S'identifier

Des films du printemps 2024

  • Bien : Borgo (Stéphane Demoustier), Madame Hofmann (Sébastien Lifshitz), Le Mal n'existe pas (Ryusuke Hamaguchi), Vampire humaniste cherche suicidaire consentant (Ariane Louis-Seize), Petites mains (Nessim Chikhaoui)
  • Pas mal : La Machine à écrire et autres sources de tracas (Nicolas Philibert), La Fleur de buriti (Renée Mader Messora, Joao Salaviza), Notre monde (Luana Bajrami), Border line (Alejandro Rojas, Juan Sebastian Vasquez), Le Tableau volé (Pascal Bonitzer), Le Déserteur (Dani Rosenberg), Il pleut dans la maison (Paloma Sermon-Daï), Le Deuxième acte (Quentin Dupieux), Un homme en fuite (Baptiste Debraux)

BORGO (Stéphane Demoustier, 17 avr) LLL
De film en film, la manière de Stéphane Demoustier (Terre battue, La Fille au bracelet) prend de l'ampleur. Deux trames narratives sont ici montées en parallèle : d'un côté une enquête sur un probable règlement de comptes entre bandes rivales en Corse, de l'autre côté l'arrivée depuis le continent d'une surveillante au centre pénitentiaire de Borgo. Bien que l'atmosphère puisse faire penser à Un prophète de Jacques Audiard, le film n'en pâtit pas. La maîtrise formelle est indéniable tout en ne s'interdisant pas des surprises (une reprise d'un tube de Julien Clerc à l'intérieur d'une scène d'une belle intensité, par exemple). Et bien sûr, au centre de l'enchaînement des faits, il y a le jeu de Hafsia Herzi, tour à tour (ou parfois simultanément dans le même plan) lumineuse et opaque à souhait...

MADAME HOFMANN (Sébastien Lifshitz, 10 avr) LLL
Sébastien Lifshitz, documentariste passionnant, dans son étude des questions de genre notamment (Les Invisibles, sorti en salle et césarisé, ou Petite fille, diffusé uniquement sur Arte), s'intéresse à un tout autre sujet ici, en réalisant le portrait de Sylvie Hofmann, une infirmière-cadre de l'hôpital Nord de Marseille, au moment où celle-ci s'apprête à partir en retraite, au bout de quarante années d'exercice. Sa forte personnalité ne cannibalise pas pour autant le film, qui à travers ce portrait se laisse traverser par des questionnements intimes (la rapport à la maladie, à la mort), par exemple mais pas uniquement dans les échanges entre Sylvie Hofmann et sa mère, mais aussi collectifs (avec les effets de la paupérisation de l'hôpital public). Sur la forme, la musique, composée avec soin par Grégoire Hetzel, prend une place inhabituelle chez le cinéaste.

LE MAL N'EXISTE PAS (Ryusuke Hamaguchi, 10 avr) LLL
Le projet d'installation d'un "glamping" (camping de luxe) est présenté au village pressenti pour l'accueillir, en lisière de forêt. Le film aurait pu jouer dans la catégorie devenue familière des ciné-tracts écolos, où une figure justicière honnête s'oppose aux intérêts puissants (dernièrement encore Les Algues vertes, de Pierre Jolivet). Hamaguchi livre un film aux personnages moins caricaturaux, mais qui expose néanmoins, à qui voudra bien le voir, l'antagonisme entre les logiques capitalistes et la défense des équilibres naturels et de la biodiversité. L'oeuvre n'a pas la densité des précédents opus du cinéaste, et en est assez éloignée dans la forme comme dans le fond. Mais le puissant épilogue, douloureux, inattendu (mais pas illogique), est d'une grande force cinématographique.

VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT (Ariane Louis-Seize, 20 mar) LLL
Le titre a l'avantage de donner d'emblée l'esprit du film. En revanche, il ne dit rien du style, et c'est pourtant ça qui est remarquable. Pour son premier long métrage, Ariane Louis-Seize livre, certes comme on s'y attend, une sorte de comédie de vampires, mais avec un ton qui n'appartient qu'à elle. Aussi éloigné du snobisme de Only lovers left alive de Jim Jarmusch que de la dérision facile, le film se déploie tout en finesse, en filant la métaphore du passage à l'âge adulte mais aussi en offrant des décalages non grossiers par rapport à des débats de société contemporains. Même au niveau de la langue le joual semble un peu dépouillé de son exotisme habituel.

PETITES MAINS (Nessim Chikhaoui, 1er mai) LLL
On suit le quotidien d'une demi-douzaine de femmes de chambre travaillant dans un palace parisien. Une petite partie du personnel s'est engagée dans une grève au long cours... Au générique de fin, on voit quelques secondes d'une intervention à l'Assemblée nationale de Rachel Keke, ancienne femme de chambre en lutte devenue députée (LFI-NUPES). L'écriture scénaristique, due au réalisateur associé à Hélène Fillières, est assez fine, composant des personnages qui ne sont pas d'un seul tenant, tout en décrivant de façon intersectionnelle les conditions de travail et des rapports d'exploitation d'autant plus durs qu'ils se croisent avec d'autres rapports de domination (sexistes et racistes). En revanche l'écriture cinématographique, à l'exception d'une certaine séquence de défilé, est moins aboutie.

LA MACHINE A ECRIRE ET AUTRES SOURCES DE TRACAS (Nicolas Philibert, 17 avr) LL
Troisième volet du triptyque sur les soins psychiatriques auquel il appartient, le documentaire se déploie autour de quatre séquences montrant des patients à domicile aux prises avec des soucis techniques de la vie quotidienne. Loin du milieu fermé que constituait l'hôpital psychiatrique montré dans Averroès et Rosa Parks, on renoue avec des personnages que l'on avait déjà croisés dans Sur l'Adamant. On peut donc appréhender La Machine à écrire comme un précieux complément en guise d'épilogue au premier volet, comme l'était Deux ans après par rapport à Les Glaneurs et la glaneuse chez Agnès Varda.

LA FLEUR DE BURITI (Renée Mader Messora, Joao Salaviza, 1er mai) LL
Un film ethnographique, ce n'est pas si fréquent. Les deux cinéastes nous plongent au sein du peuple Krahô, un peuple autochtone vivant au nord du Brésil et menacé par l'expansion de l'agriculture productiviste. On voit l'une des femmes du village participer à une rencontre de peuples autochtones, en opposition à la politique de Bolsonaro. Le film propose donc à la fois des séquences contemporaines plutôt documentaires, mais aussi de redoutables reconstitutions historiques, qui montre que leur lutte pour leur survie ne date pas d'hier... Très involontairement, le film trouve un écho dans l'actualité brûlante de territoires toujours pas décolonisés dans lesquels des peuples n'arrivent pas à obtenir le droit de disposer d'eux-mêmes...

NOTRE MONDE (Luana Bajrami, 24 avr) LL
Dans La Colline où rugissent les lionnes, le premier film en tant que réalisatrice de l'actrice Luana Bajrami, on suivait le temps d'un été des jeunes filles qui tentaient de s'extirper de leur village en rêvant de poursuivre leurs études. D'une certaine manière, ce second opus prolonge le geste, en suivant deux jeunes cousines qui vont effectivement fuguer pour aller étudier à Pristina. Mais l'action est située en 2007, après la guerre mais avant l'officialisation de l'indépendance du Kosovo. Elles déchantent devant l'état de l'université (désertion de certains professeurs) et divergent sur la façon de s'en sortir. Un film un peu brouillon vu d'ici (où l'on connaît mal le contexte), mais sans concessions, hormis quelques figures un peu imposées dans les personnages secondaires.

BORDER LINE (Alejandro Rojas, Juan Sebastian Vasquez, 1er mai) LL
Un couple bi-national, elle espagnole, lui vénézuélien, a décidé de quitter l'Espagne pour s'installer aux Etats-Unis. Mais une fois arrivés à l'aéroport de New York, ils vont subir, ensemble puis séparément, un interrogatoire de plus en plus intrusif... C'est tout ? Presque. Le film est concis, il dure moins d'une heure vingt, et n'aurait pas forcément tenu une distance plus longue. Sans impressionner excessivement, l'exercice de style est tenu, l'impression de huis clos étant renforcée par des plans rapprochés assez oppressifs pour les personnages dont on scrute les inflexions psychologiques.

LE TABLEAU VOLE (Pascal Bonitzer, 1er mai) LL
Le titre pourrait induire en erreur, car il s'agit plus précisément d'un tableau spolié par les nazis, dont ils se sont séparés en échange de services. Cette toile d'Egon Schiele est retrouvée par hasard au domicile de Martin, un jeune travailleur de nuit. Le film est une sorte de comédie, très sardonique, sur le marché de l'art et les manigances des très riches. Dans le rôle principal d'un commissaire-priseur, Alex Lutz est redoutable, mais le reste de la distribution assure également (Louise Chevillotte en jeune stagiaire menteuse, mais aussi Léa Drucker ou Nora Hamzawi). En filigrane, on rencontre un mépris de classe et un racisme décomplexé au sein de la haute. Bonitzer scénariste trouve un regain d'inspiration, même si la forme est à la traîne...

LE DESERTEUR (Dani Rosenberg, 24 avr) LL
Un jeune soldat israélien de 18 ans, envoyé à Gaza, déserte, surtout pour pouvoir continuer à fréquenter sa fiancée, restée à Tel Aviv. Est-il un refuznik par amour ? Mais l'acte n'est pas sans conséquences... Si le film ne brille pas particulièrement par sa forme, qui ne lésine pas sur des effets un peu faciles, le fond est très courageux, qui montre l'absurdité d'une société militarisée à l'extrême et d'un régime qui n'assure pas la sécurité de son propre peuple en refusant de consentir à une paix juste et durable, nécessairement à l'opposée de l'idéologie colonialiste.

IL PLEUT DANS LA MAISON (Paloma Sermon-Daï, 3 avr) LL
Premier long métrage de fiction d'une jeune réalisatrice déjà remarquée dans le domaine du documentaire, le film observe le temps d'un été caniculaire une jeune fille d'à peine 18 ans et son frère de 15 ans, plus ou moins livrés à eux-mêmes via les absences répétées de leur mère. L'atout principal du film réside dans les deux jeunes interprètes, frère et soeur également dans la vraie vie, et dont les personnages de fiction portent les mêmes prénoms qu'eux. Le résultat se veut davantage une peinture naturaliste (donc un peu stylisée) plutôt que réaliste, il est néanmoins assez modeste par rapport au relief de ses modèles.

LE DEUXIEME ACTE (Quentin Dupieux, 15 mai) LL
Tournage compliqué avec des acteurs blasés qui s'interrogent un instant sur la vanité de leur art, à l'heure des grandes catastrophes mondiales probables comme de la prétendue "cancel culture". Une comédie qui se veut "méta" (réflexion du cinéma sur lui-même), en captant l'air du temps, la dérision affichée permettant de ne pas prendre position tout en s'affichant caustique. Pendant la projection, l'incertitude sur le statut de certains dialogues maintient l'éveil, tout comme l'intervention d'une intelligence artificielle, mais la roublardise avec laquelle Dupieux traite son public pourrait finir par se retourner contre lui.

UN HOMME EN FUITE (Baptiste Debraux, 8 mai) LL
Deux personnages reviennent sur les lieux de leur enfance, espérant retrouver un certain homme en fuite. L'intrigue de ce premier long métrage s'insère dans un territoire miné par le chômage. La photographie, minérale ou embrumée, est assez soignée, tout comme la musique signée par les musiciens de Feu Chatterton. L'ensemble fait néanmoins un peu trop souvent penser à ces polars télévisuels régionaux convenus fonctionnant à coups de flash-back sur le passé des protagonistes.

Version imprimable | Films de 2024 | Le Mercredi 22/05/2024 | 0 commentaires




Archives par mois


Liens cinéphiles


Il n'y a pas que le ciné dans la vie

Des liens citoyens