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Des films pour commencer 2024

  • Bien : La Grâce (Ilya Povolotsky), They shot the piano player (Fernando Trueba, Javier Mariscal), L'Homme d'argile (Anaïs Tellenne), A man (Kei Ishikawa), La Ferme des Bertrand (Gilles Perret), Pauvres créatures (Yorgos Lanthimos)
  • Pas mal : La Tête froide (Stéphane Marchetti), Priscilla (Sofia Coppola), May December (Todd Haynes), 20000 espèces d'abeilles (Estibaliz Urresola Solaguren), L'Etoile filante (Dominique Abel, Fiona Gordon), Un silence (Joachim Lafosse)
  • Bof : La Bête (Bertrand Bonello)
  • Hélas : La Zone d'intérêt (Jonathan Glazer)

LA GRÂCE (Ilya Povolotsky, 24 jan) LLL
Au moyen d'un van aménagé, un père et sa fille de quinze ans sillonnent la Russie occidentale, du sud au nord. Pourquoi ? On n'éventera pas les secrets ici, le récit étant plus ou moins bâti sur la rétention d'informations, distillant les éléments au compte-gouttes. On découvrira ainsi comment ils gagnent leur vie, ou quel est l'objet de leur périple. Mais la grande force du film, c'est sa mise en scène. Elle est à la fois naturaliste, concrète, mais aussi teintée de mélancolie ou même de métaphysique. A plusieurs reprises, des panoramiques abandonnent les personnages, avant que ceux-ci ne réapparaissent dans le champ, à la fin du mouvement d'appareil. C'est emblématique du grand sens de l'espace et du cadre avec lequel le cinéaste laisse surgir les coins reculés traversés, tout en s'intéressant à la vérité intérieure de nos deux itinérants.

THEY SHOT THE PIANO PLAYER (Fernando Trueba, Javier Mariscal, 31 jan) LLL
Il s'agit d'un documentaire animé, hybridation de genre dont Valse avec Bachir (Ari Folman) a été un précurseur. Il fait revivre les années 1960, lorsque la bossa nova naissante faisait la noce avec le jazz. C'est aussi une enquête contemporaine du journaliste américain Jeff Harris autour de la disparition de Tenorio Junior, un pianiste brésilien, instrumentiste et compositeur surdoué, à Buenos Aires en 1976. Il rencontre du beau monde (Gilberto Gil, Caetano Veloso et autres orfèvres), ainsi que des proches ou des membres de la famille du disparu. La petite histoire, qui rejoint la grande (celle, tragique, de l'Amérique latine), émeut, bien servie il est vrai par le style très roman graphique des dessins, particulièrement bien adapté, tandis que les sessions musicales, un régal pour les oreilles, enthousiasment.

L'HOMME D'ARGILE
(Anaïs Tellenne, 24 jan) LLL
Raphaël (Raphaël Thiéry), la cinquantaine bien tassée, vit avec sa mère dans un petit pavillon à l'entrée d'un domaine dont il est le gardien. Il est aussi l'ami de la factrice du coin (Marie-Christine Orry, formidable second rôle). La vie de ce colosse rustique, qui a perdu l'usage d'un oeil, va changer lorsque Garance (Emmanuelle Devos), l'héritière du château et artiste contemporaine reconnue, débarque lors d'une nuit d'orage... On est frappé par la singularité de ce conte, paradoxalement lyrique et sobre à la fois. Il échange sans ostentation les rôles genrés d'artiste et de muse. L'étrangeté discrète de ce premier long métrage, maîtrisé au niveau de l'image comme du son, et qui avance sans enfiler les points de passage obligés, rend d'autant plus fascinantes les paroxystiques vingt dernières minutes.

A MAN (Kei Ishikawa, 31 jan) LLL
Rie, mère célibataire d'un petit garçon, est propriétaire d'une petite papeterie. Elle y recontre Daisuke, un client venu lui acheter de quoi dessiner. Ils nouent une relation. Ellipse. On les retrouve mariés quelques années plus tard. Daisuke est bûcheron, et trouve la mort dans l'exercice de ses fonctions. Plus tard, Rie s'aperçoit qu'il n'était pas celui qu'il prétendait être, et engage un ami avocat, Kido, pour en savoir plus. Il s'agit d'un drame profond et trouble autour de la notion d'identité et de quête de soi, au sein d'une société pas forcément très ouverte. Les interprètes (dont Sakura Andô, déjà appréciée dans L'Innocence de Kore-Eda) sont dirigés avec finesse à l'intérieur d'une mise en scène posée, dont le regard évolue au fil de mini-coups de théâtre (la toute fin étant davantage un clin d'oeil psychologique qu'un twist de dernière minute).

LA FERME DES BERTRAND (Gilles Perret, 31 jan) LLL
Récemment, les documentaires sur l'agriculture ont essayé de donner une vue d'ensemble d'exploitations de diverses tailles (Il a plu sur le grand paysage de Jean-Jacques Andrien) ou de proposer une lecture très analytique voire systémique (Le Temps des grâces de Dominique Marchais). Le film de Gilles Perret a pour particularité de s'intéresser à une seule ferme et d'inclure en son sein d'autres images qu'il avait tournées 25 ans plus tôt au même endroit [bizarrement la texture des images est restée la même], et quelques fragments d'un documentaire tourné en 1971 par Marcel Trillat. Ce regard sur le temps long (et sur la transmission, les conditions de travail etc) n'est pas pour rien dans l'émotion suscitée. Et, en filigrane, on voit que ces producteurs laitiers ont résisté à la course à l'agrandissement, grâce à un prix plus avantageux lié au label AOP du reblochon. Comme quoi les normes de qualité ne sont pas forcément les ennemies des agriculteurs.

PAUVRES CREATURES (Yorgos Lanthimos, 17 jan) LLL
Bella est une jeune femme qui a le cerveau d'un nourrisson (on apprendra assez vite pourquoi). Le film nous propose de suivre son parcours et son évolution... Le nouveau long métrage de Yorgos Lanthimos est peut-être celui où sa provocation paraît la moins gratuite. Certains y ont vu un film féministe. Dans la mesure où l'expérience sociale de Bella n'est pas ordinaire, c'est vite dit. En revanche le sujet peut évoquer La Fiancée de Frankenstein, grand classique du début du parlant signé James Whale. Les décors et l'aspect visuel rétrofuturiste ou steampunk sont très inspirés (même s'ils ne font pas dans la demi-mesure), et Emma Stone se risque à des zones de jeu inhabituelles pour une star hollywoodienne de son acabit.

LA TÊTE FROIDE (Stéphane Marchetti, 17 jan) LL
Marie vit seule dans un mobil-home, a du mal à joindre les deux bouts, et fait de la contrebande de cigarettes pour boucler ses fins de mois. Son amant, policier, l'aide à éviter les contrôles à la douane franco-italienne. Un jour, elle rencontre Souleymane qui la supplie de le prendre en stop et lui faire passer la frontière. Et si aider les gens pouvait lui apporter un bénéfice ? Premier long métrage de fiction de Stéphane Marchetti, venu du documentaire. La réalisation est parfois hésitante, mais le film bénéficie d'un sérieux atout : Florence Loret-Caille, qui apporte de l'humanité et des nuances à un rôle abordé de façon plus complexe qu'il n'y paraît.

PRISCILLA (Sofia Coppola, 3 jan) LL
Un biopic sur la relation qui a uni Priscilla, de ses 14 ans à ses 28 ans, à Elvis Presley. Une histoire d'emprise qui fait contrepoint au récent film de Baz Luhrman (Elvis), qui montrait la rock star elle-même sous influence de son producteur. Pour le rôle titre, Cailee Spaeny a reçu le prix d'interprétation à Venise. La mise en scène de Sofia Coppola ne surprendra personne, elle est élégante, et on y trouve des échos de ses premiers films. On peut néanmoins s'interroger si cela fait sens de filmer tous ses films de la même façon, et de préférer un effet de signature plutôt qu'une adéquation à la singularité du sujet.

MAY DECEMBER (Todd Haynes, 24 jan) LL
Le titre est une métaphore de la différence d'âge qui sépare Gracie et Joe, qui avait seulement 13 ans quand il noua une relation avec la première, plus de vingt ans son aînée. Plusieurs décennies plus tard, le couple a perduré, a eu des enfants, et Elizabeth, une jeune actrice célèbre, vient à leur rencontre pendant plusieurs jours, afin de se préparer à jouer Gracie, au début de son histoire... Sur le papier, le nouveau film de Todd Haynes semblait prometteur. Si les deux actrices principales suivent des partitions très complexes, le résultat est un petit peu plus mitigé. Il s'agit d'un cinéma de recherche qui ne trouve pas toujours, à l'instar de la réutilisation, pas toujours convaincante, de la musique que Michel Legrand avait composée pour Le Messager (un tout autre univers).

20000 ESPECES D'ABEILLES (Estibaliz Urresola Solaguren, 14 fév) LL
Ane, mère de famille en plein doute conjugal et professionnel, profite des vacances pour quitter Bayonne et se rendre avec ses trois enfants au Pays basque espagnol où elle retrouve sa mère et sa tante, apicultrice. L'enfant le plus jeune, Coco, huit ans, s'interroge également sur son identité, rejetant son assignation à être un garçon. S'il comporte quelques métaphores un peu trop ostensibles, le premier long métrage de la réalisatrice Estibaliz Urresola Solaguren évoque la transidentité enfantine avec le sens de la nuance et de l'écoute. Dommage qu'il s'éparpille un peu : il a en effet l'inconvénient de passer après le très ramassé et très réussi Tomboy de Céline Sciamma.

L'ETOILE FILANTE (Dominique Abel, Fiona Gordon, 31 jan) LL
Cinquième long métrange du réjouissant duo Abel & Gordon (L'Iceberg, Rumba), héritiers belges très atypiques de Chaplin, Keaton, Etaix ou Kaurismaki. Certes on retrouve ici avec plaisir leur sens du burlesque. Mais le tortueux et ambitieux scénario, qui convoque une histoire de sosie, et qui pousse le bouchon politique plus loin qu'à l'accoutumée, ne fonctionne cette fois-ci pas très bien avec leur style, qui nécessite davantage de simplicité, puisqu'ils ont l'habitude de pousser une action jusqu'à son terme dans le même plan. Le résultat est en-deça des réussites passées, même si on y trouve encore quelques réjouissances.

UN SILENCE (Joachim Lafosse, 10 jan) LL
Inspiré par un fait divers, le film évoque l'histoire d'un avocat qui défend des victimes d'actes pédophiles, mais qui visionne lui-même sur son ordinateur des vidéos pédopornographiques. Le silence est celui de son épouse, le véritable personnage principal du film (Emmanuelle Devos livre une composition concrète mais aussi ambigüe voire insondable), mais la jeune génération ne l'entend pas de cette oreille. Dommage que Joachim Lafosse n'ait pas su transcender ces ingrédients et nous laisse une mise en scène sans grand relief, loin de ses réussites passées (A perdre la raison, Les Intranquilles).

LA BÊTE (Bertrand Bonello, 7 fév) L
Le récit est diffracté en trois époques, le début du XXè siècle à Paris, 2014 à Los Angeles, 2044 à nouveau à Paris. Au centre, le même personnage, Gabrielle (Léa Seydoux), et un curieux ami, Louis. A chaque fois apparaît à Gabrielle le pressentiment d'une catastrophe imminente. Le film est lointainement inspiré d'une nouvelle d'Henry James, publiée en 1903, La Bête dans la jungle. Au niveau formel il est très lynchéen, et on ne peut dénier les talents employés par le film, mais à quel service est dévolue cette sophistication froide ? L'absence totale d'affects semble contaminer la caméra, ce qui alourdit l'ensemble, difficile à digérer...

LA ZONE D'INTERET (Jonathan Glazer, 31 jan) 0
Auschwitz comme si vous n'y étiez pas. L'horreur absolue réduite à un bruit de fond, et à quelques éléments épars ostensiblement  montrés. A peine moins pire dans la maladresse que l'option inverse de la reconstitution calamiteuse des camps dans le biopic d'Olivier Dahan sur Simone Veil. Comme si la banalité du Mal désignait d'abord le micro-climat de la vie de famille d'un tortionnaire nazi, plutôt que le fait que beaucoup de personnes ont participé à engendrer ce Mal, même à un petit niveau (ce que montrait davantage La Passagère d'Andrzej Munk et Witold Lesiewicz, restauré l'an dernier et qui vient d'être disponible en DVD). La musique vocale concrète qui accompagne le générique final résume l'abjection du film : s'arroger le droit de faire un art prétendument conceptuel avec une telle réalité.

Version imprimable | Films de 2024 | Le Samedi 17/02/2024 | 0 commentaires




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