- Bien : Blancanieves (Pablo Berger), Passion (Brian de Palma), Foxfire (Laurent Cantet), Dans la brume (Sergueï Loznitsa), Wadjda (Haïfaa Al-Mansour) Le Grand retournement (Gérard Mordillat), Le Monde de Charlie (Stephen Chbosky)
- Pas mal : Lincoln (Steven Spielberg), Hitchcock (Sacha Gervasi), The Master (Paul Thomas Anderson)
- Bof : Happines Therapy (David O. Russel), Renoir (Gilles Bourdos)
BLANCANIEVES (Pablo Berger, 23 jan) LLL
Le muet est l'enfance de l'art cinématographique, mais parfois c'est aussi l'art de l'enfance, du conte. En témoigne ce deuxième film de Pablo Berger, après le déjà excellent Torremolinos 73 (2005). Carmencitta naquit il y a un siècle d'un père toréador et d'une mère diva qui meurt en accouchant. Son père étant devenu paralysé suite à un accident lors d'une corrida, elle est élevée par sa grand-mère... Pablo Berger transpose librement Blanche-Neige : il y aura une marâtre et une ribambelle de nains. Formellement beau (photo, musique, interprétations), le film bénéficie d'une mise en scène extrêmement inventive : par exemple, pour suggérer la mort d'un personnage, un tourne-disque s'arrête, et une robe blanche est trempée dans une bassine d'encre pour prendre la couleur noire du deuil... Contrairement à The Artist, qui était davantage dans le clin d'oeil cinéphile, cette inventivité visuelle est mise au service d'une narration touffue. Une très belle réussite.
PASSION (Brian de Palma, 13 fév) LLL
En faisant un remake très brillant de Crime d'amour, le dernier film d'Alain Corneau, qui m'avait laissé sur ma faim, Brian de Palma démontre que la force de la mise en scène est essentielle dans la réussite d'un film. On y suit les rapports ambivalents (admiration, sensualité, jalousie/arrivisme, humiliation, partage d'un même mec pas très net) de deux jeunes femmes cadres supérieures dans une succursale berlinoise de leur agence internationale de publicité (l'une est la supérieure hiérarchique directe de l'autre). Cela va mal finir pour l'une d'entre elles... Brian de Palma emprunte deux choses à Woody Allen : Raquel McAdams, l'interprète de Minuit à Paris, et l'amoralité des hautes sphères de la société capitaliste de Match Point. Il fait d'autres emprunts : Hitchcock (blonde/brune, douche, escaliers), Almodovar (écrin vif de la photo, masques)... Il fait surtout une utilisation extrêmement habile d'images aux statuts différents, pas à des fins théoriques mais au service d'un thriller haletant qui se regarde comme tel.
FOXFIRE (Laurent Cantet, 2 jan) LLL
Après Entre les murs (2008), Laurent Cantet tourne au Canada son premier film en langue anglaise. Il raconte, dans l'Amérique des fifties, l'histoire du gang appelé "Foxfire", créé par une bande d'adolescentes, unies à la vie à la mort pour se venger des hommes et des humiliations dues à la domination masculine comme aux injustices sociales. Elles louent ensemble une petite baraque propice à leur idéal de vie communautaire, et se débrouillent comme elles peuvent pour gagner l'argent nécessaire. Comme dans son précédent film, on retrouve le goût du cinéaste pour l'observation d'un groupe et ses individualités, avec en particulier le charisme de la meneuse (Raven Adamson). La mise en scène est fluide, en perpétuel mouvement, au diapason de ses personnages, et concourt à la réussite de ce film poignant aux accents féministes.
DANS LA BRUME (Sergueï Loznitsa, 30 jan) LLL
Le film se passe en 1942, en Biélorussie, alors sous le joug de l'occupation nazie. Trois prisonniers sont exécutés pour l'exemple, pendus pour actes de "terrorisme". Un autre, Sushenya, a été relâché et vit retiré avec sa femme, dans un refuge au coeur de la forêt. Deux résistants, qui le soupçonnent de collaboration, viennent le voir, dans le but de l'éliminer. Mais ça ne va pas se passer comme ça... On devine assez vite que Sushenya n'est pas un traître, alors pourquoi a-t-il été épargné par les allemands ? Et comment vont se résoudre les rapports de tension entre les trois personnages (dont un blessé), contraints d'errer en pleine forêt ? Il s'agit d'un thriller psychologique haletant, dans un instant historique où tuer quelqu'un n'est pas forcément faire le mal. Les dialogues sont réduits au minimum, l'atmosphère tendue étant créée par la rigueur des plans-séquences et par une grande richesse sonore.
WADJDA (Haïfaa Al-Mansour, 6 fév) LLL
Le film fait événement, c'est le premier exporté d'Arabie Saoudite (alors que le pays ne comporte aucune salle de cinéma), et qui plus est réalisé par une femme. Et cinématographiquement ? C'est une fable qui rappelle par sa simplicité et sa discrète insolence certains films iraniens (régimes politiques assez semblables, même si l'un est ami des Etats-Unis et pas l'autre, non ?). Wadjda est le prénom d'une fille d'une douzaine d'années, qui écoute par la bande du rock occidental, porte des baskets, et voudrait avoir un vélo pour faire la course avec Abdallah, un garçon de son âge. Mais il est interdit à une fille vertueuse de faire du vélo... La domination masculine (et la religion, enseignée à l'école et omniprésente) est au coeur du film qui raconte un désir d'émancipation. Mais, paradoxalement, seuls deux hommes apparaissent à l'écran : le père, souvent absent (il convoite une seconde épouse), et Abdallah.
LE GRAND RETOURNEMENT (Gérard Mordillat, 23 jan) LLL
D'un retournement l'autre est une formidable pièce en alexandrins écrite il y a deux ans par l'économiste Frédéric Lordon sur la grande crise dans laquelle nous baignons encore. Et ce n'est pas fini, vu l'inaptitude des grands partis au pouvoir à comprendre les impasses sociales et écologiques produites par le système financier ultralibéral. Connaissant la pièce d'avance, je me suis délecté de cette version cinématographique qui en restitue l'essentiel, en inventant une forme originale : ni représentation filmée ni fiction premier degré, le réalisateur a choisi de tourner toutes les scènes dans des décors simples mais malicieux, au sein d'un entrepôt d'une usine désaffectée. François Morel et Jacques Weber, respectivement en conseiller du président de la République et en banquier, rendent délicieusement justice à la langue mordante de Lordon.
LE MONDE DE CHARLIE (Stephen Chbosky, 2 jan) LLL
Charlie est un adolescent solitaire, un peu en marge lorsqu'il déboule au lycée. Jusqu'à ce que deux élèves plus âgés, un homosexuel obligé de cacher sa relation avec une star de l'équipe de foot américain du bahut, et sa soeur (Emma Watson, excellente dans son premier vrai rôle post Harry Potter), assez délurée mais qui ne tombe pas toujours sur les bons garçons, le prennent sous leurs ailes. Un teen movie en mode récit initiatique de plus ? Certes, mais un peu mieux que ça. Le film n'a pas la causticité de Ghost world de Terry Zwigoff, mais, même dans une veine plus consensuelle, Stephen Chbosky, en adaptant son propre roman, atteint une certaine authenticité, et semble restituer avec finesse ses atermoiements adolescents du début des années 90 (pas de portable, compilation maison de musique enregistrée sur cassette...). Et le final, d'une manière inattendue, est assez poignant.
LINCOLN (Steven Spielberg, 30 jan) LL
Le film débute après la réélection de Lincoln, et raconte sa bataille pour que les Etats-Unis adoptent le 13è amendement à la Constitution, qui doit officiellement abolir l'esclavage. Ce que le film montre bien, c'est son empressement à le faire avant la fin de la guerre de Sécession (puisque les dirigeants des états sudistes sont contre l'abolition). D'où les méthodes pas toujours morales de ses partisans pour arriver à la majorité des 2/3 au niveau parlementaire. Spielberg avait sans doute l'ambition de filmer les débats parlementaires comme un film à procès (genre typiquement américain). Or le film est formellement étonnamment plat, sans relief. Et si le meilleur film politique de Spielberg était plutôt La Guerre des mondes, film fantastique mais qui taillait en pièces l'idéologie sécuritaire ?
HITCHCOCK (Sacha Gervasi, 6 fév) LL
Le film imagine le tournage de Psychose, l'un des grands films de Hitchcock, mais dont aucun producteur ne voulait (ils auraient préféré une suite au triomphal La Mort aux trousses). Ce n'est pas vraiment un exercice cinéphile (on voit peu le maître à l'oeuvre), pas un film de bon goût de manière générale : Anthony Hopkins n'est pas vraiment fabuleux. Mais c'est dans la fantaisie ironique que le film s'en sort le mieux : le voyeurisme d'Hitchcock pris au pied de la lettre (il épie à travers une cloison ses actrices en train de se changer), ses rapports avec sa femme, et l'interprétation de Scarlett Johansson qui campe une Janet Leigh plus sensuelle que l'originale.
THE MASTER (Paul Thomas Anderson, 9 jan) LL
De retour de la Seconde Guerre mondiale, Freddie (Joaquin Phoenix), aussi alcoolique et violent que brisé, rencontre un leader charismatique (Philip Seymour Hoffman, à la limite du cabotinage) en pleine ascension, un personnage lointainement inspiré de Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie. Lequel va avoir le plus besoin de l'autre ? Dans ce long film à grand sujet, très ambitieux, il y a quelques scènes d'anthologie, mais l'ensemble ne convainc pas complètement, aussi formellement appuyé que peu consistant sur le fond.
HAPPINESS THERAPY (David O. Russell, 30 jan) L
Après 8 mois d'internement en hôpital psychiatrique, Pat, la trentaine bien sonnée, sort et revient habiter chez ses parents. Chez un couple d'amis, il rencontre Tiffany (Jennifer Lawrence), qui, pense-t-il, peut l'aider à reconquérir son ex. Tiffany est une jeune veuve très sexuée mais dépressive, qui a pris les mêmes médicaments que lui... Une comédie romantique post-dépressive c'est une bonne idée, sauf que la mise en scène est vraiment laide. Pour ne rien arranger De Niro, dans le rôle du père de Pat, cabotine en roue libre, à sauver néanmoins la dernière 1/2 heure et l'abattage de Jennifer Lawrence.
RENOIR (Gilles Bourdos, 2 jan) L
Nous sommes en 1915 dans la propriété azuréenne du peintre Auguste Renoir. Il fait la rencontre d'un nouveau modèle, Andrée (Christa Théret, lumineuse), également première muse de Jean Renoir, le fils d'Auguste, revenu blessé de la guerre, et futur cinéaste... Sur le papier, une ode au cinéma et à la peinture. Mais au final, malgré quelques jolies scènes, l'ensemble est très académique (c'est une croûte !), et même l'immense Michel Bouquet, dans le rôle du peintre, a l'air de pontifier...
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