- Bien : Planetarium (Rebecca Zlotowski), La Sociale (Gilles Perret), Swagger (Olivier Babinet), Réparer les vivants (Katel Quillévéré), Voyage à travers le cinéma français (Bertrand Tavernier)
- Pas mal : Apnée (Jean-Christophe Meurisse), Le Client (Asghar Farhadi), Sing street (John Carney), Mademoiselle (Park Chan-Wook)
PLANETARIUM (Rebecca Zlotowski, 16 nov) LLL
Au cours des années 1930, deux jeunes soeurs américaines font une tournée en Europe avec leur spectacle de medium. A Paris, Korben, un producteur de cinéma, fasciné, leur commande une séance privée. Puis décide de les engager pour un film qui serait chargé d'enregistrer une trace des présences ressenties lors des expériences. Le réalisateur choisi préfererait tourner de façon classique pour limiter les risques. C'est l'argument de départ du nouveau film de Rebecca Zlotowski (Grand central), mais en réalité l'enjeu du film ne cesse de se déplacer et de se redéfinir constamment, sans aucun recours de la cinéaste à de quelconques effets scénaristiques à la mode. Peut-être que le film laissera moins de trace dans la mémoire collective qu'un film qui se cristalliserait autour d'un sujet identifiable d'emblée. Mais pendant la projection, quelle plaisir ! C'est un film qui respire le cinéma, mais qui le fait respirer aussi, avec une inspiration permanente et une vraie originalité, jusque dans la B.O de Rob. Natalie Portman et Lily-Rose Depp assurent dans le rôle des deux soeurs, mais c'est Emmanuel Salinger qui impressionne le plus en Korben. Rebecca Zlotowski complète son casting hétéroclite par des choix astucieux, notamment le cinéaste Pierre Salvadori pour jouer un réalisateur un peu dépassé par les visions de son producteur...
LA SOCIALE (Gilles Perret, 9 nov) LLL
Deux ans après Les Jours heureux, excellent documentaire sur le Conseil National de la Résistance et son programme, Gilles Perret nous raconte la construction de la Sécurité Sociale. Il réhabilite notamment la figure d'Ambroise Croizat, ministre du Travail (communiste) en 1945 et bâtisseur de la Sécu, aujourd'hui oublié (mais qui eut des funérailles nationales avec une foule énorme en 1951), y compris dans l'école de formation de l'institution, au profit du haut fonctionnaire gaulliste Pierre Laroque (qui donne son nom à un amphi). Il fait intervenir des chercheurs passionnés, historiens ou sociologues, ou une syndicaliste médecin de l'hôpital public, qui évoquent hier pour mieux critiquer les choix libéraux d'aujourd'hui, arguments solides et rationnels à l'appui. Mais cette Histoire nous est rendue très incarnée grâce à certaines archives mais surtout à Jolfred Fregonara, formidable témoin de 96 ans (né en 1919, décédé en août 2016), militant CGT qui organisa la mise en oeuvre de la caisse de Sécurité sociale en Haute Savoie. Excellent conteur, dans un véritable souci de transmission, il passe le relais aux nouvelles générations avec un optimisme volontariste.
SWAGGER (Olivier Babinet, 16 nov) LLL
Des documentaires de cinéma qui donnent la parole à des adolescents, a fortiori de banlieue parisienne, on n'en voit pas beaucoup. Même en fiction cette génération est peu représentée, à l'exception de l'excellent Petits frères (1999) de Jacques Doillon. Mais ce n'est pas l'unique raison pour jeter un oeil à ce film autour d'une dizaines de collégiens de Sevran et Aulnay-sous-Bois. Il y a la forme : les images sont magnifiques, y compris dans les séquences d'interview qui mettent d'autant plus en valeur la parole recueillie. Et puis de temps à autre il y a des séquences où la mise en scène donne vie à certains de leur délires, y compris par la comédie musicale ou la science fiction. Des mouvements de caméra à l'ampleur classique via l'utilisation de drônes. Sans oublier la superbe bande originale de Jean-Benoît Dunckel. Bref, un joli film qui donne à voir et entendre autre chose que les représentations habituelles, sans prétention mais avec une vraie élégance.
REPARER LES VIVANTS (Katell Quillévéré, 2 nov) LLL
Katell Quillévéré est une cinéaste qui change de thématique et de style à chaque film, elle ne capitalise pas sur ce qu'elle a déjà fait. Son deuxième et précédent film, Suzanne, était le récit étalé sur des années d'une jeune femme amoureuse d'un bad boy, plein d'ellipses fulgurantes avec des personnages secondaires très forts (Adèle Haenel et François Damiens), et le célèbre morceau de Leonard Cohen au générique de fin. Réparer les vivants est au contraire resserré sur quelques jours et n'exclut pas une certaine frontalité. Les vingt premières minutes ne sont pas les plus réussies, on a peur de voir la version long métrage de spots ministériels, successivement sur la prévention routière et sur le don d'organe. Mais plus le film avance, et plus il prend son envol vers autre chose. Tournant le dos au chantage à l'émotion, à l'hyper-réalisme comme à la stylisation poseuse, la cinéaste fait entrer dans l'histoire de ce coeur, qui sera transplanté d'un adolescent en mort cérébrale à une femme mûre, toute une panoplie de personnages dont elle suggère sans s'appesantir qu'ils/elles sont chacun-e un réservoir à fictions (comme dans le roman éponyme ?). Le film accomplit donc quelque peu la promesse du titre.
VOYAGE A TRAVERS LE CINEMA FRANCAIS (Bertrand Tavernier, 12 oct) LLL
C'est un périple à travers le cinéma français, mais borné dans le temps : la période évoquée commence à l'avènement du parlant et s'achève au début des années 1970, lorsque Bertrand Tavernier devient cinéaste. Le panorama est tout sauf exhaustif : on ne voit pas tout le paysage, mais seulement une partie retenue en fonction de la subjectivité et des éléments autobiographiques de Tavernier, de son enfance à ses fonctions d'assistant-réalisateur et d'attaché de presse dans les années 60. Il s'arrête longuement et avec bonheur sur Jacques Becker et Jean Renoir, grands cinéastes incontestables (même s'il ne passe pas sous silence la versatilité politique du second, pour ne pas dire pire), mais rend aussi hommage à d'autres fonctions : acteurs (Jean Gabin, Eddie Constantine), musiciens (Maurice Jaubert, compositeur entre autres pour L'Atalante, Vladimir Cosma), décorateurs etc. Par de nombreux extraits de films, la forme oscille entre leçons de cinéma souvent probantes et anecdotes.
APNEE (Jean-Christophe Meurisse, 19 oct) LL
Dès les premières minutes, on entend parler de 6è République, mais à travers la revendication d'un mariage à trois (comme la trinité républicaine Liberté, Egalité, Fraternité) devant un maire désemparé et excédé. Céline, Thomas et Maxence forment un "trouple" de trentenaires qui dynamitent les conventions. La première partie est assez satirique sur les galères de la jeunesse actuelle pour trouver un logement (appart de 18 m2 à 1250 € mensuels) ou un boulot (cours d'entretien d'embauche) ou construire une vie de famille. Mais cet aspect politique s'épuise assez vite, leur revendication principale consistant à vouloir se comporter comme des enfants. Ils portent à l'écran le même prénom que dans la vraie vie, comme le duo belge Dominique Abel - Fiona Gordon (L'Iceberg, Rumba), mais ces derniers ont un style cinématographique beaucoup plus rigoureux. Ici, il s'agit plus d'une suite inégale mais assez drôle de sketchs iconoclastes.
LE CLIENT (Asghar Farhadi, 9 nov) LL
Obligés de quitter leur appartement dans un immeuble menaçant de s'effondrer, Emad et Rana emménagent en urgence dans un logement prêté par un de leurs amis avec qui ils font du théâtre amateur, et occupé auparavant par une locataire qui se prostituait. Un incident va se produire et bouleverser la vie du jeune couple. C'est le film du retour à Téhéran pour Asghar Farhadi. Il a obtenu le prix du scénario et le prix d'interprétation masculine à Cannes. D'une certaine manière, ce n'est pas complètement illogique, la direction d'acteurs est en effet remarquable. Quant au scénario, il est très "fort", mais est-il bon pour autant ? Il s'agit bien d'un nouveau drame domestique et conjugal et d'un suspense moral : la tension est là, mais la partie finale, une sorte de clou moralisateur sur l'ensemble des personnages, d'une certaine lourdeur, peut laisser perplexe. Le film n'est cependant pas du tout indigne pour autant.
SING STREET (John Carney, 26 oct) LL
Au mitan des années 1980, un jeune lycéen, dont les parents ont des problèmes de couple et d'argent, change de lycée et essaie de s'intégrer dans son nouveau bahut au règlement intérieur rigoriste. L'éclaircie viendra de la mystérieuse Raphina, une jeune fille plus âgée que lui qu'il croise régulièrement aux abords de là. Pour la séduire, il s'invente un groupe de musique et un clip à tourner. Elle mord à l'hameçon et le voilà contraint à monter son groupe alors que lui-même ne sait jouer d'aucun instrument... Le film a un certain charme, dans l'écriture des personnages notamment. Dommage que cette finesse n'irrigue pas le scénario, qui fait trop souvent dans l'invraisemblance (le groupe constitué fait des progrès spectaculaires en quelques mois, capable de performances quasi pro ou de changer de style en deux coups de cuillère à pot) et dans une trame générale très attendue. Un film parfois très attachant, mais entravé par ses défauts.
MADEMOISELLE (Park Chan-Wook, 2 nov) LL
Park Chan-Wook transpose un roman anglais se déroulant à l'époque victorienne dans la Corée des années 30 colonisée par le Japon. Ne pas s'attendre à un film social ou politique pour autant. Un séduisant escroc coréen, se faisant passer pour un riche aristocrate japonais, s'arrange pour introduire une jeune complice comme domestique d'une héritière séquestrée par un oncle érotomane dans un inquiétant manoir. A l'issue de cette première partie, on reprend l'histoire sous un autre angle. Cela pourrait faire décoller le film, or cela le fait plutôt patiner. Le procédé du scénario à tiroirs a déja été utilisé maintes fois, et de façon plus convaincante. Ici l'idée est amusante, mais son exécution décevante : malgré de grands moyens et des décors baroques, la mise en scène manque d'inspiration et de subtilité, y compris dans les scènes de sexe (certains plans sont d'un érotisme convenu, chic et toc). On pourra (re)voir avantageusement le classique sud coréen La Servante de Kim Ki-Young réalisé en 1960.
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