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Des films pour continuer le printemps 2018

  • Bravo : Senses (Ryûsuke Hamaguchi)
  • Bien : En guerre (Stéphane Brizé), Cornélius, le meunier hurlant (Yann Le Quellec), Manhattan stories (Dustin Guy Defa)
  • Pas mal : Plaire, aimer et courir vite (Christophe Honoré)
  • Bof : Everybody knows (Asghar Farhadi), Daphné (Peter Mackie Burns)
SENSES (Ryûsuke Hamaguchi, 2, 9 et 16 mai) LLLL
C'est un film de cinq heures, découpé en cinq chapitres (associés chacun à un des cinq sens), et distribué dans les salles françaises en trois parties. J'ai vu le film dans sa continuité (en trois séances successives). Il s'agit d'une grande fresque autour de quatre jeunes femmes entre 30 et 40 ans, à Kobe au Japon. Lorsque l'une d'entre elles va disparaître, leur amitié et l'équilibre qui régnait au sein de leur groupe vont être mis à rude épreuve. Première constatation : le film est passionnant, et la durée se justifie pleinement. Le montage sait donner aux scènes le temps qu'il faut pour leur donner de la richesse. Ryûsuke Hamaguchi a fait oeuvre de sismographe tant dans l'observation d'un groupe d'amies que dans l'enregistrement du fonctionnement de la société japonaise et de la place accordée aux femmes. Sur la forme, la mise en scène est impressionnante, tant dans la lumière que dans l'intensité avec laquelle les personnages sont regardées. Et il réussit d'improbables morceaux de bravoures, comme un débriefing savoureux après un étrange stage de développement personnel, ou un saisissant débat littéraire (mais avec d'autres enjeux) suivant une scène de lecture publique un peu étirée. Le tout dernier épisode est un peu moins enthousiasmant (disons qu'une fin plus ouverte aurait été parfaite). Mais dans l'ensemble, une oeuvre assez magistrale.

EN GUERRE (Stéphane Brizé, 16 mai) LLL
La direction du groupe Perrin Industrie décide la fermeture totale d'un site de production en France, alors que, quelques années auparavant, les 1100 salarié-e-s du site avaient accepté une hausse du temps de travail sans hausse de salaire. Emmené-e-s par leurs délégué-e-s syndicaux, les salarié-e-s vont tout tenter pour sauver leur emploi. Contrairement à La Loi du marché, la mise en scène n'impressionne pas immédiatement : les plans ne sont pas cadrés avec la même précision. C'est que cette fois-ci, c'est un collectif qui est filmé, avec un réalisme proche du documentaire (sauf qu'on ne voit jamais les réunions avec le conseiller social de l'Elysée, même dans les docus engagés). Sur le fond, rarement un film n'aura montré de manière plus tangible la lutte des classes, entre celles et ceux qui n'ont que leur travail et leur salaire pour vivre (les premiers de corvée), et celles et ceux qui s'enrichissent en exploitant le travail des autres (les premiers de cordée). Pour autant, et c'est sa force, aucun des personnages, quelle que soit sa position, n'est caricaturé ni même jugé (interprétations homogènes et excellentes). Il insiste en revanche sur le fait que la désunion et le syndicalisme pour les miettes sont mortifères pour le rapport de force. Un bel hommage aux têtes dures, sans césar ni tribun ni références cocardières...

CORNELIUS, LE MEUNIER HURLANT (Yann Le Quellec, 2 mai) LLL
Un homme corpulent, bronzé, barbu, surgit du sable d'une plage déserte où il était enseveli. Dès le premier plan, le ton insolite du film est donné. Cet homme (Bonaventure Gacon) arrive dans un village, dont le maire (Gustave Kervern) l'accueille à bras ouvert : il a besoin d'un meunier. Il s'installe en surplomb, et se lie avec Carmen (Anaïs Demoustier), la jolie fleuriste (et fille du maire). Tout irait pour le mieux si, la nuit, il ne se mettait pas à hurler et réveiller tout le monde... Librement adapté du roman Le Meunier hurlant d'Arto Paasilinna, ce conte noir, qui n'oublie pas le burlesque, est vivifiant comme un bon bol d'air frais (en ce sens il pourrait faire penser aux premiers films de Philippe Ramos) : pas de pesante reconstitution (d'ailleurs l'époque reste indéfinie), originalité des décors, tant naturels (le tournage a eu lieu dans le cirque de Navacelles) qu'artificiels (l'incroyable moulin à vent édifié par Cornelius). Une jolie surprise.

MANHATTAN STORIES (Dustin Guy Defa, 16 mai) LLL
Dès le début, on est dans l'ambiance : la musique jazzy et la palette chromatique chaleureuse obtenue notamment par le grain particulier de la pellicule 16 mm donnent l'impression de se trouver devant un bon film américain des années 1970, de ceux qui s'intéressaient vraiment à leurs personnages. Pourtant ça se passe de nos jours à New-York. Le film entremêle, grosso modo l'espace d'une seule journée, le destin d'une dizaine de personnages (un mélomane collectionneur de vinyles, un journaliste d'un tabloïd spécialisé dans les faits divers crapoteux qui accueille une stagiaire, une adolescente rebutée par ce qu'elle croit savoir de la sexualité). Si le titre choisi par le distributeur français reflète l'argument narratif du film, le titre original Person to person me semble plus pertinent. Car, en filmant à hauteur de ses personnages, Dustin Guy Defa arrive à rendre extrêmement touchant des enjeux modestes ou très intimes. Sans être écrasé par l'ombre bienveillante des aînés (Woody Allen, Ira Sachs), il maîtrise déjà bien l'art de la litote (suggérer beaucoup avec peu).

PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE (Christophe Honoré, 10 mai) LL
Eté 1993. Arthur a 22 ans, est étudiant à Rennes lorsqu'il rencontre Jacques, un écrivain dandy parisien d'environ 40 ans et papa d'un jeune garçon. Le courant passe, une romance s'ébauche, mais pour Jacques le temps est compté... Cette nouvelle chronique sur le Sida dans les années 90 pourra souffrir pour certains de sortir quelques mois seulement après 120 battements par minute, mais les arguments des deux films sont assez différents : celui de Campillo était collectif et politique, tandis que celui d'Honoré travaille davantage les dimensions individuelle et romanesque. Bizarrement, contrairement à certains de ses films précédents les plus marquants (Les Chansons d'amour, La Belle personne...), il opte pour une mise en scène beaucoup moins référencée, très profil bas (on ne retrouve pas vraiment l'urgence suggérée par le titre), mais tire le meilleur de ses comédiens (Pierre Deladonchamps, Vincent Lacoste).

EVERYBODY KNOWS (Asghar Farhadi, 9 mai) L
Pour une fête de famille, Laura revient avec ses enfants dans son village natal au coeur d'un vignoble espagnol. Son mari, resté en Argentine par nécessité (un entretien d'embauche), devra rejoindre Laura, suite à un événement dramatique. Le nouveau Asghar Farhadi, fort de ses trois stars internationales (Penélope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darin), a fait l'ouverture du dernier festival de Cannes, tout en participant à la compétition officielle. Pourtant, depuis Une séparation, les films du cinéaste sont de moins en moins bons. Il sur-écrit ses scénarios, ce qui aboutit comme ici à un film assez lourd et décevant en terme de cinéma. Alors que A propos d'Elly, tourné avant Une séparation, avait un scénario moins bétonné, ce qui donnait plus d'espace à la mise en scène, qui créait une vraie tension, ce que Everybody knows ne parvient pas à faire.

DAPHNE (Peter Mackie Burns, 2 mai) L
Daphné est une jeune femme londonienne qui cuisine dans un restaurant le jour, et écume les bars la nuit en rencontrant parfois des garçons. Farouchement indépendante, elle a un humour volontiers ironique. Son mode de fonctionnement va peut-être se gripper après un événement violent dont elle est le témoin... Pour son premier long métrage, Peter Mackie Burns offre un rôle attachant à l'actrice prometteuse Emily Beecham. Malheureusement, le sujet n'est ni traité ni savamment éludé, et le tout manque cruellement de cinéma pour sortir du rang.

Version imprimable | Films de 2018 | Le Dimanche 10/06/2018 | 0 commentaires




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