- Bravo : La Maison de la radio (Nicolas Philibert)
- Bien : Queen of Montreuil (Solveig Anspach), La Tête en l'air (Ignacio Ferreras), Stories we tell (Sarah Polley), Notre monde (Thomas Lacoste), Le Temps de l'aventure (Jérôme Bonnell), Promised land (Gus Van Sant), The Sessions (Ben Lewin), Inch'Allah (Anaïs Barbeau-Lavalette)
- Pas mal : No (Pablo Larrain), Möbius (Eric Rochant), Berberian sound studio (Peter Strickland), Django unchained (Quentin Tarentino), Au bout du conte (Agnès Jaoui), Ici et là-bas (Antonio Mendez Esparza), Camille Claudel 1915 (Bruno Dumont)
- Bof : Casa nostra (Nathan Nicholovitch)
LA MAISON DE LA RADIO (Nicolas Philibert, 3 avr) LLLL
Nicolas Philibert s'est toujours intéressé aux mondes qui, sans être forcément clos, forment un univers à part. Il était donc logique qu'il finisse par réaliser un documentaire sur la Maison ronde. On retrouve sa force d'observation qui repose sur une immersion totale et un sens aigu du montage. Ici il observe donc un média dans lequel tous les efforts se conjuguent pour fabriquer du son. Pour arriver à une certaine épure, le choix de Radio France est judicieux dans le sens où le poids de la publicité est beaucoup plus faible et les animateurs vedettes ne sont pas choisis selon le critère du "vu à la télé". Si on sourit devant le physique (pas toujours conforme à notre imagination) des voix célèbres des stations, Nicolas Philibert s'intéresse à tous les métiers de la radio. Le plus émouvant est la passion qui semble réunir tout ce petit monde, et dans le cas des animateurs, leur capacité d'écoute active pour que leurs invités puissent s'exprimer le plus facilement : la différence avec le monde télévisuel est flagrante. Hormis les émissions politiques (où les journalistes s'efforcent au contraire de ne pas laisser s'exprimer au mieux les invités qui ont quelque chose d'intéressant à dire), le cinéaste s'est intéressé à tous les types d'émission, y compris les fictions radiophoniques (peu célébrées). Un régal.
QUEEN OF MONTREUIL (Solveig Anspach, 20 mar) LLL
J'avais perdu de vue Solveig Anspach depuis son premier film Haut les coeurs ! (1999). Ce cinquième long-métrage en salle est très différent, loin des chemins tout tracés, et ça fait du bien. L'histoire est celle d'Agathe, une jeune réalisatrice qui rentre en France au début de l'été avec dans une urne les cendres de son mari. Dans sa maison de Montreuil, elle se retrouve à devoir faire son deuil, finir un scénario, et héberger provisoirement un couple d'Islandais (une mère et son jeune homme de fils) rencontré à l'aéroport. Dans la suite, on croisera entre autres un voisin énamouré, des grues de chantier à escalader ou encore une otarie dépressive. Pas de bonne humeur forcée dans ce film, le deuil et les fins de mois difficiles sont bel et bien là. Mais le monde se poétise avec la fantaisie de l'excellente Florence Loiret-Caille (une des meilleures jeunes actrices françaises, toujours inventive) et de la très délurée Didda Jonsdottir (déjà à l'affiche de Back soon, le précédent film de la cinéaste, que je n'ai pas vu).
LA TÊTE EN L'AIR (Ignacio Ferreras, 30 jan) LLL
Placé en maison de retraite par son fils pour pallier à sa mémoire qui flanche, le vieil Emilio découvre la routine de l'endroit mais se fait aussi de nouvelles amitiés. Le film s'inscrit dans les films d'animation à destination des adultes (comme Persépolis, Valse avec Bachir ou plus récemment Aloïs Nebel). Tout en étant très réaliste factuellement sur le quotidien des personnes atteintes d'Alzheimer, comme le serait un documentaire, la forme animée, paradoxalement, donne à cette histoire une authenticité émotionnelle forte. Alors que la même histoire racontée en chair et en os aurait pu sentir la naphtaline (tout dépend de la mise en scène), ce film-ci, stylisé en animation 2D traditionnelle avec des traits épurés, est une petite merveille d'humour et de délicatesse.
STORIES WE TELL (Sarah Polley, 27 mar) LLL
Sarah Polley est la jeune actrice canadienne qui avait un rôle bouleversant dans le film Des beaux lendemains d'Atom Egoyan, mais elle est aussi réalisatrice. Le point de départ de ce documentaire est son projet de tirer le portrait de sa mère défunte, actrice elle-même et femme libre et mystérieuse. Puis elle se demande si son père est bien son père biologique. Elle fait appel à des membres de sa famille et des proches, dont elle croise les interviews. En même temps, des scènes reconstituées en super-8 illustrent les propos. Et petit à petit, le projet du film se dévoile, très personnel et en même temps assez universel sur le genre humain. Elle demande à chacun d'exprimer sa version, sa vérité, partielle et partiale, même en toute sincérité. Si chacun collabore, le tout, par un excellent travail de montage, est son résultat à elle. Emouvant.
NOTRE MONDE (Thomas Lacoste, 13 mar) LLL
Editeur de la revue Le Passant ordinaire, Thomas Lacoste a réuni devant la caméra d'Irina Lubtchansky (et Marianne Denicourt) les témoignages d'une trentaine d'intellectuels critiques de toutes disciplines. Chacun met en lumière les problèmes qui apparaissent dans son champ d'étude, et propose des pistes de solution... Si l'écologie est en grande partie absente des analyses (Geneviève Azam était prévue au programme mais pour des raisons techniques son intervention n'a pu avoir lieu), c'est néanmoins un fameux réservoir à idées pour la vraie gauche (celle qui veut à raison passer à la VIè République) et pour tous les citoyen-ne-s engagé-e-s ou en tout cas non résigné-e-s. Les propos sont aérés par des images des coulisses de l'enregistrement, ainsi que par la lecture d'extraits de "Trois femmes puissantes" de Marie Ndiaye.
LE TEMPS DE L'AVENTURE (Jérôme Bonnell, 10 avr) LLL
Inconditionnel du cinéma de Jérôme Bonnell, je vais voir son cinquième film... et ne suis toujours pas déçu. Pourtant, les films qu'ils réalisent pourraient être qualifiés de fragiles : pas de très grand sujet, pas de scénario convenu résumable ou non à un pitch. Mais du cinéma, du vrai, un cinéma de mise en scène et simultanément un cinéma en empathie avec ses personnages. Alix est une comédienne qui quitte pendant une journée le Nord pour passer une audition à Paris et tenter de joindre sans succès son fiancé. Privée de béquilles technologiques, elle va céder à l'inconnu et à ce qui va peut-être se révéler être une aventure... Le reste est une histoire de gares et de trains (comme dans Brève rencontre de David Lean), mais surtout un univers singulier et sensible dans lequel Emmanuel Devos et Gabriel Byrne (Miller's crossing !) excellent.
PROMISED LAND (Gus Van Sant, 17 avr) LLL
Steve est un représentant d'un puissant groupe énergétique, et débarque dans une petite commune rurale pour y vanter l'exploitation du gaz de schiste présent dans leur sous-sol. Mais cette fois-ci, il devra convaincre une majorité des habitants, le maire ayant pris l'initiative d'un référendum local... Souvent épris de recherches formelles, Gus Van Sant réalise cette fois-ci un film assez classique, linéaire mais avec des rebondissements efficaces, mais une fin (qu'on ne révèlera pas) un poil forcée. Un sujet d'actualité bien traité, et avec un brin d'audace, puisque les deux VRP du capitalisme productiviste sont joués par des acteurs sympathiques (Matt Damon, également co-scénariste, et Frances McDormand).
THE SESSIONS (Ben Lewin, 6 mar) LLL
A 38 ans, un tétraplégique insuffisant respiratoire (il est atteint de polio) entreprend de perdre sa virginité avec l'aide d'une "assistante sexuelle" qui va tenter de l'aider en quelques séances (six au maximum). Bonne introduction au débat sur handicap et sexualité, le film est assez didactique sur cette activité, interdite en France et assez marginale dans les pays où elle est autorisée, et montre bien notamment les différences par rapport à la prostitution. Les désirs et l'intimité des deux personnages principaux (interprétés par John Hawkes et Helen Hunt, formidables) sont respectés à égalité, avec autour d'eux d'excellents personnages secondaires. Par contre, on peut s'interroger sur un scénario (certes tiré d'une histoire vraie) qui met en scène un homme forcément extraordinaire, et quelques femmes énamourées un peu trop confinées dans un rôle de faire-valoir.
INCH'ALLAH (Anaïs Barbeau-Lavalette, 3 avr) LLL
Chloé (Evelyne Brochu) est une jeune femme québecoise qui travaille comme sage-femme dans un camp de réfugiés en Cisjordanie. Résidant du côté israélien, elle franchit chaque jour le checkpoint pour rejoindre la clinique... Elle se lie d'amitié avec sa voisine de pallier, jeune appelée israélienne, et une patiente palestinienne qui va bientôt accoucher (Sabrina Ouazani). La force du film, c'est qu'il ne s'éloigne jamais du regard de Chloé. C'est donc à une prise de conscience politique qu'on assiste, Chloé comme témoin étranger ne pouvant rester neutre et insensible au sort des Palestiniens, notamment après un drame sous ses yeux. Un film engagé sans être manichéen.
NO (Pablo, Larrain, 6 mar) LL
En 1988 au Chili, sous la pression internationale, Pinochet organise un référendum sur sa présidence. Pour la campagne du non, ses opposants se résolvent à faire appel à un jeune publicitaire arriviste (Gael Garcia Bernal)... La chute du dictateur est un grand moment de joie politique. Mais pourtant un petit goût amer reste. Les clips vont montrer des images positives de changement plutôt qu'honorer la mémoire des victimes de la dictature. Et surtout, l'idéologie publicitaire victorieuse transforme les citoyens en consommateurs et laisse pressentir que le modèle économique ultralibéral instauré par Pinochet va lui survivre... Un film très intéressant par son propos, mais dont on peut regretter la forme artificielle (tout est filmé par des caméras des années 80 telles que celles qui ont servi aux clips).
MÖBIUS (Eric Rochant, 27 fév) LL
Envoyé en mission à Monaco, un officier des services secrets russes se résout à entrer en contact avec son agent infiltré, une belle trader sans pitié... Le scénario lorgne vers John Le Carré sans en avoir la rigueur. Mais tout cela n'est-il pas un prétexte à filmer deux personnages ambigus, qui ne sont pas forcément au courant de leur rôle réel, et qui se laissent attirer l'un par l'autre... Pour ce faire, Eric Rochant dirige à merveille Jean Dujardin et Cécile de France dans des registres assez inhabituels pour eux. Un film à voir surtout pour l'alchimie entre elle et lui.
BERBERIAN SOUND STUDIO (Peter Strickland, 3 avr) LL
Au coeur des années 70, un ingénieur du son anglais (Toby Jones, impayable) accepte de venir en Italie au Berberian sound studio mixer un film, sans savoir que celui-ci est un film d'horreur... Un hommage cinéphile réussi, tendre et avec pas mal d'humour, à la puissance d'évocation des bruitages (puisqu'on ne voit aucune séance d'épouvante sur l'écran). Ou comment sonoriser un film en faisant la cuisine (j'exagère à peine). La bande originale est également une belle démonstration de musique concrète. Dommage que le scénario finisse par s'égarer, mais peut-être que pour certains ça fait partie du charme.
DJANGO UNCHAINED (Quentin Tarentino, 16 jan) LL
Chaque film de Tarentino est accueilli avec un concert de louanges, bien que depuis quelques films ses scénarios se révèlent assez puérils, schématiques, et où la violence extrême est pardonnée/justifiée par le sentiment de justice (au mieux) ou de vengeance (au pire). Il y a du mieux dans ce western anti-esclavagiste situé dans le sud des Etats-Unis quelques années avant la guerre de Sécession. On retrouve même pendant une bonne heure une certaine jubilation devant la maîtrise de la mise en scène, de la bande son et des dialogues. Et puis tout ça finit par s'étirer et lasser, hormis la performance de Samuel Jackson, méconnaissable.
AU BOUT DU CONTE (Agnès Jaoui, 6 mar) LL
C'est le quatrième film d'Agnès Jaoui, une comédie chorale assez hors mode. Ce sont les croyances et les (dés)illusions qu'elle épingle ou interroge à travers ses personnages. Sans égaler la réussite du Goût des autres, son premier essai - coup de maître, la cinéaste retrouve un peu de peps. Le mérite en revient moins à un scénario aux intentions sociologisantes un peu appuyées qu'à ses interprètes, qui apportent une certaine finesse : Jean-Pierre Bacri en tête, mais aussi Agathe Bonitzer, Arthur Dupont, Agnès Jaoui elle-même, Benjamin Biolay ou encore Dominique Valadié
ICI ET LA-BAS (Antonio Mendez Esparza, 13 fév) LL
Après avoir travaillé aux Etats-Unis, Pedro revient dans son petit village du Mexique, au milieu des montagnes. Avec ses économies accumulées, il aspire à une vie un peu meilleure avec sa femme et ses deux filles, et rêve de monter un petit groupe de musique. Le film a le mérite de parler du retour au pays après l'exil, thème pas si usité. Il le fait à sa manière, sans éclat particulier. Mais chacun des personnages de cette petite chronique familiale est assez touchant.
CAMILLE CLAUDEL 1915 (Bruno Dumont, 13 mar) LL
Il ne s'agit pas d'une biographie de la célèbre sculptrice, mais du récit de quelques jours, au cours d'une de ses premières années d'internement. Camille Claudel attend de la visite de son frère Paul (l'écrivain). Bruno Dumont est un grand cinéaste, mais aucun de ses films ne m'avait encore vraiment convaincu : il semblait toujours avoir un regard surplombant ou moraliste sur ses personnages. C'est moins le cas ici, d'ailleurs il fait jouer de véritables personnes en situation de handicap mental. Mais l'ensemble reste assez sec et théorique. Seule la grande performance de Juliette Binoche dans le rôle titre donne de la chair au film.
CASA NOSTRA (Nathan Nicholovitch, 10 avr) L
C'est une sorte de road movie dans lequel une fratrie (un frère, deux soeurs) renoue à l'occasion de la grave maladie de leur père. Incontestablement, ce premier film a de l'ambition, avec un parti pris esthétique audacieux (noir et blanc, et format carré de l'image). Malheureusement, la mise en scène a beaucoup de mal à trouver la bonne distance vis-à-vis de ses personnages, et les interprètes, bien qu'issu-e-s de la même troupe, semblent avoir des difficultés à interagir entre eux. Un premier film pas encore probant (mieux vaut revoir Cassavetes).
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