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Des films de l'automne 2016 (2)

  • Bien : Dernières nouvelles du cosmos (Julie Bertuccelli), Premier contact (Denis Villeneuve), Baccalauréat (Cristian Mungiu), La Fille de Brest (Emmanuelle Bercot), Manchester by the sea (Kenneth Lonergan), Sully (Clint Eastwood), Louise en hiver (Jean-François Laguionie)
  • Pas mal : Une vie (Stéphane Brizé), L'Ornithologue (Joao Pedro Rodrigues)
  • Bof : Personal shopper (Olivier Assayas), Le Disciple (Kirill Serebrennikov)

DERNIERES NOUVELLES DU COSMOS (Julie Bertuccelli, 9 nov) LLL
Julie Bertuccelli, cinéaste atypique aussi à l'aise dans le documentaire que dans la fiction, nous amène à la rencontre de Hélène Nicolas. C'est une jeune femme de 30 ans, qui paraît deux fois moins âgée. Elle est autiste profonde, elle a certaines difficultés motrices, elle n'a pas trouvé le chemin de la parole... et pourtant elle écrit, sous le nom de plume de Babouillec. Comme elle ne peut pas tenir de stylo dans la main, elle compose des mots et des phrases à l'aide de lettres cartonnées et plastifiées avec l'aide logistique de sa mère. Et contrairement aux apparences trop simples, ce qu'elle écrit est fascinant. Son vocabulaire est riche, avec une maîtrise de l'orthographe étonnante alors qu'elle n'a pas eu d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Et elle donne à voir une personnalité hors du commun, très imaginative, espiègle voire corrosive et éprise de liberté. Babouillec se permet même de discuter philosophie avec un mathématicien visiblement impressionné. Il faut remercier la cinéaste pour la qualité de son regard, jamais voyeuriste, qui nous permet d'accéder à la profondeur de l'intériorité de la jeune femme, qui nous bouleverse et fait naître en nous des questionnements essentiels...

PREMIER CONTACT (Denis Villeneuve, 7 déc) LLL
Denis Villeneuve est un réalisateur capable du meilleur (Incendies) comme du pire (Prisoners). Son éthique de cinéaste est parfois douteuse, mais ici il réussit un très acceptable film de science fiction. Des vaisseaux de forme ovoïde ont atterri dans douze points du globe, et une éminente linguiste (Amy Adams) est appelée par l'armée américaine pour rentrer en contact avec les aliens. Ce qui frappe ici, c'est d'abord une élégance et une vraie inventivité visuelle, très éloignée de l'esthétique des jeux vidéos et des clichés de l'heroic fantasy pixellisée. On entre aussi dans une belle réflexion assez élaborée sur le langage, et sur le temps. Et s'y ajoute une dimension géopolitique : contrairement aux précédents "contacts" cinématographiques, l'Amérique n'est pas censée représenter la Terre entière. On peut regretter une fin trop rapide, bâclée, pas tout à fait à la hauteur du reste, et des flash-backs mélos parfois un rien envahissants, mais ça ne gâche pas la forte impression d'ensemble.

BACCALAUREAT (Cristian Mungiu, 7 déc) LLL
Romeo, médecin dans une petite ville, a tout fait pour que Eliza, sa fille, soit acceptée dans une université britannique. Il ne reste plus à Eliza qu'à obtenir une très bonne moyenne au baccalauréat, une formalité pour elle. Mais elle se fait agresser aux bords du lycée, amoindrissant ses chances de réussite... Baccalauréat a eu le prix de la mise en scène à Cannes, celui du scénario aurait pu lui convenir tout autant (voire mieux). La toile de fond est la montée, dans la société roumaine, de l'individualisme occidental couplée à la persistance d'un niveau de corruption élevé. Le père, quasiment de tous les plans, est interprété par Adrian Titieni, qui jouait déjà le rôle d'un père de famille dans Illégitime, autre très bon film roumain sorti cette année.

LA FILLE DE BREST (Emmanuelle Bercot, 23 nov) LLL
Emmanuelle Bercot tente un Erin Brockovich à la française en racontant le combat d'une lanceuse d'alerte, la pneumologue Irène Frachon, contre le Mediator, le médicament produit par les laboratoires Servier. Les faits et la chronologie sont globalement respectés, dans ce thriller médical où le happy end se fait toujours attendre : le médicament a été retiré de la vente mais aucune condamnation n'a encore été prononcée. Emmanuelle Bercot n'a jamais vraiment fait dans la subtilité, en témoigne des maladresses dans La Tête haute. Ici il y a certes des choses qui auraient été plus fortes avec plus de nuances. Il n'empêche que le film est très efficace, grâce au rythme trouvé et à l'interprétation fougueuse de Sidse Babett Knudsen qui joue une Irène Frachon bien entourée par sa famille et épaulée du docteur Le Bihan (Benoît Magimel), personnage rationnel mais friable (dans la fiction), librement inspiré du docteur Le Gal, solide soutien dans la réalité.

MANCHESTER BY THE SEA (Kenneth Lonergan, 14 déc) LLL
Lee (Casey Affleck), dans la quarantaine, travaille à Boston comme homme à tout faire d'un lotissement (quatre immeubles) de la capitale du Massachussets. Mais, après la mort de son grand frère, il est amené à rejoindre sa petite ville natale, Manchester by the Sea, la station portuaire à environ 1h de route qui donne son titre au film. Lee est en effet désigné comme le tuteur de son neveau de 16 ans (Lucas Hedges). Mais Lee doit surmonter un lourd passé... Mis à plat, le scénario n'indique en rien si le film est réussi ou s'il est tire-larmes. Pour son troisième film en tant que réalisateur, Kenneth Lonergan s'en tire très bien : l'interprétation est magnifique, que ce soit Casey Affleck, dont l'apparente impassibilité cache un chagrin et un sentiment de culpabilité lancinants, ou Michelle Williams, qui donne vie au personnage de l'ex-épouse de Lee en quelques scènes seulement. Utilisation remarquée de musique classique (Haendel, Albinoni) dans certaines séquences-clés, et montage qui suggère que le passé (ou certains fragments de celui-ci) appartient encore au présent. Même sans mouvements de caméra virtuoses, c'est plutôt de la belle ouvrage.

SULLY (Clint Eastwood, 30 nov) LLL
Le 15 janvier 2009, le commandant de bord Sullenberger, dit Sully, réalise un exploit inédit dans l'histoire de l'aviation, en réussissant, après la perte des deux moteurs peu après le décollage, un amerissage forcé sur l'Hudson, qui a permis grâce aux secours new-yorkais de sauver la vie des 155 passagers. Mais une enquête interne cherche à déterminer si le pilote a réellement choisi la solution la plus sûre et la moins coûteuse pour les compagnies d'assurance... Clint Eastwood réussit à nous captiver pendant une heure et demi sur les 208 secondes déterminantes de ce vol. Il mène de façon très explicite deux réflexions : l'une réussie sur le "facteur humain" dans les catastrophes (évitées ou non), l'autre un peu plus lourde sur le besoin d'héroïsme de l'Amérique frappée par les crises financières et qui doute de son "roman national".

LOUISE EN HIVER (Jean-François Laguionie, 23 nov) LLL
Louise est une vieille dame qui a passé l'été dans une petite station balnéaire. Mais elle rate le dernier train de l'année (le bourg n'est désservi que pendant la saison estivale), et Louise se retrouve seule au monde. Après une tempête elle décide de quitter sa maison et part s'installer sur la plage, dans une cabane qu'elle a elle-même construite... Le nouveau film d'animation de Jean-François Laguionie a un scénario moins échafaudé que dans Le Tableau, sa précédente oeuvre, mais invite à la méditation et à la rêverie. La vieille dame ne sait pas précisément si les réminiscences de l'enfance sont de purs rêves ou de véritables souvenirs, elle qui perd en partie la mémoire. Une histoire simple sur la "vieillitude" (néologisme inventé qui renvoie à la fois à la vieillesse et la solitude), bien servie par les très beaux dessins pastel.

UNE VIE (Stéphane Brizé, 23 nov) LL
Adaptation du premier roman de Maupassant, dans lequel Jeanne, une jeune aristocrate de la petite noblesse normande du XIXè siècle, se marie, encore pleine d'illusions, et subit les foudres de la domination masculine (violence, infidélité de l'époux, ingratitude du fils qui ne cessera de lui soutirer de l'argent). Pour éviter tout académisme, Stéphane Brizé adopte deux principes forts : des ellipses lors de moments importants, s'attachant plutôt à leurs répercussions dans le quotidien (à l'instar du moderne Fin août, début septembre d'Olivier Assayas), et l'utilisation d'un format resserré (4/3), souvent en caméra portée, qui évite toute reconstitution décorative et donne l'impression de scènes prises sur le vif (un peu comme dans son précédent film, La Loi du marché). Mais le systématisme de ces partis pris frôle parfois le dispositif théorique asséchant. Heureusement qu'il y a Judith Chemla qui donne accès à l'intériorité de son personnage (elle était déjà lumineuse dans l'autrement plus convaincant Ce sentiment de l'été en début d'année).

L'ORNITHOLOGUE (Joao Pedro Rodrigues, 30 nov) LL
Un jeune ornithologue est en mission dans une réserve naturelle portugaise, où il observe aux jumelles les oiseaux sauvages. Au cours d'une de ses observations, il ne voie pas que son kayak file vers de dangereux rapides... Il y a du style dans ce film, dès les premières images : on y voit des grands espaces magnifiés, comme dans le cinéma de toujours, mais on décèle aussi une volonté de créer un univers très singulier qui n'appartiendrait qu'à lui. Dans ses meilleurs moments, le film peut se ressentir comme à égale distance des modernes Alain Guiraudie (Rester vertical) et Apichatpong Weerasethakul (Cemetery of splendour). Après son naufrage, le scientifique fait des rencontres iconoclastes : deux jeunes chinoises en marche vers Saint-Jacques de Compostelle, un berger sourd-muet gay qu'on découvre en train de téter une de ses brebis etc. Malheureusement, ces personnages excentriques ne sont pas suffisamment regardés pour que leur présence dans le film atteste d'une démarche sincère du cinéaste. Le seul personnage qu'il prend le temps de nous faire connaître, c'est celui de l'ornithologue. Un film déroutant, parfois facinant, mais pas entièrement convaincant.

PERSONAL SHOPPER (Olivier Assayas, 14 déc) L
Après l'excellent Sils Maria (2014), Olivier Assayas continue de mettre la star Kristen Stewart dans la peau d'une assistante de l'ombre. Ici, elle incarne Maureen, une personal shopper, chargée par une grande bourgeoise people de choisir et préparer sa garde-robe, soirée après soirée. Mais Maureen est aussi medium et attend un signe de son frère jumeau qui vient de décéder à 27 ans d'une malformation cardiaque familiale. Parfois, un film tient par la grâce de la mise en scène, même lorsqu'il n'y a pas de scénario. Mais quand celui-ci est poussif ou raté comme c'est le cas ici, les bonnes solutions de mise en scène (récompensée à Cannes) n'arrivent pas toujours à maintenir le navire à flot. Surtout qu'il y a quand même quelques couacs (Benjamin Biolay en Victor Hugo faisant tourner les tables...). La conclusion du film sonne presque comme un aveu du cinéaste à ne pas croire lui-même à son histoire.

LE DISCIPLE (Kirill Serebrennnikov, 23 nov) L
Pris d'une crise mystique, un adolescent lit passionnément et de la manière la plus littérale possible la Bible. Il fustige les moeurs des personnes qu'il cotoie (sa mère, ses profs, ses camarades de classe qui vont en cours de natation en bikini etc). Seule sa prof de biologie tente de le raisonner... Aux gens qui croient que l'islam est une religion dangereuse en soi en s'appuyant sur l'exégèse du Coran, ce film, adapté d'une pièce de théâtre, montre que tous les livres sacrés pris au pied de la lettre peuvent servir les intégrismes, quelle que soit leur religion. Mais le souci, c'est que le film est aussi dogmatique que son personnage principal, dans le sens où celui-ci reste un personnage très théorique : contrairement au récent film français Le ciel attendra (qui montrait également des jeunes fanatisées), il n'y a pas de contradiction interne à sa logique, de complexité chez lui. C'est un personnage fictif de thèse anticléricale, mais pas une incarnation de cinéma.

Version imprimable | Films de 2016 | Le Vendredi 16/12/2016 | 0 commentaires




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