- Bravo : Mes provinciales (Jean-Paul Civeyrac)
- Bien : Ready player one (Steven Spielberg), Les Bonnes manières (Juliana Rojas, Marco Dutra), L'Ile aux chiens (Wes Anderson), Nul homme n'est une île (Dominique Marchais), Avant que nous disparaissions (Kiyoshi Kurosawa), The Rider (Chloé Zhao), The Third murder (Hirokazu Kore-Eda)
- Pas mal : Abracadabra (Pablo Berger), Luna (Elsa Diringer), Katie says goodbye (Wayne Roberts), Transit (Christian Petzold)
- Bof : Tesnota (Kantemir Balagov)
MES PROVINCIALES (Jean-Paul Civeyrac, 18 avr) LLLL
Etienne quitte sa province et s'éloigne de sa copine pour monter à Paris et faire des études de cinéma à la fac. Il y fait la rencontre d'étudiants intransigeants, tandis que sa colocataire n'est pas insensible à son charme... Jean-Paul Civeyrac, cinéaste par intermittence (il est aussi enseignant en cinéma), avait déjà réalisé de beaux films (A travers la forêt, Mon amie Victoria), mais celui-ci est d'une toute autre ampleur romanesque. On aurait pu craindre au tout début un film inscrit dans un tout petit milieu (celui des cinéphiles les plus idéalistes), on y disserte par exemple sur Boris Barnet, l'un des grands cinéastes soviétiques de l'époque muette, mais rapidement le film tient du roman d'apprentissage total, aussi bien au niveau artistique qu'intime, existentiel en somme (sur la recherche de la conformité des actes avec la pureté des intentions). Jean-Paul Civeyrac s'appuie sur des dialogues brillants, un noir et blanc aussi vibrant que dans les meilleurs Phillippe Garrel (notamment Les Amants réguliers), une utilisation inspirée de Jean-Sébastien Bach et sur de jeunes comédiens très à l'aise dans le cinéma d'auteur le plus exigeant : la découverte Andranic Manet dans le rôle principal, mais aussi Corentin Fila (Quand on a 17 ans), Sophie Verbeeck (A trois on y va), Jenna Thiam (L'indomptée), Diane Rouxel (Fou d'amour). Une des plus grandes réussites de l'année.
READY PLAYER ONE (Steven Spielberg, 28 mar) LLL
2045. Réchauffement climatique et crise du capitalisme financier ont précipité l'effondrement du système. Au plein coeur des Etats-Unis, des mobile home entassés tiennent lieu de logement social. Pour fuir leur quotidien sans horizon, la plupart des femmes et hommes du futur passent leur temps en enfilant un masque de réalité virtuelle, et rejoignant ainsi l'OASIS, jeu vidéo en ligne gratuit et réseau social où tout est encore possible. Un puissant fournisseur d'accès, IOI, rêve de prendre les commandes de l'OASIS, enjeu d'un concours lancé à sa mort par James Halliday, fondateur du jeu... Bien sûr, le film est un blockbuster, donc priorité au spectacle. Mais il y a aussi un propos politique d'une certaine acuité. Et surtout une très grande virtuosité pour naviguer entre d'une part un futur dystopique mais plausible et d'autre part la nostalgie de la culture pop des années 80 (avec hommage savoureux au Shining de Kubrick) qui a nourri l'imaginaire de Halliday. Sur la forme, on notera la qualité du montage pour passer en toute fluidité des terrains de jeu virtuels aux corps et décors bien réels. A ranger de façon inattendue dans les meilleures réussites de Spielberg.
LES BONNES MANIERES (Juliana Rojas, Marco Dutra, 21 mar) LLL
Clara, infirmière noire, est engagée pour soutenir Ana, une résidente des beaux quartiers de Sao Paulo, dans sa grossesse difficile. Cette dernière est rejetée par sa famille pour une raison que Clara va découvrir peu à peu. Prévenons tout de go : il s'agit bien d'un film de genre, avec quelques scènes fantastiques et/ou horrifiques. Et pourtant, les cinéastes en font également un grand film tout court : un film sur les inégalités sociales et de race (sociologique) au Brésil, mais aussi la description d'une relation entre femmes, mais encore un récit sur l'enfance et l'éducation... Avec sa mise en scène très inspirée, le film navigue entre Pedro Almodovar et Julia Ducournau (Grave). Son propos n'est finalement pas très éloigné du "message" de La Forme de l'eau de Guillermo Del Toro, mais de façon moins consensuelle et beaucoup plus ample. Une réussite.
L'ILE AUX CHIENS (Wes Anderson, 11 avr) LLL
Le maire de Megasaki ordonne la mise en quarantaine de tous les chiens sur une île au large de la ville, pour éviter la propagation d'une grippe canine. Atari, son neveu (et fils adoptif) de 12 ans, va partir à la recherche de Spots, qui y a été déporté. Pour la première fois, Wes Anderson livre un film explicitement politique, une fable futuriste intéressante (même s'il adopte une ligne claire assez manichéenne) inspirée d'un court métrage palmé à Cannes il y a une quinzaine d'années. C'est son deuxième film d'animation après Fantastic Mr Fox, mais le style n'est pas le même (il n'y a aucun anthropomorphisme par exemple, même si les chiens sont dotés de parole). Curieusement, le cinéaste est plus convaincant ici lorsqu'il filme des marionnettes comme de vrais personnages, que dans son précédent film, The Grand Budapest Hotel, où il filmait ses acteurs en chair et en os comme s'il s'agissait de pantins au sein d'une maison de poupées...
NUL HOMME N'EST UNE ÎLE (Dominique Marchais, 4 avr) LLL
Le film commence en Italie, au palais communal de Sienne, devant les fresques du bon et du mauvais gouvernement, peintes vers 1340. Pour la première fois, l'artiste représentait non pas le roi et ses serviteurs, mais des paysans et des artisans, des citoyens en somme, qui voulaient décider de leur vie. Retour au présent dans la suite du documentaire qui suit justement des expériences alternatives (au niveau social comme écologique) dans l'agriculture (une coopérative bio), l'architecture, l'artisanat, en Sicile, en Suisse ou en Autriche. Et à chaque fois, le cinéaste du Temps des grâces (déjà un très beau film qui dénoncait de façon étayée l'agriculture contemporaine dominante), excelle dans l'inscription de ces solutions (partielles) dans des paysages façonnés par l'activité humaine et de ce fait riches de sens et de caractère. Le titre est bien sûr une réponse à la célèbre phrase de Margaret Thatcher, selon laquelle "La société, ça n'existe pas".
AVANT QUE NOUS DISPARAISSIONS (Kiyoshi Kurosawa, 14 mar) LLL
On dit communément que l'intelligence et les sentiments grandissent quand on les partage, mais ce n'est pas le cas dans ce film, où des aliens à apparence humaine volent des concepts aux êtres humains qu'ils rencontrent, qui deviennent mutilés de notions essentielles. Sur le fond, il s'agit d'un film conceptuel qui s'inscrit dans la lignée du classique L'Invasion des profanateurs de sépulture de Don Siegel ou du plus récent Under the skin de Jonathan Glazer. Mais, sur la forme, il s'agit surtout d'un retour en force du cinéma de Kiyoshi Kurosawa, qui réalise un film d'extra-terrestres presque sans effets spéciaux, et qui n'a pas son pareil pour créer une angoisse sourde, mâtinée d'un humour sardonique sur la situation actuelle de l'humanité (déjà au bord de l'autodestruction), simplement par le brio de sa mise en scène et de sa direction d'acteurs. De quoi se réconcilier avec le cinéaste, après plusieurs films décevants.
THE RIDER (Chloé Zhao, 28 mar) LLL
Brady n'a guère plus de 20 ans, il est dresseur de chevaux. Doué, il a participé à de nombreuses compétitions, mais en est désormais privé après un tragique accident de cheval, au cours d'un rodéo. Cela aurait presque pu être un documentaire (les acteurs non professionnels jouent peu ou prou leur propre rôle), mais Chloé Zhao a décidé de les magnifier par la fiction. Comme pour Les Chansons que mes frères m'ont apprises, son premier film (prometteur), la réalisatrice chinoise exilée aux Etats-Unis a tourné dans la réserve de Pine Ridge. Son héros est donc un cow-boy sioux, ce qui permet d'aborder en creux de nombreuses questions (sur l'assimilation ou la relation homme-animal). Les plaines et collines, filmées à la tombée du jour, évoquent le western, mais c'est un film contemporain, en apparence simple mais s'inscrivant dans une tradition humaniste.
THE THIRD MURDER (Hirokazu Kore-Eda, 11 avr) LLL
Shigermori, un ténor du barreau, est engagé pour défendre Misumi, accusé d'assassinat. La culpabilité de ce dernier semble évidente : il avait déjà été condamné pour un double meurtre 30 ans auparavant, et a avoué son crime. La contre-enquête du grand avocat, qui cherche le meilleur angle pour atténuer les charges contre son client (qui risque la peine de mort), avance cahin-caha au fil des interrogatoires, au cours desquels le suspect modifie continuellement sa version des faits. Se pourrait-il qu'il ne soit pas coupable ? Le nouveau film d'Hirokazu Kore-Eda s'inscrit dans le genre, inhabituel pour lui, du polar judiciaire, mais n'oublie pas ses fondamentaux (comme mêler de façon subtile délicatesse et cruauté). Les variations de mise en scène, par exemple dans les moments au parloir, insufflent de l'ambiguïté au récit. Le scénario n'est pas tiré au cordeau, et c'est mieux ainsi, c'est le style qui prime.
ABRACADABRA (Pablo Berger, 4 avr) LL
Après une séance d'hypnose qui tourne court, au cours d'un mariage, Carlos (Antonio de la Torre), le mari macho de Carmen (Maribel Verdu), se métamorphose : il devient un époux attentionné et aide aux devoirs de sa fille adolescente. Mais est-il toujours lui-même ? On n'est qu'au début des surprises, dans ce nouveau film de Pablo Berger, après les très réussis Torremolinos 73 (2005) et Blancanieves (2013). Le cinéaste mélange les genres à foison, même si la comédie domine, et continue de montrer une cinéphilie on ne peut plus éclectique. L'imagination est plus que jamais au pouvoir, mais au détriment de la cohérence. Du coup, le résultat est plaisant, mais ne restera pas dans nos mémoires, contrairement à ses deux premiers longs métrages. Un cinéaste rare à suivre néanmoins.
LUNA (Elsa Diringer, 11 avr) LL
Luna, qui vit près de Montpellier, est apprentie en horticulture. Au cours d'une soirée trop arrosée avec des amis et Ruben, dont elle est amoureuse, le groupe agresse un jeune inconnu. Celui-ci réapparaît dans la vie de Luna quelques semaines plus tard, à son travail, mais il ne la reconnaît pas... Il manque un regard de cinéaste dans les scènes du début, certes difficiles à réussir. Mais dès la réapparition d'Alex, le film arrive à trouver sa personnalité, un récit d'apprentissage, la naissance d'un remords et d'une relation compliquée. Dans un registre très différent de La Tête haute, Rod Paradot confirme son talent naissant. Et la débutante Laëtitia Clément, avec un faux air de Sara Forestier dans les intonations, est l'élément le plus convaincant du film.
KATIE SAYS GOODBYE (Wayne Roberts, 18 avr) LL
Serveuse dans un bar pour routiers d'un coin perdu d'Arizona, Katie fait quelques passes pour aider sa mère au chômage et mettre de l'argent de côté pour elle-même (elle rêve d'aller s'installer en Californie). Son histoire, c'est celle d'une femme qui sourit un peu trop, et de sa rencontre avec Bruno, un mécanicien automobile récemment sorti de prison... Après Ready player one, Olivia Cooke hérite d'un rôle beaucoup plus adulte, celle d'une femme-courage qui doit apprendre à dire non. Elle est émouvante, plus que le film, un peu mécanique (certains détails insistants font anticiper tel ou tel rebondissement), qui ne se départit jamais de son programme. Premier long métrage de Wayne Roberts, dont la mise en scène n'a pas encore la maîtrise ou l'intensité de celle des frères Dardenne.
TRANSIT (Christian Petzold, 25 avr) LL
A Marseille, des réfugiés de l'Europe entière rêvent d'embarquer pour l'Amérique (du Nord ou du Sud) pour échapper aux forces d'occupation fascistes. Georg, un Allemand, prend l'identité d'un écrivain qui s'est suicidé, dont il a récupéré un manuscrit inachevé, deux lettres, et un visa. Il rencontre Marie, qui ne veut pas partir tant qu'elle n'aura pas retrouvé son mari... Le film est librement adapté d'un roman d'Anna Seghers, publié en 1944, mais Christian Petzold filme comme si l'intrigue se passait de nos jours (les téléphones portables en moins). Il tente peut-être ainsi de faire écho à la xénophobie montante contemporaine, mais bute contre l'invraisemblance. Dommage, car le cinéaste de Phoenix sait toujours filmer et diriger ses interprètes (dont Paula Beer, révélée par Frantz de François Ozon).
TESNOTA (Kantemir Balagov, 7 mar) L
Ilana travaille dans le garage de son père à Naltchick, au Nord Caucase (Russie). Un soir, la famille se réunit pour célébrer les fiançailles de son frère David. Dans la nuit, David et sa fiancée sont kidnappés. Dans cette communauté juive, il est inconcevable d'appeler la police. Comment réunir la somme nécessaire pour payer la rançon ? Ilana, dont le petit ami est kabarde (une autre communauté), sera mise à contribution pour sauver son frère. L'histoire, inspirée d'un fait divers survenu à la fin des années 90, est forte, sur le papier. A l'écran, faute d'une vraie mise en scène, elle semble surtout d'une grande lourdeur, même s'il faut sauver l'interprétation de Darya Zhovner.
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