L'année ciné US :
Il est de bon ton d'affirmer que le cinéma US actuel serait essentiellement une industrie fabriquant des produits pour adolescents, inspirés des comic books et des jeux vidéos, tandis que les scénaristes plus "adultes" auraient migré vers les séries télévisées qui offriraient plus de liberté. Certes il y a du vrai, commercialement parlant, mais le cinéma US n'est en rien monolithique.
Plusieurs films ont, c'est vrai, évoqué l'âge d'or révolu du cinéma hollywoodien, que ce soit la comédie mineure des frères Coen (Ave César !), le biopic sur un célèbre scénariste blacklisté par le maccarthysme (Dalton Trumbo de Jay Roach) ou bien le dernier opus, une nouvelle fois très élégant, de Woody Allen dont une partie de l'intrigue se situe dans le Hollywood des années 30 (Café Society). Last but not the least, Carol, de Todd Haynes, superbe histoire d'amour interdite située dans les années 50, ressuscite le brio et la minutie des plus grands stylistes de l'époque (Sirk, Minnelli).
Mais le renouveau est venu également de deux films SF : Premier contact de Denis Villeneuve, qui revivifie le film de rencontre avec des extra-terrestres par une belle réflexion sur le langage, un soupçon de géopolitique et un travail visuel tout à fait original (ce qui est assez rare), et en plus ceux qui auront l'occasion de le voir deux fois auront une expérience tout à fait différente à la seconde vision qu'à la première. Auparavant, en début d'année, est sorti Midnight special, film sur un père qui veut sauver de diverses convoitises son fils qui a des dons extraordinaires venus d'on ne sait où. Il ne faut pas voir ce film comme un blockbuster mais comme un film d'auteur, où malgré les morceaux de bravoure (une poursuite nocturne tous phares éteints, un final merveilleux) et des étrangetés hétérogènes (l'absence uchronique de téléphones portables, la douceur d'un scientifique oeuvrant pour la sécurité de l'Etat), Jeff Nichols creuse son sillon et raconte comme dans son plus beau film Take shelter l'histoire d'un père qui doit apprendre à ne pas surprotéger et à laisser vivre sa progéniture...
Enfin, l'année 2016, marquée par la défaite d'Hilary Clinton, a aussi vu deux films évoquer la gentrification des grandes villes américaines, qui brise entre autres l'amitié de deux adolescents (la fiction d'Ira Sachs Brooklyn village) et menace le cosmopolitisme d'un quartier populaire, remplacé par la monoculture du fric et des multinationales (le documentaire de Frederick Wiseman In Jackson Heights).
Top 10 films US 2016 :
Carol (Todd Haynes)
Café society (Woody Allen)
Premier contact (Denis Villeneuve)
Midnight special (Jeff Nichols)
Dalton Trumbo (Jay Roach)
In Jackson Heights (Frederick Wiseman)
Brooklyn village (Ira Sachs)
Manchester by the Sea (Kenneth Lonergan)
Janis (Amy Berg)
Spotlight (Tom McCarthy)
L'année ciné française :
Il n'y a pas vraiment, cette année, de film qui mette vraiment tout le monde d'accord, mais plusieurs tendances à l'oeuvre : des deuxièmes long-métrages qui dépassent les premiers films de leurs auteurs (plutôt bon signe pour l'avenir), la grande diversité et qualité des films réalisés par des cinéastes femmes, la vitalité du secteur documentaire (comme du cinéma d'animation).
Certains jeunes cinéastes n'ont pas tout dit dans leur premier long-métrage et ont livré en 2016 un deuxième film plus réussi. Certains ont changé d'univers : Olivier Babinet, co-réalisateur d'une fiction décalée un peu vaine (Robert Mitchum est mort), est allé se ressourcer en tournant en banlieue un documentaire avec des ados épatants (Swagger), tandis que Laetita Carton, après le portrait d'un dessinateur (Edmond, un portrait de Baudoin), a réalisé un beau documentaire sur la langue des signes et sa culture (J'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd) et que Léa Fehner, après avoir évoqué la prison dans son premier film (Qu'un seul tienne et les autres suivront), dévore l'espace et les kilomètres dans sa fiction autour d'une troupe de théâtre itinérant (Les Ogres). D'autres ont au contraire approfondi leur premier sillon : après La Bataille de Solferino, Justine Triet garde un peu le même type d'héroïne, dans une réjouissante comédie sur une quadra un peu dépassée et au bord de la déprime (Victoria, avec une Virginie Efira au registre étendu, épatante), tandis que Antonin Peretjatko poursuit sa veine hilarante et gaucho-libertaire dans La Loi de la jungle (avec Vimala Pons et Vincent Macaigne, déjà à l'affiche de La Fille du 14 Juillet). Et, surtout, Mikhaël Hers, après le beau Memory lane, approfondit une tendance pop et mélancolique d'un tact infini en racontant dans Ce sentiment de l'été le travail de deuil, autour d'une jeune fille décédée prématurément, entrepris par son petit ami et sa soeur (Anders Danielsen Lie, Judith Chemla, lumineux).
Si, en dehors de certaines recettes industrielles, le cinéma français est aussi divers, il le doit aussi à de nombreuses réalisatrices qui ont fortement marqué leur coup cette année. Certains ont plus aimé que moi l'énergie de Divines de Houda Benyamina, récipiendaire survoltée de la caméra d'or (premier film) à Cannes, ou bien le joli film d'adieu de la regrettée Solveig Anspach (L'Effet aquatique). Pour ma part, outre les films déjà évoqués de Laetitia Carton, Léa Fehner et Justine Triet, je voudrais retenir de cette année une adaptation finalement réussie de best-seller (Réparer les vivants de Katell Quillévéré), un film-dossier à la Soderbergh (La Fille de Brest, l'un des plus solides films d'Emmanuelle Bercot), le romanesque discret et plus profond qu'il n'y paraît de Nicole Garcia (Mal de pierres, à l'opposé d'un cinéma qui soulignerait tout), le fantastique inquiétant de Lucile Hadzihalilovic (Evolution), la labyrinthique mais fluide Suite armoricaine de Pascale Breton, l'appétit de cinéma de Rebecca Zlotowski (le prolifique et curieusement mal aimé Planétarium). Les deux morceaux les plus réjouissants étant la rencontre avec Babouillec, poétesse autiste (Dernières nouvelles du cosmos de Julie Bertuccelli) et le récit plus ou moins autobiographique par la cinéaste Danielle Arbid de la découverte par une jeune étudiante libanaise de la France des années 1990, moins travaillée par la xénophobie qu'aujourd'hui (Peur de rien, avec de jeunes interprètes épatants et une Dominique Blanc réjouissante). Il faudrait aussi ajouter l'apport scénaristique des cinéastes Pascale Ferran et Céline Sciamma à deux films d'animation épatants, respectivement La Tortue rouge (Michaël Dudok de Wit) et Ma vie de Courgette (Claude Barras). A noter que Céline Sciamma a également co-scénarisé Quand on a 17 ans (le meilleur film d'André Téchiné depuis au moins une dizaine d'années).
Enfin, l'année a été assez prolifique en documentaires. Outre les films précédemment cités de Julie Bertuccelli, Laetitia Carton et Olivier Babinet, il faut évoquer le carton rentre-dedans de François Ruffin (Merci patron !), le non moins réjouissant, sur la forme et sur le fond, prototype d'Etienne Chaillou et Mathias Théry (La Sociologue et l'ourson, avec des animations très pédago), l'évocation de la création de la Sécu par Gilles Perret (La Sociale, dans la lignée des Jours heureux, et d'une actualité brûlante face au dangereux programme présidentiel de François Fillon), un concert franco-iranien hautement symbolique (No land's song d'Ayat Najafi). Et pour les passionés de cinéma la mémoire (sélective) de Bertrand Tavernier (Voyage à travers le cinéma français).
Top 10 films français 2016 :
Peur de rien (Danielle Arbid)
Ce sentiment de l'été (Mikhaël Hers)
Dernières nouvelles du cosmos (Julie Bertuccelli)
La Loi de la jungle (Antonin Peretjatko)
Merci patron ! (François Ruffin)
La Sociologue et l'ourson (Etienne Chaillou, Mathias Théry)
Planetarium (Rebecca Zlotowski)
Quand on a 17 ans (André Téchiné)
J'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd (Laetitia Carton)
Suite armoricaine (Pascale Breton)
L'année ciné européenne :
Même en dehors des films français, le cinéma européen s'est bien porté cette année. On note par un exemple un retour en forme du cinéma roumain. C'est peut-être un hasard du calendrier, mais on a vu cette année la nouvelle comédie de Corneliu Porumboiu, plus pince-sans-rire que jamais (Le Trésor), ainsi que la dernière brillante copie de Cristian Mungiu (Baccalauréat, une mention à Cannes pour la mise en scène). Mais à côté de ces deux valeurs sûres on a pu découvrir le talent de Adrian Sitaru (Illégitime). Mungiu et Sitaru partageaient en outre le même interprète principal (Adrian Titieni, formidable dans les deux cas, à chaque fois dans le rôle d'un médecin, mais les points communs s'arrêtent là). On peut ajouter que le film européen le plus commenté de l'année (Toni Erdmann, de Maren Ade, qui ne m'a pas emballé) se passe également pour l'essentiel en Roumanie, à Bucarest, terrain de jeu pour cadres sup sans scrupules du capitalisme mondialisé.
Dans le reste du cinéma européen, Pedro Almodovar nous a gratifié d'un film à nouveau digne de son talent (Julieta), moins exubérant qu'auparavant mais mature et maîtrisé, bien que n'ayant pas retenu les faveurs du jury cannois. Egalement repartis bredouilles, les frères Dardenne ont fait appel, pour la troisième fois consécutive à une vedette francophone (Adèle Haenel, après Cécile de France et Marion Cotillard) pour venir jouer dans leur univers, mais dans un emploi différent de d'habitude. La Fille inconnue ne reproduit pas à l'identique le schéma des précédents Dardenne, ce qui a pu décontenancer certains de leurs supporters, mais le film est une tentative très intéressante de renouvellement, même si c'est un nouveau suspense moral. Toujours chez nos voisins belges, Joachim Lafosse a sorti deux films cette année, dont L'Economie du couple, chorégraphie autour d'un couple disloqué mais contraint de continuer à cohabiter sous le même toit pour des raisons financières. Bérénice Béjo, l'une des protagonistes, est aussi à l'affiche de Fais de beaux rêves, le dernier beau film de Marco Bellocchio, drame psychologique adapté d'un roman autobiographique (écrit par un journaliste qui a perdu sa mère à l'âge de 9 ans), mais sans perdre de vue ses thèmes de prédilection (famille, religion, deuil, psyché humaine).
Impossible d'évoquer l'année européenne sans citer deux films importants. Tout d'abord, malgré les contorsions rhétoriques de quelques plumes branchées, le dernier Ken Loach est une franche réussite, un drame de l'ultralibéralisme avec des pointes d'humour acide. Moi, Daniel Blake (excellent titre) est une histoire de dignité pour les personnages et de colère pour le réalisateur. Une Palme d'or méritante. Ken Loach avait pris parti contre le Brexit, jugeant que les gouvernements nationaux britanniques étaient encore plus brutaux que les institutions européennes (les premiers ayant en partie façonné cette construction libérale de l'Europe). Mais la politique de Wolfgang Schaüble, le ministre allemand de l'économie, risque de faire monter dans toute l'Europe les sentiments nationalistes et la germanophobie. C'est peut-être pour cela que François Ozon a réalisé Frantz, formidable drame sur une difficile amitié franco-allemande dans les années 1920, après l'absurdité de la Première guerre mondiale et le douloureux traité de Versailles. Il ne le fait pas à la manière d'une leçon d'histoire mais grâce à une intrigue puissamment romanesque. L'un des sommets de sa filmographie.
Top 10 films européens (non français) 2016 :
Moi, Daniel Blake (Ken Loach)
Frantz (François Ozon)
Julieta (Pedro Almodovar)
La Fille inconnue (Jean-Pierre et Luc Dardenne)
Baccalauréat (Cristian Mungiu)
Fais de beaux rêves (Marco Bellocchio)
Illégitime (Adrian Sitaru)
Le Trésor (Corneliu Porumboiu)
Soleil de plomb (Dalibor Matanic)
L'Economie du couple (Joachim Lafosse)
L'année ciné du reste du monde :
Numériquement parlant, le reste du monde auquel on a eu accès en France a été largement polarisé par l'Asie (dans sa diversité). Le cinéma sud-coréen a une nouvelle fois marqué les esprits. Si The Strangers de Na Hong-Jin et Mademoiselle de Park Chan-Wook ont séduit davantage que moi les amateurs de scénario baroque ou à tiroirs, Dernier train pour Busan est un formidable exercice de style de Sang-Ho Yeon, avec des zombies à grande vitesse, et un sous-texte assez politique (l'individualisme et la solidarité ont des conséquences différentes sur la mortalité des protagonistes). Hong Sang-Soo nous propose quant à lui en apparence un excellent jeu des 7 erreurs, en redémarrant son film au bout d'une heure (Un jour avec, un jour sans), avec de virtuoses petites variations dans le placement de la caméra, dans la durée d'une scène ou dans l'attitude de son protagoniste masculin qui font petit à petit diverger le récit... Le cinéma d'animation japonais a montré avec plusieurs films qu'il pouvait s'affranchir des productions du studio Ghibli (qui pour la première fois a co-produit un film en Europe, La Tortue rouge, film franco-belge précédemment évoqué), avec des ambitions artistiques et/ou commerciales élevées (sur les deux plans pour Your name de Makoto Shinkai, éducation sentimentale à la sauce fantastique, avec paradoxe spatio-temporel et déchaînement des éléments - un événement astronomique, pendant dans la fiction du tsunami dans la réalité). On complètera l'année asiatique par la sortie des derniers films de deux valeurs sûres : Hou Hsiao-Hsien (The Assassin, très beau visuellement) et Naomi Kawase (Les Délices de Tokyo, très simple mais poignant).
L'expérimenté égyptien Yousry Nasrallah et le nouveau venu tunisien Mohamed Ben Attia ont exprimé, chacun à leur manière, dans des styles aux antipodes l'un de l'autre, leur soif de liberté, respectivement dans Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage et Hedi. Ironie de l'histoire, l'année de l'élection de Donald Trump aux USA, le cinéma mexicain a dans plusieurs films interrogé la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, dans Soy Nero de Rafi Pitts (au style plutôt réaliste) et dans le film de genre Desierto de Jonas Cuaron. Au fur et à mesure que grandit la libre circulation des marchandises et des capitaux, la libre circulation des êtres humains, en principe garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948, est au contraire plus que jamais remise en cause par les gouvernements libéraux - conservateurs... Les défaillances des démocraties prétendument occidentales inspirent au canadien Philippe Falardeau un rire salvateur (Guibord s'en va-t-en guerre). L'esprit de résistance, on le trouve surtout chez Kleber Mendonça Filho, un ancien critique de cinéma devenu cinéaste et qui signe avec son deuxième long-métrage Aquarius l'un des plus beaux films de l'année, autour d'une intellectuelle à la retraite qui tient tête à des promoteurs immobiliers prêts à tout pour obtenir son départ et réhabiliter l'immeuble pour en faire un ghetto de riches. Mais le film ne se limite pas à cette intrigue là, est d'une belle profusion romanesque, l'actrice Sonia Braga est superbe, et le style aussi affirmé que dans les meilleurs Almodovar...
Top 10 films du reste du monde :
Aquarius (Kleber Mendonça Filho)
Dernier train pour Busan (Sang-Ho Yeon)
The Assassin (Hou Hsiao-Hsien)
Un jour avec, un jour sans (Hong Sang-Soo)
Les Délices de Tokyo (Naomi Kawase)
Desierto (Jonas Cuaron)
Your name (Makoto Shinkai)
Guibord s'en va-t-en guerre (Philippe Falardeau)
Le Ruisseau, le pré vert et le doux visage (Yousry Nasrallah)
Hana et Alice mènent l'enquête (Shunji Iwai)
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