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Suite des films de début 2018

  • Bien : Phantom thread (Paul Thomas Anderson), L'Apparition (Xavier Giannoli), Lady Bird (Greta Gerwig), Les Garçons sauvages (Bertrand Mandico), Ni juge, ni soumise (Yves Hinant, Jean Libon), Jusqu'à la garde (Xavier Legrand), L'Insoumis (Gilles Perret), Cro Man (Nick Park)
  • Pas mal : La Fête est finie (Marie Garel-Weiss), La Forme de l'eau (Guillermo Del Toro), Mektoub my love, canto uno (Abdellatif Kechiche), Call me by your name (Luca Guadagnino)
  • Bof : La Belle et la belle (Sophie Fillières), La Nuit a dévoré le monde (Dominique Rocher)

PHANTOM THREAD (Paul Thomas Anderson, 14 fév) LLL
Reynolds, un styliste de haute couture, fait la rencontre d'Alma, serveuse dans un restaurant. Il veut en faire son modèle, et plus si affinités. Au début du film, on peut se demander si ce n'est pas un autoportrait du cinéaste, c'est-à-dire de quelqu'un qui a du talent, mais dont les oeuvres sont parfois asphyxiantes de maîtrise (ou de prétention). Peu de miroirs dans l'atelier du maître, tout doit passer par le regard du créateur. Mais, assez rapidement, le centre du film va se déplacer vers Alma. Si Phantom thread était un film d'amour classique, ce serait la relation entre Reynolds et Alma qui serait au centre. Mais elle donne tellement, et lui tellement peu que le film devient un portrait de femme en quête d'émancipation. Malgré les interprétations voraces de Daniel Day-Lewis et Lesley Manville (qui joue la soeur très hitchcockienne de Reynolds), Alma (et son interprète Vicky Krieps) arrive à trouver sa place dans le film, alors qu'elle en a encore si peu dans l'univers si étouffant du couturier et de la classe sociale dont il fait partie. Comment Alma va-t-elle (ou non) s'émanciper ? Va-t-elle trouver une issue à l'intérieur de cette relation ou devra-t-elle rompre ? Ce sont les enjeux de ce beau film, bien servi en outre par la musique (inspirée) de Jonny Greenwood...

L'APPARITION (Xavier Giannoli, 14 fév) LLL
Dans un village du sud de la France, une jeune fille affirme avoir vu la Vierge Marie. Les croyants affluent, tandis que le Vatican ordonne une enquête canonique et engage pour ce faire un reporter de guerre. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'enquête peut être inscrite à charge, car l'Eglise préfère ne pas reconnaître trop rapidement un miracle si l'imposture peut être facilement démasquée. La mise en place est un peu laborieuse, mais au bout d'un moment on se rend compte qu'on est au coeur d'un vrai polar dont l'ampleur est peu commune et dont les enjeux ne sont pas forcément ceux exposés au départ. On "prie" pour que la résolution du film n'intervienne pas trop vite, et fort heureusement il n'en est rien. Bien sûr, aux côtés de la jeune Galatéa Bellugi, la performance de Vincent Lindon, capable par sa seule présence de transformer un bon film en excellent ouvrage, n'est pas pour rien dans la réussite un peu inattendue du nouvel opus de l'éclectique Xavier Giannoli.

LADY BIRD (Greta Gerwig, 28 fév) LLL
Nous sommes un an après les attentats du 11 Septembre. Christine a 17 ans, mais souhaite que tout le monde l'appelle Lady Bird. Elle est en dernière année de lycée (catholique) mais rêve de poursuivre des études supérieures dans une école d'art new-yorkaise, à des milliers de kilomètres de sa maison natale à Sacramento (filmée comme une ville moyenne de province alors que dans la réalité il y a plusieurs centaines de milliers d'habitants). Pour son premier film en tant qu'unique réalisatrice, la comédienne Greta Gerwig livre une attachante chronique plus ou moins autobiographique d'une adolescente américaine des années 2000, dont les rêves se confrontent à la réalité sociale (son père essaie de rebondir après un licenciement, et sa mère infirmière se sacrifie en faisant des heures sup). Mais c'est aussi un portrait intemporel, universel et subtil d'un âge délicat, avec ses poses renfrognées ("Le seul intérêt de 2002, c'est que c'est un palindrome") et ses premières expériences amoureuses.

LES GARCONS SAUVAGES (Bertrand Mandico, 28 fév) LLL
Cinq fils de bonne famille, devenus incontrôlables, violent et tuent une de leurs professeures. Ils sont confiés à un capitaine qui les emmène sur son bateau pour une expédition punitive... C'est le début d'un conte cru(el). D'emblée on est embarqué ailleurs, par le choix du noir et blanc, les ruptures de ton, l'importance apportée aux détails, en particulier une fois arrivés sur une île mystérieuse (avec une flore très équivoque). Qui plus est, les cinq voyous ne sont interprétés que par des actrices (dont Vimala Pons), et on s'apercevra que ce choix est tout sauf gratuit. Un premier long métrage iconoclaste et réussi, très spécial, d'une certaine manière militant, pour spectateurs-trices averti(e)s.

NI JUGE, NI SOUMISE (Yves Hinant, Jean Libon, 7 fév) LLL
Les deux réalisateurs, venus de la RTBF et de l'émission Strip tease, ont mis leurs pas dans ceux d'une juge d'instruction bruxelloise. L'un des fils rouges du documentaire est la réouverture d'un dossier de meurtres de deux prostituées, dont les faits se sont déroulés il y a plus de 20 ans. Les avancées techniques des tests ADN vont-elles permettre d'élucider l'affaire ? L'autre fil rouge, c'est bien sûr le portrait d'Anne Gruwez. Il n'y a pas de séquences de tribunal (il est vrai que Depardon l'a déjà fait), mais on la voit dans des auditions dans son cabinet, ou en déplacement pour l'exhumation d'un corps. Elle est dotée d'un sens de l'humour bien particulier, très terrien, mais aussi d'une véritable empathie ou compassion pour les marges de la société qui font son quotidien. Intéressant et haut en couleurs.

JUSQU'À LA GARDE (Xavier Legrand, 7 fév) LLL
Lion d'argent du meilleur réalisateur au festival de Venise, ce premier film de Xavier Legrand traite de violences conjugales. Mais il le fait sans montrer un coup. Au début, nous sommes dans le bureau de la juge. Miriam et Antoine, en instance de divorce et accompagnés de leurs avocates respectives, tentent de défendre leurs arguments. Julien, le fils de 11 ans, affirme par écrit vouloir à tout prix rester chez sa mère. Dès l'entrée en matière, il y a déjà une tension qui ne faiblira pas. Les droits de visite seront acquittés avec angoisse. Denis Ménochet a un air de ressemblance avec le Robert Mitchum de La Nuit du chasseur. Mais on n'est pas dans un conte, mais plutôt un thriller psychologique réaliste. Les moindres détails comptent, que ce soit pour les nuances apportées (le film n'est pas manichéen) ou pour l'efficacité de la mise en scène. Quant au final, on ne l'oubliera pas de sitôt...

L'INSOUMIS (Gilles Perret, 21 fév) LLL
Le film n'est nullement l'hagiographie honteuse qui justifierait sa déprogrammation par certains exploitants. Certes il suit les derniers mois de campagne de la dernière présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, mais Gilles Perret ne prend pas parti. Aucun effet de mise en scène de sa part ne vient appuyer une démonstration. En ce sens, il est assez proche du Depardon de 1974, une partie de campagne. Bien sûr, les précédents films du réalisateur (Les Jours heureux, La Sociale) sur le Conseil National de la Résistance ou sur la création de la Sécurité Sociale laissent deviner une proximité avec le programme L'Avenir en commun défendu par Jean-Luc Mélenchon. Mais le film n'est pas une explication de texte sur le programme, mais le portrait d'un homme politique sincère (il n'y a aucune variation de fond ou de forme entre un supposé "in" et un supposé "off", contrairement aux simagrées de Wauquiez), serein, et qui est à passé à quelques centaines de milliers de voix de l'exploit. Et le documentaire n'élude pas la question du traitement de la politique dans les grands médias, centrale pour qui veut restaurer une vraie démocratie digne de ce nom...

CRO MAN (Nick Park, 7 fév) LLL
Nick Park, réalisateur des Wallace et Gromit et autre Chicken run, nous emmène à l'âge préhistorique, près de Manchester... Dès la grandiose introduction du film, le ton est donné, il y aura plein d'anachronismes dans cet hilarant film d'animation où une tribu gentiment attardée à l'âge de pierre va devoir affronter des voisins plus évolués dans une compétition d'archéo-football. Les gags fusent et compensent un scénario relativement attendu, et le travail d'animation en pâte à modeler est toujours aussi impressionnant. Le public visé est peut-être un peu plus jeune que d'habitude, mais avec cette joyeuse comédie les studios Aardman ont encore frappé, dans un tir superbement cadré !

LA FETE EST FINIE (Marie Garel-Weiss, 28 fév) LL
Dans un centre de désintoxication, deux jeunes femmes se rencontrent et se lient d'amitié. Renvoyées du centre, elles vont devoir résister toutes seules au manque. Le sujet n'est pas neuf, mais Marie Garel-Weiss y apporte sa propre expérience. Elle peut également s'appuyer sur deux formidables interprètes : la confirmation de Zita Hanrot (autant dans l'intensité et la rage ici qu'elle était sérieuse dans Fatima en fille du rôle titre), et la découverte de Clémence Boisnard, à l'appétit de vie malgré tout insatiable (et communicatif). Côté cinéma, le film fait plus profil bas, mais peut évoquer, dans ses meilleurs moments, La Vie rêvée des anges d'Erick Zonca, sans être toutefois aussi abouti.

LA FORME DE L'EAU (Guillermo Del Toro, 21 fév) LL
En pleine guerre froide, aux alentours de l'année 1960, un laboratoire secret capture pour l'étudier un monstre humanoïde capable de respirer aussi bien dans l'eau salée que dans l'air (pour un temps limité). Elisa, une femme de ménage muette (jouée par Sally Hawkins, formidable interprète de Be happy de Mike Leigh) s'entiche de la créature. Il y a de belles trouvailles visuelles, comme les écailles luminescentes figurant les émotions de la bête. Il y a un côté revanche des exclus et des différents (les seuls amis d'Elisa sont une femme de ménage noire et un vieil homosexuel solitaire), même si le conte manque un peu d'aspérités (on ne doute jamais de la "bonté" du monstre). On sort de la projection plutôt sous le charme, mais le film s'évapore assez vite...

MEKTOUB MY LOVE, CANTO UNO (Abdellatif Kechiche, 21 mar) LL
Amin, installé à Paris, revient à Sète le temps des vacances d'été, dans sa famille de restaurateurs. Espérant devenir cinéaste, il est scénariste et photographe en amateur. Il croise des jeunes gens d'environ 20 ans comme lui, le "bel âge" (dixit Barbara). Il ne flirte pas, mais devient le confident des jeunes filles, touristes ou amie d'enfance comme la plantureuse Ophélie, la plus terrienne car aidant aux travaux de l'élevage familial. Les autres sont coupés de toute réalité sociale et de toute préoccupation politique, par exemple aucune discussion sur le SMIC jeune de Balladur (l'histoire se passe en 1994). Ils sont dans une parenthèse enchantée, que Kechiche filme avec volupté mais aussi insistance. Le résultat, à mi-chemin entre A nos amours de Pialat et... L'Année des méduses, peut paraître fascinant (on ne voit pas le temps passer), mais aussi gratuit (un adjectif qu'on n'aurait jamais utilisé pour ses précédents films).

CALL ME BY YOUR NAME (Luca Guadagnino, 28 fév) LL
Au début des années 1980, un couple de riches intellectuels polyglottes passe avec Elio, leur fils de 17 ans, les deux mois d'été dans une très grande propriété familiale de la campagne italienne. Par ce décor et la qualité de la photographie, le film peut faire penser au Jardin des Finzi-Contini, où la menace sous-estimée du régime fasciste et antisémite serait remplacée par l'irruption de désirs totalement inattendus entre Elio et Oliver, un thésard américain en résidence dans la demeure. La réalisation est si pudique (avec une caméra qui se détourne ostensiblement) qu'on a peine à être imprégné de ces bouleversements intimes. Jolies paroles du père d'Elio pour clore un film parfois trop évanescent.

LA BELLE ET LA BELLE (Sophie Fillières, 14 mar) L
Margaux (Agathe Bonitzer), 25 ans, rencontre au cours d'une fête donnée par une de ses amies une femme également prénommée Margaux (Sandrine Kiberlain) et qui pourrait bien être celle qu'elle deviendra 20 ans plus tard... On est donc dans une comédie fantastique par petites touches qui se voudraient élégantes (la rencontre dans la salle de bain est effectivement chorégraphiée de façon un peu magique). Malheureusement, avec notamment l'irruption du personnage masculin (joué par Melvil Poupaud), la bonne idée de départ a beaucoup de mal à convaincre sur la durée, certains aspects sont peu crédibles, et le tout souffre énormément de la comparaison écrasante et difficilement évitable avec Camille redouble, le film - beaucoup plus réussi - de Noémie Lvovsky.

LA NUIT A DEVORE LE MONDE (Dominique Rocher, 7 mar) L
Venu récupérer des affaires dans l'appartement de son ex, un jeune homme débarque en pleine fête. Il s'isole dans une chambre. Le lendemain, il découvre qu'un carnage a eu lieu... Le premier long métrage de Dominique Rocher mixe le film de zombies d'une part et d'autre part le film de survie après une apocalypse (tel l'excellent Le Monde, la chair et le diable) et fait se dérouler l'action à Paris. Mais rien n'est vraiment convaincant : manque de moyens ou d'ambitions artistiques ou politiques, scénario qui fait du sur-place... Même le norvégien francophone Anders Danielsen Lie, inoubliable ailleurs (Ce sentiment de l'été notamment), n'apporte pas l'étincelle espérée.

Version imprimable | Films de 2018 | Le Mercredi 21/03/2018 | 0 commentaires




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