- Bravo : Moi, Daniel Blake (Ken Loach), Aquarius (Kleber Mendonça Filho)
- Bien : La Fille inconnue (Jean-Pierre et Luc Dardenne), Ma vie de Courgette (Claude Barras), Brooklyn village (Ira Sachs), Mal de pierres (Nicole Garcia), Fuocoammare (Gianfranco Rosi), Olli Mäki (Juho Kuosmanen)
- Pas mal : Soy Nero (Rafi Pitts), Poesia sin fin (Alejandro Jodorowsky), Divines (Houda Benyamina), Mercenaire (Sacha Wolff), Le Ciel attendra (Marie-Castille Mention-Schaar)
- Bof : Juste la fin du monde (Xavier Dolan)
MOI, DANIEL BLAKE (Ken Loach, 26 oct) LLLL
Daniel Blake est un menuisier de 59 ans qui est obligé par son médecin, suite à des problèmes cardiaques, de s'arrêter de travailler. Mais dans le même temps, il est obligé par l'assurance chômage, de rechercher un emploi sous peine de sanction. Dans un « job center », il fait la connaissance de Katie, une mère célibataire en difficulté... On en reparlera une fois que tous les films en compétition à Cannes seront visibles, mais la Palme d'or pour ce film est une bonne idée ! En terme purement cinématographique, la mise en scène n'est pas avant-gardiste, mais il y a une vraie efficacité et je n'ai vu en revanche aucune maladresse ni faute de goût. Ken Loach a pris la peine de construire de vrais personnages (s'il n'avait pas eu la récompense suprême, le scénario et l'interprétation de Dave Johns auraient pu être célébrés). Une nouvelle fois, Loach n'est pas manichéen, sa grande affaire c'est la justice, pas une morale binaire (bien/mal). Un film avec peu d'espoir ? Oui, peut-être, mais, avec quelques notes d'humour grinçant, un film de colère (celle du réalisateur) et de dignité (celle des personnages).
AQUARIUS (Kleber Mendonça Filho, 28 sep) LLLL
A Recife, Clara, critique musicale à la retraite qui a plutôt bien gagné sa vie, est la dernière propriétaire à rester dans son immeuble, alors que tous les autres ont quitté les lieux et vendu leur appartement à un promoteur qui souhaite transformer le lieu en un immeuble de grand standing et sécurisé. De la fenêtre on voit la plage, où il est interdit de se baigner trop loin à cause des requins, mais c'est d'autres requins que devra affronter Clara. Cela pourrait être une nouvelle chronique de l'accroissement des inégalités et de la pression foncière des plus riches sur le reste de la population urbaine, or Kleber Mendonça Filho a l'intelligence d'intégrer cet aspect dans un ensemble plus large. De fait, tous les ingrédients du film sont goûteux : le jeu imposant de l'actrice principale Sonia Braga (mais aussi de Barbara Colen qui joue Clara plus jeune dans un prologue superbe ramenant en 1980), la puissance de la mise en scène dans sa maîtrise de l'espace, l'importance des décors et objets de l'appartement pour en faire un lieu de mémoire (celui où les enfants ont grandi) et de sensualité (délicieuse écoute de vinyles judicieusement choisis). Tout n'est peut-être pas parfait dans cette profusion romanesque, mais cette oeuvre de résistance est assurément un des grands films de l'année.
LA FILLE INCONNUE (Jean-Pierre et Luc Dardenne, 12 oct ) LLL
Il y a des dilemmes moraux, et en particulier une quête morale dans ce nouveau film des frères Dardenne : celle de Jenny, jeune médecin généraliste, qui a refusé d'ouvrir son cabinet, une heure après la fermeture, à une jeune femme retrouvée morte peu de temps après, mais non identifiée par la police. Jenny va tenter de découvrir son identité, pour qu'elle soit enterrée dignement et qu'elle échappe à l'oubli. Certains s'étonneront que les Dardenne aient choisi un personnage principal ne faisant pas partie des classes populaires : se seraient-ils embourgeoisés ? Fausse piste : Jenny (interprétée de façon étonnante par Adèle Haenel) est un personnage plutôt solitaire, son rapport au monde est encore en devenir, mais en s'installant dans un cabinet ouvert aux classes les plus modestes (rappelant un peu La Maladie de Sachs), elle laisse la place à de nombreux personnages en rien secondaires. Formellement, contrairement au Gamin au vélo ou à Deux jours, une nuit, on n'est pas immédiatement admiratif devant la maîtrise des cinéastes. Ici, on revient à beaucoup de caméras à l'épaule (tout en ayant une composition des plans rigoureuse), mais l'incertitude de la trajectoire, moins limpide que d'habitude, donne un film assez passionnant et bouleversant.
MA VIE DE COURGETTE (Claude Barras, 19 oct) LLL
Icare, qui curieusement préfère qu'on l'appelle Courgette, est un garçon de 9 ans qui a provoqué par accident la mort de sa mère : elle l'élevait seule, était alcoolique et avait la fâcheuse habitude de lever la main sur lui. Il est placé dans un foyer, avec d'autres enfants orphelins ou séparés de leurs parents pour des motifs divers (y compris emprisonnement ou expulsion). Il s'agit donc de victimes des violences de la société. Mais le récit, adaptation du livre Autobiographie d'une courgette de Gilles Paris, n'en fait néanmoins pas un réquisitoire sur l'enfance maltraitée par les adultes, mais plutôt une histoire poignante filmée à hauteur d'enfant et une ode à leurs capacités de résilience. Les dialogues de l'excellente Céline Sciamma (Naissance des pieuvres, Tomboy) déniaisent l'ensemble, ce sont d'ailleurs les enfants qui sont les personnages les plus réussis (les adultes sont plus des personnages de contes avec bons et méchants). Enfin et surtout, il s'agit d'un film d'animation. Le procédé utilisé (stop motion) rend à merveille l'illusion du mouvement. Quant aux visages, sans être forcément réalistes ils sont étonnamment expressifs.
BROOKLYN VILLAGE (Ira Sachs, 21 sep) LLL
Après la mort de son grand-père, Jake, 13 ans, quitte avec ses parents le quartier de Manhattan, devenu très au-dessus de leurs moyens, pour s'installer dans la maison du défunt à Brooklyn. Au rez de chaussée se trouve une petite boutique de vêtements tenue par une couturière chilienne qui a elle aussi un fils de 13 ans, Tony, qu'elle élève seule. Jake et Tony ne vont pas tarder à se lier d'amitié. Tous deux aspirent à rentrer dans un lycée avec une spécialité artistique. Mais leur relation va être mise en danger par le comportement des adultes, en particulier des parents de Jake, dans une mauvaise passe financière relativement à leur train de vie (elle est psy et ses honoraires font vivre la famille alors que lui n'arrive pas à gagner sa vie comme homme de théâtre), qui vont exiger une forte hausse du loyer payé par le magasin d'en dessous. On retrouve dans ce film certaines des qualités qui faisaient la beauté de Love is strange, en particulier le mélange entre la délicatesse dans le regard porté sur les personnages et la cruauté des rapports sociaux. Aucun adulte n'est vraiment regardé comme un salaud (d'autant plus que Jake et Tony, les little men du titre original, ont besoin d'aimer leurs parents), ce sont bien les superstructures qui les dépassent (la gentrification) qui sont pointées ici, dans une chronique d'une rare finesse et toute en suggestion.
MAL DE PIERRES (Nicole Garcia, 19 oct) LLL
Dans la France rurale des années 50-60, une jeune femme atteinte d'un mal mystérieux, qui lui donne des crampes et influe sur son mental, est mariée par sa famille à un artisan maçon qu'elle n'aime pas. Mais son appétit de vie et d'amour sera ranimé lors d'une cure thermale... Jusqu'alors j'aimais toujours avec modération le cinéma de Nicole Garcia, que je trouvais parfois un peu trop en retrait ou illustratif par rapport au sujet (L'Adversaire, Un beau dimanche). Ici, la première partie du film n'impressionne pas outre mesure, on ne sait pas encore ce que le film peut devenir. Mais au fur et à mesure que le film avance, ces premières scènes sont rétrospectivement réhaussées. Cette adaptation littéraire n'est ni académique ni formellement ostentatoire. Malgré une histoire finalement assez simple, le film acquiert une vraie profondeur qui génère une émotion grandissante qu'on n'avait pas forcément vu venir. Un bel écrin pour le jeu de Marion Cotillard, et un film qui méritait sa sélection en compétition officielle à Cannes.
FUOCOAMMARE (Gianfranco Rosi, 28 sep) LLL
Le dernier festival de Berlin a accordé sa récompense suprême, l'Ours d'or, à ce documentaire, ce qui est assez inhabituel. Mais il faut dire que ce nouveau film de Gianfranco Rosi lorgne aussi vers la fiction. Tourné dans l'île de Lampedusa, il raconte en montage alterné les vagues de réfugiés qui tentent d'arriver en Europe, mais aussi l'histoire de quelques habitants de l'île, dont Samuele, un petit garçon qui n'a l'usage que d'un oeil (l'autre est diagnostiqué "paresseux"). La charnière entre ces deux récits réside notamment dans le personnage du médecin de l'île, qui soigne Samuele mais qui livre aussi un témoignage bouleversant sur son action auprès des migrants. Le film livre assez peu d'informations sur ces derniers (ce n'est pas un reportage télé), mais enregistre des images poignantes et glaçantes d'un sauvetage en mer. On pourra trouver que le film manque un peu de contextualisation (ce n'est pas explicitement un brûlot sur l'Europe-forteresse), mais c'est une oeuvre utile et singulière.
OLLI MÄKI (Juho Kuosmanen, 19 oct) LLL
Olli Mäki est un boulanger dans une petite ville de Finlande, mais surtout un champion de boxe qui en cet été 1962 va tenter de décrocher à domicile le titre de champion du monde poids plumes contre un Américain multi-titré. Entraînements, préparation psychologique, perte de poids : le film aurait pu se centrer là-dessus, mais il raconte aussi d'autres choses, puisque dans les jours qui précèdent le match, Olli se rend compte qu'il est tombé amoureux de sa copine Raija... C'est un premier long métrage charmant, qui n'en fait pas des tonnes côté reconstitution : il lui suffit de recréer le style de certains films de l'époque, des nouvelles vagues européennes, entre noir et blanc soyeux et visages radieux... Tel quel le film est très plaisant, même si un rien trop sage : un brin de folie en plus aurait pu le propulser vers les sommets (il a quand même obtenu le prix "Un certain regard" à Cannes).
SOY NERO (Rafi Pitts, 21 sep) LL
Nero est un jeune homme de 19 ans qui a grandi aux Etats-Unis, avant d'être expulsé au Mexique, le pays de ses parents. Il est bien décidé à repasser la frontière, afin de rejoindre son grand frère Jesus à Los Angeles, et d'échapper à la clandestinité en devenant soldat de l'US Army, ce qui lui permettrait d'obtenir la nationalité américaine... On peut y voir évidemment un propos politique sous-jacent, à savoir que dans ce monde où les marchandises et les capitaux circulent de plus en plus librement à travers la planète, les frontières sont de plus en plus impitoyables pour les êtres humains. Dans beaucoup de plans du film, le héros est confronté à une ligne qu'il devra franchir : la frontière USA-Mexique bien sûr, mais aussi le portail d'une villa cossue par exemple. Le film est construit par bloc. Les retrouvailles avec le frère sont filmées avec une certaine étrangeté. Dommage que la dernière partie du film soit aussi statique (ce qui est certes adapté à la situation), et peut-être pas aussi tendue qu'il faudrait. Malgré ces réserves, un cinéaste à suivre.
POESIA SIN FIN (Alejandro Jodorowsky, 5 oct) LL
Après nous avoir raconté son enfance dans La Danza de la realidad, Alejandro Jodorowsky continue son autobiographie déjantée. On le retrouve tout d'abord à l'adolescence, lorsqu'il quitte avec sa famille la petite ville de Tocopilla pour s'installer à Santiago. Quelques années plus tard, il fuit ses parents, qui veulent lui imposer des études de médecine, pour vivre sa nouvelle passion pour la poésie. On retrouve en grande partie les ingrédients du premier volet, sa mère chante toujours ses répliques, mais la chanteuse d'opéra Pamela Flores a un double rôle car elle interprète également le premier amour d'Alejandro, muse colorée farouchement indépendante, papillon de sa vie nocturne. Evidemment, l'inspiration est largement surréaliste, mais ça fonctionne un peu moins bien que dans le premier volet : moins de fulgurances esthétiques irrésistibles qui terrasseraient même les moins convaincu-e-s, moins de dimension politique (hormis à la toute fin du film), et fatalement moins d'effets de surprise. Mais une curiosité à voir en complément de sa précédente proposition de cinéma.
DIVINES (Houda Benyamina, 31 aou) LL
Dounia et Maimounia sont deux copines inséparables, soudées contre le monde entier. La première, qui ne rêve que de "money, money, money" pour sortir de la galère, est prête à tout, même à se mettre avec risques et périls au service d'une économie parallèle. Divines se veut une sorte de conte, dans lequel les rôles entre femmes et hommes sont plus ou moins inversés : la caïd du coin est une femme, Rebecca, et Dounia épie amoureusement un garçon passionné de danse (et presque réduit à ça). Sans oublier le langage (le célèbre "T'as du clitoris"). Mais, pour le reste, le film intègre sans les interroger les clichés du genre, avec une conclusion qui pulvérise (punit ?) le désir d'émancipation de Dounia. Formellement le film est très inégal (loin de la recherche esthétique de Bande de filles), mais la séquence de la virée en voiture de sport sans voiture de sport est un grand moment, malheureusement un peu isolé.
MERCENAIRE (Sacha Wolff, 5 oct) LL
Soane, un wallisien de 19 ans qui a grandi en Nouvelle-Calédonie à Nouméa, débarque en Métropole, échappant ainsi à la tyrannie de son père et offrant ses 110 kg de muscles à des clubs de rugby de seconde zone. Ce colosse aux pieds d'argile découvre ce nouveau monde, ses compromissions, le dopage, sa condition de joueur acheté et vendu comme du bétail, mais aussi la fraternité des troisièmes mi-temps et l'amour... Ce que réussit le mieux Sacha Wolff pour son premier film, c'est cette immersion dans ce milieu inconnu pour Soane, sa condition d'exilé (dans son propre pays). En revanche, la tragédie familiale est très appuyée, avec des scènes de violence physique qu'on a l'impression d'avoir déjà vu des dizaines de fois (et pas que dans des bons films). Néanmoins il y a une scène de haka assez mémorable, et même poignante.
LE CIEL ATTENDRA (Marie-Castille Mention-Schaar, 5 oct) LL
Le destin croisé de deux jeunes filles françaises qui se font enrôler par des jihadistes. Le film a pour but de montrer l'embrigadement, improprement appelé "radicalisation" par les médias ou le gouvernement, puisqu'il s'agit souvent de "conversion" et que de toute façon ça n'a rien à voir avec de quelconques racines : on voit pour l'une d'elles le processus de déculturation par rapport à la façon d'envisager la religion dans sa famille. Enfin, Dounia Bouzar (plus ou moins conseillère technique du film) interprète son propre rôle auprès des parents désemparés. Et le cinéma ? Dans la première partie, il y a quelques scènes embarrassantes, maladroites dans la mise en scène comme dans l'interprétation. Puis la gêne disparaît peu à peu au fur et à mesure du film, avec un montage alterné moins conventionnel qu'on pourrait le penser au départ. Bref un film utile sur le fond mais assez inégal sur la forme.
JUSTE LA FIN DU MONDE (Xavier Dolan, 21 sep) L
Louis (Gaspard Ulliel) est un jeune homme de 34 ans, auteur reconnu parti vivre au Canada. Après douze ans d'absence, il revient au pays pour rendre visite à sa famille et tenter de leur annoncer sa mort prochaine (il est atteint du sida). Adapté d'une pièce de Jean-Luc Lagarce écrite au début des années 90, le film est une sorte d'enregistrement d'entomologiste de la rencontre entre Louis et les autres membres de sa famille : sa mère (Nathalie Baye), sa petite soeur (Léa Seydoux), son grand frère (Vincent Cassel) et sa belle-soeur (Marion Cotillard). Le tout est filmé presque sans plans d'ensemble, uniquement des gros plans et plans rapprochés, donnant au film des allures de huis clos (même dans le réceptacle d'une voiture). Mais, dans un esprit approchant, on est loin de la virtuosité de Chéreau dans Ceux qui m'aiment prendront le train. Ici, les ping-pong verbaux sont caricaturaux, et Xavier Dolan cède parfois à ses pires penchants pompiéristes. Ce n'est pas la fin du monde, juste un film qui s'auto-asphyxie.
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