- Bravo : Les Graines du figuier sauvage (Mohammad Rasoulof)
- Bien : Le Procès du chien (Laetitia Dosch), Sauvages (Claude Barras), Vivre, mourir, renaître (Gaël Morel), All we imagine as light (Payal Kapadia), Dahomey (Mati Diop), Septembre sans attendre (Jonas Trueba)
- Pas mal : Ni chaînes ni maîtres (Simon Moutaïrou), Golo et Ritchie (Martin Fougerol, Ahmed Hamidi)
- Bof : Megalopolis (Francis Ford Coppola), Emmanuelle (Audrey Diwan), Quand vient l'automne (François Ozon)
LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE (Mohammad Rasoulof, 18 sep) LLLL
Ce long métrage fait d'emblée événement, puisqu'il s'agit du dernier film réalisé clandestinement en Iran par Mohammad Rasoulof avant son exil. Il peut donc se prêter à des commentaires qui font fi de ses qualités cinématographiques, ce qui est très injuste, tant le film possède une force remarquable (ce qui était déjà le cas du Diable n'existe pas, Ours d'or en 2020). Iman, fonctionnaire, vient d'être nommé enquêteur au tribunal révolutionnaire. Il se veut intègre, mais doit accepter des ordres sans possibilité d'étudier les dossiers. Pendant ce temps, des émeutes éclatent. Pour assurer leur sécurité, Iman demande à sa femme et à ses deux filles d'être discrètes, tandis qu'on lui confie une arme de service. Les deux adolescentes suivent la révolte des femmes sur leurs téléphones... La première grande force du film réside dans le fait que la famille constitue une allégorie de la situation politique du pays entier, tout en constituant des personnages réalistes à part entière. La grandeur de la mise en scène accentue cette impression : si le film est d'abord un huis clos tendu dans l'appartement familial, il convoque ensuite des genres cinématographiques qu'on attendait pas forcément et qui lui donnent une ampleur peu commune. Un des meilleurs films de l'année, qui aurait dû recevoir à Cannes un prix bien plus élevé que l'accessit (prix spécial) créé pour l'occasion.
LE PROCES DU CHIEN (Laetitia Dosch, 11 sep) LLL
Quelques semaines seulement après le Roman de Jim des Larrieu, Laetitia Dosch est à nouveau à l'affiche d'un des films les plus réussis de l'année, avec un personnage plus proche de ce qu'on croit savoir de sa personnalité. Le film est d'ailleurs le premier long métrage qu'elle écrit et réalise elle-même. Le chien du titre, habituel compagnon d'un malvoyant, est accusé d'avoir mordu au visage une femme. L'humour n'est jamais mécanique, mais est traversé par des sujets de société abordés de façon brillante et décalée : antispécisme (un chien est-il un objet ou une personne que l'on peut juger ?), féminisme (pourquoi ne s'attaque-t-il qu'aux femmes ?). La réalisatrice s'attribue le rôle d'une avocate des causes perdues qui devient celle de l'animal, et sait s'entourer : de François Damiens (le maître) à Jean-Pascal Zadi (comportementaliste animalier) en passant par Anne Dorval, procureure d'extrême droite qui réclame la peine de mort pour le canin tout en affichant une proximité avec ses chats...
SAUVAGES (Claude Barras, 16 oct) LLL
Des films qui veulent sensibiliser le jeune public aux questions écologiques, ce n'est plus ça qui manque. Ce nouveau long métrage de Claude Barras se distingue néanmoins, à la fois sur le fond et sur la forme. Sur le fond, au lieu de nous ressortir la fable du même bateau dans lequel on serait tous un peu responsable, l'histoire montre la forêt tropicale de Bornéo menacée de destruction par l'expansion de plantation de palmiers à huile destinée à l'agro-industrie mondiale. Et montre la résistance du peuple autochtone. On remarque aussi le slogan "Nous sommes la nature qui se défend" popularisé chez nous par les Soulèvements de la Terre. Mais le film n'est pas un tract, et l'intrigue avance cahin-caha via deux personnages de collégiens et un bébé orang-outan orphelin qu'ils ont recueilli. Sur la forme, Claude Barras, après le succès de Ma vie de Courgette, utilise à nouveau la technique du stop motion avec des marionnettes très expressives. Comme le montrait déjà le récent Interdit aux chiens et aux italiens de Alain Ughetto, cette technique est assez idéale pour créer de vrais personnages et traiter de sujets qui demandent de la profondeur.
VIVRE, MOURIR, RENAÎTRE (Gaël Morel, 25 sep) LLL
Je n'avais jusque là pas suivi la carrière de réalisateur de Gaël Morel, acteur découvert chez Téchiné. Ce film est assez remarquable, et se situe en France dans les années 1990, environ une décennie après l'action des Témoins de Téchiné (dans lequel il ne jouait pas, contrairement au regretté Michel Blanc). Le VIH continuait de briser des vies et des liens. Le titre dialogue de façon non fortuite avec Plaire, aimer, courir vite de Christophe Honoré (remercié au générique), mais les personnages sont plus jeunes, très incarnés. Chaque infinitif pourrait être relié à l'un des sommets de ce triangle de roseaux sauvages qui n'est pas exactement un trouple pour autant. L'histoire émeut moins par le scénario que par le soin de son exécution : au lieu de viser la pure modernité (comme Rebotini pour 120 battements par minute) ou les grands violons, la musique accompagne les protagonistes par des notes essentiellement pianistiques classiques (Debussy entre autres), à l'image de ce film où l'intensité et la fougue se conjuguent avec une forme de pudeur...
ALL WE IMAGINE AS LIGHT (Payal Kapadia, 2 oct) LLL
Mumbai de nos jours. Prabha, dont le mari est parti travailler en Allemagne, est infirmière dans le même hôpital que la jeune Ana, sa colocataire, qui vit une relation en cachette avec un garçon musulman. Sur son lieu de travail, Prabha tente de soutenir également Parvaty, une femme veuve plus âgée et menacée d'expulsion... Une des grandes forces du film (Grand-Prix à Cannes), qui peut toutefois constituer aussi une limite, tient dans le fait qu'une seconde vision décuple son intérêt. La mise en scène est très travaillée et moderne, mais peut se comprendre avec retard : aucun détail n'est laissé au hasard, mais Payal Kapadia n'est pas une cinéaste démiurge qui dirige le regard. Par moments, et dès le prologue qui prend le pouls de la grande ville, on entend les voix de personnages qui à l'écran n'ouvrent pas leurs lèvres. Alors que dans la dernière partie, dans un village de bord de mer, un mystérieux personnage échoué finit par prononcer certaines paroles : on le voit bien parler, et pourtant, dans un subtil halo, il pourrait bien s'agir d'une projection mentale d'une des héroïnes...
DAHOMEY (Mati Diop, 11 sep) LLL
Vingt-six oeuvres d'art, pillées avec des milliers d'autres en 1892, sont restituées par la France à l'actuel Bénin. Mati Diop (Atlantique) filme leur trajet, de leur point de vue, visuellement mais aussi par une puissante voix off imaginant leur intériorité. Dans une dernière partie, Mati Diop laisse la parole aux premiers et premières concernées, en organisant un débat public et radiophonique entre étudiants de diverses disciplines de l'université d'Abomey Calavi. Un contrepoint idéal aux commentaires paternalistes et eurocentrés des médias occidentaux, encore imprégnés d'idéologie coloniale. Petit film par sa durée (1h08), mais vraie réussite (Ours d'or au festival de Berlin 2024).
SEPTEMBRE SANS ATTENDRE (Jonas Trueba, 28 aou) LLL
Ale et Alex décident d'un commun accord de se séparer, et d'organiser une fête pour marquer le coup. Elle est réalisatrice de films, il est acteur, et joue dans les films qu'elle réalise. Avec un tel argument de départ, on pourrait s'attendre à un film extrêmement nombriliste, a fortiori si l'on sait que l'actrice principale Itsaso Arana est la compagne de Jonas Trueba, et est également devenue réalisatrice (son premier long métrage, Les Filles vont bien, est très convaincant). Il y a un effet troupe, car Vito Sanz, l'acteur principal, est aussi un habitué du cinéaste. Pourtant, le charme opère irrémédiablement. S'il est probable que le film touche davantage les cinéphiles, de par ses nombreuses références, même si elles ne sont pas que cinématographiques, il possède une vraie élégance, en brossant un tableau où le réalisme côtoie la chimère (que seraient nos vies si on pouvait rejouer les scènes ratées ?).
NI CHAÎNES NI MAÎTRES (Simon Moutaïrou, 18 sep) LL
Assez rares sont les films qui évoquent la dernière époque d'esclavage (excepté l'oscarisé 12 Years a Slave), celle qui a été un des facteurs de l'accumulation primitive qui a permis le développement du capitalisme. L'action se déroule en 1759 en Isle-de-France (l'actuelle île Maurice). Elle prend assez vite un schéma de course poursuite entre des "marrons" (des esclaves ayant réussi à s'échapper) et la partie esclavagiste. Si Ibrahima Mbaye Tchie et Anna Thiandoum assurent dans les rôles principaux, les personnages de l'autre côté (l'exploiteur Benoît Magimel et la chasseuse Camille Cottin) sont trop privés d'affect, même négatif, pour exister. Le devoir de mémoire butte sur le défi de l'incarnation, comme si le déni était le plus fort. Esthétiquement le film échoue à se donner une grande forme qui le hisserait à la hauteur de son courageux sujet.
GOLO ET RITCHIE (Martin Fougerol, Ahmed Hamidi, 14 aou) LL
Ritchie est un homme jeune plein d'entrain mais atteint d'une forme d'autisme. Il est toujours accompagné par Golo, son meilleur ami. Ils diffusent régulièrement de petites vidéos, eux qui ont grandi et qui vivent toujours dans la cité de la Grande Borne à Grigny. Ce long métrage est l'occasion de leur faire faire un petit tour de France. Quelques séquences montrent cette France des tours rencontrer celle des bourgs, pour de vrai (il ne s'agit pas ici d'un slogan destiné à reléguer au second plan le racisme ou à nier les conséquences sociales de cette expérience pour les personnes concernées). Toutefois ce film, plus ou moins humoristique, se veut volontairement optimiste, mais sans ambition cinématographique (on sent que le duo est plus habitué aux formes courtes).
MEGALOPOLIS (Francis Ford Coppola, 25 sep) L
Francis Ford Coppola a réalisé un projet pharaonique en toute indépendance, grâce à sa propre société de production. Les Etats-Unis sont devenus un nouvel empire romain (dont New Rome est sa capitale). Il met en scène une rivalité entre le maire de New Rome et un créateur nobélisé responsable de la commission d'urbanisme. Si Adam Driver excelle dans l'ambiguïté que requiert son rôle de challenger ("utopiste" mais aussi gentrificateur que son concurrent), les personnages féminins sont des archétypes assez grossiers. Des éléments trop disparates affaiblissent cette satire inaboutie des empires modernes, et le film lasse, même s'il offre parfois de fulgurantes vues d'artiste.
EMMANUELLE (Audrey Diwan, 25 sep) L
Lion d'or à Venise pour un film solide, L'Evénement, adapté d'Annie Ernaux, Audrey Diwan s'attaque à un autre genre de littérature pour faire renaître à l'époque contemporaine le personnage d'Emmanuelle, auparavant figure de la pop culture érotique dans les années 1970 et 1980 lors des premières adaptations audiovisuelles. J'attendais de la cinéaste qu'elle fasse de la jeune femme un sujet (et non un objet) de désir. Mais formellement, le résultat ne fait pas vraiment passer les anciennes représentations cul par dessus tête. Et sa quête du plaisir apparaît d'autant plus vaine qu'elle évolue dans un univers absurde dépourvu de sens : elle contrôle la qualité d'un hôtel de luxe pour le compte d'une sorte d'agence de notation. Peut-être qu'on n'avait pas besoin de deux heures pour réaliser l'enfer de la modernité capitaliste, captée de façon acritique par la mise en scène.
QUAND VIENT L'AUTOMNE (François Ozon, 2 oct) L
Pour les vacances de la Toussaint, Michelle accueille sa fille Valérie et son petit-fils Lucas. Mais Valérie est intoxiquée par les champignons ramassés et cuisinés par sa mère. Une fois désintoxiquée, elle considère sa mère comme dangereuse et rentre à Paris avec son fils... Une question vient rapidement : qu'est-ce qui a pu intéresser François Ozon dans cette histoire ? En fait, il s'agit d'un scénario original coécrit avec Philippe Piazzo. Si on l'excepte une ou deux ellipses judicieusement ambigües, ce film sur la culpabilité est aussi rabougrie formellement que sur le fond. Hélène Vincent livre une composition subtile mais n'arrive pas à sauver à elle seule un film ni vénéneux ni comestible.
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