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Des films de l'automne 2024

  • Bien : L'Affaire Nevenka (Iciar Bollain), Guérilla des Farc, l'avenir a une histoire (Pierre Carles), Miséricorde (Alain Guiraudie), En fanfare (Emmanuel Courcol), Trois amies (Emmanuel Mouret), Juré n°2 (Clint Eastwood), Vingt dieux (Louise Courvoisier), No other land (Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor, Hamdam Ballal), L'Histoire de Souleymane (Boris Lojkine), Flow (Gints Zilbalodis), Anora (Sean Baker), Grand Tour (Miguel Gomes)
  • Pas mal : Voyage à Gaza (Piero Usberti), La Plus précieuse des marchandises (Michel Hazanavicius) Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres (Andres Veiel), Au boulot ! (Gilles Perret, François Ruffin), Fario (Lucie Prost), The Apprentice (Ali Abbasi), Leurs enfants après eux (Ludovic et Zoran Boukherma)
  • Bof : L'Amour ouf (Gilles Lellouche), Diamant brut (Agathe Riedinger), Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde (Emanuel Pârvu)

L'AFFAIRE NEVENKA (Iciar Bollain, 6 nov) LLL
Iciar Bollain, une cinéaste toujours passionnante, reconstitue ce qui a abouti à la première condamnation d'un homme politique espagnol pour harcèlement sexuel, au début des années 2000. Si l'on ne s'en tient pas aux apparences classiques, et qu'on regarde de près les choix effectués, dans la forme et dans le fond, par la cinéaste, on sera frappé par l'acuité contemporaine de son regard. Sur le fond, peu de scènes sont consacrées au procès lui-même, car l'essentiel réside dans la description de toutes les étapes (et épreuves) qui le précèdent, dans une pédagogie encore nécessaire. Par exemple, le film ne fait pas l'impasse sur les inversions de culpabilité qui pèsent sur la protagoniste, une jeune femme de 25 ans, conseillère municipale sur la liste du maire charismatique qui lui a fait rapidement gravir les échelons. Dans le cinéma d'Iciar Bollain (Même la pluie, Les Repentis), ce sont des actes qui peuvent être classés comme bien ou mal : les personnages, eux, ne sont pas manichéens. C'est encore le cas ici, grâce aux interprétations millimétrées de Mireia Oriol dans le rôle titre et de Urko Olazabal dans celui du potentat local, mais tous les personnages secondaires bénéficient d'une grande finesse d'écriture. Quant à la forme, la représentation des scènes cruciales doit tout à une réflexion extrêmement précise, qui renouvelle le regard bien plus que d'autres qui le claironnent davantage.

GUERILLA DES FARC, L'AVENIR A UNE HISTOIRE (Pierre Carles, 11 déc) LLL
Pierre Carles réalise peut-être son film le plus ample. S'il remonte aux origines du conflit, à l'aide d'archives, mais aussi d'extraits de fiction de l'ex-compagnon de la mère de Carles, Dunav Kuzmanich, réalisateur chilien exilé en Colombie après la prise de pouvoir de Pinochet, le documentaire bénéficie surtout d'un tournage effectué sur près de dix ans, des prémisses du processus de paix à ses premiers bilans. Le temps long, luxe accordé par la productrice Annie Gonzalez, permet ainsi de mesurer l'évolution des analyses des protagonistes. Le film est assez long (2h20). Alors certes il n'épuise pas pour autant les angles possibles, mais donne un éclairage essentiel qui comble les lacunes et les partis pris des médias occidentaux dominants (Pierre Carles, par ailleurs travaillé par la question médiatique, de Pas vu, pas pris à Fin de concession, livre un matériau qui s'inscrit dans une sorte d'alternative à ces traitements, par une démarche située, mais qui n'assène pas une doxa clé en mains et qui inclut des éléments réflexifs sur le film en train de se fabriquer).

MISERICORDE (Alain Guiraudie, 16 oct) LLL
Depuis Toulouse où il est installé, Jérémie se rend dans le village de son enfance pour aller à l'enterrement de son ancien patron boulanger. Il est hébergé par la veuve de ce dernier, et il y reste quelques jours... Il serait sacrilège de dire plus de l'intrigue. En effet, le film n'arrête pas de se réinventer en chemin. Et pourtant, pour ce faire, il n'use en rien de coups de théâtres scénaristiques spectaculaires (les fameux "twists"). Bien qu'on ne doute jamais d'être face à un nouveau Guiraudie, on y avance sans anticiper où est-ce qu'il va nous emmener. Cela tient en grande partie à sa mise en scène, non pas par des effets formalistes ostentatoires, mais au contraire par un travail virtuose de tous les instants mais en apparence invisible sur la lumière (y compris lorsqu'elle est faible dans certaines séquences nocturnes), les sons (aussi importants que les images pour restituer les paysages), et une certaine perversité amorale dans l'écriture des personnages. Le tout est une réjouissante parenthèse loin des conventions et à l'opposé des films trop programmatiques.

EN FANFARE (Emmanuel Courcol, 27 nov) LLL
Thibaut, chef d'orchestre de renommée internationale, apprend qu'il est atteint d'une maladie grave, et que seule une greffe pourrait le sauver. En cherchant un donateur, il se rend compte qu'il a été adopté, et retrouve l'identité d'un frère biologique, Jimmy, cantinier à Walincourt. Thibaut découvre que Jimmy joue du trombone dans la fanfare locale, et qu'il a l'oreille absolue... Devant ce film, peut-être que le jeune Truffaut aurait parlé de "qualité France", puisque le réalisateur semble appréhender le cinéma comme s'il était un (demi) frère du théâtre. Le film est écrit aussi précisément qu'une portée musicale, avec des accents toniques légèrement appuyés pour créer une ligne claire nullement démagogique qui n'abêtit ni les personnages ni les spectateurs-trices. Quand bien même on a un peu d'avance sur certaines scènes, cette conception du travail bien fait est raccord avec la dimension sociale du film, qui se déplace d'une chronique attendue des déterminismes sociologiques vers celle d'une lutte contre une délocalisation. L'amour de la musique fait office de recherche d'harmonie et de fraternité, Pierre Lottin, Benjamin Lavernhe et Sarah Suco sont des stradivarius, et le sens constant de la mesure aboutit paradoxalement à un crescendo superbe. Devant ce film, chacun pourra se dire : j'ai fréquenté la beauté (du geste, c'est tout ce qu'il nous reste).

TROIS AMIES (Emmanuel Mouret, 6 nov) LLL
Si c'est bien l'amitié qui relie Joan, Rebecca et Alice, les trois amies du titre (India Hair, Sara Forestier, Camille Cottin, toutes à l'aise dans des rôles funambules), Emmanuel Mouret ausculte plutôt d'autres sentiments humains, leurs paradoxes, leurs apparentes inconstances. Sur le papier, certains éléments pourraient relever d'un vaudeville, or ce nouvel opus se révèle d'une profondeur inattendue. Comme dans Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait, il tisse avec virtuosité un faisceau d'intrigues, mais cette fois-ci en restant dans le présent, sans entremêler des temporalités différentes. Comme chez Rohmer ou Allen c'est un cinéma très parlant, dans lequel on suit les questions existentielles des personnages. Mais une grande attention a été portée à la forme, par exemple avec une voix off qui n'est nullement un narrateur abstrait et surplombant, mais ici celle d'un des personnages masculins qui, par la force des choses, peut tout observer. On notera la pincée d'utopie de cet univers, où les protagonistes ne sont confrontés ni à des questions matérielles ni à des relations toxiques.

JURE N°2 (Clint Eastwood, 30 oct) LLL
Le juré du titre, tiré au sort pour un procès criminel, se rend rapidement compte qu'il pourrait être impliqué dans la mort d'une jeune femme qu'il ne connaît pas, lors d'une nuit pluvieuse où elle s'est disputée avec son compagnon, celui qui figure sur le banc des accusés. Si on accepte cette donnée de départ assez improbable, on suivra passionnément ce récit dont l'un des moteurs réside dans la progression des délibérations du jury, comme dans 12 hommes en colère, le classique de Sidney Lumet. Mais ces réflexions en commun se doublent d'un dilemme moral qui traverse le personnage principal, tiraillé entre des valeurs contradictoires, entre une mort à élucider, une naissance à accompagner, et le sort à réserver à un suspect difficile à défendre (homme violent). Malgré les particularités du système judiciaire américain, Eastwood livre une réflexion assez universalisable et non manichéenne sur les notions de justice et de vérité, déjà abordée dans un de ses meilleurs films (Jugé coupable), et servie ici par une mise en scène sobre et épurée.

VINGT DIEUX (Louise Courvoisier, 11 déc) LLL
Immersion dans la vie d'un village franc-comtois, dans les pas de Totone, un jeune homme qui écume les bals locaux. De manière soudaine, il est contraint de devenir adulte et de se débrouiller pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa petite soeur de 7 ans. Il va rencontrer Marie-Lise, une jeune éleveuse qui est également la soeur de gars qu'il a provoqués par jalousie peu de temps auparavant. Il va se mettre en tête de tenter de réaliser le meilleur comté de la région et toucher la prime accordée au vainqueur. Porté par un casting de non professionnels, le premier long métrage de Louise Courvoisier met en scène, parfois en plans-séquences, des personnages avec des personnalités singulières (Totone, ses jurons, sa masculinité un peu gauche, Marie-Lise et son franc-parler à la fois abrupt et tendrement ironique, les amis de Totone...), dans une sorte de récit initiatique romanesque et enlevé qui arrive à fuir tout misérabilisme. Coup d'essai prometteur. 

NO OTHER LAND (Basel Adra, Yuval Abraham, Rachel Szor, Hamdan Ballal, 13 nov) LLL
Basel Adra est un jeune palestinien qui filme depuis des années son village natal, un des hameaux de Masafer Yatta, en Cisjordanie. Yuval Abraham est un journaliste d'investigation israélien du même âge, notamment pour le médiat indépendant +972. Ensemble, et avec deux autres cinéastes, ils ont réalisé ce film, prix du meilleur documentaire à Berlin, tourné entre 2018 et 2023. Il s'apparente au très percutant Cinq caméras brisées, tourné de façon similaire entre 2006 et 2011 dans d'autres villages de Cisjordanie par une autre génération (Emad Burnat et Guy Davidi). Le constat est malheureusement identique, et la situation s'est encore aggravée. Toutes ces années, les politiques d'occupation et d'apartheid, évidemment illégales au regard du droit international, comme l'a encore rappelée la CIJ en juillet, et obstacles à une paix juste et durable, ont encore empiré. On y voit encore les crimes, destructions, inégalités de droits fondamentaux (droit d'avoir un toit, de se déplacer), perpétrées de concert par l'armée et les colons. Les démolitions ne concernent pas uniquement les habitations mais aussi les infrastructures (une école primaire, un réseau d'accès à l'eau). Un film nécessaire pour dessiller le regard de la hasbara (propagande israélienne) qui fixe les cadrages opérés dans les grands médias occidentaux.

L'HISTOIRE DE SOULEYMANE (Boris Lojkine, 9 oct) LLL
Le titre, d'une simplicité apparente, est plus équivoque qu'il n'y paraît. On suit trois jours de la vie quotidienne de Souleymane, arrivé de Guinée sans papiers, et qui prépare l'entretien qu'il doit passer avec l'Ofpra, tout en étant livreur à domicile pour une plateforme, grâce à un prête-nom qu'il doit rémunérer. La plus grande partie du film tient du dispositif : rester collé en permanence aux basques de son principal protagoniste (Abou Sangare, intense), lors de ses impressionnantes courses à vélo dans Paris, mais aussi dans ses interactions parfois douloureuses avec les autres personnages. La dernière partie est filmée différemment, dans un champ - contrechamp faussement simple là-aussi, puisqu'il permet le déploiement d'une parole longtemps différée, d'autant plus que Souleymane préférait servir au départ un autre récit. Au final, une alternative aux discours anti-humanistes des plateaux télé.

FLOW (Gints Zilbalodis, 30 oct) LLL
Un film d'animation qui se déroule après un déluge. Une poignée d'animaux tente de survivre à la montée des eaux, dont un chat, qu'on ne quittera pas, et qui devra apprendre à ne plus avoir peur de se mouiller. Aucun animal humain à l'horizon, les personnages ne parlent pas, ils miaulent, aboient etc... Peu d'anthropomorphisme dans leurs comportements, qui ont l'air plausibles au niveau éthologique. Cela rend très vivante l'histoire (car il y en a quand même une). On retient son souffle pour mieux entendre celui des animaux, à l'intérieur d'une belle création sonore. Visuellement, la réalisation privilégie des plans séquences qui auraient été virtuoses en prises de vue réelles. Le petit bémol, à mon goût, réside dans le graphisme 3D, qui cherche un peu trop le trompe-l'oeil (dans tout ce qui entoure les protagonistes), sans trouver un style propre, alors que Gintz Zilbalodis a participé à tous les postes de la production.

ANORA (Sean Baker, 30 oct) LLL
Ani (diminutif d'Anora) est une jeune strip-teaseuse employée d'un club new-yorkais. Un soir, Ivan, un client du même âge qu'elle, propose de la "privatiser" pour une semaine, moyennant une somme rondelette. Elle accepte, et répond même favorablement à la demande en mariage d'Ivan, lors d'une virée à Las Vegas. Mais ceci n'est pas au goût des parents milliardaires russes du jeune homme, qui envoient des hommes de main tenter de rétablir la situation... Ce qui place ce film au-dessus des précédents films de Sean Baker (Tangerine, The Florida Project), c'est son ton : au lieu d'un pur naturalisme en vogue dans le cinéma indé américain, et en dépit d'une première partie trop longue qui peut frôler la complaisance, le réalisateur livre une sorte de farce tour à tour satirique (avec le rejeton de l'oligarchie totalement immature), burlesque (avec les pieds nickelés dépêchés par la famille qui se heurtent à la forte personnalité de l'héroïne) et émouvante (dans sa dernière séquence). Il fait un pas vers le grand public, sans tourner le dos à l'Amérique des marges qui le fascine.

GRAND TOUR (Miguel Gomes, 27 nov) LLL
Edward, un britannique en poste à Rangoon, fuit sa fiancée, Molly, dans un périple à travers plusieurs pays d'Asie, tandis qu'elle le poursuit pour se marier avec lui... Le récit, qui adopte le point de vue de l'homme puis de la femme, se déroule il y a un siècle, à une époque où, sous couvert d'aventure exotique, le colonialisme n'était pas questionné. L'essentiel du film est en noir et blanc, et pourtant Miguel Gomes, qui aime autant le romanesque que l'expérimentation formelle (récompensée ici par le prix de la mise en scène à Cannes) mélange des régimes d'images différents : des reconstitutions d'époque filmées en studio, et des images contemporaines des pays traversés. Si l'on y ajoute une bande son qui ne suit pas forcément le même montage que les images, et une voix off ardente (point commun avec Tabou), cela aurait pu donner un film traversé de dissonances, or le résultat est assez fluide et prenant pour peu qu'on joue le jeu. Belle interprétation de Crista Alfaiate, avec un rire très particulier malgré le sort...

VOYAGE A GAZA (Piero Usberti, 6 nov) LL
Ce documentaire a été tourné en 2018, et son montage achevé en septembre 2023, quelques jours avant l'offensive du Hamas et l'anéantissement actuel par l'armée israélienne, qui pourrait relever du crime de génocide telle que défini par le droit international, ainsi que l'a rapporté la CIJ. Il s'ouvre sur les obsèques de Yasser Mortaja, un jeune photographe tué alors qu'il couvrait les manifestations pacifiques qui avaient lieu chaque semaine pour l'application du droit au retour prévu par l'Onu sept décennies plus tôt, et qui ont été durement réprimées (au bout de 21 mois, plus de 200 morts et 36000 blessés ou mutilés). Le jeune réalisateur, alors âgé de 25 ans, interroge des jeunes gazaouis du même âge, et enregistre leurs témoignages sur le blocus (terrestre, maritime, aérien, surveillance permanente par drones), leurs aspirations... Un film court qui pourra compléter le plus roboratif Yallah Gaza de Roland Nurier, sorti l'an dernier, tourné après celui-ci mais avant la phase actuelle du conflit.

LA PLUS PRECIEUSE DES MARCHANDISES (Michel Hazanavicius, 20 nov) LL
Adapté d'un récit de Jean-Claude Grumberg, le film se veut un conte, en témoigne le fait que les personnages principaux sont simplement désignés par "la pauvre bûcheronne" et "le pauvre bûcheron". Cette légère imprécision (une guerre mondiale sans numéro, des boucs émissaires simplement désignés comme Sans coeur et accablés de clichés sans fondement qu'on reconnait immédiatement) vaut pouvoir de suggestion mais aussi volonté d'élargissement. Judicieusement, le "Plus jamais ça" doit pouvoir s'appliquer au retour des horreurs de la bête immonde, même lorsque les modalités ne sont plus identiques, ou que victimes et bourreaux ne sont plus nécessairement les mêmes. Malheureusement, le film d'animation finit par inclure des représentations des camps de concentration, avec une stylisation qui pourra laisser dubitatif. Et si, au final, le narrateur, qui a la voix de Jean-Louis Trintignant, met en garde de façon salutaire et à nouveau suggestive contre le révisionnisme, le propos ne semble plus s'élargir aux aveuglements similaires, dont le négationnisme en temps réel d'une catastrophe toujours en cours.

LENI RIEFENSTAHL, LA LUMIERE ET LES OMBRES (Andres Veiel, 27 nov) LL
Leni Riefenstahl est restée dans l'histoire du cinéma principalement comme réalisatrice de deux films de propagande liés au IIIè Reich (Le Triomphe de la volonté et Les Dieux du stade). Certains cinéphiles admirent encore l'efficacité du style, en la séparant du fond. Après guerre, Leni Riefenstahl, qui n'a jamais été membre du parti nazi, a longtemps affirmé qu'elle n'a découvert qu'après coup les crimes de masses perpétrés. Avec l'aide d'archives récemment ouvertes, le documentariste, dans un style malheureusement très télévisuel, confronte les traces qu'a voulu laisser la réalisatrice, qui fut également alpiniste de haut niveau et actrice, aux documents historiques montrant sa proximité avec les dignitaires du régime comme son approbation, partielle ou non, de leur idéologie.

AU BOULOT ! (Gilles Perret, François Ruffin, 6 nov) LL
Trois ans avant ce film, Debout les femmes ! avait été une franche réussite. Les deux réalisateurs montraient la réalité des travailleuses dans les métiers du lien. Des témoignages en longueur aboutissaient à des revendications reprises par le travail parlementaire de Ruffin, en tandem avec un député macroniste atypique. La séquence finale, symbolique, voyait les femmes rencontrées investir une place de député et entonner dans l'hémicycle L'hymne des femmes. En comparaison, Au boulot ! est en recul, politiquement et humainement. L'enjeu est seulement de quémander le respect d'une grande bourgeoise, Sarah Saldmann, avocate réactionnaire et chroniqueuse sur une chaîne de désinformation en continu. Ruffin l'invite à partager les conditions de travail des précaires qu'elle dénigre. Dans une sorte de zapping social, le film laisse beaucoup moins de place aux travailleurs et travailleuses pour s'exprimer. Aucune revendication concrète n'est explicitée, la caméra s'attarde sur les gestes et propos (candidement obscènes) de la bourge, et la séquence symbolique finale ne met en scène qu'une célébration de ces courageux-ses ordinaires, et non plus un renversement de l'ordre établi.

FARIO (Lucie Prost, 23 oct) LL
Jeune ingénieur vivant à Berlin, Léo revient dans son village du Doubs pour vendre des terres héritées de son père agriculteur. Elles sont convoitées dans le cas d'un projet d'extraction minière à laquelle sa famille et sa bande d'amis sont opposées. Des sujets similaires ont déjà été traités au cinéma, mais, pour son premier long métrage, Lucie Prost a pris le parti qui semble judicieux de n'en faire qu'une toile de fond et de prêter attention aux interactions entre les personnages. C'est d'ailleurs ce qu'il y a de mieux dans un film qui accumule par ailleurs des maladresses, entre des dialogues inégaux (parfois très judicieux, parfois artificiels) et des effets pas toujours convaincants.

THE APPRENTICE (Ali Abbasi, 9 oct) LL
L'origine du mal(e). Il ne s'agit pas ici d'une réflexion à la Hannah Arendt, mais du récit de la rencontre entre Donald Trump, alors magnat de l'immobilier dans l'entreprise alors dirigée par son père, et Roy Cohn, un avocat qui a commencé sa carrière auprès du sénateur McCarthy. Entre le milieu des années 70 et le milieu des années 80, ce dernier va lui enseigner ses trois "principes" : attaquer, tout nier en bloc, ne jamais reconnaître la défaite. Le scénario a été écrit par un journaliste politique, Gabriel Sherman. Dans ce rôle de mentor, Jeremy Strong aurait pu obtenir le prix d'interprétation à Cannes. Et pourtant l'écriture des personnages, présentés comme constamment inhumains, en manquant de finesse, risque de rater sa cible et d'être contreproductive.

LEURS ENFANTS APRES EUX (Ludovic et Zoran Boukherma, 4 déc) LL
Commercialement, il n'est pas sûr que le film profite d'une sortie qui suit de peu L'Amour ouf, les deux films partageant les mêmes producteurs et le même registre (romanesque entrecroisant violence physique et sociale). S'il y a ici encore pas mal de facilités, le film se tient davantage sur la durée. L'intrigue est plus resserrée, sur quatre étés entre 1992 et 1998 (comme dans le roman éponyme de Nicolas Mathieu). La musique mange à tous les râteliers, mais est utilisée de façon plus convaincante (ex : un tube de Nirvana repris par une chorale) même si parfois très littérale (jolie séquence un certain soir sur la Terre). Si l'ensemble est filmé à hauteur de jeunesse, avec un Paul Kircher qui confirme les espoirs placés en lui (Le Lycéen, Le Règne animal), les comédiens plus âgés s'en sortent correctement dans un registre casse gueule (Ludivine Sagnier, Gilles Lellouche).

L'AMOUR OUF (Gilles Lellouche, 16 oct) L
Au moins, pour son deuxième long métrage en tant que réalisateur, on peut dire que Gilles Lellouche n'y va pas avec le dos de la cuillère. D'ailleurs la première partie est assez réussie, avec les interprétations intenses de Malik Frikah le voyou et Mallory Wanecque la fille un peu plus gâtée (découverte dans Les Pires), et quelques idées visuelles qui tranchent avec le réalisme (le coup de foudre, une éclipse...). On pourrait à ce stade comprendre la sélection en compétition officielle à Cannes et le succès public auprès des plus jeunes. Mais ça se gâte dès l'apparition des collègues plus chevronnés du réalisateur, qui peinent à faire croire à leurs personnages, à l'exception d'un Alain Chabat assez touchant. La séquence de fin interroge : doit-on comprendre que la morale est de se résigner, et de ne demander que le respect des plus aisés et de leurs sbires ?

DIAMANT BRUT (Agathe Riedinger, 20 nov) L
Une jeune fille de 19 ans (Malou Kherbizi, intense) espère une issue favorable au casting qu'elle passe pour une émission de télé-réalité. Elle espère en vivre par la suite, en gagnant sa vie comme influenceuse, et prendre sa revanche sur son origine sociale et familiale défavorisée. Dans un  monde où la démocratie et les libertés sont en recul, que ce soit via la montée électorale de l'extrême droite ou via l'autoritarisme des pouvoirs d'extrême centre, ce film y ajoute le diktat des apparences. Pour son premier long métrage, sélectionné en compétition à Cannes, Agathe Riedinger opte pour une réalisation aussi glauque que le sujet. Cela a le mérite de la cohérence, mais donne une impression pénible de ton sur ton.

TROIS KILOMETRES JUSQU'A LA FIN DU MONDE (Emanuel Parvu, 23 oct) L
Un jeune homme de dix-sept ans se fait agresser par un garçon du même village, dans le delta du Danube, parce qu'il a été vu en train d'embrasser un touriste. Présenté en compétition au festival de Cannes, le film a reçu la Queer Palm. S'il a sans doute pour but de montrer l'homophobie ordinaire, et qu'il nous épargne la scène de l'agression elle-même, seul bon point d'une réalisation très plate, le résultat peine à convaincre. Les personnages sont caricaturaux, et filmés sans point de vue, loin de la distance ironique qu'aurait pu trouver un Mungiu ou un Porumboiu, deux des chefs de file du nouveau cinéma roumain.

Version imprimable | Films de 2024 | Le Mardi 10/12/2024 | 0 commentaires




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