- Bien : Los Delincuentes (Rodrigo Moreno), Averroès et Rosa Parks (Nicolas Philibert), Les Carnets de Siegfried (Terence Davies), Une famille (Christine Angot), La Mère de tous les mensonges (Asmae El Moudir), Daaaaaali ! (Quentin Dupieux), Bye Bye Tibériade (Lina Soualem), Blue Giant (Yuzuru Tachikawa), La Nouvelle femme (Léa Todorov)
- Pas mal : L'Empire (Bruno Dumont), Walk up (Hong Sang-soo), La Salle des profs (Ilker Catak), Sans jamais nous connaître (Andrew Haigh), Eureka (Lisandro Alonso)
- Bof : La Jeune fille et les paysans (DK et Hugh Welchman)
LOS DELINCUENTES (Rodrigo Moreno, 27 mar) LLL
Moran, le trésorier d'une banque de Buenos Aires, s'arrange pour voler 650000 dollars à son travail. Il confie l'argent à un collègue, Roman. Le plan est le suivant : Moran se rend quelques jours plus tard, purge sa peine, et à la sortie de prison, les deux comparses récupèrent le magot, et n'auraient plus besoin de travailler. Le but du casse ne serait donc pas de faire fortune, mais de gagner du temps libre. Mais tout n'est pas si simple... Il ne faut pas avoir peur de la durée du film (environ 3h), scindé en deux parties, et qui mêle plusieurs genres. On se plonge avec délice dans le romanesque des situations et les caractères haut en couleur de tous les personnages. La plupart des interprètes sont inconnus chez nous, à part Laura Paredes qui joue la cadre des assurances qui conduit l'enquête interne à la banque, et qui était déjà au coeur des remarquables La Flor et Trenque Lauquen, du collectif El Pampero Cine (dont Rodrigo Moreno ne fait pas partie). Au fil de tous les développements, on découvre un film d'inspiration plutôt libertaire (mais au sens antilibéral du terme).
AVERROES ET ROSA PARKS (Nicolas Philibert, 20 mar) LLL
Avec ce film, Nicolas Philibert prolonge le travail entrepris avec Sur l'Adamant. Les lieux sont plus austères, mais le documentaire est surtout composé de séances d'entretien entre soigneurs et soignés. Même si la question est un peu abordée lors d'une réunion, le cinéaste ne tranche pas le débat sur l'utilité des institutions psychiatriques et de leurs formes. En revanche, il continue à réintégrer dans une pleine humanité les patients (dont quelques figures déjà croisées sur l'Adamant) qui constituent l'âme du film. Et par suite on peut s'interroger, dans le prolongement des réflexions des militants et militantes intersectionnelles actuelles, sur le caractère "validiste" de nos sociétés contemporaines, en voyant ces êtres si humains mais qui ne pourraient pas satisfaire les exigences capitalistes et s'insérer dans une compétition économique toujours plus rapide et intense (au grand dam des rapports sociaux et des milieux naturels).
LES CARNETS DE SIEGFRIED (Terence Davies, 6 mar) LLL
Le style de Terence Davies, éloigné de toute emphase, pourra être jugé froid par certains néophytes, il n'en reste pas moins que le film est émouvant, à sa façon. Inutile d'être un spécialiste de Siegfried Sassoon pour apprécier ce film. Il s'agit de l'histoire de ce poète qui a traversé le XXè siècle. Son expérience de la Première guerre mondiale le rend résolument pacifiste, alors qu'il s'exprime déjà d'une position minoritaire du fait de son identité sexuelle (homosexuelle). On peut aussi le voir comme une autobiographie déguisée du cinéaste lui-même qui s'autorise, avec son grand âge, des effets détonants comme le morphing, avec un résultat pour une fois convaincant. Un privilège de l'âge qu'on a déjà remarqué chez Oliveira ou Erice. Le film dépasse cependant son sujet, en tirant le portrait complexe d'un artiste doué, mais jaloux du (et hanté par le) talent d'un autre poète, fauché prématurément.
UNE FAMILLE (Christine Angot, 20 mar) LLL
Je n'ai jamais été un grand admirateur du personnage public, mais en revanche l'histoire personnelle de Christine Angot m'a toujours touchée, particulièrement depuis Un amour impossible, l'adaptation du roman éponyme d'Angot par Catherine Corsini. Désormais, l'écrivaine a décidé que les mots écrits ne suffisaient plus. Avec la complicité de la chef opératrice Caroline Champetier, elle a décidé de se confronter à divers membres de sa famille, afin de faire voler les non-dits. Elle commence par imposer à la veuve de son père incestueux (qui n'est pas sa mère biologique) une discussion à bâtons rompus. Si l'expression orale constitue une thérapie pour Christine Angot, sa démarche cinématographique se veut utile pour elle-même mais aussi pour tous et toutes les autres, à l'instar des ondes de choc provoquées par les livres de Camille Kouchner ou Vanessa Springora, et montre également les conséquences des crimes de son père sur les autres membres de la famille.
LA MERE DE TOUS LES MENSONGES (Asmae El Moudir, 28 fév) LLL
La jeune réalisatrice Asmae El Moudir, constatant l'absence de photos de famille, et se cognant au mutisme de sa grand-mère, imagine un dispositif pour délier les langues : réaliser, avec la complicité de son père, des maquettes de son ancien quartier, et de l'immeuble dans lequel elle a grandi. La démarche semble s'inscrire dans le sillage de L'Image manquante, le bien nommé documentaire de Rithy Panh (sur une toute autre tragédie). Ici, les tabous plus ou moins levés de la mémoire familiale permettent de jeter une lumière sur un épisode oublié de l'histoire du pays, la dure répression des "émeutes du pain", en 1981, par les autorités de l'époque.
DAAAAAALI ! (Quentin Dupieux, 7 fév) LLL
Il ne s'agit pas d'un biopic sur le célèbre artiste, plutôt réduit ici au personnage public un peu mégalomaniaque qu'il était devenu vers la fin de sa vie. De mon point de vue, il ne s'agit pas non plus d'un film surréaliste, au sens plein du terme. Non, ici on est plutôt dans le registre de l'absurde. Ce qui est certes déjà le cas d'un certain nombre de films de Dupieux, mais néanmoins il ne se répète pas. Plus que la multiplicité aléatoire des interprètes de Dali (qui justifient le titre), les réjouissances peuvent provenir de n'importe quelle caractéristique, d'une traversée de couloir d'hôtel qui n'en finit pas à certains récits gigognes (que je vous laisse découvrir).
BYE BYE TIBERIADE (Lina Soualem, 21 fév) LLL
Décidément, les documentaires familiaux sont peut-être les moins nombrilistes qui soient. Comme Mariana Otero (Histoire d'un secret) ou Eric Caravaca (Carré 35), Lina Soualem, qui est la première femme de sa famille à être née hors de Palestine, cherche auprès des générations précédentes, et en particulier de sa mère l'actrice Hiam Abbass, à interroger la transmission comme les histoires plus ou moins tues. Un moyen aussi d'évoquer pudiquement, avec des moyens très simples, la grande Histoire (et, involontairement, ses tragiques prolongements au présent).
BLUE GIANT (Yuzuru Tachikawa, 6 mar) LLL
Il ne faut certes pas forcément aller voir ce film pour le scénario ou le style graphique des personnages et des décors, qui ne sont pas d'une folle originalité (et transposés d'une série de mangas). Mais les sessions musicales emportent tout, tant le dessin met en relief la virtuosité de chaque instrument(iste). Il est plaisant que cette virtuosité ne s'accompagne pas de l'humiliation ou l'écrasement de concurrents (ça nous change d'autres films). En tout cas, si on y est sensible, on ressort en apesanteur, sans trop se rappeler si on sort d'une salle de cinéma ou d'un concert... De ce point de vue, la pianiste et compositrice Hiromi Uheara peut être considérée comme la coautrice du film, au même titre que le réalisateur Yuzuru Tachikawa.
LA NOUVELLE FEMME (Léa Todorov, 13 mar) LLL
Au début du XXè siècle, Maria Montessori rencontre une femme française qui veut lui confier l'éducation de son enfant, qui a un handicap mental, et qu'elle n'arrive pas vraiment à aimer. Si le film remonte aux origines des préoccupations pédagogiques de Maria Montessori, il ne dit rien de son approche : on "apprend" que pour faire progresser un enfant, il faut l'aimer (ce qui n'est pas très spécifique). La seule incartade au moule éducatif unique est le bilinguisme de la pédagogue, qui respecte la langue natale de chaque enfant. En revanche, le film passionne beaucoup plus par le fil féministe qu'il parvient à tisser. Sans jamais tomber dans la performance, Jasmine Trinca et Leïla Bekhti, toujours justes, apportent de la profondeur ou de l'inattendu à chaque inflexion de leur jeu.
L'EMPIRE (Bruno Dumont, 21 fév) LL
De prime abord, à l'instar de la bande annonce du film, Bruno Dumont livre une transposition pastiche d'un space opera façon Star Wars dans l'univers des classes populaires du Pas-de-Calais. On retrouve également le duo de gendarmes ahuris qui égayait la série P'tit Quinquin et sa suite. Les dialogues qui dissertent sur les qualités et défauts de l'espèce humaine créent un décalage au départ drôlatique, tout comme le soin apporté aux effets spéciaux et aux décors. Mais au service de quoi sont mobilisées ces audaces formelles ? C'est là que le film peut décevoir, tant Bruno Dumont semble mobiliser un imaginaire binaire (explicitement les forces du "1" et celles du "0"), plus manichéen que son modèle.
WALK UP (Hong Sang-soo, 21 fév) LL
A première vue, on peut s'interroger sur l'utilité de ce nouveau film de Hong Sang-soo, qui met en scène un énième personnage de cinéaste indépendant en proie au doute, soucieux de transmettre, et enclin à chercher une vérité (ou quoi que ce soit d'autre) dans l'alcool. L'étonnement vient d'ellipses qui s'invitent sans crier gare à la fin d'un plan, sans qu'on s'en aperçoive d'emblée. L'évolution de l'immeuble dans lequel s'est installé le personnage principal (interprété par le fidèle Kwon Hae-hyo) devient une métaphore de l'évolution de ce personnage et du temps qui passe. Tout en creusant toujours un peu le même sillon, et d'une manière extrêmement minimaliste, Hong Sang-soo continue de surprendre (un peu).
LA SALLE DES PROFS (Ilker Catak, 6 mar) LL
Des vols sont commis dans un collège. Pour ne pas laisser accuser à tort des élèves, une professeure laisse sa webcam allumée, et s'aperçoit qu'une personne qui a le même chemisier que la secrétaire a fouillé dans son portefeuille. A partir de là, la situation dégénère. Si, à froid, le film peut s'interpréter comme une allégorie de la dangerosité des idéologies sécuritaires dites de "tolérance zéro", le film fonctionne à chaud plutôt comme un piège pour l'héroïne, bien que paradoxalement la moins disposée à tomber dans ces travers. Les contradictions du personnage, c'est très bien. L'ambiguïté de la mise en scène, en revanche, ça l'est beaucoup moins.
SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE (Andrew Haigh, 14 fév) LL
Adam, un scénariste, vit seul à Londres dans un immeuble en partie vide. Un soir il rencontre un de ses rares voisins. En revenant en balade vers la maison de son enfance, il voit qu'elle est occupée... par ses parents, morts accidentellement des années auparavant, lorsqu'il était adolescent. Cette prémisse pourrait laisser penser à celle d'un film de genre. Il s'agit plutôt d'un mélodrame psychologique adapté d'un roman japonais (Présences d'un été). Adam est interprété par Andrew Scott, qui apporte beaucoup de nuances à un film parfois un peu trop répétitif, et où les dialogues sont un peu trop basiques.
EUREKA (Lisandro Alonso, 28 fév) LL
Dans le segment central du film, on suit Alaina, une policière amérindienne officiant dans une réserve du Dakota du Sud, marquée par l'isolement, la pauvreté et même de rudes conditions météorologiques, ainsi que Sadie, sa jeune nièce, qui entraîne l'équipe de basket-ball du lycée et rend visite à son frère emprisonné. Dans le segment précédent, on avait vu le western en noir et blanc qu'elles regardaient à la télé sans se sentir représentées. Le dernier mouvement du film nous transporte (on vous laisse découvrir comment) dans une forêt amazonienne brésilienne dans les années 1970. Le film est limpide, sa réception dépend donc de comment on le ressent. Si l'audace de certains éléments peut séduire, il faut reconnaître que le résultat est poseur, voire très lent (même si un personnage affirme que le temps est une fiction créée par les hommes).
LA JEUNE FILLE ET LES PAYSANS (DK et Hugh Welchman, 20 mar) L
Le film combine deux techniques d'animation : la rotoscopie (comme dans Aloïs Nebel), images décalquées de prises de vue avec des interprètes réels, et la peinture animée, comme dans les courts et longs métrages de Florence Miailhe (La Traversée). Le résultat se voudrait esthétique, il est plutôt esthétisant, avec des images parfois trop proches du trompe-l'oeil pour convaincre. L'histoire de cette jeune fille dans la Pologne du XIXè siècle est édifiante, quoique convenue, mais le fond comme la forme auraient eu besoin de davantage de subtilité.
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