tard, Paul meurt, et Abel et Marianne se rapprochent à nouveau, au grand dam de Eve, la petite soeur de Paul devenue adulte et amoureuse depuis toujours d'Abel. Joseph, le fils de Marianne, est lui aussi contrarié, d'autant plus qu'il soupçonne sa mère d'avoir tué Paul... Le scénario, savoureux, est co-écrit par Jean-Claude Carrière. Certes le film semble parfois un rien artificiel (pendant la séance) mais vieillit bien dans la tête par la suite. Peut-être parce qu'il rend discrètement hommage, mais sans surcharge, à plusieurs figures de la Nouvelle Vague : Truffaut pour la fantaisie littéraire (trois voix off !), Chabrol pour le petit suspense goguenard, et Godard pour une déambulation à toute allure dans un monument de Paris...

MON CHER ENFANT (Mohamed Ben Attia, 14 nov) LL
Riadh et Nazli sont des parents inquiets : leur fils unique, Sami, qui doit passer le bac en fin d'année, est régulièrement en proie à des maux de tête. Un jour, il disparaît : il est parti pour la Syrie... Pour son deuxième long métrage après le prometteur Hedi, Mohamed Ben Attia réussit à aborder un sujet difficile en évitant les explications trop simples qui ont parfois cours en France, la fameuse (et fumeuse) théorie du grand continuum, qui permet les amalgames les plus injustes (entre islam et islamisme, ou entre communauté et communautarisme). Il choisit de faire le portrait d'un père désemparé par le choix de son fils. On regrettera juste que ce personnage reste, dans l'émotion, toujours sur la même note tout au long du film.

HARD EIGHT (Paul Thomas Anderson, 21 nov) LL
C'est peut-être le succès critique et public de Phantom Thread, petite merveille de maturité, qui vaut à ce film, le premier long métrage de Paul Thomas Anderson, d'arriver sur nos écrans, au bout de 22 ans... Dans une station service entre Reno et Las Vegas, on rencontre John (John C. Reilly), un trentenaire qui n'a même pas de quoi payer l'enterrement de sa mère. Il rencontre Sydney, un élégant et mystérieux sexagénaire (Philip Baker Hall), qui lui apprend à devenir joueur professionnel et à gagner beaucoup d'argent au casino. Les combines sont improbables, mais c'était déjà le cas de la Baie des anges de Demy. Le film, poisseux et désabusé, n'est pas follement original mais n'a pas la démesure prétentieuse de certains films postérieurs du cinéaste (Punch-Drunk Love, The Master). Plaisant.

LOLA ET SES FRERES (Jean-Paul Rouve, 28 nov) LL
Une soeur et deux frères, entre 35 et 47 ans. On les suit dans les événements assez communs de leur existence : le troisième mariage de l'un, le licenciement de l'autre, une naissance, une rencontre... Cinématographiquement, il n'y a pas grand chose à en dire : les spectateurs exigeants n'auront pas plus de grain à moudre que les spectateurs moins attentifs. Pour autant, et si vous êtes sensibles à ce genre d'arguments, le film est très chaleureux avec ses personnages (comme avec son public). On a plaisir à retrouver Ludivine Sagnier (trop rare à l'écran ces dernières années), et à trouver José Garcia plus touchant que d'habitude. Quelques scènes (au Pôle emploi ou dans un bar-karaoké) sont particulièrement réussies, tout comme le personnage du jeune étudiant snob incapable de simplicité, même pour dire les choses les plus triviales...

BOHEMIAN RHAPSODY (Bryan Singer, 31 oct) LL
Bohemian Rhapsody, c'est l'un des morceaux les plus extravagants et opératiques du groupe Queen, un de ceux qui échappaient à tout formatage. Reprendre ce titre pour intituler ce biopic de la vie et l'oeuvre de Freddy Mercury était donc prometteur. Le résultat, jamais désagréable, est beaucoup plus convenu. L'histoire telle qu'elle est racontée est empreinte d'une vision très hollywoodienne de la réussite individuelle des self made men, à l'image de certains hymnes plus formatés du groupe (We are the champions), et ne nous apprend pas grand chose qu'on ne savait déjà. L'esprit rock, paradoxalement un peu absent ici, est beaucoup plus présent dans Leto de Kirill Serebrennikov, sorti quelques semaines plus tard.

PREMIERES SOLITUDES (Claire Simon, 14 nov) LL
Claire Simon a proposé à une dizaine d'élèves d'une classe de première L option cinéma d'un lycée d'Ivry sur Seine de filmer leurs discussions entre eux, avec toujours le même dispositif : l'un ou l'une d'entre eux lance un sujet et écoute activement la réponse, rebondissant parfois sur ce que dit l'autre. Les jeunes découvrent les difficultés familiales ou sociales de leurs camarades de classe. Ce qui frappe ici c'est leur capacité d'empathie, qui permet la franchise des confidences. Si l'exercice a des vertus pédagogiques pour les élèves, cela reste cinématographiquement un documentaire un peu ténu qui n'a pas forcément l'ampleur de certains précédents films de la cinéaste (Le Concours).

WILDLIFE (Paul Dano, 19 déc) LL
1960. Joe, un garçon de 14 ans, voit ses parents s'éloigner l'un de l'autre : employé d'un terrain de golf viré pour une trop grande proximité avec la riche clientèle, son père finit par rejoindre une équipe chargée d'éteindre le feu dans les proches montagnes du Montana, au grand dam de la mère. La plupart des scènes sont filmées du point de vue de l'adolescent, qui semble parfois le plus mûr des trois, même s'il s'agit également d'une difficile conquête d'indépendance de la mère (un grand rôle pour Carey Mulligan). Le problème, c'est que le film définit très tôt son programme, et ne s'en départit jamais. Et surtout, la mise en scène est trop atone, scolaire, à la limite de l'académisme, pour convaincre complètement.

LES CHATOUILLES (Andréa Bescond, Eric Métayer, 14 nov) LL
Les "chatouilles", c'est en réalité les agressions sexuelles voire viols dont a été victime le personnage principal de ce film, qui tourne autour de la prise de conscience et du travail de résilience. Sur le fond, Les Chatouilles, basé sur l'expérience réelle de sa coréalisatrice Andréa Bescond, est inattaquable. On peut par contre trouver la forme choisie (décalages incessants, happenings psy) comme souvent maladroite ou contre-productive. Cela tient sans doute à l'origine du projet, qui est une transposition d'un one-woman-show d'Andréa Bescond, qui fonctionnait sans doute beaucoup mieux sur les planches, où elle tenait tous les rôles (ce qui faisait sans doute mieux passer les digressions ou les second rôles à la limite de la caricature). Une captation du spectacle, avec le même contenu tant pédagogique pour les spectateurs que thérapeutique pour l'artiste, aurait sans doute été plus convaincant.

ASTERIX - LE SECRET DE LA POTION MAGIQUE (Alexandre Astier, Louis Clichy, 5 déc) LL
Après une mauvaise chute, le druide Panoramix se cherche un successeur dans toute la Gaule, attisant l'intérêt de Sulfurix, un autre druide, passé du côté obscur. Le scénario est original, mais coche toutes les cases de ceux écrits par Goscinny (garnison romaine qui se prend une tannée, bagarres avec du poisson, bateaux de pirates qui coulent, César dans son bain etc). L'élément nouveau, c'est une place plus importante accordée aux femmes et aux enfants. Le résultat est assez mitigé : il y a des moments amusants, mais l'animation, trop caricaturale, est impuissante à distiller le même plaisir que les bandes dessinées (qui tiennent la route parce que l'imagination du lecteur travaille).

LE GRAND BAIN (Gilles Lellouche, 24 oct) L
Des hommes en souffrance dans leur vie professionnelle ou familiale se mettent à la natation synchronisée... Le film est devenu un phénomène de société. Certains sociologues y voient un désir de collectif, inassouvi dans le néolibéralisme ambiant, très individualiste. De près, le film peut avoir des aspects moins sympathiques (naïvetés du genre "quand on veut on peut", inégalités dans le traitement des personnages : un homme racisé qui n'est défini que par le fait qu'il ne parle pas français, des coachs féminines réduites à un seul trait de caractère). Cinématographiquement, le film est tellement prémâché que les cinéphiles, au lieu du grand plongeon, risquent de rester dans le petit bassin. Reste la tentation de lui accorder la moyenne, parce que ce n'est qu'une comédie, dans laquelle Amalric et Katerine sont attachants, et parce qu'on n'a pas envie de voir Gilles Lellouche redoubler (Le Grand bain 2, non merci...).

SPIDER-MAN : NEW GENERATION (Peter Ramsey, Bob Persichetti, Rodney Rothman, 12 déc) L
Spider-Man est sans doute le super-héros le plus attachant, car il reçoit ce don alors qu'il n'est pas encore adulte, et doit continuer à grandir avec. La nouveauté ici c'est qu'il y a plusieurs Spider-Man. C'est ce que va découvrir Mike Morales, un ado métis de Brooklyn qui va être mordu par l'araignée radioactive qui lui confère les supers-pouvoirs. Grâce à des paradoxes spatio-temporels et des dimensions supplémentaires, il va croiser des homologues, dont un Peter Parker devenu quadragénaire et bedonnant. C'est tout ce qu'on peut sauver de ce film, qui par ailleurs est très binaire (lutte pétaradante des gentils contre les méchants). Et surtout, visuellement, c'est une bouillie indigeste qu'on ne devrait pas appeler cinéma.

Version imprimable | Films de 2018 | Le Jeudi 20/12/2018 | 0 commentaires




Archives par mois


Liens cinéphiles


Il n'y a pas que le ciné dans la vie

Des liens citoyens