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Festival de La Rochelle 2016

MON FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE LA ROCHELLE 2016


30) ** TONI ERDMANN (Maren Ade, 2016)

Inès est une executive woman allemande, consultante en management installée à Bucarest.
Son facétieux père décide de lui rendre visite. Le pétard mouillé du dernier festival de Cannes
(encensé par la quasi totalité de la critique française et internationale, il a d'ailleurs reçu le prix de
la Fipresci) ? Pas mal mais pas aussi génial qu'on le dit. Alors oui la satire du monde managérial
et du consulting est mordante. Et est touchante la relation entre un père et une fille qui n'ont pas
les mêmes valeurs (même si tous les deux sont dans les faux-semblants en quelque sorte : elle
doit donner des arguments en apparence objectifs pour aider un patron à externaliser donc
dégraisser, lui s'amuse à briser les convenances et les mondanités à l'aide de farces et attrapes,
perruques et faux dentiers derrière lesquels il se cache pudiquement). Mais tout ça est trop long
pour ce que c'est (difficile de jouer sur l'incongruité pendant plus de 2h½), et certaines scènes
sont inutiles ou pas très bien amenées.

29) ** LA GRANDE PAGAILLE (Luigi Comencini, 1961)

Confusion après l'armistice entre l'Italie et les Alliés en septembre 1943. Alberto Sordi
joue un lieutenant dépassé par la situation qui voit les troupes allemandes devenir ennemies (dans
un dialogue irrésistible il annonce à ses supérieurs que l'Allemagne et les Etats-Unis se sont
alliés !), balloté par les événements mais capable de retourner sa veste, accompagné par un soldat
malade en permission (Serge Reggiani). Le film a vieilli, mais on retiendra que le rôle d'Alberto
Sordi est aux antipodes de celui de l'homme de convictions de Une vie difficile, tourné un an plus
tard.

28) ** ZÉRO DE CONDUITE (Jean Vigo, 1933)

Le moyen métrage culte de Jean Vigo, présenté en avril 1933, mais sorti publiquement en
novembre 1945 après douze ans de censure. C'est vrai qu'on y voit des collégiens défier l'autorité,
se révolter, et même hisser un drapeau noir avec une tête de mort. Et en même temps on ne voit
pas de raison politique ou sociale à cette révolte, comme si elle était gratuite. Cela pourrait être
des jeux d'enfants (élaborer des plans à la récré...). Mémorable et ciné-génique bataille de
polochons.

27) ** LA QUATRIÈME ALLIANCE DE DAME MARGUERITE (Carl Theodor Dreyer, 1921)

Fable médiévale (l'action se passe vers 1600) autour d'un jeune pasteur, obligé par les
traditions locales d'épouser la vieille veuve de son prédécesseur dans le presbytère. Avec sa
fiancée, qu'il fait passer pour sa soeur, ils attendent impatiemment sa mort, et tentent souvent
infructueusement de se voir en cachette. C'est presque une comédie, ce qui est rare chez Dreyer
(quoique Le Maître du logis...), et il y a un excellent plan qui illustre le titre. Sinon le style n'est
pas encore très affirmé.

26) ** MORE (Barbet Schroeder, 1969)

Rencontre amoureuse entre deux jeunes hippies qui se mettent à l'héroïne (appelée horse
dans le film) et deviennent des junkies. Pour son premier long métrage, Barbet Schroeder,
également producteur, a su s'entourer : Pink Floyd à la musique, Nestor Almendros à la
photographie... Cela suffit à en faire, dans la mémoire cinéphile, un film culte. La forme est
effectivement soignée, esthétique, mais on a quand même l'impression d'un moyen métrage
artificiellement étiré pour devenir un long...

25) ** JOUR DE COLÈRE (Carl Theodor Dreyer, 1943)

Danemark, 1923. Absalon, un pasteur âgé, vit avec sa mère, Merete, et sa seconde épouse
Anne, beaucoup plus jeune que lui. Tout se complique lorsque Martin, son fils né d'un premier
mariage, s'immisce dans la demeure familiale et s'entiche d'Anne, et que fait irruption Marte
Herlofs, une vielle femme accusée de sorcellerie qui a bien connu la mère d'Anne... L'atmosphère
est pesante (on peut trouver le film un peu lourd), les visages très expressifs (en particulier la
mère et la jeune épouse), accentués par des jeux de lumière assez picturaux. Le point de vue sur
la sorcellerie est assez conventionnel : les sorcières sont présentées comme dans les croyances
traditionnelles comme des femmes ayant un pouvoir réellement maléfique. Mais le mysticisme de
Dreyer n'est pas forcément un cléricalisme : les moyens de l'inquisition (torture) sont montrés
avec effroi.

24) ** ARAF, QUELQUE PART ENTRE DEUX (Yesim Ustaoglu, 2014)

Zelga et Olgun sont employés d'une station-service au bord d'une autoroute reliant
Istanbul à Ankara. La première tombe sous le charme d'un des routiers qui s'arrêtent
régulièrement à la station. Le second espère la gloire en tentant de participer à un jeu télévisé
(sordide). On se doute que les rêves ne seront pas accomplis... Le film est audacieux dans son
propos, au fur et à mesure qu'on découvre son vrai sujet. Mais dans sa forme, une scène est
vraiment insoutenable, disons qu'elle sert à montrer l'absurdité et la cruauté de morales caduques.

23) ** DUST CLOTH (Ahu Öztürk, 2015, inédit)

Nesrin et Hatoun sont deux femmes de ménage kurdes qui vivent à Istanbul. La première
essaie de s'en sortir toute seule avec sa fille (son mari l'a quitté). La seconde, heureuse en
ménage, aimerait accéder à un statut social plus élevé, à l'instar des patronnes pour lesquelles
elles travaillent. Elles se sont liées d'amitié. Cinématographiquement, le film n'est pas très
inventif, mais c'est un bon film social et féministe sur deux femmes qui subissent plusieurs
facteurs d'exploitation ou de domination : précarité (en tant que femmes de ménage, elles n'ont
pas de couverture santé), domination masculine ou racisme latent envers les kurdes.

22) *** J.F. PARTAGERAIT APPARTEMENT (Barbet Schroeder, 1992)

Après une rupture avec son petit ami infidèle, Allison Jones passe une petite annonce pour
dénicher une colocataire. Son choix se porte sur Hedra, une jeune fille réservée. Peu à peu, celleci
se permet de plus en plus de choses, et cherche à lui ressembler... Pendant les 2/3 du film,
celui-ci est conforme à mon souvenir : un crescendo très élégant autour de l'amitié et du
mimétisme. À chaque détail, la tension monte (inoubliable scène dans un salon de coiffure). Mais
ce qui aurait pu être un très grand film référencé (Hitchcock, Polanski...) finit par basculer dans
un univers à la Wes Craven (pour être gentil, en fait des surenchères à la limite du gore), le rire
sous cape en moins. Cette concession à la mode hollywoodienne du début des années 90 (faire de
plus en plus violent en attendant de se démarquer autrement, plus tard, par l'arrivée à maturité des
effets spéciaux numériques) n'annihile pas tout le plaisir pris jusque là, le film demeurant un bon
thriller psychologique au féminin, voire féministe (informaticienne en free-lance, Allison se sert
également, au passage, de son instinct de défense contre un client qui la harcèle). Et bien sûr
grandes performances de Bridget Fonda et Jennifer Jason Leigh. Revu plutôt avec plaisir.

21) *** À PROPOS DE NICE (Jean Vigo, 1930)

Un court-métrage muet de 23 minutes sur la ville de Nice : Jean Vigo détourne une
commande institutionnelle pour réaliser une sorte de documentaire animalier sur les riches oisifs
niçois (avec de rares contrepoints plébéiens, par exemple quelques images du carnaval). On peut
noter une étonnante séquence où sur une chaise à la terrasse d'un café se succèdent des
bourgeoises assises exactement de la même manière, jambes croisées de façon identique,
s'achevant de façon furtive par une femme nue dans la même position. Sinon, de manière
générale, on sent l'influence de Dziga Vertov (L'Homme à la caméra est sorti l'année précédente),
son frère Boris Kaufman participant aux prises de vues.

20) *** HIGH SCHOOL (Frederick Wiseman, 1968)

En France, on a un point de repère : Mai 68. Mais aux Etats-Unis ? On a l'impression,
dans ce documentaire, de voir la vie d'un lycée de Philadelphie à la charnière de deux époques.
D'un côté les règlements sont stricts, on peut observer des cours de maintien vestimentaire pour
les filles (l'institution scolaire sert aussi sans le dire à la reproduction sociale). D'un autre côté,
dans le même temps, on offre parfois aux élèves (par la présence de la caméra ?) la possibilité de
débattre, donner leur avis ou se défendre face à une sanction. Détails amusants pour les
spectateurs hexagonaux : les cours de français donnés par un professeur à l'accent impeccable
Jean-Paul SarTRe », « Les français préparent les repas dans la cuisine mais les mangent dans
la salle à manger
»).

19) *** L'ARGENT DE LA VIEILLE (Luigi Comencini, 1977)

Depuis sept ans, une richissime américaine débarque à Rome pour jouer au scopone
scientifico, un jeu de cartes, avec Peppino, un ferrailleur et sa femme Antonia, deux habitants
d'un bidonville jouxtant la propriété qui espèrent enfin gagner... Le film est très drôle même sans
véritable surprise. Rôles sur mesure pour Bette Davis en vieille increvable et pour Alberto Sordi,
dont le visage se défait comiquement en une fraction de seconde. Pas besoin de comprendre les
règles du jeu de cartes si particulier pour apprécier tous les éléments humoristiques du film.

18) *** BACCALAURÉAT (Cristian Mungiu, 2016)

Romeo, médecin dans une petite ville, a tout fait pour que Eliza, sa fille, soit acceptée
dans une université britannique. Il ne reste plus à Eliza qu'à obtenir une très bonne moyenne au
baccalauréat, une formalité pour elle. Mais elle se fait agresser aux abords du lycée,
amoindrissant ses chances de réussite... Baccalauréat a eu le prix de la mise en scène à Cannes,
celui du scénario aurait pu lui convenir tout autant (voire mieux). La toile de fond est la montée,
dans la société roumaine, de l'individualisme occidental couplée à la persistance d'un niveau de
corruption élevé. Le père, quasiment de tous les plans, est interprété par Adrian Titieni, qui jouait
déjà le rôle d'un père de famille dans Illégitime, autre très bon film roumain sorti cette année.

17) *** LA TOUR DE GUET (Pelin Esmer, 2013)

Nihat, un homme hanté par une tragédie personnelle, prend ses fonctions de gardien dans
une tour de guet qui surmonte une immense forêt et surveille les éventuels départs d'incendies.
Seher est une jeune femme qui a abandonné la fac pour des raisons qu'on découvrira plus tard, et
travaille dans une gare routière de la même région. Le film est l'entrecroisement de ces deux
destins, de ces deux vies avec chacun un passé lourd à porter. Sans lenteur, sans forcer le trait,
l'action s'inscrit dans de beaux décors naturels et finalement suggère beaucoup sur la condition
des jeunes femmes en Turquie dans le régime actuel (ce qui lui arrive pourrait se passer partout
ailleurs, mais les conséquences sont plus importantes, à cause de l'honneur, du qu'en dira-t-on
etc).

16) *** VITA BREVIS (Thierry Knauff, 2015, inédit)

Fascinant moyen métrage de 40 minutes sur les éphémères, ces insectes qui, après une
dernière métamorphose (et une première vie subaquatique de plusieurs années), ont quelques
heures de parade aérienne. Cela commence doucement, de façon bucolique, puis il y a une
apothéose à laquelle on ne s'attendait pas forcément. Le film est d'une grande force visuelle,
accentuée par le choix du noir et blanc comme par un gros travail également sur le son.

15) *** LE MAÎTRE DU LOGIS (Carl Theodor Dreyer, 1925)

Viktor, qui a des soucis professionnels, se comporte en mari et père despotique. Sa femme
Ida, épuisée, part se reposer à la campagne à l'insu de son mari, tandis que la vieille nourrice de
Viktor s'installe dans leur appartement... Dreyer, fasciné par la religion (même s'il n'en est pas du
tout question dans ce film), raconte une histoire de rédemption. On peut trouver que l'ancienne
nourrice du tyran domestique arrive un peu trop vite à ses fins, mais quelle interprétation ! Un
film de Dreyer où on rit, ça existe (la preuve), avec un contenu féministe sans doute osé pour
l'époque (même au Danemark...).

14) *** LE PRÉSIDENT (Carl Theodor Dreyer, 1919)

Dilemmes moraux à travers trois générations. Dans la famille du personnage principal, on
peut, je cite, être léger mais pas un coquin : il faut épouser l'amante si celle-ci tombe enceinte.
Mais ce principe rentre en conflit avec un autre principe : pour ne pas finir misérable, il ne faut
pas épouser une personne de condition sociale inférieure ou subalterne. Le président du tribunal
(puisque c'est de lui qu'il s'agit) est partagé entre son devoir d'impartialité, jusqu'ici reconnu par
tous, et le secours à sa fille (qu'il n'a pas élevée), accusée d'infanticide. Le premier film,
méconnu, de Carl Theodor Dreyer, de très bonne tenue, avec une réelle maîtrise des flash-backs
et des éléments symboliques (sabliers etc).

13) *** L'ATALANTE (Jean Vigo, 1934)

L'unique long métrage de Jean Vigo. Un couple de jeunes mariés embarque sur une
péniche, « L'Atalante », pilotée par un marin haut en couleurs, Michel Simon, génial, avec ses
tatouages et ses chats (quelques séquences d'anthologie). Sans en faire un chef d'oeuvre absolu ni
en goûter les moindres détails, on peut savourer la grande poésie de l'ensemble, hors des voies
(navigables) toutes tracées. Dans cette copie (et à condition d'être anglophone), les sous-titres
anglais compensent la médiocrité du son. Revu avec beaucoup de plaisir.

12) *** LA PASSION DE JEANNE D'ARC (Carl Theodor Dreyer, 1928)

Fidèle aux documents historiques, Dreyer raconte le procès de Jeanne d'Arc en 1431, où
elle fut accusée d'hérésie par des juristes ecclésiastiques qui ne supportaient pas ses visions de
saintes (qui faisaient concurrence à la parole sacrée du clergé), et la condamnèrent au bûcher...
Bien qu'on connaisse l'histoire d'avance, le film est une expérience de cinéma mémorable. Pour
les gros plans extraordinaires sur les visages : évidemment celui de Renée Falconetti
(impressionnante) mais celui des juges également. Pour les décors réduits à leur plus simple
expression. Pour le refus de toute concession. Sans doute le film le plus marquant de la période
muette du cinéaste.

11) *** L'AVOCAT DE LA TERREUR (Barbet Schroeder, 2007)

Un excellent documentaire sur Jacques Vergès, mais aussi le portrait d'une époque, depuis
les luttes pour la décolonisation jusqu'à la naissance du terrorisme international. Le film
commence par l'évocation des massacres de Sétif commis par l'armée française en mai 1945,
point de départ des convictions au départ anticolonialistes de Vergès, qui épouse d'ailleurs
Djamilah Bouhired, une passionaria de l'indépendance algérienne. Le film n'est évidemment
jamais une apologie de la violence de masse, qu'elle soit coloniale ou terroriste, par contre il ne
fait pas un portrait uniquement à charge de l'avocat, il cherche à comprendre, ce qui est beaucoup
plus intéressant. Par cette enquête, on comprend mieux les raisons de sa disparition pendant 8 ans
(1970 – 1978) ou comment, par d'étranges connections dans le milieu du terrorisme, il en arrive à
défendre à la fois Carlos, terroriste d'extrême gauche et Klaus Barbie. D'ailleurs, avec son
charisme enjôleur, il rappelle lui-même que tout justiciable a le droit d'être défendu, mais qu'un
avocat, contrairement à un médecin, peut refuser de prendre la défense de quelqu'un. Du coup la
défense de certains dictateurs de Françafrique ne semble être qu'une trahison de ses idéaux de
jeunesse (bien qu'il paraisse toujours sincèrement ému à l'évocation de la guerre d'Algérie).

10) *** LA DERNIÈRE LETTRE (Frederick Wiseman, 2002)

Anna Semionovna est une femme russe, juive et médecin dans une ville d'Ukraine. Dans
la dernière lettre qu'elle envoie à son fils physicien installé loin de là à Moscou, elle parle de
l'arrivée des Nazis, de l'Occupation, du ghetto, de la nature humaine... Pour une fois, Frederick
Wiseman réalise une fiction et non un documentaire, inspiré par un chapitre du roman Vie et
destin
de Vassili Grossman. Mais il le fait avec un dépouillement extrême : Catherine Samie, une
sociétaire de la Comédie Française, est l'unique et extraordinaire interprète d'Anna. Cela pourrait
relever du one-woman-show, or il n'en est rien, c'est du cinéma, avec un jeu très inspiré avec les
ombres portées de l'interprète qui font à la fois office de figurants et de décor du film. Et, bien
sûr, le texte est magnifique.

9) *** LE MYSTÈRE VON BÜLOW (Barbet Schroeder, 1991)

À quelques jours de Noël 1980, la richissime Sunny Von Bülow est plongée dans un coma
profond dont elle n'émergera plus. Une partie de ses enfants accusent leur beau-père Claus Von
Bülow de tentative de meurtre. Condamné en première instance, ce dernier fait appel à Alan
Dershowitz, un avocat new-yorkais pour réaliser une contre-enquête et le disculper. Le fait divers
est réel, et le film est d'abord le choc de deux mondes entre cet avocat intègre et ses étudiants
d'une part, et l'opulente famille de son client d'autre part. La mise en scène de ce polar, subtile et
attentive aux moindres détails, atteint des sommets d'ambiguïté, notamment entre versions
contradictoires. Une grande réussite, accentuée par la suavité de l'interprétation de Jeremy Irons
dans le rôle de Claus et par l'énigmatique et sardonique voix off de l'épouse comateuse (Glenn
Close). Revu avec grand plaisir (le grand écran permet de l'apprécier à plein).

8) *** UNE VIE DIFFICILE (Dino Risi, 1976)

Satire politique corrosive (le film, tourné en 1961, ne sortira notamment en France que
quinze ans plus tard) autour d'un jeune journaliste idéaliste de gauche, ancien Résistant, qui vit de
façon assez précaire à Rome, ce qui finit par lasser sa femme. Il essaie aussi de publier un roman
autobiographique : refus des éditeurs (« Vous critiquez l'armée ! - L'armée allemande ! - Oui,
mais l'armée allemande, c'est quand même l'armée...
»). Excellente scène où le couple affamé va
manger à l'oeil chez des monarchistes le jour du référendum qui proclame la République...
L'histoire n'est pas drôle, mais le film l'est constamment (sans oublier une fin grinçante), grâce
aux idées de mise en scène de Risi, mais aussi aux dialogues de Rodolfo Sonego, et à
l'interprétation irrésistible d'Alberto Sordi et Lea Massari.

7) *** KES (Ken Loach, 1970)

Billy, un gamin de 11 ans vivant dans une petite ville minière d'Angleterre, découvre un
faucon, qu'il nomme Kes et qu'il va tenter de dresser. Il éduque mieux Kes qu'il n'est lui même
éduqué par sa famille (entre une mère un peu dépassée et un grand frère qui le prend pour
souffre-douleur) ou par l'institution scolaire (mis à part un professeur plus attentionné que les
autres). C'est le deuxième film de Ken Loach, mais tout est déjà là, à commencer par la révolte
contre la cruauté du monde tel qu'il est. Formellement, il est très soigné (musique, scènes avec
l'oiseau...), en utilisant un langage cinématographique simple, adapté à son sujet et accessible au
plus grand nombre, y compris sans doute aux spectateurs de l'âge de Billy. Très belle réussite.

6) *** LA SOCIOLOGUE ET L'OURSON (Etienne Chaillou, Mathias Théry, 2016)

Sur le fond, ce documentaire décrypte les enjeux de la loi sur le mariage pour tous (peut-être
la seule loi authentiquement de gauche de tout le quinquennat Hollande), avec les éclairages
de la sociologue Irène Théry. Institution du mariage, famille, filiation sont tour à tour interrogées,
avec des perspectives historiques et autobiographiques. Cela aurait pu suffire à donner un film
très intéressant, d'autant que les propos sont clairs et dépassionnés. Mais il y a la forme : s'il y a
quelques images d'archives (de 2012 – 2013), dont une visite éclair de l'Élysée, la matière
principale est constituée de conversations téléphoniques entre Irène Théry et son fils Mathias, coréalisateur
du film. Et ces échanges sont restitués par d'irrésistibles séquences d'animation de
marionnettes (oursons entre autres), une vraie et audacieuse trouvaille pédagogique pour que le
spectateur s'approprie le sujet. En bonus, la relation mère – fils entre Irène et Mathias. Jubilatoire.

5) *** LE C.O.D. ET LE COQUELICOT (Jeanne Paturle, Cécile Rousset, 2013)

Un documentaire de 24 mn concocté à partir des témoignages de cinq jeunes enseignants
arrivés en même temps dans une école primaire d'un quartier difficile de la région parisienne, et
qui ont choisi d'y rester, la stabilité dans le temps de l'équipe pouvant permettre d'essayer de
construire quelque chose. Mais on n'entend que leurs voix (ce qui permet probablement une plus
grande liberté de parole) : le récit est illustré en animation (de divers styles), y compris les
remarques abstraites. Sur le fond, on sent le vécu. Sur la forme, les images sont très alertes et
apportent toujours quelque chose de plus, détournent des clichés, enrichissent le propos par de
nouvelles associations d'idées visuelles. Un travail épatant.

4) **** MOI, DANIEL BLAKE (Ken Loach, 2016)

Daniel Blake est un menuisier de 59 ans qui est obligé par son médecin, suite à des
problèmes cardiaques, de s'arrêter de travailler. Mais dans le même temps, il est obligé par
l'assurance chômage, de rechercher un emploi sous peine de sanction. Dans un « job center », il
fait la connaissance de Katie, une mère célibataire en difficulté... On en reparlera une fois que
tous les films en compétition à Cannes seront visibles, mais la Palme d'or pour ce film est une
bonne idée ! En terme purement cinématographique, la mise en scène n'est pas avant-gardiste,
mais il y a une vraie efficacité et je n'ai vu en revanche aucune maladresse ni faute de goût. Ken
Loach a pris la peine de construire de vrais personnages (s'il n'avait pas eu la récompense
suprême, le scénario et l'interprétation de Dave Johns auraient pu être célébrés). Une nouvelle
fois, Loach n'est pas manichéen, sa grande affaire c'est la justice, pas une morale binaire
(bien/mal). Un film avec peu d'espoir ? Oui, peut-être, mais, avec quelques notes d'humour
grinçant, un film de colère (celle du réalisateur) et de dignité (celle des personnages).

3) **** AT BERKELEY (Frederick Wiseman, 2014)

Documentaire en immersion dans la prestigieuse université américaine, une université
publique qui subit des pertes de subvention importantes de la part de l'État de Californie
(contribution à hauteur de 16 %, au lieu de 30 à 40 % quelques années auparavant). Le montage
est excellent : les scènes durent exactement ce qu'il faut, on ne voit pas le temps passer. On n'a
pas envie que ça s'arrête, et heureusement ça dure 4h... Beaucoup de personnages et autant de
points de vue différents. Fidèle à sa méthode, Frederick Wiseman n'a ajouté aucune voix off.
Parmi les problématiques abordées : comment dans le contexte d'austérité assurer la qualité de
l'enseignement, retenir ou attirer les professeurs les plus brillants, continuer à éveiller l'esprit
critique des étudiants, les inviter à penser hors cadre, individuellement ou collectivement, dans
leur domaine professionnel ou leur responsabilité civique, puisqu'ils sont destinés à évoluer parmi
l'élite de la nation ? Passionnant...

2) **** ORDET (Carl Theodor Dreyer, 1955)

Dans les années 30, Morten Borgen, un vieux fermier, vit dans un village danois avec ses
trois fils : l'aîné et sa femme qui attendent un nouvel enfant, Johannes, un mystique qui se prend
pour Jesus Christ, et le dernier qui voudrait se marier à la fille d'une famille avec qui ils sont en
froid, pour des querelles religieuses... La scène finale, impressionnante, émeut même lorsqu'on
s'y attend et qu'on la sait impossible. Un miracle de mise en scène (et inversement). Dreyer croit
au cinéma... Il est possible que cette scène ait inspiré Lars Von Trier, dans le culot, pour la
séquence finale de Melancholia (bien que diamétralement opposée). Auparavant, les personnages
ont incarné différentes attitudes par rapport à la foi (ce qui induit ici des positions physiques
différentes à l'image). Il n'y a quasiment pas de plan de coupe ni de champ/contre-champ, mais au
contraire des plans-séquences avec des mouvements de caméra discrets pour obtenir une
composition des plans parfaite à tout instant. Comme quoi le formalisme le plus pur et le plus
rigoureux n'empêchent pas de créer une atmosphère dans laquelle le spectateur ne peut qu'être
embarqué.

1) **** CLÉO DE 5 À 7 (Agnès Varda, 1962)

Cléo, une jeune chanteuse plutôt frivole, craint d'être atteinte d'un cancer. Il est 17h, par
une belle journée de début d'été, et elle a deux heures devant elle avant de recevoir les résultats de
ses examens médicaux... Agnès Varda nous propose un film sans aucune ellipse, avec un temps
continu réaliste : l'heure apparaît régulièrement dans l'écran, et les trajets de son héroïne, qu'on ne
quitte jamais, sont élaborés pour être crédibles en temps réel. Ce principe, rare (même s'il a été
adopté récemment par le tandem Ducastel – Martineau pour Théo et Hugo dans le même bateau),
fait tout le sel (le charme et l'émotion) de ce film, que je revois avec beaucoup de plaisir.
Beaucoup d'ingrédients d'anthologie, citons pêle-mêle : les déambulations parisiennes,
l'appartement presque tout blanc de Cléo (à l'exception de rideaux noirs qui prennent une grande
importance lors d'une scène chantée mémorable), les compositions de Michel Legrand (dans la
séquence où il intervient dans son propre rôle – ou presque – mais pas uniquement), l'extrait de
film muet tourné pour l'occasion avec les copains de la Nouvelle Vague (Godard, Karina). Une
vraie fête du cinéma !

Version imprimable | Festival de La Rochelle | Le Samedi 12/11/2016 | 0 commentaires




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