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Des films de fin 2012

Article évolutif


  • Bravo : Tabou (Miguel Gomes)
  • Bien : Les Invisibles (Sébastien Lifshitz), Ernest et Célestine (Benjamin Renner, Vincent Patar, Stéphane Aubier), J'enrage de son absence (Sandrine Bonnaire), Au-delà des collines (Cristian Mungiu), Augustine (Alice Winocour), Un enfant de toi (Jacques Doillon)
  • Pas mal : Télé Gaucho (Michel Leclerc), Looper (Rian Johnson), Populaire (Régis Roinsard), Le Noir (te) vous va si bien (Jacques Bral), Après Mai (Olivier Assayas)
  • Bof : 4H44, dernier jour sur terre (Abel Ferrara)


TABOU (Miguel Gomes, 5 déc) LLLL
Dans un immeuble de Lisbonne vivent trois femmes : Pilar, retraitée pieuse mais dévouée aux causes humanitaires (Pilar accompagne aussi parfois un homme amoureux d'elle qu'elle n'aime pas), Aurora, sa voisine octogénaire excentrique, et Santa, la femme de ménage noire de celle-ci. Juste avant de mourir, Aurora prononce le nom d'un homme, Ventura, qu'elle a connu au temps de sa jeunesse. Retrouvé, Ventura raconte son histoire avec Aurora dans les années 50-60 au pied du mont Tabou dans une Afrique pas encore décolonisée... C'est l'un des chocs cinématographiques de l'année. Le titre fait référence à Murnau. Mais autant dans le Tabou de Murnau l'histoire d'amour était contrariée en partie par l'avancée de la colonisation, autant la passion évoquée dans ce film, entre deux colons, l'est par les derniers soubresauts de la colonisation (pas montrée sous un jour positif). Tout le film est en noir et blanc, mais différemment dans la seconde partie. Celle-ci est muette dans ses dialogues, mais extrêmement lyrique par la musique des sixties, les bruitages, la voix off très belle du narrateur, le mystérieux crocodile, et réhausse rétrospectivement l'intérêt de la première partie. Miguel Gomes réussit une superbe synthèse entre un retour très premier degré à l'innocence du cinéma des origines, et une sophistication distanciée très moderne.

LES INVISIBLES (Sébastien Lifshitz, 28 nov) LLL
Sébastien Lifshitz a basé son documentaire sur des rencontres avec des personnes homosexuelles, la plupart septuagénaires, voire plus âgées encore. Ce sont des "invisibles", dans la mesure où même les associations LGBT mettent surtout en avant les jeunes. Ces personnes ont été choisies par le réalisateur pour l'aisance avec laquelle ils parlent d'eux-mêmes. Leur parole est d'autant plus précieuse. Dans la diversité de leurs parcours (et de leurs milieux sociologiques), elles et ils reviennent sur leur évolution intime, leurs souffrances, leur combat pour s'accepter et se faire accepter, et leur capacité à aimer, plus forte que tout. Leurs témoignages dépassent cependant le cadre de l'homosexualité, sur deux plans : d'une part ils font revivre soixante ans de société française à travers la question des moeurs, et d'autre part, au présent, ils dessinent ce que peut recéler encore la sexualité et les relations amoureuses à l'heure de la vieillesse.

ERNEST ET CELESTINE (Benjamin Renner, Vincent Patar, Stéphane Aubier, 12 déc) LLL
Ernest est un ours musicien de rue, clodo qui peine à manger à sa faim, dans la ville des ours construite à la surface (avec des emprunts malicieux à la société de consommation : le père d'une famille ours travaille dans un magasin de sucreries, tandis que la mère est vendeuse dans la boutique d'en-face, complémentaire, de dents). En-dessous se trouvent les souris, dont Célestine, élevée dans la crainte du grand méchant ours, mais qui n'y croit guère. Ces deux-là vont se croiser involontairement, et se lier peu à peu d'amitié malgré leurs propres préjugés racistes : Ernest refuse d'abord d'accueillir Célestine sous son toit : "Quand on accueille une souris, il en vient ensuite des milliers d'autres...". Un certain anthropomorphisme est donc convoqué dans cet épatant dessin animé pour dénoncer les travers humains. Le film n'est ni mièvre ni démonstratif, grâce à un humour peut-être dû à Vincent Patar et Stéphane Aubier, les espiègles réalisateurs de Panique au village.

J'ENRAGE DE SON ABSENCE (Sandrine Bonnaire, 31 oct) LLL
Depuis la mort de leur fils qui a mené à leur séparation, Mado a refait sa vie, tandis que Jacques, qui est reparti dans son Amérique natale, ne s'est jamais reconstruit. Lorsque de passage en France, il retrouve Mado, il fait la connaissance du petit Paul, le nouveau fils que Mado a eu avec son nouveau compagnon. Le tout début peut agacer, avec l'interprétation un peu larmoyante de William Hurt (qui joue Jacques). Mais ça bifurque assez vite avec l'étrange relation qui se noue entre Jacques et Paul (on sort du naturalisme). Sandrine Bonnaire réalisatrice sait faire naître une remarquable tension dans ce film, sans explication psychologisante superflue, mais qui bénéficie d'un très bon scénario et d'une interprétation solide (William Hurt finalement, mais aussi Alexandra Lamy, comme un double de Sandrine Bonnaire, et le petit Jalil Mehenni).

AU-DELA DES COLLINES (Cristian Mungiu, 21 nov) LLL
Alina et Voichita étaient inséparables à l'orphelinat. Mais la première, qui est partie un temps travailler en Allemagne, retrouve la seconde dans un monastère très rigoriste où elle semble être devenue très pieuse. C'est une sorte de triangle amoureux qui mélange amour terrestre et amour divin. C'est aussi, comme dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours, le précédent film de Mungiu (Palme d'or à Cannes, Au-delà des collines a quant à lui récolté cette année le prix du scénario et un double prix d'interprétation féminine pour ses deux actrices principales, Cristina Flutur et Cosmina Stratan), l'histoire d'une fille qui veut en sauver une autre d'un abus de pouvoir : celui de l'avorteur dans le précédent film, celui du pope et des religieuses dogmatiques (qui croient agir pour le bien) dans celui-ci. Le film est un peu long (2h30), mais rehaussé par la dernière partie, intense.

AUGUSTINE (Alice Winocour, 7 nov) LLL
Paris, 1885. Le célèbre professeur Charcot (Vincent Lindon) se passionne pour une nouvelle patiente, Augustine (Soko), jeune domestique atteinte de crises spectaculaires : on parle de syndrôme "hystérique". Elle devient peu à peu sa malade favorite, qu'il va essayer de guérir par l'hypnose... Comme le titre l'indique, c'est Augustine (et non le professeur Charcot) qui est au centre du film, qui offre plusieurs pistes de lecture : opposition des conditions sociales des deux protagonistes, rapports de domination dans l'exercice de la médecine entre le médecin et sa patiente etc. La plus juste est peut-être le regard féministe : il faut voir Augustine exhibée en pleine crise d'hystérie faire des gestes sexuels devant un parterre de médecins tous masculins... La mise en scène est assez maîtrisée (c'est le premier film d'Alice Winocour), même si elle ne vibre pas autant que Soko, sa formidable interprète principale.

UN ENFANT DE TOI (Jacques Doillon, 26 déc) LLL
Aya (Lou Doillon) reprend contact avec Louis (Samuel Benchetrit), son ex (la rupture a eu lieu 3 ans auparavant), avec qui elle a eu une fille Lina (qui a aujourd'hui 7 ans). Aya est désormais en couple avec Victor (Malik Zidi, toujours excellent), un dentiste, et veut faire un nouvel enfant. Louis sort quant à lui avec Gaëlle, une jeune femme nettement plus jeune que lui... C'est le point de départ du nouveau film de Doillon, qui ôte à ces personnages tout souci pécuniaire (ils ont une situation sociale avantageuse) pour mieux déployer le ballet des rapports compliqués entre eux (les sentiments sont leur souci principal). Les dialogues sont parfois des antiphrases (les mouvements des yeux et des corps disent autre chose que la voix), ça pourra horripiler certains spectateurs (ce n'est pas le film de Doillon par lequel il faut commencer). Mais si on est sensible à sa mise en scène, et malgré quelques longueurs, on goûtera volontiers ce nouvel opus, parfois même assez drôle.

TELE GAUCHO (Michel Leclerc, 12 déc) LL
Après Le Nom des gens, Michel Leclerc raconte une expérience à laquelle il a participé dans les années 90 : une télé parisienne pirate, Télé Bocal, rebaptisée ici Télé Gaucho. L'histoire est celle de ce groupe d'artivistes de la gauche de gauche (puisqu'il existe une gauche de droite), unis par la défense de tous les "sans" de la société et par le rejet des télés commerciales et de leurs émissions racoleuses (dont l'une est animée par une présentatrice qui a les traits d'Emmanuelle Béart, très convaincante). Point commun avec Après Mai d'Olivier Assayas : un jeune homme très cinéphile est happé par la politique. Sauf qu'ici cette dernière n'est pas traitée à la légère. Ambitions de cinéma plus modestes (le scénario est un peu inégal, mais offre à Sara Forestier un nouveau rôle acidulé), mais résultat assez plaisant et assez drôle.

LOOPER (Rian Johnson, 31 oct) LL
Nous sommes en 2044. Joe est un "looper" : il est payé pour flinguer des types que la mafia lui envoie depuis l'année 2074, pour les faire disparaître sans laisser de traces. Jusqu'au jour où il doit éliminer celui qu'il sera devenu trente ans plus tard... Il s'agit d'un film de science-fiction plus que d'anticipation : ce qu'on voit des modes de vie de 2074 ne diffère pas beaucoup des modes de vie actuels (comme si l'Amérique allait être épargnée par le changement climatique et la raréfaction de l'énergie). Politiquement, le totalitarisme est montré comme la responsabilité d'un homme, le "faiseur de pluie" (comme si un système tel que le capitalisme ne pouvait pas se révéler totalitaire). Pour le reste, le scénario est assez inspiré dans l'exploitation d'un paradoxe temporel, et donne du cachet à ce film habile, dans lequel la violence n'est jamais gratuite ni complaisante.

POPULAIRE (Régis Roinsard, 28 nov) LL
Nous sommes en 1958, dans le Calvados. Un jeune patron d'assurances très macho (Romain Duris) engage une secrétaire (Déborah François), gaffeuse mais très rapide pour taper à la machine, même avec deux doigts. Il a l'idée de la présenter à des concours de dactylo. Et de l'entraîner pour ce faire... Le premier plaisir de cette comédie réside dans la reconstitution savoureuse d'une époque (en mode moins cinéphile que Michel Hazanavicius pour les OSS 117). Le mélange assez habile de film sportif, d'une comédie classique basée sur l'association de deux personnalités dissemblables et d'une évolution féministe (ultra-discrète, le point de départ ne l'est pas) fait souvent sourire.

LE NOIR (TE) VOUS VA SI BIEN (Jacques Bral, 5 déc) LL
Jacques Bral est un cinéaste d'origine orientale, auteur de films rares et fauchés. Il raconte ici l'histoire de Cobra, une jeune fille (Sofiia Manousha, jolie révélation) issue de l'immigration, qui se fait draguer au boulot par son patron (Julien Baumgartner), et au café (où chaque matin elle fait étape pour dénouer ses cheveux) par le serveur (Grégoire Leprince-Ringuet). Un drame entre aspiration féministe, racisme latent, et douleur familiale de l'exil. La mise en scène est singulière et sèche (plans parfois très courts, peu de dialogues), mais au service d'un scénario pas toujours à la hauteur.

APRES MAI (Olivier Assayas, 14 nov) LL
Gilles et ses amis, de familles plutôt aisées, ont 16 ou 17 ans en 1971, à l'heure où certaines manifs sont durement réprimées par la police de Raymond Marcellin. Gilles est tenté par la politique et par le cinéma, avec une égale approche un peu romantique de ces deux activités (il reproche à son père, dans l'une des meilleures scènes du film, son filmage conventionnel d'un Maigret pour la télévision). C'est un film d'apprentissage, malheureusement aussi superficiel qu'il est fluide. Au contraire des Amants réguliers de Philippe Garrel, le film ne raconte au fond que l'histoire d'un jeune homme qui se cherche, pas la grande (avec un H) en train de s'écrire...

4H44, DERNIER JOUR SUR TERRE (Abel Ferrara, 19 déc) L
Plusieurs films sortis depuis plus d'un an envisagent une fin brutale de la vie humaine sur Terre. Cela donne Melancholia, le chef d'oeuvre grinçant, sidéral et sidérant de Lars Von Trier, ou Jusqu'à ce que la fin du monde nous sépare, vision plus romantique (et hollywoodienne). Abel Ferrara nous livre sa version, arty et new-yorkaise. Un couple de bobos vit ses dernières heures avant la fin du monde, lui surfe sur Internet, contacte une dernière fois ses proches sur Skype, elle peint sa dernière toile, ensemble ils dansent et s'enlacent une dernière fois. Artificiel, vain et prétentieux.

Version imprimable | Films de 2012 | Le Dimanche 30/12/2012 | 0 commentaires




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