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Les films de début 2018

  • Bravo : La Douleur (Emmanuel Finkiel)
  • Bien : Seule sur la plage la nuit (Hong Sang-soo), Fortunata (Sergio Castellitto), Wonder wheel (Woody Allen), Gaspard va au mariage (Antony Cordier), 3 billboards (Martin McDonagh), Vers la lumière (Naomi Kawase)
  • Pas mal : El Presidente (Santiago Mitre), Pentagon papers (Steven Spielberg), La Juste route (Ferenc Török)

LA DOULEUR (Emmanuel Finkiel, 24 jan) LLLL
Au début de l'année 1944, Robert Antelme, le mari de Marguerite, est arrêté pour faits de résistance. Approchée par Pierre Rabier, un inspecteur de police collabo, cette dernière essaie de se servir de lui pour améliorer le sort de son époux, alors qu'il essaie de gagner sa confiance pour tenter de faire tomber le réseau de François Morland (Mitterrand). Cette première partie est assez narrative, avant une deuxième partie plus intime dans la longue attente du retour des rescapés des camps. Ces deux récits ont été publiés par Marguerite Duras dans le recueil intitulé La Douleur. Emmanuel Finkiel l'adapte magnifiquement. Bien sûr, il y a les mots de l'écrivaine, mais cette voix off est assez parcimonieuse, jamais envahissante, et n'est jamais le symptôme d'une incapacité à traduire en images le matériau littéraire. Au contraire, la mise en scène est très élaborée, constamment intelligente, avec entre autres quelques séquences précises ou Marguerite Duras se dédouble à l'écran (et ce n'est jamais gratuit), et surtout une utilisation récurrente et pertinente des longues focales, où tout ce qui n'est pas au centre de l'image est alors plongé dans le flou : une manière de ne pas faire "reconstitution", d'être dans le présent, et surtout dans l'intériorité de la narratrice, magnifiquement incarnée par Mélanie Thierry. Dix-neuf ans après Voyages, Emmanuel Finkiel retrouve un sujet et une forme à la hauteur de ses talents de cinéaste.

SEULE SUR LA PLAGE LA NUIT (Hong Sang-soo, 10 jan) LLL
Une jeune femme coréenne se refait une santé psychique en Allemagne où elle retrouve une amie, à la suite d'une liaison compliquée avec un homme marié dont elle espère encore quelque chose. Une deuxième partie du film la montre de retour en Corée du Sud... On le sait, chez Hong Sang-soo, le pitch est moins important que le style, parfois basé sur de subtiles constructions jouant avec les répétitions. Pour autant, et contrairement à quelques-unes de ses précédentes réalisations, ce film-ci dépasse tout maniérisme : les longs plans-séquences et les dialogues désinhibés se mettent ici au service d'un récit et d'un portrait d'une grande profondeur, susceptible de toucher au-delà du cercle habituel, et qui a déjà permis à son actrice principale Kim Min-hee (déjà à l'affiche de Un jour avec, un jour sans et Le Jour d'après, déjà sorti en France mais réalisé depuis) d'obtenir un prix d'interprétation amplement mérité au festival de Berlin en 2017. Un des films les plus réussis et accessibles du prolifique cinéaste.

FORTUNATA (Sergio Castellitto, 24 jan) LLL
Fortunata est une femme en instance de divorce d'un mari policier brutal. Elle travaille comme coiffeuse à domicile (souvent au noir) dans la banlieue de Rome, pour subvenir aux besoins de sa fille de huit ans, et accepte de rencontrer le psychiatre qui s'occupe de cette dernière... Tenter de résumer le film n'est pas la meilleure manière de rendre compte de cette comédie dramatique qui ose des rebondissements peu académiques. Sergio Castellitto, jadis excellent acteur (chez Rivette ou Bellocchio), est généreux avec ses interprètes auxquels il offre de l'espace pour le jeu. Jasmine Trinca, la meilleure actrice italienne de sa génération (Le Caïman, Le Rêve italien, L'Apollonide, Miele entre autres), en profite à merveille, et livre une composition énergique irrésistible mais assez éloignée des clichés, dans une mise en scène plutôt aérienne évitant soigneusement tout misérabilisme et tout dolorisme.

WONDER WHEEL (Woody Allen, 31 jan) LLL
Dans le cadre de Coney Island, une plage new-yorkaise agrémentée d'une fête foraine, vue du côté désenchanté de celles et ceux qui y travaillent et y résident, on suit le destin de quatre personnages qui se mentent à eux-mêmes, s'accrochent à leurs illusions, jusqu'à précipiter le drame. Le scénario est une nouvelle fois brillant et cruel, une noirceur paradoxalement réjouissante, comme parcourue d'un grand rire sous cape sardonique. Voilà pour le cinéma. Dans la vraie vie, si les accusations d'attouchements réitérées par sa fille (les faits présumés datent de 1992) sont vérifiées, alors il faut que Woody Allen soit poursuivi de la même manière que tout justiciable. Son talent n'excuse rien. Mais, inversement, tout ça n'a rien à voir avec son activité de cinéaste, une oeuvre impressionnante par sa qualité et sa quantité, qui a donné de nombreux rôles complexes et intelligents à des actrices parfois réduites ailleurs à des utilités dans le cinéma américain mainstream souvent sexiste, une oeuvre dont il serait dommage de se priver.

GASPARD VA AU MARIAGE (Antony Cordier, 31 jan) LLL
Gaspard (Félix Moati), environ 25 ans, renoue avec sa famille à l'occasion du remariage de son père veuf. Dans le train, il croise Laura (Laetitia Dosch), une fille fantasque qui accepte de l'accompagner quelques jours et de passer, moyennant finances, pour sa petite amie. Elle n'est pas au bout de ses surprises, la demeure familiale étant nichée au coeur d'un zoo dirigé par le père (Johan Heldenbergh, une découverte). Après Douches froides et Happy few, Antony Cordier change radicalement de style. Même s'il dénude encore parfois ses interprètes (de façon paritaire), il ne s'agit pas d'un érotisme un peu poseur. Ici l'univers est loufoque mais aussi perlé d'une discrète mélancolie. Il y a les inventions délicieuses de Gaspard enfant, consignées dans un cahier, ou encore le personnage de la petite soeur (Christa Théret, formidable) qui ne se sépare jamais d'une peau d'ours. Derrière le décalage pointe le thème de la sortie de l'enfance. Une comédie réjouissante et attachante.

3 BILLBOARDS (Martin McDonagh, 17 jan) LLL
Les trois panneaux auxquels fait référence le titre sont des panneaux publicitaires désaffectés (placés en bordure d'une route peu fréquentée) qu'une femme loue pour interpeller la police locale qui brutalise les Noirs mais échoue à retrouver l'assassin de sa fille adolescente, violée et tuée quelques mois auparavant... Martin Mc Donagh, réalisateur britannique de Bons baisers de Bruges, est assez à l'aise dans l'humour noir. Contrairement à de nombreux films américains, chaque scène peut prendre une bifurcation inattendue. En revanche, la peinture de l'Amérique profonde est davantage dans un terrain connu labouré par les frères Coen, auxquels il emprunte Frances McDormand, formidable dans le rôle principal (ses partenaires, Woody Harrelson et Sam Rockwell, ne sont pas mal non plus). Dommage que le film perde un peu de mordant à humaniser tous ses personnages, même si la fin ouverte ne manque pas de piquant...

VERS LA LUMIERE (Naomi Kawase, 10 jan) LLL
L'héroïne est une jeune femme qui travaille à décrire des images de films pour rendre le cinéma accessible aux aveugles et mal-voyants lors des séances avec audiodescription. Lors de séances de préparation, elle se prend d'affection pour un photographe pointilleux en train de devenir aveugle. Mal accueilli en compétition officielle à Cannes, le film mérite pourtant une réhabilitation. Certes, il y a quelques maladresses, des couchers de soleil insistants, mais on est très loin des grands violons (la musique d'Ibrahim Maalouf est d'ailleurs très sobre) ou des grands effets. Au contraire, c'est bien une vraie sensibilité (et non sensiblerie) qui se dégage de l'ensemble. L'aspect documentaire sur un travail méconnu est passionnant, et la richesse sonore (non parlée) du film est assez remarquable, alors que paradoxalement l'un des enjeux narratifs est l'élaboration d'une voix-off...

EL PRESIDENTE (Santiago Mitre, 3 jan) LL
Hernan Blanco n'est élu que depuis quelques mois président de l'Argentine lorsqu'il doit se rendre dans un hôtel huppé de la Cordillère des Andes au Chili pour participer à un sommet entre chefs d'Etat d'Amérique du Sud pour envisager la création d'une sorte d'OPEP continentale. Cette organisation doit-elle inclure les pays d'Amérique centrale ou des sociétés détenues majoritairement par des fonds d'Amérique du Nord ? Parallèlement, son gendre semble mêlé à une affaire de corruption, alors que sa fille est fragile psychologiquement... Le film se déploie sur les deux tableaux, la politique-fiction et l'intime, en se reposant sur l'interprétation de l'excellent Ricardo Darin (on notera également la présence dans un rôle de journaliste d'Elena Anaya, héroïne de La Piel que habito). Le film multiplie les pistes sans en creuser aucune, c'est sa force (son ambiguïté) mais aussi sa limite (son indécision).

PENTAGON PAPERS (Steven Spielberg, 24 jan) LL
En 1971, le New York Times met la main sur un rapport accablant pour les locataires successifs de la Maison blanche à propos du Vietnam. Après la publication d'un premier papier, le journal est assigné en justice pour révélation de documents classés secret Défense. Pendant ce temps, le Washington Post et son rédacteur en chef voient dans ces circonstances une occasion de renouer avec l'investigation, alors que sa propriétaire, une héritière peu prise au sérieux au sein d'un conseil d'administration très masculin, est surtout friande de dîners mondains avec des personnalités démocrates et soucieuse de réussir l'entrée en Bourse du quotidien. Historiquement, le film peut intéresser. Politiquement il est limpide (message explicite : la liberté de la presse doit servir les gouvernés plutôt que les gouvernants). Cinématographiquement, l'inspiration est parfois en berne (voir le jeu stéréotypé de Meryl Streep et Tom Hanks), et le journalisme d'investigation est beaucoup moins bien décrit que dans Spotlight...

LA JUSTE ROUTE (Ferenc Török, 17 jan) LL
En août 1945, dans la campagne hongroise, la nouvelle se propage vite : deux juifs rescapés des camps sont descendus à la gare munis de deux grosses mallettes. Quelles sont leurs motivations ? Cela inquiète les habitants d'un village qui s'apprête à célébrer le mariage du fils  du secrétaire de mairie (équivalent du notaire), alors que beaucoup ont profité plus ou moins largement de la spoliation des juifs. Les intentions du scénario sont claires, il permet d'aborder un sujet peu traité : l'enjeu de la restitution des biens des juifs confisqués pendant la Shoah. Dommage que la mise en scène soit si convenue : un noir et blanc austère pour scruter le mal tapi dans un village, ça a déjà été fait en mieux, dans des films aussi différents que Le Ruban blanc d'Haneke ou Heimat d'Edgar Reitz.

Version imprimable | Films de 2018 | Le Samedi 10/02/2018 | 0 commentaires




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